L’un des évènements centraux de la visite du Patriarche Cyrille en Pologne sera la signature d’un document sur la réconciliation des peuples russe et polonais conjointement avec le chef de l’Église catholique dans ce pays, l’archevêque Yuzef Mihalik. Parlez-nous de ce document, s’il-vous-plaît.

Nous sommes profondément convaincus de ce que les relations entre les peuples de Russie et de Pologne, souvent assombries par la haine, les guerres et l’hostilité mutuelle au cours de l’histoire, peuvent et doivent s’améliorer. Ce n’est pas une exigence de la conjoncture politique, mais un défi de notre époque. Alors que l’héritage chrétien de l’Europe est soumis à révision, alors que les valeurs traditionnelles sont remises en question par les adeptes du politiquement correct et du sécularisme militant, les chrétiens ont vocation à s’unir pour défendre leur vision de la vertu et de la justice. Forts de cette approche, nous avons entamé un dialogue fraternel avec les catholiques de Pologne, dont le résultat doit être la signature d’un document sur la réconciliation des peuples des deux pays. L’élaboration de ce projet a occupé un certain temps, mais nous sommes parvenus à une bonne compréhension mutuelle sur un grand nombre de points.

Le document exclue toute référence politique. Son texte s’appuie sur les idées chrétiennes de péché et de pardon, sans lesquelles la réconciliation de nos peuples peut rester vide de sens. Nous nous adressons aux Russes et Polonais qui comprennent que rechercher qui a tort et qui a raison, suivre la voie de l’orgueil et de la hauteur est contraire à la conscience chrétienne. En appelant les Russes et les Polonais à l’amitié et à l’amour fraternel, nous croyons que la réconciliation est possible en nous appuyant sur une foi sincère, avec l’aide de Dieu qui bénit toute bonne entreprise. 

Les Églises des deux pays peuvent-elles vraiment contribuer à améliorer les relations entre Russes et Polonais ?

– Le christianisme est la religion dominante depuis des siècles tant en Russie qu’en Pologne. Il détermine en grande partie le système de valeurs et le mode de vie de nos pays. La plupart des Russes vivent leur vie spirituelle dans l’Église orthodoxe russe, tandis qu’une écrasante majorité de Polonais appartient à l’Église catholique polonaise. Cette circonstance exige que nos Églises soient impliquées dans la vie civile. Les gens voient en effet dans l’Église une autorité, ils veulent entendre son opinion sur les questions les plus diverses.

Les Russes et les Polonais ont partagé plusieurs siècles d’histoire commune. Nous sommes originaires de la même famille slave, nous sommes voisins, nous sommes chrétiens. Nos relations n’ont pas toujours suivi un développement progressif, elles sont faites aussi d’époques difficiles et de moments tragiques. Malheureusement, ce sont ces derniers épisodes qui dominent dans notre mémoire historique, qui font l’objet de l’attention soutenue de certains courants sociaux et des journalistes. Je suis profondément convaincu de la fausseté de ces tendances. En tant que parents et en tant que chrétiens nous devons avancer à la rencontre l’un de l’autre avec un cœur ouvert.

Les communautés religieuses peuvent contribuer à cette rencontre. L’Église n’est pas soutenue par la conjoncture, elle n’exprime les intérêts d’aucun groupe politique. Elle est constante dans sa vocation, l’infatigable annonce des vérités évangéliques que nous a léguées Jésus Christ, des idéaux en germe dans les Écritures saintes et qui parlent à tout homme de bonne volonté, croyant ou non. La paix, l’amour, le pardon mutuel. L’Église, en utilisant les ressources dont elle dispose – la mission, la pastorale, le service social – contribue à ce que ces notions soient déterminantes dans les relations entre les gens et entre les peuples.

Le Patriarcat de Moscou et l’Église catholique de Pologne ont déjà fait des pas concrets pour aider au renforcement des relations russo-polonaises. Je pense en premier lieu à l’adresse aux peuples de Russie et de Pologne dont j’ai déjà parlé, préparée par nos Églises. Ce document exprime notre approche chrétienne commune des relations russo-polonaises.

La Pologne est l’un des principaux bastions du catholicisme en Europe. Peut-on interpréter la visite du Patriarche dans ce pays comme un signal donné au Vatican, y compris dans la perspective d’une rencontre entre le Pape et le Patriarche de Moscou ?

Le Patriarche visite la Pologne avant tout à l’invitation du métropolite Sabbas, Primat de l’Église orthodoxe de Pologne, accomplissant ainsi une visite fraternelle à une autre Église orthodoxe locale.

Néanmoins, le fait que la Pologne est principalement un pays catholique, que la majorité de sa population appartient à l’Église catholique est une circonstance importante. Cet aspect donne effectivement à la visite du Primat de l’Église orthodoxe russe en Pologne une dimension particulière, d’autant plus que c’est la première visite d’un Primat de l’Église orthodoxe russe dans ce pays. On sait que Sa Sainteté rencontrera le presidium de la Conférence des évêques catholiques de Pologne et signera avec l’archevêque Yuzef Mihalik un message commun aux peuples de Russie et de Pologne.

On peut dire que la visite du Patriarche en Pologne a pour enjeu de contribuer au développement du dialogue avec l’Église catholique de ce pays et à la réconciliation des peuples russe et polonais qui ont connu des périodes difficiles d’hostilité et d’incompréhension mutuelles.

Quelle appréciation donneriez-vous des démarches entreprises par la Pologne pour défendre les racines chrétiennes de l’Europe ?

Nous savons bien que l’appartenance à l’Union européenne va parfois de paire avec des pressions politiques de la part des organes de direction de cette organisation. Les slogans de liberté, d’égalité et de non discrimination servent souvent aux instituts européens à imposer un mode de comportement incompatible avec les représentations chrétiennes de la morale. L’exemple le plus frappant en est la question de la légalisation des mariages entre représentants des minorités sexuelles. De nombreux états de l’UE ont déjà relégué sur le même plan la famille traditionnelle et la cohabitation de gens de même sexe, contraire à la nature humaine. L’influence européenne a fait introduire en Moldavie la législation dite antidiscriminatoire. Nous espérons que la Pologne saura défendre ses représentations des valeurs traditionnelles dans le cadre de l’Union européenne. Les préoccupations de la Pologne sont partagées par de nombreux croyants en Russie, prêts à collaborer avec les organisations conservatrices dès maintenant.

Parlez-nous, s’il vous plaît, de la collaboration entre le Patriarcat de Moscou et les Églises catholique et orthodoxe de Pologne.

Les contacts entre le Patriarcat de Moscou et les représentants de l’Église catholique romaine ont une longue histoire. Parmi les évêques polonais, il y a de vrais amis de l’Église orthodoxe russe, comme l’ancien archevêque de Varsovie et primat de Pologne, le cardinal Jozef Glemp qui est souvent venu en Russie et a rencontré les Patriarches Alexis II et Cyrille à plusieurs reprises. La visite du Patriarche Cyrille en Pologne sera naturellement un bon stimulant au développement des relations entre les deux Églises. L’Église catholique de Pologne défend les valeurs chrétiennes traditionnelles dans son pays et plus généralement en Europe. Il suffit de dire que grâce aux efforts des hiérarques de cette Église, en 1993, d’importantes restrictions à l’avortement ont été ajoutées à la législation polonaise. La Pologne est donc un exemple unique de pays européen dans lequel la politique de contrôle de la natalité s’est développée dans le sens d’un durcissement, et non d’une libéralisation, comme c’est le cas d’autres pays de l’Union européenne.

Les positions de l’Église orthodoxe russe et de l’Église catholique romaine sur les questions de société, comme la morale personnelle et l’éthique sociale, la bioéthique, la recherche scientifique et quelques autres sont très proches, ce qui permet à nos Églises de collaborer, témoignant ensemble de la tradition chrétienne en Europe. Je dirai que la situation actuelle, celle dans laquelle se retrouvent les pays européens à cause de la sécularisation transforme cette possibilité en véritable exigence.

Les Églises orthodoxes russe et polonaise entretiennent d’étroites relations de fraternité. Nous avons une histoire commune, des coutumes communes et une vision commune. Dans la majorité des paroisses de l’Église orthodoxe polonaise, l’office est célébré en slavon d’église, comme chez nous.

Le Primat de l’Église orthodoxe polonaise, le métropolite Sabbas de Varsovie et de toute la Pologne, s’est souvent rendu sur le territoire de l’Église orthodoxe russe. Il a participé en personne aux cérémonies d’intronisation du Patriarche Cyrille, le 1er février 2009. Le métropolite Sabbas a pris part également à la rencontre des Primats et des représentants des Églises orthodoxes locales en novembre dernier, à Moscou.

Des délégations des Églises orthodoxes russe et polonaise travaillent ensemble lors de manifestations interorthodoxes, partant des mêmes postulats dans le dialogue théologique avec l’hétérodoxie, y compris avec l’Église catholique romaine.

Les hiérarques de l’Église orthodoxe polonaise viennent également souvent visiter le Patriarcat de Moscou (…)

L’échange d’étudiants entre écoles de théologie des Églises russe et polonaise est une tradition ancienne, dans la mesure où beaucoup de hiérarques russes ont fait leurs études aux académies de Moscou et de Léningrad. Certains évêques et clercs de l’Église russe ont également, à différentes époques, étudié à l’Académie de théologie chrétienne de Varsovie.

Au séminaire orthodoxe de Varsovie, les cours sont dispensés en russe, ce qui permet d’établir des contacts étroits avec les étudiants et théologiens de l’Église orthodoxe russe. En 2008, un groupe de vingt jeunes théologiens polonais a visité les sanctuaires de l’Église russe. En mai 2011, dans le cadre de ma visite en Pologne, j’ai pu visiter le séminaire de Varsovie et en rencontrer les étudiants.

Dans l’Église orthodoxe polonaise, la pastorale de la jeunesse est particulièrement bien organisée. Une Fraternité de la jeunesse orthodoxe existe en Pologne, dont l’une des tâches principales est l’organisation de pèlerinages pour les jeunes orthodoxes. Les membres de la Fraternité participent traditionnellement à des pèlerinages aux sanctuaires de l’Église russe, organisés chaque année dans le cadre du rassemblement international « Entente de la jeunesse orthodoxe ».

Les Églises et les monastères de Pologne sont visités chaque année par des pèlerins du Patraircat de Moscou. En décembre 2011, un groupe de cent pèlerins présidés par l’archevêque Georges de Nijny Novgorod et d’Arzamas et l’évêque Benjamin de Penza et de Kouznetsk a ainsi visité la Pologne.

La collaboration de nos Églises embrasse les aspects les plus différents de la vie ecclésiale et il est impossible de développer tous ces aspects dans le cadre d’une interview.