Le 15 mars 2011, le métropolite Hilarion de Volokolamsk s’est rendu à la Faculté de musique de l’Université de Fribourg, où il a prononcé une conférence sur le thème « Les psaumes dans la tradition orthodoxe ». L’auditoire se composait du cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, les enseignants et étudiants de l’Université de Fribourg.

Votre Éminence, cardinal Kurt Koch,

Éminences, Monsieur le recteur, honorable assemblée de l’Université du canton de Fribourg, mesdames et messieurs,

Avant de commencer mon exposé, j’aimerais exprimer ma reconnaissance à mes collègues professeurs, ainsi qu’au Conseil municipal d’état qui m’ont élu professeur titulaire de l’Université de Fribourg. C’est un grand privilège, et je m’efforcerai d’honorer la confiance qui m’est faite.

Des liens chaleureux m’unissent de longue date à l’université et au corps professoral. J’enseigne depuis déjà longtemps les disciplines dogmatiques à la faculté de théologie, je représente l’Église orthodoxe russe dans le cadre de différents programmes visant au renforcement des relations inter-chrétiennes. Grâce à l’étroite coopération entre le recteur de l’Université de Fribourg et le Patriarcat de Moscou, de nombreux étudiants des établissements d’enseignement religieux de l’Église orthodoxe russe ont effectué un stage à la Faculté de théologie de Fribourg, y ont soutenu des thèses de doctorat ou des mémoires de maîtrise.

Je collabore avec l’université non seulement en tant qu’enseignant, mais également en qualité de recteur de l’École doctorale Saints-Cyrille-et-Méthode de l’Église orthodoxe russe, un établissement dont l’objectif est de préparer des cadres qualifiés, futurs enseignants, diplomates et administrateurs de l’Église russe. Je suis heureux de voir aujourd’hui signé un accord entre l’École doctorale et l’Université de Fribourg, ouvrant des perspectives nouvelles et très étendues de collaboration et de coopération.

Malheureusement, je suis ces derniers temps trop occupé par mon poste de Président du Département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou pour venir à Fribourg aussi régulièrement que les années précédentes. C’est pourquoi j’éprouve une joie particulière à prononcer de nouveau une conférence dans les murs si chers de l’Université de Fribourg.

Le livre des psaumes

Le Psautier est l’un des principaux livres de la bible. On retrouve l’appellation « Psautier », avec différentes variations phonétiques, dans toutes les Églises européennes, y compris l’Église russe. L’original porte le nom de Sepher Tehillim, qui signifie en hébreu ancien « livre des louanges ». L’appellation familière de « psautier » apparaît pour la première fois chez Philon d’Alexandrie. Il renvoyait dans la tradition grecque à un instrument à cordes pincées, le psaltérion, qui ressemblait à la lyre ou à une harpe de petite taille. Nous retrouvons la même appellation dans la Bible d’Alexandrie (Ve siècle de notre ère). Dans le codex du Vatican (IVe siècle), ce livre est appelé « psaumes », avec pour sous-titre « Livre des psaumes ». Le mot « psaume » est d’origine grecque et vient du verbe « psallo », qui signifier « chanter », mais aussi « jouer, faire vibrer les cordes ». La dénomination d’origine du livre, « Sepher Tehillim » est naturellement plus intéressante. Le mot « tehillim » vient de la racine « hl », qui signifie « louer » et renvoie donc mieux au contenu du livre.

Quoiqu’il en soit, le Livre des louanges, ou Psautier, était intégré à la troisième section de la Bible hébraïque antique, le Ketouvim, les deux autres parties étant la Thora (loi) et les Nevi’im (les prophètes). L’autorité du Psautier était déjà très grande à l’époque vétérotestamentaire. Une sentence du Christ, tirée de l’évangile de Luc, permet de conclure que le Psautier donnait son nom à toute la 3e partie de la Bible. « Il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes », dit le Seigneur (Lc 24, 44).

Dans la tradition vétérotestamentaire, le Livre des louanges était divisé en 5 parties. La tradition de l’Église orthodoxe l’a divisé en 20 parties, ou cathismes.

Suivant le contenu des psaumes, on parle parfois de psaumes de louanges et d’action de grâce, de psaumes de supplication, de psaumes sapientiaux et de psaumes messianiques.

Les noms des auteurs des psaumes ont été en partie conservés par les en-têtes : Moïse, David, Solomon, Etham, Eman, Yedouthoun et d’autres. Près de la moitié des psaumes sont attribués au roi David, ce qui explique que tout le livre soit justement appelé Psautier du roi David.

Le Psautier est unique en ce qu’il révèle l’immense expérience spirituelle du peuple de Dieu. Il s’agit d’un recueil exceptionnellement riche de pensées élevées, décrivant les sentiments de pieté et les aspirations des meilleurs représentants de ce peuple, des rois, des prophètes et des docteurs. Les auteurs des psaumes, ou psalmistes, expriment leur amour pour Dieu, ils chantent la permanence de sa providence pour son peuple, ils l’appelent à l’aide, réfléchissent sur l’homme et sur l’histoire du monde créé par Dieu. Il n’est aucun aspect de la théologie qui ne trouve son reflet dans les pages du Psautier, ses sentences étant déterminantes, axiomatiques pour tous les domaines de la science de Dieu.

Ainsi peut-on affirmer avec certitude que les psaumes disposent, aussi bien dans l’Église vétérotestamentaire, que dans l’Église du Nouveau Testament, d’une autorité absolue.

Le Christ lui-même priait avec les psaumes et les citait souvent, tandis que ses apôtres se tournaient le plus souvent vers cette source de sagesse et de sainteté.

Les épîtres de l’apôtre Paul soulignent l’importance et la nécessité de « réciter des psaumes » (Eph 5, 19), de « s’instruire en toute sagesse par des admonitions réciproques (…), par des psaumes » (Col 3, 16). Dès l’origine de l’Église, le chant (la lecture) des psaumes en commun acquiert une importance particulière. A l’exemple de Jésus Christ et des apôtres, l’Église des premiers siècles du christianisme recourt souvent aux psaumes pour la prière (Eph 5, 19 ; Col 3, 16 ; I Cor 14, 26).

Le Psautier est en effet avant tout un livre de prière. L’expérience de prière est transmise directement au croyant par ce livre, sans réflexion intellectuelle superflue venant en obscurcir la pureté et la vitalité.

C’est précisément l’esprit de prière qui unit tous les hymnes entrés au Psautier. En ce sens, l’identité de leur auteur perd de son importance, car ils constituent la prière uniforme, ininterrompue du peuple de Dieu au Créateur. Chaque phrase de ce grand livre est à l’unisson de la Bible dans son ensemble, tandis qu’il est impossible de se représenter la Parole de Dieu sans le livre des louanges, le Psautier inspiré.

Bien plus, la qualité des prières des psalmistes les démarque du nombre des autres prières. Ils s’adressent parfois à Dieu avec une certaine audace, emploient des mots forts, toujours prêts à « rendre compte de leur espérance » à chaque instant, coûte que coûte. Quel cœur pur faut-il avoir pour s’adresser ainsi sans crainte à Dieu : « Seigneur mon Dieu, si j’ai fait cela, laissé la fraude sur mes mains, si j’ai rendu le mal à mon bienfaiteur, en épargnant sans raison mon adversaire, que l’ennemi poursuive mon âme et l’atteigne ! Qu’il écrase ma vie contre terre et relègue mes entrailles dans la poussière ! » (Ps 7, 4-6). Ou : « J’ai gardé les voies du Seigneur sans faillir loin de mon Dieu. Ses jugements sont tous devant moi, ses décrets, je ne les ai pas écartés, je suis irréprochable envers lui, je me garde contre le péché » (Ps 17, 22-24). Ses mots audacieux des psalmistes expriment leur sentiment de proximité filiale avec Dieu qui est leur « force », leur « roc », leur « forteresse » et leur « libérateur », leur « rocher, bouclier et force de salut », leur citadelle (Ps 17, 2-3). Pleins d’amour filial, ils appelent Dieu leur « berger » qui paît son peuple « sur des prés d’herbe fraîche » et le mène sur « les eaux du repos » (Ps 22, 1-2), se décrivant eux-mêmes comme le « troupeau de son bercail » (Ps 99, 3).

Cette approche du livre des psaumes, qui consiste à voir en lui avant tout un livre de prière et non un traité de théologie oblige à se pencher sérieusement sur son texte d’un point de vue littéraire et stylistique. L’analyse littéraire du Psautier met d’emblée en évidence la dimension poétique du livre. Les écrits législatifs, les livres historiques exigent du lecteur d’importants efforts intellectuels, tandis qu’un texte en langue poétique atteint directement le cœur. Tel est le propre de la poésie : l’expression condensée du sens, dont la transmission se fait en grande partie entre les lignes, échappant à la logique familière des lois ordinaires de la communication. C’est ainsi qu’apparaît la langue du Psautier. Le Psautier est poétique et musical plus qu’aucun autre livre de la Bible.

Pour cette raison, afin de pénétrer le sens véritable d’un psaume, il convient de mettre en œuvre nos connaissances des moyens d’expression poétiques et musicaux.

On ne saurait ainsi comprendre de nombreux psaumes sans prendre en compte leur structure, leur composition, leur rythme. Le rythme est l’une des principales lois du monde créé par Dieu, des macrorythmes cosmiques du soleil et des planètes au rythme du cœur humain.

Le rythme intérieur d’une œuvre peut être exprimé par différents procédés poétiques et sémantiques. Il s’agit des répétitions, des parallèles sémantiques, des retours, des refrains. Bien entendu, ces répétitions ne sont pas mécaniques, mais, en se superposant au processus de développement de l’idée principale, elles permettent une immense variété d’approches et de sonorités, chaque fois plus riches et plus pénétrantes.

L’étude des psaumes en tant qu’œuvres poétiques exige de prendre en compte le symbolisme et le métaphorisme de la langue, inhérents à la poésie. Toute étude sérieuse des psaumes sous-entend l’étude de leur symbolique. Nous désignerons les exemples les plus significatifs, parmi les multiples symboles et métaphores rencontrés dans les psaumes.

La voie est l’un des principaux symboles, dès le premier psaume (le chemin des justes et le chemin des impies).

Le cœur, symbole extrêmement important non seulement dans le Psautier, mais encore dans toute la Bible. Le cœur symbolise l’essence la plus profonde de l’homme, déterminant les particularités de sa personnalité. Le cœur a la même signification dans la culture moderne, c’est pourquoi l’on peut dire que la symbolique du cœur est l’un des archétypes de la conscience humaine.

De façon générale, dans la symbolique des psaumes, les parties du corps humain vivent leur vie propre. Le Seigneur ne dirige pas le psalmiste lui-même sur ses voies, mais ses jambes, il ne laisse pas le pied du juste glisser. Tous mes os diront : Seigneur, qui est semblable à toi ? s’exclame le psalmiste. Éprouve mes reins et mon cœur, implore-t-il.

Un autre type de métaphore, souvent rencontré dans le Psautier, est la ressemblance des sentiments et des états émotionnels avec les pièces de vêtement. Le Seigneur se revêt de puissance et s’en ceint. Les ennemis du Seigneur s’habillent de honte ou de malédiction. Dieu revêt le juste de joie. Le sens symbolique de la ceinture paraît très fort, si l’on se souvient qu’on y passait le glaive, dans l’Antiquité,.

On rencontre également dans les psaumes des symboles comme la pierre, qui signifie la fermeté, la fiabilité, et au contraire le symbole du marécage, qui désigne le danger, l’instabilité, la fragilité. L’eau est un autre grand symbole biblique. Le champ sémantique du terme « eau » peut être très large et dépend du contexte. Les eaux qui envahissent le psalmiste jusqu’à l’âme peuvent ainsi exprimer le désespoir, le sentiment d’un péril.

D’un autre côté, bien que les psaumes aient une composante littéraire et musicale exceptionnelle, on ne doit pas, bien entendu, oublier que le Psautier est une source de vérités théologiques pour tous les temps. Mais la théologie des psaumes ne part pas d’un raisonnement froid, elle part du cœur brûlant du croyant. Cette particularité est déterminante pour la théologie du Psautier, imagée et facilement lisible. Et pourtant, pratiquement tous les grands thèmes de la Révélation divine sont développés dans le Psautier. Ce n’est pas un hasard s’il est parfois appelé la petite Bible. Il parle de la création du monde, du bien et du mal, du péché et de la vertu. De nombreux psaumes décrivent les attributs divins, la puissance, la sainteté, la sagesse, l’amour, la justice et la miséricorde de Dieu.

Le culte du nom de Dieu occupe une place centrale dans le Psautier, où il est dit que le nom de Dieu est grand, glorieux, saint et redoutable, où il est un objet d’amour, de louange, de vénération, d’espérance, de crainte, de glorification. Citons quelques versets particulièrement expressifs mentionnant le nom de Dieu :

1)     Seigneur notre Dieu ! Qu’il est grand ton nom par tout l’univers (8, 2)

2)     Magnifiez avec moi le Seigneur, exaltons tous ensemble son nom (33, 4)

3)     O Dieu, par ton nom, sauve-moi (53, 3).

4)     En Juda Dieu est connu, en Israël grand est son nom (76, 2).

5)     Délivre-nous, efface nos péchés à cause de ton nom (78, 9).

6)     Toutes les nations que tu as faites viendront se prosterner devant toi et rendre gloire à ton nom, Seigneur (85, 9).

7)     Chantez au Seigneur, bénissez son nom (95, 2).

8)     Saint et redoutable est son nom (110, 9).

9)     Seigneur, ton nom à jamais ! (134, 13).

10)Je bénis ton nom toujours et à jamais (144, 1).

Le Psautier occupant une place centrale dans la liturgie orthodoxe et les hymnes et les prières proprement chrétiennes étant elles-mêmes nourries de la structure et de la phraséologie des psaumes, on ne s’étonnera plus de ce que le culte vétérotestamentaire du nom de Dieu soit intégralement passé à l’office orthodoxe, dont il est devenu partie intégrante. Des expressions comme « le nom de Dieu », « le nom du Seigneur » reviennent sans cesse dans les textes liturgiques. Dans bien des cas, « le nom de Dieu » est synonyme du mot « Dieu » et l’adoration du nom de Dieu est entendue comme adoration rendue à Dieu.

La théologie du Psautier est une théologie du Dieu vivant qui « ne dort ni ne sommeille » (Ps 120, 4). Il « bâtit comme les hauteurs son sanctuaire » (Ps 77, 69), il est proche de l’homme et de son peuple, tout-puissant sur les forces du mal (Ps 90), sur sa création (Ps 106, 25-29) sur les hommes et leur histoire (Ps 67, 15). Il est « le Très-haut, le redoutable » (Ps 46, 3), revêtu de puissance et de majesté (Ps 92). Il connaît les pensées de l’homme (Ps 93, 11), il entend tout et il est impossible de se dérober à lui (Ps 138, 2). Il est le Dieu omniscient (Ps 146, 4) et omniprésent.

Dans les psaumes, nous lisons : « Où irai-je loin de ton esprit, où fuirai-je loin de ta face ? Si j’escalade les cieux tu es là, qu’au shéol je me couche, te voici. Je prends les ailes de l’aurore, je me loge au plus loin de la mer, même là ta main me conduit, ta droite me saisit » (Ps 138, 7-10). En vérité, Dieu est partout présent, et personne ne se dérobe à sa face.

Le christianisme envisage l’Ancien Testament à travers le prisme de la révélation néotestamentaire sur le Christ. C’est pourquoi le chrétien discerne le Christ dans la plupart des versets que la tradition juive rapporte au peuple d’Israël, au roi David ou au messie attendu.

Ainsi, les versets « Lève-toi », « ressuscite, Seigneur » sont rapportés par la tradition chrétienne à la résurrection du Christ. Là où le texte évoque la captivité, on parlera de captivité du péché ; les noms des peuples ennemis d’Israël deviennent des ennemis spirituels et Israël lui-même signifie désormais le peuple de l’Église. Les appels à battre l’ennemi sont un appel à la lutte contre les passions, la fuite d’Égypte, le retour de Babylone désigne notre salut en Christ.

Suivant les calculs des spécialistes, l’Ancien Testament contient en tout plus de 450 prophéties sur le Christ. Pas moins de 100 figurent au Psautier. Au nombre des psaumes messianiques, on trouve plusieurs hymnes mentionnant le Fils de Dieu (Ps 109).

Certains psaumes parlent du Fils de Dieu comme du Roi et de l’Oint. La tradition chrétienne leur a depuis longtemps donné une interprétation messianique (Ps 2, 1-12).

Pour la tradition chrétienne, le psaume 21 évoque les souffrances de Jésus Christ sur la croix : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, je peux compter tous mes os, les gens me voient, ils me regardent » (Ps 21, 2, 8-9, 15-21).

On trouvera des prophéties sur le Messie à venir dans de nombreux autres psaumes. Ps 15, 10, en particulier est perçu comme une évocation de l’ensevelissement et de la résurrection du Christ le troisième jour. La première partie du psaume 44 (2-9) renvoie au Christ, la seconde partie (10-16) à la Mère de Dieu. Certains versets des psaumes 68 et 117 semblent figurer la passion du Christ. Le psaume 71, selon la tradition chrétienne, évoque la justice du Messie. Dans le psaume 108 (en particulier les versets 6-20), on voit une prophétie sur Judas le traître. La tradition chrétienne envisage un grand nombre des versets du psaume 118 comme écrits au nom du Christ.

Le psaume 109 est particulièrement important, dans la mesure où il exprime les principales notions de la christologie : « Oracle du Seigneur à mon Seigneur, siège à ma droite » (Ps 109, 1), « A toi le principat au jour de ta naissance, les honneurs sacrés dès le sein » (Ps 109, 3), « Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech » (Ps 109, 4), etc.

Le Christ est acclamé dans le Psautier comme le Roi (Ps 2, 19, 20, 23, 71, 109), l’Agneau immolé (Ps 21) ; le bon Pasteur (Ps 22) ; le Roc (26, 5 ; 39, 3).

C’est précisément cette christologie exceptionnellement profonde et vivante qui fait voir à l’Église dans le Psautier le recueil des prières du Christ lui-même.

Les Pères de l’Église sur les psaumes

Quelques mots sur les Psaumes chez les Pères de l’Église. Les Pères voient dans le Psautier inspiré une clé permettant de comprendre les Saintes Écritures dans leur ensemble. Les psaumes ont été le premier livre liturgique de l’Église, dès les temps apostoliques.

Saint Athanase le Grand disait du Psautier : « Dans ce livre, toute la vie humaine, nos états d’âme, les mouvements de nos pensées sont mesurés et décrits, on ne trouvera rien de plus dans l’homme que ce qui y est représenté[1] ». Selon la remarque de saint Athanase, les psalmistes « exposent leur discours au nom des lecteurs, identifiant leur âme avec l’âme et le cœur du lecteur. De là vient que le lecteur et le chantre des psaumes ne lit pas et ne chante pas quelque chose d’étranger à lui, mais ce qui lui est propre, il parle de lui-même ».

Selon saint Basile le Grand, « Le livre des psaumes embrasse tout ce que représentent les autres livres saints. Il prophétise l’avenir, il remet le passé en mémoire, il donne des lois et des règles » (Homélie sur les psaumes, préface). Quant au nom du livre, saint Basile le Grand affirme : « Tout a été rassemblé dans le livre des psaumes, comme dans un grand trésor commun. Les psaumes, que le prophète a adapté au dit psaltérion, choisi parmi bien d’autres instruments de musique, donnant ainsi à comprendre, me semble-t-il, que c’est la grâce donnée d’en haut, de l’Esprit, qui fait entendre sa voix. Dans cet instrument de musique, en effet, le son vient d’en haut. Si dans la cithare et les timbales le cuivre sonne sous l’archet, on tire des sons harmonieux du psaltérion par en haut, afin que nous nous efforcions de chercher ce qui vient d’en haut et que nos passions charnelles ne s’arrêtent pas à la suavité du chant. La parole prophétique, dis-je, nous montre providentiellement et sagement par cet instrument que les hommes dotés d’une âme belle et bien disposée peuvent facilement s’élever vers les hauteurs. » Le psaltérion, selon lui, surpasse les instruments à vent, dans la mesure où en sonnant du cor ou en jouant du chalumeau, on ne peut parler et louer le Créateur.

Basile le Grand écrit encore : « Ici nous sont données une théologie parfaite, la prophétie de l’avènement du Christ dans la chair, la menace du jugement divin. Ici nous sont offertes l’espérance de la résurrection et la crainte des tourments. Ici nous est promise la gloire, nous sont révélés les mystères. Tout est au livre des Psaumes, comme dans un grand trésor universel » (Œuvres de Basile le Grand, 4e tome, p. 177).

Saint Augustin a laissé une œuvre magistrale, un commentaire des psaumes, tandis que Grégoire de Nysse est l’auteur du traité Sur les titres des Psaumes.

Le bienheureux Théodoret remarque qu’à son époque « le cantique spirituel de David » illuminait les chrétiens « dans toutes les églises par tout l’univers ».

La révélation néotestamentaire a permis de découvrir plus en plus profondeur le sens des images vétérotestamentaire et des prophéties du Psautier. Elle a offert la possibilité de chanter tous les psaumes « non pas dans l’ancienneté de la lettre, mais dans le renouveau de l’esprit ».

Le Psautier dans la liturgie orthodoxe

La pratique liturgique des disciples du Christ, en dehors du temple et de la synagogue, était vraisemblablement fondée sur le chant des psaumes (voir « après le chant des psaumes » en Mt 26, 30 et Mc 14, 26), le prêche et la lecture de l’Écriture (Ancien Testament).

L’office monastique des IVe – Ve siècles était essentiellement composé du chant ou de la lecture des psaumes.

Dans l’Église chrétienne, le Psautier est le livre liturgique le plus employé, des psaumes particuliers étant lus ou chantés à chaque office, en entier (hexapsalme, heures canoniques) ou sous la forme de versets appelés prokimenon. Par ailleurs, la lecture suivie du Psautier est pratiquée en permanence dans l’Église orthodoxe. Suivant le Typicon, le Psautier doit être lu entièrement durant la semaine ; pendant le Carême, le Psautier est lu deux fois sur toute la semaine dans les paroisses orthodoxes.

Auteur de plusieurs psaumes pénitentiels, le roi David a fait l’expérience douloureuse du péché et du repentir, de l’aide de Dieu et du châtiment divin, de la miséricorde du Seigneur envers le pécheur repentant. Dans la mémoire de l’Église, cet homme est resté avant tout celui qui nous a appris le repentir et la prière. Et les plus puissantes complaintes pénitentielles qu’ait jamais prononcé l’homme qui nous soient parvenues sont les psaumes du roi David. Il n’est pas de prière plus empreinte de contrition que le psaume 50 et bien d’autres psaumes. Ce n’est pas un hasard, si l’Église, durant le Grand Carême, nous invite à lire le Psautier avec un zèle particulier. Elle le fait afin de susciter en nous les sentiments de repentir dont respirent les psaumes, qu’a éprouvés et chantés le prophète David.

Ce n’est pas un hasard non plus si dans le grand canon de saint André de Crète, lu durant la première semaine du Grand carême, il est dit du psaume 50 « Aie pitié de moi, ô Dieu dans ta grande bonté » que David l’écrivit « telle une icône qu’il dessina ». Ce psaume est en quelque sorte l’icône verbale du repentir que nous devons apporter chaque jour à toute heure.

Saint Jean Cassien nous renseigne sur l’office quotidien des monastères d’Égypte, de Palestine et de Mesopotamie. Il commence ainsi sa description de l’office nocturne : « La règle est différente partout, et nous voyons, pour ainsi dire, autant d’usages qu’il y a de monastères et de cellules[2]. » En Égypte et en Thébaïde, aux vêpres et durant l’assemblée nocturne, on lit 12 psaumes, y ajoutant deux lectures tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament[3]. Les psaumes, remarque Jean Cassien, ne sont pas lus à la suite, mais divisés en deux ou trois stances, durant la lecture desquelles seul le lecteur est debout, les autres moines étant assis sur de petits tabourets[4]

Les psaumes n’entrent pas seulement en tant que tels à l’office, des versets leur sont abondamment empruntés dans d’autres cantiques et prières, tissés de citations du Psautier. Ainsi, aux vêpres, entre deux ecténies (si l’on célèbre des vêpres avec entrée), ou avant la première ecténie (s’il n’y a pas d’entrée), lit-on la prière « Daigne Seigneur, ce soir nous garder sans péché ». Cette prière se compose de différents versets bibliques. Le verset « Tu es béni, Seigneur, Dieu de nos Pères, et ton nom est loué et glorifié dans les siècles » est emprunté au cantique des trois jeunes gens du Livre de Daniel (3, 26)[5]. Sont tirés du Psautier les versets « Seigneur, ta miséricorde est pour les siècles, comme en toi repose notre espoir » (32, 22), « Tu es béni, Seigneur, enseigne-moi tes jugements » (118, 12), « Seigneur, ta miséricorde est pour les siècles, ne méprise pas l’œuvre de tes mains » (137, 8). Dans l’Église orthodoxe russe, cette prière est chantée aux vêpres du dimanche et des jours de fête.

Les vêpres dominicales et festives s’achèvent, comme la liturgie, par le chant du « Que le nom du Seigneur soit béni », celui du psaume 33 et la bénédiction du prêtre, suivie du congé.

L’élément constitutif de l’office de minuit quotidien est la lecture du psaume 118, divisé en trois parties. La tradition orientale chrétienne a toujours traité le psaume 118 avec une dévotion particulière : il est reçu comme un psaume messianique prononcé au nom du Christ. Dans le même temps, le psaume 118 est considéré comme un compendium de vie ascétique, dans lequel David décrit la vie des saints, leurs exploits, leurs afflictions, leurs labeurs, l’opposition des démons, les mille et une pensées qu’ils leur insiduent, les filets et autres procédés, en même temps que les moyens par lesquels les saints parviennent à la victoire. La loi, la parole de Dieu, la patience, l’aide d’en-haut et, enfin les récompenses, les couronnes qui suivent les travaux[6]

L’hexapsalme, lu au début des matines est un choix de psaumes les plus propices par leur ton à la pénitence et à la louange. Les psaumes 3 et 37 expriment un sentiment de trouble intérieur, qui évolue en espérance dans le Seigneur. Le psaume 62 est pénétré de la soif dévorante de Dieu, d’un puissant attrait pour Dieu. Le psaume 87 est une prière matinale invitant en même temps au memento mori. Le psaume 102 contient une louange solennelle à Dieu, créateur du monde visible. Le psaume 142 nous renvoie à l’état d’esprit du psaume 3 et se termine par une demande d’aide et de libération de la tristesse et de l’acédie. A la fin de chaque psaume, on répète un ou deux versets particulièrement expressifs, résumant en quelque sorte le contenu de l’hymne.

A la fin des cathismes, aux matines du dimanche et des jours de fête, on chante le « polyeléos », les psaumes 134 et 135. Dans la plupart des paroisses, cependant, on ne chante que quatre versets de ces psaumes.

Les petites heures ont toutes la même structure, elles comprennent trois psaumes, la lecture du tropaire et du kondakion du jour, l’invocation « Seigneur, aie pitié » répétée 40 fois, une prière commune à toutes les heures et une prière propre à l’office récité.

Le récit évangélique de la Sainte Cêne (Mt 26, 26-29 ; Mc 14, 22-25 ; Lc 22, 19-20 ; Jn 13, 1-30 ; I Cor, 11, 23-25) ne décrit pas en détail le repas pascal, sans doute parce que le rite en était connu de tous. Cependant, certains détails du récit montrent que la Sainte cêne était précisément un repas pascal. Les Évangiles mentionnent en particulier la préparation de la table pascale (Mt 26, 19 ; Mc 14, 16 ; Lc 22, 13) : la bénédiction et la fraction du pain (Mc 14, 22 ; Mt 26, 26 ; Lc 17, 19), l’action de grâce au-dessus de la coupe de vin (Mc 14, 23 ; Mt 26, 27 ; Lc 17, 17), le pain trempé dans une sauce d’herbes amères (Jn 13, 26), le chant du psaume à la fin du repas (Mt 26, 30 ; Mc 14, 26).

La liturgie eucharistique dans l’Église paléochrétienne conservait bien des traits du repas pascal juif (de même que la Pâque chrétienne a conservé le symbolisme de la pâque juive). Chaque Eucharistie ressemblait au repas pascal juif. L’accent était mis sur l’action de grâce. On y lisait les livres de l’Ancien Testament, on y prononçait de longs prêches (Ac 20, 9, 11), on y interprétait des « psaumes de louanges et des cantiques spirituels » (Col 3, 16), « des psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés » (Eph 5, 19).

Les Constitutions apostoliques, cette compilation remontant à la seconde moitié du IVe siècle, mais contentant des fragments considérablement plus anciens reflétant les usages liturgiques syriens, comportent une description très détaillée du cérémonial liturgique. La première partie de la liturgie eucharistique, la liturgie des catéchumènes, commence par une lecture de l’Ancien Testament, entrecoupée de psaumes de David : un chantre entonne les versets du psaume, et le peuple reprend la dernière partie des versets. Ensuite, le diacre ou le presbytre lisent l’Évangile, que l’assistance écoute debout, dans un « profond silence ».

La lecture de l’Apôtre à la liturgie est précédée du chant du prokimenon, ou répons, verset tiré d’un psaume. A la fin de l’Apôtre, on chante à trois reprises « alleluia », alternant chant et lecture de versets choisis des psaumes.

Tout ceci témoigne de la place centrale du Psautier dans la liturgie orthodoxe. La liturgie toute entière est tissée de versets des psaumes, qui en forment la trame.

Les psaumes du roi David sont depuis des siècles une source d’inspiration pour les compositeurs et les chantres. David lui-même, suivant la Bible, s’accompagnait d’une lyre. Suivant l’usage liturgique juif, les psaumes étaient interprétés par un chœur ou par des solistes accompagnés de différents instruments à cordes, à vent ou à percussion.

Dès l’origine, cependant, l’Église orthodoxe a renoncé à l’emploi liturgique des instruments de musique, à l’exception des cloches, placées en dehors de l’église et appelant les fidèles à l’office. Dans l’Église orthodoxe, les psaumes sont interprétés par le chœur ou lus par le lecteur. Dans ce cas, nous n’entendons que le texte du psaume. Lorsqu’il est chanté, la musique, ce languge universel capable d’exprimer ce que les mots ne peuvent dire, se surajoute aux mots. Je pense que la composante musicale du Psautier pourrait faire l’objet d’une thèse de doctorat. J’espère que cette recherche sera un jour effectué à l’Université de Fribourg. Je suis prêt à prendre la direction de ce travail à la fois en tant que professeur titulaire de l’université et en qualité de recteur de l’École doctorale Saints-Cyrille-et-Méthode, avec laquelle l’Université a signé aujourd’hui un contrat de collaboration et de coopération.

Je vous remercie de votre attention.


[1] Athanase le Grand, Tvorenia (Œuvres), t. 4, Moscou, 1994.

[2] Saint Jean Cassien, Institutions cénobitiques 2, 2.

[3] Ibid, 2, 4.

[4] Ibid, 2, 11-12.

[5] Dans la Bible des Septante.

[6] Cf Athanase d’Alexandrie, Commentaire sur le psaume 118. PG 27, 480 C.