Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a accordé une interview à l’agence d’information « Romfea ».

  • Éminence, le Concile épiscopal de l’Église orthodoxe grecque se réunit aujourd’hui. On s’attend à ce que le Concile, parmi d’autres sujets, soulève la question de la situation ecclésiale en Ukraine, et aborde la crise des relations entre l’Église russe et le Patriarcat de Constantinople. Que croyez-vous important de dire avant la prochaine discussion de la question ukiranienne par les hiérarques de l’Église grecque ?

La question de l’autocéphalie ukrainienne est le sujet principal de la lettre que Sa Sainteté le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a adressée hier à Sa Béatitude l’archevêque Jérôme d’Athènes et de toute la Grèce. La position de l’Église orthodoxe russe sur cet sujet est exposée dans la lettre, et je suppose qu’on en parlera au Concile de l’Église grecque.

De mon côté, j’estime important d’attirer l’attention sur le fait que tout ce qui est entrepris actuellement par le Patriarcat de Constantinople pour créer en Ukraine une église autocéphale ne concerne en aucun cas l’Église orthodoxe ukrainienne canonique existant dans ce pays et reconnue par l’ensemble du monde orthodoxe. L’Église orthodoxe ukrainienne n’a pas demandé l’autocéphalie au patriarche de Constantinople. Bien plus, son épiscopat a publié une déclaration pour souligner que le statut actuel de l’Église ukrainienne – auto-administrée, mais faisant partie du Patriarcat de Moscou – est optimal pour elle. Néanmoins, l’opinion de la hiérarchie canonique d’Ukraine a été ignorée, et des exarques du Patriarcat de Constantinople ont été nommés à Kiev pour mener à bien le projet d’autocéphalie ukrainienne.

Puisque, comme je l’ai dit, l’Église orthodoxe ukrainienne n’a pas demandé l’autocéphalie, l’objectif immédiat des exarques sera de préparer le terrain pour la création en Ukraine d’une structure nouvelle, parallèle, qui comprendra les schismatiques actuels et à laquelle sera remis le Tomos d’autocéphalie. C’est à cette structure qu’on prévoit de donner la dénomination d’Église orthodoxe ukrainienne, qu’on s’apprête préalablement à retirer à l’Église canonique présidée par Sa Béatitude le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine, grâce à l’adoption de lois discriminatoires spécialement adoptées par la Rada à cet effet.

Les représentants des autorités ukrainiennes déclarent ouvertement que l’Église orthodoxe ukrainienne sera renommée en métropole de l’Église russe en Ukraine, qu’elle le veuille ou non. Les dirigeants schismatiques affirment à ce propos qu’elle sera privée de droits juridiques sur les églises et les monastères qui lui appartiennent, notamment sur le principal sanctuaire de l’Église ukrainienne, la laure des Grottes de Kiev.

Tout cela veut dire que Les fidèles orthodoxes se retrouveront majoritairement hors la loi dans leur propre pays, on leur arrachera leurs églises et leurs monastères, non plus par banditisme, comme cela se pratiquait jusqu’à présent, mais, prétendument, sur des bases légales.

  • A l’époque de la proclamation de l’autocéphalie de l’Église grecque, de l’Église roumaine et d’autres Églises qui la reçurent de Constantinople au XIX siècle, n’a-t-on pas agi de la même façon ?

Dans le cas de la Grèce, de la Roumanie, de la Serbie, de la Bulgarie, il ne s’agissait pas de créer une structure autocéphale en rassemblant des schismatiques, sans tenir compte de l’Église canonique déjà existante. Or, c’est justement ce qu’on s’apprête à faire en Ukraine. Voilà pourquoi l’octroi du Tomos d’autocéphalie aux schismatiques ukrainiens – s’il est effectivement octroyé – ne sera pas, en réalité, l’autocéphalie d’une église, mais la reconnaissance d’un schisme. Nous savons qu’il existe différentes approches sur la question de savoir qui est compétent, dans l’Eglise orthodoxe, pour accorder l’autocéphalie. Cependant, il est évident que les saints canons n’ont donné à personne le droit de légaliser un schisme.

La façon d’agir de l’Eglise de Constantinople, ainsi que les déclarations de ses hauts représentants, comme quoi le processus d’autocéphalie en Ukraine serait irréversible, ont obligé l’Église orthodoxe russe à prendre des mesures de réponse. Devant cet empiétement évident sur l’intégrité du territoire canonique de l’Eglise russe, son Saint-Synode a décidé le 14 septembre de suspendre la commémoration liturgique de Sa Sainteté le patriarche Bartholomée et les concélébrations avec les hiérarques du Patriarcat de Constantinople.

Le Synode a aussi publié une déclaration dans laquelle il expose les faits historiques témoignant de ce que l’appartenance de la métropole de Kiev au Patriarcat de Moscou ne fait aucun doute, malgré les tentatives de révision de l’histoire ecclésiastique actuellement entreprises, 300 ans après leur réunion.

La même déclaration contient un appel aux Églises orthodoxes locales à initier une discussion interorthodoxe fraternelle sur la situation ecclésiale en Ukraine. Pourquoi est-ce nécessaire maintenant ? D’abord parce que l’octroi du statut d’autocéphalie est l’affaire du plérôme de l’Orthodoxie et non pas d’une seule Eglise. D’autre part, parce que l’octroi du Tomos aux schismatiques aura des conséquences catastrophiques pour l’unité orthodoxe. Du point de vue de l’ecclésiologie orthodoxe, on ne peut pas être en communion eucharistique à la fois avec une Église canonique et avec les personnes qui se sont séparées d’elle. Cette mesure provoquera une rupture totale de la communion entre les Patriarcats de Moscou et de Constantinople, et il sera très difficile de revenir sur cette rupture.

Je connais de nombreux hiérarques de l’Église orthodoxe grecque, et je pense que la majorité d’entre eux sont touchés par ce qui se passe actuellement autour de cette prétendue autocéphalie ukrainienne. Beaucoup d’hiérarques ont voyagé en Ukraine et en Russie, beaucoup ont reçu des pèlerins du Patriarcat de Moscou, tant de Russie que d’Ukraine. Maintenant, alors que la situation est dangereuse, je continue à espérer que les éminents archipasteurs de l’Église grecque examineront la situation critique actuelle avec beaucoup d’attention et feront leur possible pour faire engager au plus tôt une discussion pantorthodoxe sur la question ecclésiale ukrainienne, car les actions unilatérales prises par la suite en vue de l’autocéphalie ukrainienne peuvent avoir les conséquences les plus tragiques pour l’unité de la Sainte Orthodoxie.