II. Libre arbitre et liberté par rapport au mal

1. En fonction de la manière dont s’autodétermine un homme libre, l’image de Dieu en lui peut soit s’obscurcir, soit se manifester avec encore plus d’éclat. La dignité naturelle inhérente à l’homme devient de plus en plus manifeste ou de moins en moins perceptible en fonction de la manière dont il vit. Ce sont les choix que nous faisons, la façon dont nous nous déterminons, qui nous amènent à tel ou tel résultat.

La liberté est l’une des manifestations de l’image de Dieu dans la nature humaine. Selon saint Grégoire de Nysse, « l’homme est devenu semblable à Dieu et bienheureux, parce qu’il a reçu la liberté (αὐτεξουσίῳ) » (Discours sur les morts). En conséquence, l’Église, dans sa pratique pastorale et spirituelle, fait preuve d’une grande sollicitude quant au monde intérieur de chacun, envers notre liberté de choix. Asservir le libre arbitre de l’homme par des manipulations ou la violence, le soumettre à une quelconque autorité extérieure conduit à troubler l’ordre instauré par Dieu. Le libre arbitre n’est pas, pour autant, un but absolu et inconditionnel. Dieu a mis le libre arbitre au service du bien des hommes. L’homme ne doit pas, en l’exerçant, faire des choix qui soient à son détriment, à celui des autres. Cependant, et ceci par la force du péché inhérent à la nature humaine déchue, aucun effort humain ne peut être suffisant pour atteindre le bien authentique. S’inspirant de sa propre existence, l’apôtre Paul témoigne de ce qui est commun à tout homme: « Vraiment, ce que je fais je ne le comprends pas : car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais […]. En

réalité ce n’est plus moi qui accomplis l’action, mais le péché qui habite en moi » (Rm 7, 15-17). L’homme ne saurait donc se passer de l’aide de Dieu, de collaborer le plus étroitement possible avec lui, car Dieu est l’unique source de tout bien. Ayant rejeté le Créateur, ne comptant que sur eux-mêmes, nos ancêtres se sont trouvés tributaires des forces du mal, de la mort. Ils nous ont légué cette dépendance. L’homme a abusé de sa faculté de libre arbitre et a donc perdu une autre liberté (ἐλευθερία), qui lui avait été conférée initialement:

celle de vivre dans le bien. C’est précisément cette liberté que notre Seigneur Jésus-Christ nous restitue:

« Si donc le Fils vous libère, vous serez réellement libre (ἐλεύθεροι) » (Jn 8, 36). Il est impossible à l’homme de se libérer du péché sans une union mystique avec la nature transfigurée du Christ, union qui survient dans le sacrement du baptême (Rm 6, 3-6 ; Col 3, 10) et se renforce par la vie dans l’Église, Corps du Christ (Col 1, 24). Les Saintes Écritures nous disent que l’homme se doit d’œuvrer lui-même en vue de se libérer du péché : « C’est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés. Donc, tenez bon et ne vous remettez pas sous le joug de l’esclavage » (Ga 5, 1). L’expérience concrète de l’immense choeur des saints et des saintes en atteste. Chacun d’entre eux a démontré la possibilité pour chacun d’entre nous de transfigurer sa vie. C’est, toutefois, seulement dans la résurrection commune que se manifesteront les fruits des efforts spirituels de chacun. C’est alors que « le Seigneur Jésus-Christ transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire, avec cette force qu’il a de pouvoir même se soumettre toute chose » (Ph 3, 21).

2. Notre Seigneur Jésus-Christ dit : « Et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera […]. Quiconque commet le péché est esclave » (Jn 8, 32 et 34). Il en découle qu’est vraiment libre celui qui mène une vie juste et aspire à la communion avec Dieu. Lui seul peut être la source de la vérité absolue. Et au contraire, abuser de la liberté, choisir un mode de vie amoral et hypocrite réduit en définitive à zéro le libre arbitre en tant que tel, la volonté se faisant esclave du péché. Dieu, unique source de liberté, est à même de maintenir la liberté en l’homme. Ceux qui ne veulent pas s’éloigner du péché renoncent а leur liberté au profit du diable, ennemi de Dieu, père du mal et de l’esclavage. L’Église, tout en reconnaissant le libre arbitre, affirme que celui-ci disparaît fatalement lorsque le choix s’opère en faveur du mal. Le mal et la liberté sont incompatibles. L’histoire montre que lorsque les personnes et les communautés optaient pour le mal, cela entraînait non seulement la disparition de leur liberté, mais aussi d’immenses pertes humaines. De nos jours,

l’humanité risque de s’engager à nouveau dans cette voie : des phénomènes incontestablement mauvais comme les avortements, les suicides, la débauche, les perversions, la destruction de la famille, le culte de la brutalité et de la violence trouvent leur justification dans une interprétation erronée du libre arbitre et cessent d’être évalués comme il se doit. La doctrine contemporaine des droits de l’homme souffre d’une lacune : tout en protégeant le libre arbitre (αὐτεξούσιον) elle tient de moins en moins compte de la dimension éthique de la vie humaine et de la liberté par rapport au péché (ἐλευθερία). L’organisation de la société doit prendre en compte ces deux libertés et garantir leur harmonie dans la vie publique. On ne peut prendre la défense de l’une de ces deux libertés en oubliant l’existence de la seconde. Il n’est pas concevable de résider dans le bien et la vérité sans disposer du libre arbitre. De même que le libre arbitre se voit privé de sa valeur et de sa raison d’être s’il s’oriente vers le mal.