Après réception au Vatican du message de Sa Sainteté le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie au pape François de Rome sur la soumission au vote de la Rada d’Ukraine des projets de loi n°4128 et 4511, l’ambassadeur d’Ukraine au Saint-Siège, Mme Tatiana Ijevskaïa, a été convoquée au Secrétariat d’état du Vatican le 17 mai 2017. Il lui a été exprimé l’inquiétude du Saint-Siège sur l’examen de ces projets de loi qui donnent une base légale à l’intervention de l’état dans les affaires de l’Église.

Comme l’ont constaté à plusieurs reprises des hommes d’Église et des experts laïcs, ainsi que les défenseurs des droits de l’homme, ces projets de loi, s’ils étaient adoptés, introduiraient des restrictions discriminatoires contre la plus importante organisation religieuse d’Ukraine, qui est aussi la seule Église orthodoxe canonique reconnue comme telle dans le pays.

A l’antenne de « Radio-Maria », l’évêque Stanislav Chirokopadiouk, du diocèse catholique de Kharkov et du Zaporojie, s’était exprimé dès 2016 à propos du projet de loi n°4128 : « Tout est mis en œuvre pour que le Patriarcat de Kiev puisse confisquer les paroisses du Patriarcat de Moscou à son profit. Un schéma de corruption s’est mis en place pour que les paroisses passent librement au Patriarcat de Kiev… Ce n’est pas bien, ce n’est pas juste. C’est la loi du plus fort, ce n’est pas chrétien. Il s’agit rien moins que d’usurpation ! »

Quant au projet de loi n°4511, il constatait : « L’Église appartient au Christ, elle est libre, elle ne doit pas avoir de statut particulier. » « Pourquoi créer une cage pour l’Église, avec un statut particulier ? A qui profite cette loi sur le statut particulier ?! C’est une humiliation pour l’Église, et cela donne une très mauvaise opinion de l’Ukraine. Cela ne témoigne pas de la démocratisation de l’état ni d’une approche rationnelle » déclarait l’hiérarque catholique.

Les projets de loi ont suscité de nombreuses protestations chez les fidèles : en quelques jours, des centaines de milliers de signatures ont été rassemblées sous des pétitions appelant à annuler le vote. Le 18 mai 2017, jour où les deux projets de loi devaient être examinés, des rassemblements de foules venues prier ont eu lieu, notamment à Kiev, sous les murs de la Rada, et dans d’autres villes d’Ukraine.

Le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie avait adressé un message à propos de l’adoption possible des projets de loi n°4128 et 4511 au président ukrainien P. Porochenko et aux membres du « Quatuor normand » : le président russe Vladimir Poutine, le chancelier fédéral d’Allemagne, Angela Merkel, le président français E. Macron. Le primat de l’Église orthodoxe russe avait aussi écrit aux primats des Églises orthodoxes locales, au pape François de Rome, au secrétaire général de l’ONU et au secrétaire général du Conseil œcuménique des églises. Le message constate qu’au cas où les projets seraient adoptés, cela légaliserait une pratique discriminatoire à l’encontre de la majorité des orthodoxes d’Ukraine, ce qui « risquerait d’être un exemple criant de violation des droits de l’homme à la liberté de confession religieuse. »

Le 18 mai, les deux projets de loi n’ont finalement pas été examinés par la Rada suprême d’Ukraine.

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Le projet de loi n°4128 « sur le changement de juridiction » des organisations religieuses propose d’introduire dans la législation la notion « d’appartenance de la personne à une communauté religieuse » qui sera définit sur la base de « l’auto-identification ». Dans la pratique, cela signifie que n’importe quelle personne prétendant appartenir à telle ou telle communauté religieuse pourra donner sa voix dans la prise de décisions importantes pour la communauté, par exemple sur son transfert à une autre juridiction. Selon les experts, l’objectif de ce projet de loi est de légaliser la pratique des « référendums » fictifs des habitants d’une localité, grâce à laquelle des dizaines de paroisses de l’Église canonique ont déjà été usurpées en Ukraine.

Le projet de loi n°4511 « Du statut particulier des organisations religieuses dont les centres de direction sont situés dans un état reconnu par la Rada suprême comme état-agresseur » propose de fait d’obliger toutes les communautés de l’Église orthodoxe ukrainienne à se faire réenregistrer et à signer avec les autorités ukrainiennes un contrat discriminatoire leur accordant un « statut particulier ». Les fonctionnaires auront les pleins-pouvoirs pour contrôler les nominations d’évêques et de clercs, les visites d’ecclésiastiques venus d’autres pays. Ils pourront aussi liquider les associations religieuses disposant d’un « statut particulier ».