Selon les représentants de l’Église orthodoxe ukrainienne et de différentes confessions religieuses d’Ukraine, ainsi que des experts laïcs, les projets de loi 4128 et 4511, qui doivent être examinés par la Rada suprême d’Ukraine le 18 mai 2017, ont une nette connotation discriminatoire et visent l’Église orthodoxe ukrainienne canonique.

Des pétitions ont été organisées dans plusieurs diocèses de l’Église orthodoxe ukrainienne à l’adresse des députés de la Rada, les invitant à voter contre les projets de loi susmentionnés.

Le métropolite Antoine de Boryspil et de Brovary les a commentés, expliquant en quoi ils étaient discriminatoires : « Ces projets de loi sont fortement critiqués par de nombreuses organisations religieuses en Ukraine. S’ils sont adoptés, il deviendra possible de déposséder très facilement n’importe quelle confession des biens qui lui appartiennent. » Il a aussi indiqué que les projets de loi allaient à l’encontre des normes législatives en vigueur en Ukraine et, selon les sondages, n’étaient pas particulièrement soutenus de la société. Au contraire, rien que dans le diocèse d’Odessa de l’Église orthodoxe ukrainienne, 52 000 signatures ont été rassemblées en un jour contre les projets de loi. « Les gens ordinaires démontrent ainsi qu’ils sont contre les lois « anti-ecclésiastiques », « illégales » et « impopulaires ». Nous espérons que les députés du peuple en prendront conscience et n’agiront pas contre la volonté de leurs électeurs » a conclu le métropolite.

Le métropolite Luc de Zaporojie a prévenu que l’adoption de ces lois menaçait de détruire la vie de l’Église et l’organisation des structures administratives de l’Église, telles qu’elles se sont mises en place au cours des siècles.

« Ainsi, le projet de loi n°4128 propose de définir l’appartenance à une communauté religieuse sur la base de « l’auto-identification » a rappelé l’archipasteur. En d’autres termes, n’importe quelle personne entrée un jour dans votre église peut s’en déclarer le fidèle paroissien. Avec l’aide de leurs semblables, elles pourront tout simplement, sur une base légale, vous chasser de votre église. Il s’agit ni plus ni moins d’un raid, d’une usurpation. Qui de vous est d’accord pour qu’on chasse de leurs églises des gens qui les ont fréquentées toute leur vie ? »

Quant au projet de loi n°4511, il introduit un statut particulier pour les Églises dont les organes de direction sont situés dans un pays que la Rada reconnaît comme « pays-agresseur ». Comme le souligne Mgr Luc, « ce projet donne le droit aux autorités civiles – souvent des gens incroyants ou hostiles envers notre Église – de nommer les clercs, à la place de la hiérarchie. » « Êtes-vous prêts à ce que votre prêtre soit exclu parce qu’il ne plaît pas à un quelconque fonctionnaire ? » a interrogé l’hiérarque.

Le métropolite Luc a demandé à ses fidèles de jeûner du 14 au 18 mai et de réciter à la même heure des prières spéciales.

« Certains « serviteurs du peuple » tentent de plonger non seulement l’Église, mais notre Patrie, l’Ukraine, dans le tourbillon des guerres interconfessionnelles. Malheureusement, l’histoire des pays qui ont vécu des guerres semblables montre qu’elles sont bien plus terribles qu’une guerre ordinaire » a constaté l’évêque diocésain du Zaporojie.

« Ceux qui veulent mettre en œuvre ces projets de lois anti-ecclésiastiques ne bâtissent pas et n’ont pas bâti d’églises ni de monastères. Ce qu’ils veulent, c’est faire naître l’hostilité et la haine, semer la discorde, mener une politique misanthropique en fonction de l’appartenance linguistique, religieuse et culturelle. Nous ne cessons de prier pour notre pays, afin que Dieu garde ses autorités, et nous désirons que le Seigneur les éclaire », a souligné le 14 mai le métropolite Agathange d’Odessa et d’Izmaïl, dans son homélie à la fin de la liturgie à la cathédrale de la Dormition.

S’adressant aux fidèles, l’hiérarque a déclaré que les agissements des « ennemis de la Sainte Église, œuvrant dans l’esprit d’un totalitarisme athée dépassé, devaient priver l’Église orthodoxe ukrainienne canonique, reconnue par l’Orthodoxie universelle, de ses droits et de ses libertés légitimes, plaçant la vie intérieure de l’Église sous le contrôle étroit de l’état, de la nomination des métropolites et des évêques à des interventions dans la vie de chaque paroisse. »

Il a constaté que ces projets de loi étaient une violation grossière au 35e article de la Constitution ukrainienne et contredisaient tous les actes législatifs sur la liberté de conscience et de religion, foulant aux pieds les valeurs européennes fondamentales dont on parle tant aujourd’hui et menaçant la paix civile et interconfessionnelle, la concorde et la stabilité dans la société ukrainienne.

« C’est pourquoi je vous appelle tous, avant tout, à intensifier votre prière pour la défense de la Sainte Église et pour que soient éclairés ceux qui ont l’intention, au nom d’ambitions politiques temporaires, de mener une politique misanthropique contre le peuple, dont le résultat peut être une confrontation populaire et, à Dieu ne plaise, une nouvelle guerre civile. » « Ces politiciens malheureux doivent se souvenir que les orthodoxes défendront leur foi de toutes leurs forces malgré les persécutions et les terribles épreuves qui les attendent, car Dieu est avec nous. »

En une seule journée, le 14 mai, plus de 52 000 signatures ont été rassemblées sous une pétition demandant le retrait des projets de loi susmentionnés, dans la seule région d’Odessa.

L’archevêque Josaphat de Kirovograd et de Novomirgorod a aussi déclaré que les agissements des représentants des autorités rappelaient les persécutions athées organisées par le pouvoir soviétique contre l’Église au XX siècle.

« Il n’y a pas si longtemps, le pouvoir soviétique athée attaquait l’Église du Christ avec toute la puissance de l’appareil gouvernemental, s’efforçant de la détruire et de la noyer dans son propre sang, dans le sang des martyrs et des confesseurs. Il semblait que ces pages appartenaient au passé : nous pensions avoir tiré les leçons de l’histoire… Et non. Une fois encore, au XXI siècle, cette fois, dans un état de droit européen indépendant, où les droits et les libertés sont officiellement proclamés, où tous sont égaux devant la loi, l’ennemi du genre humain cherche le moyen de lutter contre l’Église. Des politiciens malheureux appartenant à certaines confessions bien connues, hostiles à notre sainte Église, introduisent non seulement le trouble et la division entre chrétiens, mais s’attaquent à ce que notre peuple a de plus saint, l’Église orthodoxe, tentant de la réduire en esclavage, préparant le terrain à de nouvelles discordes et à de sanglantes guerres religieuses » est-il écrit dans son message.

L’hiérarque appelle tous les fidèles à élever la voix pour défendre l’Église : « N’ayons pas peur, ayant devant nous l’exemple des saints, qui ont confessé ouvertement et sans peur le nom de Dieu, défendant fermement la foi de leurs pères et l’Église historique de notre peuple. »

L’évêque diocésain de Voznessensk propose aussi de signer une pétition adressée aux élus du peuple pour qu’ils s’élèvent contre les lois impies examinées à la Rada d’Ukraine : « Nos députés… veulent adopter des lois selon lesquelles tout doit appartenir à l’état, afin que les représentants du pouvoir puissent nommer les évêques diocésains et les prêtres paroissiaux. Demain, des étrangers pourront venir dans votre église et dire qu’elle leur appartient» a rappelé Mgr Alexis de Voznessensk et de Pervomaïsk, devant les fidèles rassemblés à l’église Sainte-Barbe de Pervomaïsk. L’archipasteur a donné sa bénédiction pour collecter les signatures des fidèles jusqu’au 18 mai, la pétition devant être remise aux députés ukrainiens. Il a demandé aux croyants de jeûner et de prier.

Parlant des initiateurs du projet, Mgr Alexis a souligné : « Ils veulent détruire les structures mêmes de l’Église, afin qu’elle ne soit plus dirigée par Sa Béatitude le métropolite de Kiev, par le Saint Synode de l’Église orthodoxe ukrainienne, mais par les fonctionnaires. Ceux qui leur agréent seront prêtres, les autres non. »

L’évêque Nathanaël de Volhynie et de Loutsk a aussi publié un message aux fidèles de son diocèse, dans lequel il déclare : « Difficile à croire, mais aujourd’hui, dans une société démocratique comme l’Ukraine, qui déclare aspirer à réaliser les valeurs et les libertés européennes, on veut enclencher de nouvelles persécutions contre l’Église orthodoxe ukrainienne, héritière de droit de l’antique métropole de Kiev. La Rada suprême d’Ukraine, qui doit travailler pour le bien des citoyens de l’état, indépendamment de leur appartenance religieuse, tente d’adopter des lois qui iront contre la plus grande Église d’Ukraine, numériquement parlant. » L’évêque a aussi invité les fidèles à « s’élever contre la haine par la charité, la prière et la foi », à défendre leurs droits constitutionnels et à faire entendre à la société « la vérité : l’Église n’est pas une institution politique, mais le corps du Christ. »

Le projet de loi n°4128 a reçu une appréciation négative des experts du conseil scientifique près la Rada d’Ukraine. De nombreuses organisations religieuses d’Ukraine se sont aussi prononcées contre le projet de loi, notamment les représentants d’autres confessions chrétiennes, qui se sont déclarés résolument contre.

Ainsi, en 2016, à l’antenne de « Radio Maria », l’évêque Stanislas Chirokopadiouk, évêque du diocèse de Kharkov et du Zaporojie de l’Église catholique romaine, déclarait à propos du projet de loi n°4128 : « … Tout est fait pour que le Patriarcat de Kiev puisse s’approprier les paroisses du Patriarcat de Moscou. Un schéma de corruption est mis en place pour faire librement passer les paroisses au Patriarcat de Kiev… Ce n’est pas bien, c’est injuste ! C’est la raison du plus fort, ce n’est pas chrétien. Cela revient à une usurpation ! »

Quant au projet de loi n°4511, il constatait que « l’Église est au Christ, elle est libre, il ne doit y avoir aucun statut particulier. » « Pourquoi mettre l’Église en cage en lui prêtant un statut particulier ? Qui a besoin de cette loi avec son statut particulier ?! C’est une humiliation pour l’Église et une honte pour l’Ukraine. Ce n’est pas une manifestation de démocratie et de rationalisme de la part de l’état » estime l’évêque catholique.

Igor Roudzik, secrétaire de l’Église luthérienne ukrainienne, a violemment critiqué la notion « d’auto-identification » de l’appartenance du croyant à une communauté, proposée par le projet de loi n°4128 : « L’appartenance d’une personne à telle ou telle communauté religieuse est envisagée dans le projet de loi à travers le prisme de l’auto-identification à cette communauté religieuse. Mais cette affirmation contredit nos statuts. Ensuite, il est dit que la confirmation de cette auto-identification s’exprime par la participation à la vie religieuse de la communauté. Mais « la vie religieuse » est un terme très vague. S’agit-il simplement de la participation aux offices, ou, obligatoirement, de la participation à d’autres domaines de la vie de la communauté ? » Il a aussi constaté que la solution à la question du changement de juridiction de la communauté religieuse (passage de la communauté à une autre organisation religieuse) par un vote à la majorité des voix, prévu par le projet de loi, était une intervention dans les affaires intérieures de l’organisation religieuse : « Selon nos lois internes, au moins 2/3 des membres de la communauté doivent participer à la réunion. C’est pourquoi, à notre avis, ce projet de loi est une ingérence dans nos affaires ecclésiastiques intérieures. »

Evgueni Ziskind, directeur exécutif de l’Union des organisations juives d’Ukraine, membre du présidium de la Confédération juive d’Ukraine, se joint aux critiques : « Le projet de loi n°4128 s’appuie sur la notion d’auto-identification, sans en donner de définition précise. Dans la tradition juive, par exemple, il ne suffit pas d’être personnellement intéressé et de s’identifier : un certain nombre de rites et de coutumes doivent être observés. Les portes de nos temples sont ouvertes à tous, mais cela ne veut absolument pas dire que les gens qui viennent à la synagogue peuvent se dire membres de notre communauté religieuse, et d’autant plus en décider le sort. Ce projet de loi ouvre donc la voie à des usurpations, à des occupations de bâtiments cultuels et de terrains, uniquement sur le fait de « l’auto-identification ». »

Quant au projet de loi n°4511, le rapport annuel du Délégué de la Rada suprême d’Ukraine aux droits de l’homme constate qu’il contredit la Constitution ukrainienne, les conventions internationales et la législation religieuse du pays.