Le 14 septembre 2018, un briefing a suivi la séance extraordinaire du Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe, dont les membres ont discuté de la situation urgente provoquée par l’intrusion du Patriarcat de Constantinople sur le territoire canonique de l’Eglise orthodoxe russe.

Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions des représentants des médias. Dans son intervention, Mgr Hilarion a déclaré que le Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe avait pris la décision de cesser la commémoration liturgique du patriarche Bartholomée de Constantinople dans l’Eglise orthodoxe russe. Les concélébrations avec les hiérarques du Patriarcat de Constantinople sont aussi suspendues, ainsi que la participation à toutes les structures où président ou co-président des représentants de Constantinople. « Cela comprend les assemblées épiscopales dans les pays de la « diaspora », les dialogues théologiques » a précidé le président du DREE.

Selon le métropolite Hilarion, le Synode de l’Eglise orthodoxe russe a dû prendre cette décision parce que « le patriarche de Constantinole a commis une intrusion illégale, en dépit des canons ecclésiastiques, sur le territoire du Patriarcat de Moscou, en nommant deux exarques à Kiev ».

L’hiérarque a aussi précisé que le Patriarcat de Constantinople fondait ses actes anticanoniques sur une historiosophie originale, qui est réfutée dans la déclaration du Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe. Mgr Hilarion a précisé :

«  Historiquement parlant, l’Eglise orthodoxe russe a existé pendant des siècles sous la forme d’une unique métropole, dont le centre était à Kiev. Même après le départ des métropolites de Kiev, d’abord pour Vladimir, puis pour Moscou, ils ont continué à porter le titre de métropolites de Kiev. En 1448, le Concile des évêques russes a élu saint Jonas, qui devint ainsi le premier chef de l’Eglise orthodoxe russe élu sans l’accord du Patriarcat de Constantinople. Et ce, non parce que l’Eglise russe voulait rompre la communion avec Constantinople, mais parce que le patriarche de Constantinople avait alors accepté l’union avec Rome, autrement dit, parce qu’il n’y avait pas de patriarche orthodoxe à Constantinople. Cet évènement marque le début de l’existence autocéphale de l’Eglise orthodoxe russe.

Dix années plus tard, en 1458, l’ancien patriarche de Constantinople Grégoire Mamma, qui avait accepté l’union et résidait à Rome, nomma à Kiev un métropolite, l’uniate Grégoire le Bulgare. C’est de ce moment que date l’existence du siège de Kiev en dehors de l’Eglise russe, qui s’est poursuivie durant plus de deux cents ans.

En 1686, les deux parties de l’Eglise orthodoxe russe se sont réunies : la métropole de Kiev a rejoint l’Eglise russe, qui possédait désormais le statut de Patriarcat, reconnu par les autres patriarches orientaux. L’entrée de la métropole de Kiev dans le sein du Patriarcat de Moscou a été confirmée par une charte du patriarche Denis IV de Constantinople. Cette charte ne dit rien d’un transfert temporaire de la métropole de Kiev au Patriarcat de Moscou. Durant plus de 300 ans, ce statut de la métropole de Kiev comme faisant partie du Patriarcat de Moscou n’a pas été contesté.

Ces derniers temps, afin de justifier les initiatives prises en Ukraine, ce statut a commencé à être contesté. Le patriarche de Constantinople dit désormais que l’Eglise ukrainienne a, paraît-il, toujours été dans la juridiction du Patriarcat de Constantinople, qui aurait soi-disant pleinement le droit de lui octroyer unilatéralement l’autocéphalie. Nous ne sommes catégoriquement pas d’accord avec cette position. D’autant plus qu’une décision panorthodoxe avait été prise en 1993, statuant qu’à l’avenir toute autocéphalie serait accordée uniquement avec l’accord de toutes les Eglises orthodoxes locales. Or, les Eglises orthodoxes locales n’approuvent nullement ce qu’a entrepris en ce moment Constantinople en Ukraine. »

Le métropolite Hilarion a rappelé qu’au début du XXe siècle, lorsque le patriarche Tikhon avait été arrêté, et que les rénovateurs, tourmentant l’Eglise, exigeaient sa déposition, le patriarche de Constantinople Grégoire VII s’était rangé à leurs côtés. Durant environ dix ans, le représentant du Patriarcat de Constantinople à Moscou, l’archimandrite Basile (Dimopoulo), a soutenu les rénovateurs et célébré dans leurs églises, tandis que le patriarche Grégoire VII exigeait que le Patriarcat fût, tout au moins temporairement, suspendu dans l’Eglise russe.

« Nous n’aurions pas rappelé cette page de l’histoire de nos relations avec Constantinople, si ces tristes évènements ne s’étaient pas répétés aujourd’hui, a dit le métropolite. Pratiquement chaque fois que l’Eglise orthodoxe russe est confrontée à des circonstances difficiles, nous recevons du Patriarcat de Constantinole des coups dans le dos au lieu d’aide fraternelle et de solidarité. Dans les années 1920, le Patriarcat de Constantinople a unilatéralement accordé l’autocéphalie à l’Eglise polonaise, créant ses propres structures sur le territoire de l’Estonie et de la Finlande, bien que ces pays eussent fait partie de la juridiction de l’Eglise orthodoxe russe. »

Comme l’a ensuite souligné le métropolite Hilarion, la décision du Saint-Synode de l’Eglise russe sur la suspension de la concélébration avec les hiérarques du Patriarcat de Constantinople et sur l’arrêt de la participation aux structures présidées par Constantinople ont été rendus nécessaires :

« Nous voulions vraiment l’éviter, durant plusieurs années nous avons tenté de résoudre les problèmes par le dialogue. La dernière tentative a été le voyage du patriarche Cyrille à Istanbul où, dans un entretien confidentiel et fraternel, Sa Sainteté a exposé la position de l’Eglise orthodoxe russe et prévenu son confrère de Constantinople des actes qui, malheureusement, ont été commis maintenant. Mais, à peine le patriarche Cyrille eût-il quitté Istanbul – nous l’avons appris plus tard – le patriarche Bartholomée a réuni le Saint-Synode et, l’assemblée a résolu de ne pas accepter les propositions de notre Eglise. Ensuite, le patriarche Bartholomée a réuni le Synode des hiérarques du Patriarcat de Constantinople, où ont été lus des rapports sur la façon d’agir en Ukraine, après quoi les exarques ont été nommés.

Nous avons réagi à la nomination de ces exarques dès le 8 septembre, et avons prévenu que des mesures de réponse suivraient au plus tôt. Aujourd’hui, nous nous sommes réunis pour en discuter et pour les formuler. Tous les membres du Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe ont pris part à la discussion. Sa Béatitude le métropolite Onuphre de Kiev, empêché pour raison de santé, a participé à la discussion par Skype. »

Ensuite, le président du Département des relations ecclésiastique extérieures a répondu aux questions des représentants des médias.

  • Vous parlez de l’arrêt de la commémoration liturgique. Cela ne veut pas dire la rupture de la communion eucharistique ? Les fidèles peuvent continuer à communier ensemble ?

La décision du Saint-Synode de suspendre la commémoration liturgique du patriarche de Constantinople, et le fait que nous suspendions les concélébrations avec les hiérarques du Patriarcat de Constantinople, ne signifient pas la rupture totale de la communion eucharistique. Les laïcs qui se rendent au Mont Athos ou se trouvent dans les églises du Patriarcat de Constantinople, peuvent y communier. Mais nous refusons de concélébrer avec les hiérarques du Patriarcat de Constantinople parce qu’on y mentionne chaque fois leur patriarche au cours de l’office, et que nous avons suspendu cette commémoration.

  • Autrement dit, le patriarche de Constantinople n’est plus considéré comme le primus inter pares? Cela change-t-il quelque chose sur sa place dans les dyptiques ?

Dans les offices que célèbre le patriarche Cyrille, la commémoration commencera directement par le patriarche d’Alexandrie, et non par le patriarche de Constantinople comme c’était le cas jusqu’à peu.

  • Selon vous, pourquoi cette décision a-t-elle été prise maintenant, et y a-t-il un espoir qu’il sera possible de changer quelque chose, de s’entendre, ou est-ce une décision définitive ?

Je pense que la décision d’envoyer des exarques à Kiev a été prise maintenant parce que Constantinople est pressé d’achever le processus d’octroi de l’autocéphalie tant que l’actuel président ukrainien, Piotr Porochenko, est au pouvoir, car il le soutient activement. Je ne pense pas, naturellement, que cela ferme complètement les portes au dialogue, mais notre décision d’aujourd’hui est un signal pour le Patriarcat de Constantinople : si des actes de ce genre se poursuivent, nous serons forcés de rompre la communion eucharistique.

Le Patriarcat de Constantinople se positionne comme une sorte de leader des 300 millions d’orthodoxes de la planète, comme l’appelent les médias. Mais après la rupture de la communion eucharistique, au moins la moitié de ces 300 millions ne le reconnaîtront même plus comme le primus inter pares.

  • Dites-nous si le Saint-Synode ne craint pas un scénario négatif en Ukraine avec l’annonce d’une possible autocéphalie. Notamment l’occupation des sanctuaires de l’Eglise orthodoxe russe, de la Laure des Grottes de Kiev, etc. ?

Nous ne pouvons l’exclure, car il se produit déjà des occupations d’églises en Ukraine, et déjà près de 50 églises de l’Eglise orthodoxe ukrainienne canonique ont été usurpées par les schismatiques. Si ce projet d’autocéphalie se poursuit, si le schisme est légitimé, nous pouvons prognostiquer les conséquences les plus tristes pour l’Eglise ukrainienne, car les pogroms continueront sans doute. Les schismatiques ont déjà annoncé que la Laure des Grottes de Kiev devrait être remise à cette fameuse église locale ukrainienne réunie, et ils ne cachent pas leurs prétentions aux sanctuaires, aux monastères, aux églises qui sont actuellement dans la juridiction de l’Eglise orthodoxe ukrainienne.

  • Monseigneur, y aura-t-il une prière commune pour la fin du schisme en Ukraine ?

Nous avons décidé que des prières seraient dites dans toutes les églises de l’Eglise orthodoxe russe pour l’unité de la sainte Orthodoxie. Nous avons formulé des prières d’intercession qui seront publiées aujourd’hui.

Nous nous sommes aussi adressés, dans notre déclaration, aux primats, aux chefs des Eglises orthodoxes locales, les appelant à initier une discussion panorthodoxe sur la situation en Ukraine. Nous sommes profondément convaincus que si la question n’est pas résolue unilatéralement par le Patriarcat de Constantinople, mais au cours d’une discussion fraternelle de toutes les Eglises orthodoxes locales, une solution peut être trouvée qui calmerait tout le monde, qui réconcilierait tout le monde et aiderait à guérir définitivement le schisme.