Le 21 novembre 2017, Sa Sainteté le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a reçu à la résidence patriarcale et synodale du monastère Saint-Daniel de Moscou l’archevêque de Canterbury Justin Welby, chef de la Communauté anglicane.

L’archevêque de Canterbury était accompagné de l’évêque d’Ebbsfleet Jonathan Goodall, de l’évêque de Gibraltar en Europe Robert Innes, du prêtre William Adam, conseiller de l’archevêque de Canterbury aux relations œcuméniques, du prêtre Malcolm Rogers, recteur de la paroisse anglicane Saint-André de Moscou, le chanoine David Porter, et d’Ailsa Anderson-Cole, directeur des communications de l’archevêque.

L’Église orthodoxe russe était représentée par : le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, l’archevêque Élisée de Souroge, l’archimandrite Philarète (Boulekov), vice-président du DREE, le hiéromoine Stéphane (Igoumnov), secrétaire du DREE aux relations interchrétiennes.

Le primat de l’Église orthodoxe russe a constaté qu’il était heureux de poursuivre le riche entretien commencé en 2016 à Londres, lors de sa visite à l’archevêque de Canterbury Justin Welby.

Constatant que les contacts entre l’Église orthodoxe russe et la communauté anglicane se poursuivaient depuis le XVI siècle, Sa Sainteté a remarqué : « Dès ces temps anciens, bien avant que les chrétiens engagent un dialogue et une coopération suivis, les Russes et les Anglais, quoique appartenant à des confessions différentes, ont su se rencontrer et se comprendre les uns les autres. »

Le patriarche a rappelé qu’un Comité de coordination pour la coopération entre l’Église orthodoxe russe et l’Église d’Angleterre travaillait avec profit depuis une vingtaine d’années. « J’ai aussi la satisfaction de constater que différentes manifestations sont organisées en commun, avec la participation de l’Ambassade russe en Grande-Bretagne et de l’Ambassade britannique en Russie, notamment des symposiums sur l’avenir du christianisme en Europe. J’estime que ces manifestations sont particulièrement utiles en ces temps troublés. »

L’une des sphères majeures de la collaboration entre les deux communautés est l’échange d’étudiants. « Certains de nos étudiants poursuivent leurs études en Grande-Bretagne, a raconté Sa Sainteté. En Russie, nous avons organisé avec l’Institut des Hautes-Études Saints-Cyrille-et-Méthode une université d’été pour les ministres de l’Église d’Angleterre. Ce projet offre au clergé de l’Église anglicane la possibilité de découvrir l’Église orthodoxe russe, la liturgie orthodoxe, notre spiritualité et nos projets sociaux.

Durant la suite de l’entretien, le patriarche a parlé des phénomènes de crise touchant la société contemporaine. « L’humanité traverse, je ne crains pas de le dire, une grave crise globale. Il ne s’agit pas seulement des difficultés économiques, qui touchent presque l’ensemble du monde, mais aussi des guerres qui se sont multipliées. Après la fin de la « guerre froide », nous rêvions tous d’un temps de paix, de coopération. Mais le nombre de conflits locaux n’a fait qu’augmenter, ils sont toujours plus menaçants, dans la mesure où les grandes puissances y sont impliquées. Les problèmes écologiques s’aggravent aussi. Les inégalités sociales ne renforcent. Les hommes politiques, les économiques, les spécialistes de la culture tentent d’expliquer pourquoi tout cela se produit aujourd’hui. Je pense que nous, chrétiens, devons avoir notre propre réponse ; tout ce qu’il y a de mauvais dans la vie vient du péché. Si la crise globale envahit le monde, si le mal prend des mesures planétaires, devient si radical, c’est que quelque chose se passe dans les âmes, qui les éloigne de Dieu. Nous avons survécu à des dispositions semblables en Union soviétique, et compris quelle influence négative avait l’athéïsation de la société sur celle-ci. Mais le point faible de cette athéïsation était d’être une idéologie imposée de l’extérieur. Les idéologies ne vivent pas longtemps. L’idéologie est tombée, l’athéïsation s’est terminée. »

Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, en particulier dans les pays occidentaux, est bien plus grave, estime le primat de l’Église orthodoxe russe. « On chasse Dieu de la vie, on ignore la loi morale. Ce qu’il y a de plus destructeur, c’est que le rejet de la morale est légalisé. C’est une tendance très dangereuse. Si les gens tentent de pécher ou se solidarisent avec le péché en ayant la loi pour eux, c’est que nous entrons dans une sorte de réalité apocalyptique » a souligné Sa Sainteté.

Le patriarche Cyrille s’est posé la question : les communautés chrétiennes d’aujourd’hui sont-elles capables d’arrêter ce processus, sont-elles capables d’un ministère prophétique ? « Jadis, à l’époque soviétique, nous étions gênés quand on nous demandait si nous pouvions critiquer l’état et sa politique. Nous avions du mal à répondre, parce que nous vivions dans un contexte totalitaire, a partagé le primat de l’Église orthodoxe russe. Aujourd’hui, nous interrogeons les chrétiens occidentaux, qui ne vivent pas sous un régime totalitaire : pouvez-vous critiquer l’état, les médias, les grands de ce monde ? Il nous faut réfléchir ensemble à ces thèmes. C’est pourquoi, en ces temps difficiles, surtout pour les chrétiens occidentaux, nous, dans l’Église russe, ne sommes pas prêts à renoncer à nos contacts historiques avec les chrétiens d’Occident. Nous aspirons à dialoguer ouvertement, franchement, à mettre nos positions en évidence et, pour autant que cela soit possible, à parvenir à une conception commune, notamment à une compréhension commune des évènements en cours dans le monde. »

Ayant fait part de sa profonde inquiétude quant à la situation des chrétiens du Proche-Orient et d’Afrique du Nord, le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a rappelé que l’Église russe avait été l’une des premières à révéler les pressions dont les chrétiens faisaient l’objet dans la région du Proche-Orient, notamment après l’invasion des territoires syriens par des groupes terroristes. « Nous étions témoins de la destruction d’églises, de la profanation de monastères, de l’expulsion des chrétiens de la « Vallée des chrétiens » en Syrie, a souligné Sa Sainteté. Connaissant bien la situation dans cette région, nous comprenions que l’existence même des chrétiens ne tenait qu’à un fil ténu. C’est pourquoi nous saluons la réelle victoire sur les groupes terroristes remportée en Syrie, notamment avec la participation de la Fédération de Russie. »

En 2016, la situation des chrétiens au Proche-Orient a été au cœur de l’entretien du patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie avec le pape François, à La Havane. « Je remercie Dieu de ce que la définition de la situation de la minorité chrétienne comme un génocide a été employée lors de cette rencontre. L’establishment politique évitait le mot, mais il a ensuite été largement employé, notamment au niveau du Congrès des États-Unis. Je suppose que rencontre bilatérale a largement contribué à changer le regard de la communauté internationale sur la minorité chrétienne. »

Mais le problème du maintien de la présence chrétien au Proche-Orient a gardé la même actualité, a rappelé le primat de l’Église orthodoxe russe. La population chrétienne de plusieurs pays a drastiquement diminué. Il n’y a plus qu’environ 150 000 chrétiens en Irak, par exemple, tandis qu’avant les évènements dramatiques survenus dans ce pays, ils étaient un million et demi. La même situation se reproduit en Syrie.

Le patriarche Cyrille a fait part à son hôte de sa douleur face à ce qui se produit en Ukraine. « Malheureusement, il y a des forces qui tentent de transposer le profond conflit civil sur le plan religieux, a constaté Sa Sainteté. Je témoigne en pleine connaissance de cause des grossières violations des droits de l’homme et de la liberté religieuse perpétrées en Ukraine aujourd’hui. Des églises de l’Église orthodoxe canonique lui sont usurpées, la propagande s’acharne contre elle. On dirait que les autorités ukrainiennes veulent diviser leur peuple en fonction de l’appartenance religieuse de chacun. On se demande quelles sont leurs motivations, mais ce qu’on peut imaginer de pire pour l’Ukraine dans l’état où elle se trouve aujourd’hui, c’est un conflit religieux. »

Comme l’a rappelé le patriarche Cyrille, des députés nationalistes radicaux ont aussi proposé à la Rada d’adopter plusieurs lois, qui permettraient de légaliser les usurpations d’églises et la discrimination de l’Église orthodoxe ukrainienne, qui compte pourtant 12 000 paroisses et rassemble la majorité absolue des orthodoxes d’Ukraine. Constatant qu’un des projets de loi envisagés propose un contrôle de l’état sur toutes les nominations dans cette Église, Sa Sainteté a rappelé que semblable procédure n’existait même pas en Union soviétique.

« Je suis reconnaissant à beaucoup de personnes qui ont entendu mon appel et ont réagi à l’examen de ces lois. J’en suis particulièrement reconnaissant au pape François et au secrétaire général du Conseil œcuménique des églises, le pasteur Olaf F. Tveit, ainsi qu’à mes confrères les primats des Églises orthodoxes locales. Grâce à nos efforts, les projets de loi ont été suspendus, mais rien ne garantit qu’ils ne seront pas à remis à l’ordre du jour du parlement ukrainien. »

Sa Sainteté a remis au chef de la communauté anglicane un document décrivant la situation de l’Église orthodoxe ukrainienne aujourd’hui.

Durant la suite de l’entretien, le primat de l’Église russe a mentionné la visite effectuée la veille par l’archevêque de Canterbury Justin Welby à l’église anglicane de Moscou.

Comme l’a rappelé Sa Sainteté, le retour de cette paroisse à l’Église anglicane n’a pas été simple : « En 1994, déjà, Sa Majesté la Reine Elisabeth, lors de sa visite en Russie, avait posé la question de la remise en service de cette église pour les besoins de la communauté anglicane devant le président Eltsine. Mais, pour différentes raisons, notamment à cause de problèmes internes à la communauté anglicane, aucune décision n’a été prise. J’ai aussi reçu des demandes, émanant de la communauté anglicane. A l’été 2016, j’ai adressé au gouvernement une requête, pour que le site de l’église Saint-André soit prêté à titre gracieux à la communauté anglicane pendant 49 ans. Je salue les changements qui se produisent aujourd’hui dans cette communauté, notamment la nomination d’un nouveau recteur. J’espère que la communauté se développera et que l’église sera restaurée. »

Sa Sainteté a aussi rappelé que l’Église russe s’était adressée aux autorités moscovites pour les prier d’intégrer l’église anglicane Saint-André au programme de restauration des monuments de Moscou. Le Département des relations ecclésiastiques extérieures et son président, le métropolite Hilarion, prennent une part active à la réalisation de ce programme. « Bien que la situation économique soit difficile dans le monde et en Russie, comme vous le savez, nous nous efforcerons d’aider la communauté anglicane à résoudre ces difficultés » a déclaré le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie.

A son tour, l’archevêque de Canterbury Justin Welby a souligné : « C’est un grand honneur et une grande joie d’être ici, en Russie. C’est ma première visite dans ce pays, et je tiens à vous remercier très vivement de votre chaleureux accueil. » L’archevêque anglican est revenu sur la visite de S. S. le patriarche Cyrille en Grande-Bretagne, pendant laquelle il avait consacré la cathédrale de la Dormition après sa reconstruction, et été reçu par la Reine de Grande-Bretagne S. M. Elisabeth II. Un entretien entre le primat de l’Église russe et l’archevêque Justin Welby avait eu lieu au palais Lambeth.

« Vous avez soulevé aussi bien des problèmes concrets que des thèmes généraux, et vous avez très justement constaté que beaucoup de ces problèmes ont à voir avec l’anthropologie, avec la nature de l’être humain » a dit le chef de la communauté anglicane.

L’archevêque de Canterbury a soutenu l’opinion de S. S. le patriarche Cyrille, pour qui l’hégémonie de l’athéisme et du laïcisme gênent la libre expression des opinions religieuses en général, et chrétiennes en particulier.

Parmi les thèmes dont il souhaitait traiter avec le primat de l’Église orthodoxe russe, le chef de la Communauté anglicane a évoqué les défis de l’extrémisme et le terrorisme au Proche-Orient et ailleurs dans le monde, la situation des chrétiens et des autres minorités religieuses dans ces régions, le problème des réfugiés qui sont, selon certaines estimations, environ 65 millions dans le monde.

« Les persécutions contre les chrétiens au Proche-Orient sont une crise globale, a constaté l’archevêque Justin Welby. Vous avez aussi constaté les atteintes à la liberté d’expression religieuse auxquelles sont confrontés les chrétiens dans les états occidentaux. J’aimerais insister sur les liens fraternels existant entre nos Églises, car, grâce au dialogue, nous sommes capables de nous soutenir les uns les autres. Venu ici, en Russie, tenant compte de l’histoire, de ce qui s’est passé dans ce pays après 1917, j’admire l’exemple de courage et de fidélité qu’a démontré l’Église orthodoxe russe. Ce courage est un exemple pour bien des pays, pour bien des Églises qui ont vécu ou vivent des temps difficiles. »

Une déclaration commune a été adoptée à la fin de la rencontre, évoquant le soutien du patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie et de l’archevêque de Canterbury Justin Welby aux chrétiens persécutés au Proche-Orient.

Les interlocuteurs ont échangé des cadeaux en souvenir après la rencontre.