Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions du correspondant du journal grec « Katimerini ».

Monseigneur, bonjour! Permettez-moi de vous interroger d’abord sur la pandémie. Où en est-on en Russie, actuellement, dans les églises, quelle est la situation des prêtres? Nous avons entendu parler de mesures spéciales prises par l’Église orthodoxe russe, allant jusqu’à une forme de désinfection pendant la communion. Pourriez-vous expliquer ce qu’il en est?

– Malheureusement, la situation ne s’améliore pas pour l’instant: le nombre de personnes contaminées augmente tous les jours, nous apprenons presque tous les jours la mort d’un clerc ou d’un hiérarque. Nous ne cessons de célébrer des offices des défunts. Cette situation se poursuit depuis mars de l’année en cours.

Quand des mesures sévères de confinement ont été prises, au printemps, nous avons même dû fermer les églises (en tous cas à Moscou). Nous avons célébré les offices de la Semaine sainte et de Pâques à huis clos.

En même temps, nous nous sommes efforcés d’organiser la retransmission en direct des offices dans de nombreuses paroisses, et les paroissiens qui ne peuvent pas, actuellement, assister à l’office y participent grâce aux moyens de communication à distance.

Des mesures d’hygiène sévères ont été introduites, avec la bénédiction du patriarche. Elles sont toujours observées dans les églises.

Les paroissiens portent un masque pendant la liturgie, dans la mesure du possible, ils respectent la distanciation sociale.

On désinfecte la cuillère de communion aux Saints Mystères du Christ après chaque communiant, soit elle est trempée dans de l’alcool, puis dans de l’eau chaude, soit elle est frottée à l’aide d’un linge imbibé d’alcool. Nous croyons fermement que l’infection ne peut être transmise par les Saints Dons eux-mêmes, Corps et Sang du Christ, source de guérison pour tous les croyants, cependant, nous croyons aussi que les Saints Dons sont gardés dans des vases faits de main humaine, et personne ne peut garantir aujourd’hui que des virus ne peuvent être transmis par le calice ou par la cuillère. C’est pourquoi, dans le contexte de cette épidémie, nous avons supprimé le baiser du calice après la communion et introduit la désinfection de la cuiller.

Il faut dire que l’adoption de ces mesures ne constitue pas une infraction aux usages ou à la Tradition de l’Église. Il y a eu des épidémies aux siècles précédents. Dans le « Livre de chevet du ministre du culte », publié au début du XXe siècle,  il est expliqué comment le prêtre doit se comporter en cas d’épidémie de maladie infectieuse. Ce livre décrit des mesures analogues à celles prises aujourd’hui dans l’Église orthodoxe russe.

Que pensez-vous de la situation dans l’orthodoxie mondiale après la crise de Chypre? On a l’impression que l’Église orthodoxe russe veut interrompre tous ses échanges avec les Églises qui reconnaissent l’autocéphalie de « l’église orthodoxe d’Ukraine ». Que va-t-il se passer?

— J’estime la situation très dangereuse, critique, désolante.  Le monde orthodoxe est en train de se diviser. Et c’est le patriarche Bartholomée de Constantinople qui est à l’origine de cette division.

Malheureusement, le schisme ne fait que s’aggraver. J’aimerais insister sur une chose qui est très importante pour nous: l’Église orthodoxe russe observe avec regret et tristesse le développement de ce schisme, mais elle n’y participe pas – le schisme a lieu en dehors de ses limites canoniques. Quand on nous dit qu’il faudrait songer à des solutions de compromis, nous nous disons d’abord:  le Seigneur nous a confié une Église qui existe depuis plus de mille ans, c’est une Église unie, dont la juridiction canonique s’étend à la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie et d’autres états limitrophes.

Nous avons reçu cette Église en héritage de nos ancêtres, avons-nous le droit de dilapider cet héritage, de le redistribuer ou, comme on dit, de le bousiller?

Au contraire, nous nous efforçons de sauvegarder l’unité de notre Église, on observe actuellement une étonnante unité de l’épiscopat, du clergé et des laïcs sur l’ensemble de son territoire canonique. Nous constatons que l’épisopat russe et l’épiscopat ukrainien sont unis, malgré les relations difficiles qui existent actuellement entre les deux pays au niveau politique.

Quand on nous dit: accordez donc l’autocéphalie à l’Église ukrainienne et tous les problèmes seront résolus, j’ai envie de demander: quels problèmes cette mesure permettrait-elle de résoudre? Pourquoi devrions-nous imposer l’autocéphalie à l’Église ukrainienne, si elle n’en veut pas? L’Église ukrainienne a déclaré clairement, par la voix de l’ensemble de son épiscopat, qu’elle est entièrement satisfaite de son actuel statut d’autoadministration. L’idée d’autocéphalie, dans le peuple de Dieu, est extrêmement impopulaire, d’autant plus qu’elle a été complètement discréditée par les schismatiques

Comment peut-on parler d’autocéphalie dans ces conditions?

Nous continuerons à resserer l’unité à l’intérieur de notre Église.

Ce que font nos frères de l’Église de Chypre, de l’Église grecque, de l’Église d’Alexandrie, ils l’auront sur la conscience, et ils auront à en répondre devant Dieu.  Dans l’Église russe, nous répondrons devant Dieu de ce que nous aurons veillé à l’unité de notre Église ou de ce que nous l’aurons détruite.

Je tiens à dire aussi que nous ne rompons pas la communion avec les Églises, nous restons en communion avec tous les hiérarques des Églises orthodoxes locales qui défendent la Tradition canonique de l’Église et ne reconnaissent pas les schismatiques ukrainiens.

Nous continuerons sur cette voie. Nous ne rompons la communion qu’avec les primats et les hiérarques qui entrent en communion avec les schismatiques, et nous le faisons parce que c’est ce que nous commandent les saints canons : nous ne pouvons faire comme si ces gens avaient été canoniquement consacrés, comme si l’on pouvait entrer en communion eucharistique avec eux.

Peut-on résoudre ce conflit comme ceux qui s’étaient déjà produit entre le Patriarcat œcuménique et l’Église orthodoxe russe? Il y a eu, notamment, l’exemple de l’Estonie, tout de suite après la chute de l’URSS. Des voix se font entendre dans ce sens, de la part, notamment de personnalités comme l’archevêque Anastase d’Albanie,  différentes propositions ont été faites dans la recherche d’un compromis. Y a-t-il un espoir?A New York, vous aviez rencontré le métropolite Elpidophore… Peut-être est-ce le début d’un dialogue?

— Nous sommes ouverts au dialogue, mais le patriarche de Constantinople lui a fermé la porte.  Quand le patriarche Cyrille est allé à Constantinople, en août, pour rencontrer personnellement le patriarche Bartholomée, ils ont discuté pendant deux heures. J’ai assisté à cette rencontre, pendant laquelle le patriarche Cyrille a exposé la situation réelle à son interlocuteur.

Le patriarche Bartholomée a été mésinformé, d’une part par les schismatiques ukrainiens, d’autre part par les autorités ukrainiennes de l’époque, et par des conseillers incompétents.

Il croyait fermement que dès qu’il signerait le « tomos d’autocéphalie » beaucoup de hiérarques de l’Église ukrainienne rejoindraient immédiatement la nouvelle « église ».

Le patriarche Bartholomée nous a dit que, d’après ses renseignements, 25 hiérarques étaient déjà prêts à le faire. Le patriarche Cyrille lui a répondu qu’il n’y en aurait qu’un ou deux. Et, effectivement, sur près de cent hiérarques, seuls deux évêques – un ordinaire et un vicaire –  ont rejoint la prétendue église fondée autour des schismatiques.

Dans la communauté des disciples de Jésus-Christ, il y avait douze apôtres, dont un Judas.

Dans l’Église ukrainienne, nous avions presque cent hiérarques (ils sont plus de cent aujourd’hui), dont deux ont trahi.   Le pourcentage de traîtres, dans notre Église orthodoxe ukrainenne, est donc encore plus faible.

L’Église ukrainienne existait et existe toujours.

C’est une très grande Église, qui compte douze mille cinq cents paroisses, plus de deux cent cinquante monastères, des milliers de clercs, plus de cent hiérarques, des millions de fidèles. L’épiscopat, le clergé et les laïcs forment une communauté très soudée et personne ne veut adhérer à une prétendue « église » autocéphale, fondée à partir de structures schismatiques. Quant à un compromis, ou à la comparaison avec l’Estonie, il faut savoir que la situation était un peu différente.

En Estonie, le patriarche de Constantinople, selon son expression, a « recréé » une juridiction qui existait dans l’entre-deux-guerres.  Non pas avec des schismatiques qui n’ont pas été ordonnés canoniquement, car plusieurs clercs de l’Église orthodoxe russe sont entrés dans cette juridiction « recréée » et c’est un hiérarque canoniquement consacré dans le Patriarcat de Constantinople, qui a été envoyé pour la diriger.

Donc dès le départ les conditions préalables aux négociations différaient.

Il y a eu des négociations, et un compromis a été trouvé. J’en profite pour préciser que Constantinople n’a toujours pas rempli les clauses de l’accord trouvé pendant les pourparlers. Néanmoins, il a été possible, à l’époque, de mettre fin à la division,  le problème n’a pas été résolu, mais ne nous a pas empêché d’être en communion avec Constantinople ces dernières années.

Ce qui se passe en Ukraine est tout à fait différent. Il y a eu irruption du Patriarcat de Constantinople sur le territoire canonique de l’Église orthodoxe russe.

Constantinople assure maintenant qu’en fait, pendant plus de trois cents ans, l’Église orthodoxe ukrainienne a fait partie du Patriarcat de Constantinople et n’avait été transférée sous la juridiction de Moscou que provisoirement.

Mais nous avons publié un volume entier de documents qui prouvent le contraire.

Récemment, à Chypre, le métropolite Nicéphore de Kykkos et de Tyllérie a publié un livre avec des documents qui, là encore, montrent clairement que pendant plus de trois siècles, l’Église ukrainienne a bien fait partie du Patriarcat de Moscou. Voyez les calendriers de l’Église constantinopolitaine pour les années 2018, 2017, 2016 et toutes les années précédentes – vous constaterez que l’Église orthodoxe ukrainienne, dirigée par Sa Béatitude le métropolite Onuphre, fait partie du Patriarcat de Moscou. Le Patriarcat de Constantinople n’est pas mentionné.

Et tout à coup, le patriarche Bartholomée nous annonce qu’il s’agit finalement du territoire canonique du Patriarcat de Constantinople.

Imaginez que vous ayez une maison où vous vivez avec vos enfants, dans laquelle ont vécu vos parents, vos grands-parents, tous vos ancêtres depuis plus de trois cents ans. Un beau jour, quelqu’un arrive et vous dit: « Savez-vous que notre famille a accordé provisoirement l’usufruit de cette maison à la vôtre.  Nous avons des documents, videz le lieux, nous y installerons de nouveaux locataires. »

C’est à peu près ce qui s’est passé en Ukraine.

Le patriarche de Constantinople dit maintenant qu’il « ne supporte que par condescendance » la présence en Ukraine de Sa Béatitude le métropolite Onuphre et de l’Église dont il est à la tête. Impossible de se représenter une situation plus absurde.

Arrêtons-nous quelque peu à la situation en Ukraine. Quelle est la situation de l’Église que vous appelez canonique (qui se rapporte à l’Église orthodoxe russe), par rapport à celle qu’a créée le patriarche œcuménique? Vous affirmez que la majorité des fidèles reconnaissent Mgr Onuphre. Vous parlez aussi de pressions dont le grand public ne sait pas grand chose. Peut-être vous exagérez-vous les actions des nationalistes et des partisans de l’autocéphalie? Pourriez-vous en parler plus en détail?

– Je commencerai par la statistique officielle, celle que publient les organes civils ukrainiens.

Suivant ces données, l’Église orthodoxe ukrainienne, qui est une Église autoadministrée dans le cadre du Patriarcat de Moscou, compte 12 500 paroisses, tandis que les deux juridictions schismatiques n’en ont à elles deux que 6 000.

En ce qui concerne les monastères, l’Église orthodoxe ukrainienne en compte plus de 250, et ce sont de grands monastères, la laure des Grottes de Kiev, la laure de Potchaïev, la laure de Sviatogorsk, qui sont dans l’Église canonique. Les juridictions schismatiques ne comptent, dans le meilleur des cas, que quelques dizaines de monastères.

Il vous suffirait de visiter ces monastères pour voir où il y a des moines et où il n’y en a pas. Le monachisme en  Ukraine n’existe aujourd’hui réellement que dans l’Église orthodoxe canonique – les schismatiques ne connaissent pratiquement pas le monachisme.

Pour se rendre compte de la fréquentation des églises, je pense qu’il suffit de venir à Kiev, d’entrer un dimanche à la laure des Grottes et de voir combien de personnes assistent à l’office.

J’avancerai encore un fait. Tous les ans, la veille de la Journée du Baptême de la Russie a lieu une immense procession, organisée par l’Église orthodoxe ukrainienne canonique, sans aucune pression extérieure — au contraire, on fait pression sur les fidèles pour qu’ils n’aillent pas à la procession, pour qu’ils ne viennent pas à Kiev. Regardez les photos, les vidéos, ce sont des dizaines et des centaines de milliers de personnes qui marchent. La procession rassemble ce jour-là environ 300 000 fidèles.

Il n’y a que ceux qui veulent faire passer leurs rêves pour des réalités qui peuvent dire que nous exagérons.

Il y a des chiffres, il y a des vidéos, il y a la statistique ukrainienne officielle. Nous nous appuyons sur la réalité, et non sur des imaginations.

Quant aux persécutions contre le clergé de l’Église canonique, en effet, il y a eu persécution sous la présidence de Porochenko. Des églises ont été attaquées, des prêtres ont été attaqués. Là encore, il y a des documents qui le prouvent : des chiffres officiels, des vidéos de ces raids, des violences commises sur les ecclésiastiques.

D’après les médias, le patriarche Bartholomée compte venir en Ukraine l’an prochain. J’espère que dans son emploi du temps, qui sera, naturellement, très chargé, il trouvera une demi-heure pour rencontrer les familles des prêtres chassés de leurs églises. Qu’il aille les voir, qu’il entende raconter comment les choses se sont vraiment passées.

Vous critiquez systématiquement le Patriarcat œcuménique d’avoir initié l’autocéphalie et, plus encore, un schisme au sein de l’orthodoxie. Mais peut-être l’Église orthodoxe russe a-t-elle aussi sa part de responsabilité ? Je veux dire qu’à Constantinople on vous accuse très souvent de ne pas être venus au Concile de Crète, bien que vous ayez participé à sa préparation jusqu’à la dernière minute.

— Je pense, en effet, que nous sommes en partie coupables, et je dois reconnaître que nous avons commis une grosse erreur. L’autocéphalie est un sujet dont on a discuté pendant tout le processus préconciliaire, mais sur lequel il n’a pas été possible de parvenir à un accord complet.

Nous étions pratiquement convenus que l’autocéphalie, à l’avenir, ne serait pas proclamée sur une décision unilatérale du patriarche œcuménique, que l’octroi de l’autocéphalie ne serait possible qu’avec l’accord de toutes les Églises locales. Il restait à savoir sous quelle forme les signatures seraient apposées sous le tomos d’autocéphalie — On n’est pas parvenu à un accord sur la question. Et que s’est-il passé?

Le patriarche Bartholomée a envoyé des lettres aux Églises orthodoxes locales, proposant de retirer le thème de l’autocéphalie de l’agenda et de réunir le Concile panorthodoxe.

Nous avons accepté cette proposition, et ce fut une grosse erreur.

Nous avons cru le patriarche Bartholomée lorsqu’il a dit devant toutes les délégations des Églises locales: Nous reconnaissons le métropolite Onuphre et saluons en lui l’unique chef canonique de l’orthodoxie en Ukraine.

Ce sont ses propres paroles, et nous avons cru à sa parole. Nous avons pensé : si le patriarche œcuménique le dit, il faut, comme il le promet, tenir le Concile, ensuite nous continuerons à discuter de l’autocéphalie. Nous n’aurions pas dû le croire, il nous a trompés. Ce fut une grosse erreur de notre part.

En ce qui concerne notre absence au Concile de Crète, vous savez bien comment les évènements se sont passés.

L’Église bulgare a été la première à refuser d’y participer, suivie de l’Église d’Antioche, puis de l’Église géorgienne.

Ensuite, l’Église serbe a déclaré qu’il fallait reporter le Concile. Si quatre Églises refusaient d’y participer, que nous restait-il à faire? Nous avions toujours insisté sur le fait que le Concile panorthodoxe devrait être véritablement panorthodoxe, si une décision quelconque était prise en l’absence même d’une seule Église il ne serait plus légitime pour l’ensemble de l’orthodoxie. Et nous entendons dire qu’une Église renonce, puis une autre, une troisième, tandis qu’une quatrième dit qu’il vaudrait mieux reporter le Concile… Le patriarche Cyrille a écrit une lettre au patriarche Bartholomée pour lui demander de convoquer dans l’urgence une conférence préconciliaire, afin de résoudre les problèmes et d’inviter, malgré tout, ces Églises au Concile.

Il a reçu une réponse du patriarche Bartholomée, je l’ai sous les yeux, N°676, en date du 9 juin, il y est dit:

« La nouvelle Conférence préconciliaire panorthodoxe extraordinaire que vous proposez est considérée comme impossible car une base normative manque pour sa convocation. » Qui la considère comme impossible? Pourquoi impossible? Il restait encore deux semaines avant le Concile. Pourquoi ne pouvait-on pas prendre des mesures pour que tous participent au Concile?

Apprenant que trois Églises n’y participeraient pas, nous avons annoncé que nous n’irions pas non plus.

A présent on nous dit que si nous étions allés au Concile de Crète, aucun des évènements qui ont suivi n’aurait eu lieu.

Je l’ai entendu dire à pratiquement tous les hiérarques grecs que j’ai rencontrés.

Excusez-moi, mais pourquoi n’auraient-ils pas eu lieu? Le patriarche Bartholomée se vengerait-il donc ainsi? Il a résolu d’accorder « l’autocéphalie » à des schismatiques, de « légaliser » Philarète Denissenko, pourtant anathémisé, par esprit de vengeance? Si vous pensez vraiment que c’est le cas, je n’ai plus rien à ajouter.

Si nous étions allés au Concile de Crète, nous aurions d’abord déclaré  que le Concile était illégitime puisque trois Églises en étaient absentes.

Le Concile aurait été manqué. A peine arrivés, il aurait fallu repartir.

A ceux qui nous disent que dès le départ nous n’avions pas l’intention d’y aller, je tiens à rappeler que nous nous sommes préparés au Concile panorthodoxe depuis 1961.

Cette année-là, un catalogue des thèmes du Concile (100 thèmes en tout) a été préparé, et nous avons travaillé sur chacun de ces thèmes.

Ensuite on nous a dit que le catalogue était réduit à dix thèmes, et nous l’avons accepté.

Un peu plus tard, on a appris que le thème des dyptiques était supprimé, parce que trop difficile; nous nous y sommes aussi résignés. Finalement, on nous a dit qu’il fallait aussi supprimer le thème de l’autocéphalie parce qu’on n’avait pas réussi à s’entendre sur elle.

Encore une fois, nous nous sommes résignés. Nous avons tout le temps fait des concessions, nous nous soumettions à des décisions qui étaient prises sans nous.

Comme il est dit dans la lettre mentionnée : « il est considéré comme impossible ».

Par qui? Par le Patriarcat de Constantinople.

Pendant tout le processus préconciliaire, nous avons proposé de créer un Secrétariat conciliaire interorthodoxe – cela n’a pas été fait, toute la préparation s’est faite au Phanar. Quand nous venions aux conférences, on nous donnait des documents tout prêts, nous n’avions plus qu’à les discuter. Le processus de préparation lui-même était très mal organisé – les Églises locales n’étaient invitées qu’à une participation passive.

Ce Concile mal préparé s’est mal terminé.

– Vous avez mentionné Mgr Onuphre, sa reconnaissance, etc.  Mais on dit bien que dans les années 1990, le métropolite Onuphre lui-même avait signé une lettre demandant l’autocéphalie. Peut-être avez-vous fait pression sur lui, l’avez-vous forcé à s’en tenir à une position favorable à l’Église orthodoxe russe?

– Si vous connaissiez le métropolite Onuphre, vous sauriez que c’est quelqu’un sur lequel il est parfaitement impossible de faire pression. Il prend les décisions que lui dicte sa conscience épiscopale et que lui suggère l’Esprit Saint.

Que s’est-il passé au début des années 90? Philarète Denissenko, alors métropolite de Kiev dans l’Église orthodoxe russe,  pensait qu’il deviendrait patriarche de Moscou et de toute la Russie. Il était déjà locum-tenens du siège patriarcal, mais ce n’est pas lui que le Concile local a élu au patriarcat.

Il a alors caché sa grande déception et a décidé de devenir « patriarche » en Ukraine.

Après son retour en Ukraine, fort du soutien de Kravtchouk, le président de l’époque, Philarète Denissenko a exigé l’octroi de l’autocéphalie à l’Église d’Ukraine.

Il a convaincu l’épiscopat de l’Église ukrainienne de signer cette lettre. Mgr Onuphre était jeune, alors, il venait d’être consacré évêque. Il a signé cette lettre avec les autres, puis, quand les évèques ont compris et vu que tout cela n’avait d’autre but que de séparer l’Église ukrainienne de l’Église russe, que cela se faisait sous la pression des autorités civiles, ils ont rappelé leur signature, les uns après les autres, dont l’évêque Onuphre, aujourd’hui béatissime métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine.

Si quelqu’un croit que nous exerçons actuellement des pressions sur lui, désolé, nous n’en avons pas les moyens, ni politiques, ni financiers, ni administratifs.

L’Église orthodoxe ukrainienne s’administre elle-même, elle a son épiscopat, son Synode, elle élit elle-même ses évêques. Le seul lien qui est conservé entre l’Église ukrainienne et l’Église russe est un lien spirituel et historique mais ce lien, l’Église orthodoxe ukrainienne ne veut pas le perdre, c’est pourquoi elle ne veut pas de l’autocéphalie. Encore moins veut-elle d’une autocéphalie fondée autour des schismatiques.

Les déclarations sur les pressions que nous exercerions soi-disant sont donc totalement dénuées de fondement.

— Tout de même, l’un des arguments en faveur de l’autocéphalie est que l’Ukraine est depuis longtemps un état indépendant. Peut-être l’Église orthodoxe russe rêve-t-elle de conserver d’une façon ou d’une autre un empire qui n’existe plus en réalité?

— Aucun empire ne nous intéresse, ce qui nous intéresse, c’est l’Église, et elle existe en réalité, c’est-à-dire l’Église orthodoxe russe qui compte plus de 100 millions de fidèles, plus de 40 000 paroisses, près de mille monastères.

C’est elle que nous voulons sauvegarder, indépendamment des mouvements de frontières sur le territoire de l’espace canonique de l’Église orthodoxe russe.

Les frontières politiques, depuis mille ans que l’Église russe existe, ont souvent changé, mais nous ne croyons pas que les modifications de frontières doivent entraîner une division de l’Église en plusieurs parties. Autrement, il nous faudrait diviser l’Église russe en quinze parties, l’Église d’Antioche en deux ou trois parties, celle de Jérusalem en trois ou quatre parties, et celle d’Alexandrie en plus de cinquante. On compte, en effet, plus de cinquante états indépendants en Afrique, pourquoi n’y a-t-il qu’une seule Église?

C’est pourquoi nous ne voyons pas la nécessité de prendre en compte les arguments politiques.

Ce qu’il faut prendre en compte, c’est la volonté de l’épiscopat, du clergé et du peuple de Dieu. Par quoi commençait une autocéphalie dans l’histoire de l’Église?

Une Église déclarait sa volonté de devenir indépendante. Le processus ne se faisait pas toujours sans heurts. Mais, contrairement à ce que les hiérarques du Patriarcat de Constantinople veulent faire croire, ce n’est pas toujours Constantinople qui octroyait l’autocéphalie.

L’Église russe, par exemple, n’a pas reçu de tomos d’autocéphalie de l’Église constantinopolitaine. Nous existons depuis plus de cinq cents ans sans le moindre tomos.

L’Église russe a proclamé son autocéphalie alors que le patriarche de Constantinople avait signé un acte d’union avec Rome, autrement dit, quand il n’y avait pas de patriarche orthodoxe sur le siège de Constantinople, mais un patriarche uniate.

Nos hiérarques se sont rassemblés et ont élu leur métropolite, sans la sanction de Constantinople. Par la suite, le patriarcat a été institué en Russie, et, à ce moment-là, des chartes ont été reçues, signées non seulement du patriarche œcuménique, mais de tous les patriarches orientaux.

Ils ont reconnu le patriarche de Moscou comme le cinquième dans les dyptiques, et ils l’ont reconnu dans son rang de patriarche. Pourquoi ceux qui nous disent aujourd’hui que le patriarche de Constantinople aurait le droit d’octroyer l’autocéphalie à l’Ukraine ont-ils tort? Il n’en avait absolument pas le droit. On ne peut pas le faire sans l’accord des orthodoxes ukrainiens, de l’épiscopat ukrainien sans l’accord de l’Église russe.

Il s’est volontairement permis d’enfreindre les canons ecclésiastiques pour faire du tort à l’Église orthodoxe russe, comme c’était déjà arrivé dans le passé, malheureusement.

Par exemple, au moment de la Révolution russe, il s’est produit un schisme, celui de l’Église vivante. Au début, le patriarche de Constantinople de l’époque, Mélèce (Metaxakis), n’a pas soutenu le schisme.

Mais son successeur, le patriarche Grégoire VII, a soutenu les rénovateurs par l’intermédiaire de son représentant à Moscou.

Des documents qui le prouvent existent.

Par exemple, une lettre envoyée à notre patriarche-confesseur, saint Tikhon,  dans laquelle il était écrit: nous vous proposons de renoncer immédiatement au siège patriarcal et de toutes façons, nous pensons que le Patriarcat en Russie doit être supprimé. Ce sont des démarches que Constantinople a entreprises alors que l’Église russe faisait l’objet de persécutions

dont le monde entier était au courant. On fusillait nos prêtres, on dynamitait nos églises, on détruisait nos monastères, mais le Patriarcat de Constantinople soutenait le schisme dans l’Église russe. Aujourd’hui, le Patriarcat de Constantinople soutient le schisme à l’intérieur de l’Église ukrainienne.

– Vous savez que Constantinople accuse l’Église orthodoxe russe de vouloir systématiquement affaiblir son statut de patriarcat œcuménique, de cultiver la théorie de la « Troisième Rome ». Tout un livre, consacré au sujet, est sorti en Grèce; on y affirme que vous souhaitez prendre la tête de l’orthodoxie dans le monde, car vous avez le plus grand nombre de fidèles. Peut-être y a-t-il une part de vérité dans ces affirmations?

– Il n’y a pas une once de vérité dans ces affirmations, en dehors du fait qu’effectivement, nous sommes l’Église numériquement la plus importante. C’est un fait, non pas dont nous sommes fiers, mais qui implique que nous sommes responsables de notre troupeau, de la sauvegarde de son unité.

Quant à la mythologie qui entoure l’Église russe, les accusations sur la prédication de la théorie de la « Troisième Rome », citez-moi au moins un document officiel de notre Église où il serait dit que nous considérons Moscou comme la Troisième Rome. Ou bien une seule résolution du Concile, une citation du patriarche, ou une de mes interventions.

Il n’y en a pas. C’est une conception qui date de plusieurs siècles et qui appartient au passé depuis longtemps. Elle ne présente plus d’intérêt pour nous, car nous n’avons aucun désir de prendre la tête de l’orthodoxie mondiale. La place que nous occupons nous convient tout à fait.

Nous avons officiellement reconnu la primauté du patriarche de Constantinople, en adoptant au Concile épiscopal de l’Église orthodoxe russe de 2013 le document « De la primauté dans l’Église universelle ». Il y est écrit noir sur blanc que nous reconnaissons le patriarche de Constantinople comme le premier entre égaux dans la famille des primats des Églises orthodoxes locales. Nous reconnaissons sa primauté d’honneur, non une primauté d’autorité. Nous ne pensons pas que le patriarche de Constantinople ait un quelconque pouvoir au-delà des limites de sa juridiction canonique ou qu’il ait le droit de s’immiscer dans le fonctionnement interne des autres Églises locales — ce sont des opinions avec lesquelles nous sommes en désaccord total. Le document dont je parle a été adopté en 2013, alors que nous étions en communion avec le patriarche de Constantinople, aujourd’hui ce patriarche ne figure plus dans nos dyptiques. La situation ecclésiologique actuelle est différente et rappelle plusieurs épisodes du passé, par exemple, le moment où le patriarche de Constantinople Nestorius, au Ve siècle, enseignait qu’il fallait dire Mère du Christ et non Mère de Dieu. On a donc réuni le IIIe Concile œcuménique, que le patriarche de Constantinople n’a nullement présidé. Il était l’accusé et il a été condamné pour hérésie. Un autre patriarche de Constantinople a été élu. Il y a donc eu dans l’histoire des situations où l’Église existait sans qu’il y eût de patriarche orthodoxe au siège de Constantinople. Je rappelle qu’au milieu du XVe siècle, l’Église russe est devenue autocéphale parce quele patriarche de Constantinople avait signé une union avec Rome, autrement dit il n’y avait pas de patriarche orthodoxe sur le siège de Constantinople. L’Église orthodoxe russe perçoit la situation actuelle de la même façon. Beaucoup d’orthodoxes le disent aujourd’hui: il n’y a pas de patriarche orthodoxe à Constantinople, puisque le patriarche de Constantinole s’est entendu avec les schismatiques. Il a concélébré avec le leader du schisme ukrainien. Toute la Russie, toute l’Église orthodoxe a vu les photos du patriarche Bartholomée concélébrant avec le leader des schismatiques. Je pense que cette situation très défavorable n’est pas sans avoir de répercussions sur le climat des relations interorthodoxes en général. Mais je tiens à répéter encore une fois qu’il n’est pas juste de dire que nous rompons la communion avec une Église, une seconde, une troisième. Nous ne rompons pas la communion avec les Églises, mais nous défendons la tradition canonique de l’Église et veillons à l’unité de l’Église orthodoxe russe. Nous n’en démordrons pas.

– Vous avez souvent parlé, dans vos interventions, de pressions exercées de l’extérieur sur les décisions du patriarche de Constantinople. Si j’ai bien compris, vous avez en vue la diplomatie américaine qui a fait de l’Ukraine une de ses priorités. Mais le patriarche, à Constantinople, vit dans un environnement musulman. Il a besoin d’un soutien diplomatique. Admettons qu’il se soit adressé aux États-Unis. L’Église orthodoxe russe travaille en relation étroite avec le gouvernement russe, avec les ambassades, avec le ministère des Affaires étrangères. Pourquoi les autres ne pourraient-elles pas travailler avec des structures gouvernementales, si l’Église russe le fait?

– C’est tout simple. Chaque primat choisit avec qui travailler. Si cette collaboration a pour objets de protéger les intérêts de cette Église, de sauvegarder l’unité de l’orthodoxie, pourquoi ne pas collaborer? Pourquoi l’Église russe ne pourrait-elle pas collaborer avec l’état russe sur la construction d’églises en Russie, l’enseignement de la théologie dans les universités, l’accès libre pour tous à la religion, à l’Église ?

Si le patriarche de Constantinople collaborait avec les États-Unis d’Amérique en vue de protéger les sanctuaires orthodoxes, de défendre ses intérêts sur son propre territoire canonique qui s’y opposerait? Personne, sans doute. Mais quand le patriarche de Constantinople s’appuie sur une puissance étrangère pour entreprendre des démarches visant à ruiner l’unité orthodoxe, à causer du tort à des Églises orthodoxes locales, nous ne pouvons évidemment pas l’approuver. En ce qui concerne l’Église orthodoxe russe, nous n’intervenons nulle part, nous n’arrachons rien à personne. Nous nous contentons de chercher à sauvergarder l’Église que nous avons reçue de nos ancêtres.

Savez-vous, Monseigneur, que beaucoup de Grecs misent beaucoup sur la Russie et qu’ils n’apprécient pas sa politique de ses dernières années, la Russie ayant étroitement lié ses intérêts à ceux de la Turquie. Par exemple, à propos de Sainte-Sophie: de la part de la Russie, il n’y a eu que quelques phrases de protestation purement formelles, aucune pression n’a été exercée sur la Turquie. Personne, ici, en Grèce, n’oubliera que le représentant du Kremlin a dit qu’avec la reconversion de Sainte-Sophie en mosquée, l’entrée y devenait gratuite. Peut-être les intérêts du monde russe et du monde grec sont-ils objectivement trop différents?

– Je ne tiens pas à commenter la déclaration malheureuse du fonctionnaire dont vous parlez.

Cependant, j’aimerais constater la chose suivante: quand on a appris l’intention des autorités turques de faire de Sainte-Sophie une mosquée, le premier des primats d’Églises orthodoxes locales à s’être exprimé contre fut le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie.

Le lendemain, la Douma de la Fédération de Russie a adopté une adresse aux députés du parlement turc. Ensuite, le Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe a exprimé sa préoccupation.  Le président russe Vladimir Poutine, dans un entretien téléphonique avec le président turc Erdogan, a soulevé la question, il a dit que la reconversion de Sainte-Sophie en mosquée inquiétait le peuple orthodoxe. Qui, des leaders religieux ou politiques a fait ou dit plus, dans cette situation donnée, que le patriarche de Moscou ou le président russe? Que Sainte-Sophie soit redevenue une mosquée, c’est une grande tragédie pour nous. Nous en parlons ouvertement. J’ai souvent soulevé ce thème dans mon émission télévisée hebdomadaire, sur la chaîne d’informations « Rossia 24 ». Et voilà ce qu’en pense le peuple orthodoxe en Russie: après que le patriarche Bartholomée a laissé les schismatiques entrer à la Sophie de Kiev, ce qui est une profanation, il a perdu l’accès à la Sophie de Constantinople. C’est ce qui s’appelle la vox populi, la voix du peuple. En tant que hiérarques de l’Église russe, nous ne sommes pas d’accord avec cette analyse, car nous estimons que ce triste évènement ne frappe pas seulement l’Église constantinopolitaine, mais l’ensemble du monde orthodoxe.  Nous voyons avec tristesse les rares mosaïques de Sainte-Sophie subsistantes, des mosaïques uniques, recouvertes de voiles, les murs du monastère de Chora cachés aux regards, alors qu’ils sont, eux aussi, couverts de mosaïques uniques et de fresques du XIVe siècle. Malheureusement, les dirigeants turcs n’ont pas prêté attention à nos déclarations publiques. Quant au fait que la Russie entretient certains rapports de partenariat avec la Turquie sur différents sujets, en maintenant, notamment, des contacts sur la Syrie ou sur le Haut Karabagh,  sur des thèmes relatifs à la coopération dans le domaine industriel, je pense qu’il vaudrait mieux poser la question aux représentants politiques russes. Mais j’attirerai l’attention sur le fait que la Grèce, comme bien d’autres pays, s’est jointe aux sanctions contre la Russie, qui doit donc se chercher et se trouver des alliés. Nous serions très heureux que la situation soit autre, mais nous en sommes là, malheureusement.

Puisque vous avez parlé d’alliances, revenons à l’histoire. L’an prochain, on célébrera le bicentenaire de l’insurrection grecque contre les Ottomans, pour la liberté. La Russie a joué un grand rôle dans cette insurrection. Que représente la Grèce pour vous personnellement ou, peut-être, pour les orthodoxes de Russie? Qu’est-ce que l’Église grecque, qu’est-ce que l’Hellade? Malgré tous les problèmes, peut-être reste-t-il quelque chose assez important pour nous unir?

– Je profite de votre question pour dire ce que la Grèce représente pour moi.  Quand j’étais jeune hiéromoine, j’ai appris moi-même le grec (ancien et nouveau) pour lire les Pères de l’Église dans leur langue, et pour la parler. J’ai traduit du grec plusieurs œuvres de saint Syméon le Nouveau Théologien, notamment les « Chapitres ». J’ai traduit plusieurs de ses hymnes en russe sous forme versifiée. J’ai écrit un livre sur Syméon le Nouveau Théologien et un autre sur saint Grégoire le Théologien. La patristique grecque a toujours été pour moi un trésor inestimable sur lequel nous devons veiller soigneusement. Certes, il m’est très douloureux d’observer les processus actuels. Ce qui se passe dans les relations interorthodoxes ne m’inspire que douleur et tristesse. Quant aux rapports entre nos Églises et entre nos peuples en général, j’aimerais espérer que les Grecs n’oublieront pas l’héroïsme des soldats russes,  qui ont aidé à libérer la Grèce du joug ottoman et ont versé leur sang sur le sol grec. J’espère vraiment que, malgré la division actuelle, nous saurons préserver nos liens tant au niveau culturel, qu’aux niveaux spirituel et ecclésiastique. Oui, nous avons dû maintenant (provisoirement, j’espère) rompre la communion avec certains hiérarques de l’Église grecque, son primat y compris, mais nous restons unis à beaucoup d’autres hiérarques. J’espère que nous fêterons ensemble des dates importantes comme celle-ci. L’histoire de nos Églises n’a pas été simple. L’Église orthodoxe russe est une Église-martyre. Elle a souffert du régime athée pendant soixante-dix ans. Dans les années 1930, presque tout l’épiscopat, presque tout le clergé ont été physiquement éliminés. Il ne restait en liberté que quelques individus. Beaucoup d’églises ont été dynamitées, fermées, détruites, éradiquées de la face de la terre. Nous sommes passés par tout cela, et cela fait trente ans que se poursuit une renaissance inouïe par son ampleur de la vie religieuse en Russie, en Ukraine, en Biélorussie, et dans d’autres pays dont l’Église orthodoxe russe a la responsabilité canonique. Nous espérons vraiment que les tristes évènements qui se poursuivent dans le monde orthodoxe ne détruiront pas les liens multiséculaires existant entre nos fidèles et entre nos peuples.

– Merci, Monseigneur, de la richesse de cette interview.

– Merci, Afanassi.