Le 20 juin 2020, le métropolite Hilarion de Volokolamsk a répondu aux questions de la présentatrice Ekaterina Gratcheva, dans l’émission « L’Eglise et le monde » (Tserkov’ i mir), diffusée sur la chaîne de télévision « Rossia-24 » les samedis et les dimanches,.

E.Gratcheva : Bonjour ! Ici l’émission « L’Eglise et le monde ». Nous interrogeons le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, sur l’actualité de l’Eglise et du monde. Monseigneur, bonjour.

Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina. Bonjour, chers frères et sœurs !

E.Gratcheva : Monseigneur, l’église des forces armées a été inaugurée récemment dans le parc d’Alabino, en région de Moscou. Le recteur en sera le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie. Y célébrera-t-il souvent, compte tenu du fait que c’est en région de Moscou ? Qui seront les paroissiens de cette église ?

Le métropolite Hilarion : Je pense que le patriarche y célébrera assez souvent. Les paroissiens seront principalement des militaires. J’envisage cet évènement du point de vue de mon expérience de service militaire. A l’époque déjà lointaine où j’ai fait mon service, j’étais un jeune orthodoxe, mais toute présence de l’Église dans l’armée soviétique était interdite. Je me souviens que je restais assis le soir, à la fenêtre, je voyais passer les soldats, les conscrits, les officiers et je me disais : il serait incroyable de voir passer un prêtre en soutane ici. Cela me paraissait totalement impossible, parce que l’armée et l’Église étaient deux mondes parallèles.

Aujourd’hui, ces deux mondes sont en contact, et cela me réjouit. Les militaires ont besoin d’une pastorale, ils ont besoin de la présence de l’Église. Le fait qu’il y ait des aumôniers militaires, le fait que la frontière artificielle qui séparait l’armée de l’Église n’existe plus, le fait que l’armée ait maintenant sa propre église est tout à fait remarquable et important.

E.Gratcheva : Le Jour de la Victoire, déplacé du 9 mai au 24 juin, approche, ainsi que le référendum sur les amendements à la Constitution. Je voulais vous demander quelles normes pensez-vous qu’il faille inscrire dans la Constitution pour perpétuer la mémoire de l’héroïsme du peuple soviétique, et j’insiste sur le mot soviétique ?

Le métropolite Hilarion : Il est très important que soit souligné dans la Constitution la continuité juridique entre l’Union soviétique et la Fédération de Russie. Les amendements qui sont proposés touchent à différentes sphères d’activité, différents domaines de la vie. Il y en a qui concernent la moralité, d’autres la sphère sociale, il y a celui qui oblige à perpétuer la mémoire de nos victoires, avant tout de la victoire dans la Grande guerre patriotique. Ce n’est pas par hasard que l’adoption de ces amendements coïncide avec le 75e anniversaire de la victoire. J’espère que les normes proposées au référendum serviront à affermir notre pays et notre peuple, aideront à ne pas oublier les leçons du passé. Ni les victoires, ni les évènements tragiques.

(…)

E.Gratcheva : Les médecins disent tous qu’on ne peut pas aider un alcoolique s’il ne veut pas lui-même se débarasser de sa dépendance. Les prêtres peuvent-ils apporter une aide ?

Le métropolite Hilarion : Oui, et nous connaissons plusieurs méthodes. La confession, d’une part, les entretiens avec son père spirituel. Les groupes d’alcooliques et de toxicomanes anonymes, que beaucoup de paroisses ont organisés. Les gens s’y retrouvent régulièrement, échangent avec le prêtre, non seulement pour parler de leurs problèmes personnels, mais pour se libérer de leur dépendance pas à pas. Il existe tout un programme, qui commence par la prise de conscience du malade : je ne peux me tirer moi-même de ma dépendance, j’ai besoin d’une force extérieure et je dois m’adresser à elle. Ensuite, pas à pas, d’étape en étape, la personne, dirigée par le prêtre, soutenue par les sacrements, renaît spirituellement. La renaissance spirituelle est bien le but recherché dans cette démarche.

E.Gratcheva : Le christianisme enseigne à ne pas juger le pécheur, mais son péché, par exemple l’excès de boisson, la dépendance à l’alcool. L’abus d’alcool et le recours aux psychotropes est particulièrement répandu dans le milieu artistique. Les acteurs, notamment, travaillent beaucoup avec leur psychisme, sur lequel l’alcool a une action. Quelle sublimation, quel remplacement à l’alcool l’Église peut-elle proposer aux artistes ?

Le métropolite Hilarion : Le christianisme, à la différence, par exemple, de l’islam, n’a jamais exigé le renoncement total à l’alcool, mais il invite à la modération, à ne pas abuser des alcools forts, à se contrôler. Je pense que le meilleur succédané à l’alcool est l’inspiration artistique. Les artistes savent ce qu’est l’inspiration. Je le sais aussi, et je sais que la boisson et l’inspiration ne sont pas compatibles.

E.Gratcheva : Parlons maintenant des États-Unis : des manifestations de protestation se poursuivent, faisant suite au meurtre de deux personnes de couleur pendant leur arrestation par la police. Des monuments historiques ont été visés : de nombreux personnages historiques sont accusés d’avoir eu des esclaves. Même Christophe Colomb, découvreur de l’Amérique, a été visé, ses monuments ont été démontés. Que pensez-vous de cette « guerre contre les monuments », ces accusations contre des gens qui ont vécu il y a des centaines d’années sont-elles justifiées ? Si oui, faut-il déboulonner les monuments ?

Le métropolite Hilarion : Il est difficile de donner une réponse claire à cette question. Il y a des monuments qu’il faut démonter lorsque les époques, les idéaux changent, lorsqu’on prend conscience des erreurs du passé. C’est ainsi qu’on a démonté des centaines de monuments à Staline après la fin du culte de la personnalité. Mais quand on entend parler de monuments à la gloire des soldats de la Seconde guerre mondiale détruits, quand on démonte les monuments à de grands généraux, comme cela se fait en Europe, je ne peux pas être d’accord.

Quant à la seconde partie de votre question, certes, on ne peut pas appliquer nos modes de pensée d’aujourd’hui au passé. On vivait autrefois suivant d’autres normes, on s’exprimait autrement, on agissait autrement, et transposer automatiquement à l’humanité d’autrefois nos normes d’aujourd’hui, en particulier les normes dites libérales de l’Occident d’aujourd’hui, c’est réécrire l’histoire.

On ne peut pas réécrire l’histoire. Les gens vivaient dans le contexte qui était le leur. Ils agissaient en fonction des paradygmes de leur époque. Je pense qu’il faut rendre les honneurs qui leur sont dus aux grands hommes du passé en partant des normes qui existaient à l’époque, et non pas transposer artificiellement les nôtres au passé.

E.Gratcheva : Aux États-Unis, la lutte contre le racisme s’applique aussi aux arts. HBO, qui possède les droits du film « Autant en emporte le vent », l’a retiré de la distribution, promettant de le remettre en vente lorsqu’une présentatrice afro-américaine connue aurait préalablement préparé  un texte expliquant la nécessité de la lutte contre l’inégalité. Que pensez-vous de l’interdiction du film « Autant en emporte le vent », et que faire, par exemple, de notre Tchékhov ? Dans « la Cerisaie », un des personnages fait l’apologie de l’esclavage. Faut-il et peut-on réécrire les œuvres artistiques ?

Le métropolite Hilarion : Je ne crois pas possible de réécrire les œuvres d’art, de même qu’il est impossible de réécrire l’histoire. J’ai déjà dit, répondant à votre question précédente, que les gens agissaient et créaient en fonction des normes morales de leur époque, et qu’il n’est pas possible d’appliquer les nôtres aux œuvres d’art du passé.

D’un autre côté, les films anciens où les personnages fument sont souvent accompagnés, aujourd’hui, d’un message comme quoi fumer est nocif pour la santé. Je ne pense pas que ce soit un mal. Il n’y a pas si longtemps, fumer était admis : on fumait dans les transports, on fumait dans les réunions, aux sessions du parlement. Peu à peu, la lutte contre le tabagisme l’a démodé, fumer n’est plus prestigieux, on ne peut plus fumer dans les lieux publics. Ainsi, on ajoute aux vieux films dont les personnages ont sans arrêt la cigarette ou le cigare à la bouche, un message de prévention.

E.Gratcheva : Merci beaucoup, Monseigneur, d’avoir répondu à nos questions.

Le métropolite Hilarion : Merci, Ekaterina.

Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions des téléspectateurs, posées sur le site de l’émission « l’Église et le monde ».

Question : Saint Augustin écrit : « Sans l’Église, on peut croire en Dieu, sans l’Église on peut confesser la Sainte Trinité, tenir l’Évangile et même le prêcher. Mais la seule chose qu’on ne peut pas sans l’Église, c’est être sauvé ». Comment comprendre ces paroles du saint ? Si je crois en Dieu, si je m’efforce de vivre d’après ses commandements et me sacrifie pour mon prochain, mais si je ne vais pas à l’église, je ne serai pas sauvé ? Et ceux qui vont à l’église pour mettre un cierge et pensent à leurs affaires pendant toute la Liturgie seront sauvés ?

Le métropolite Hilarion : Chaque fois que j’entends dire que quelqu’un sera ou ne sera pas sauvé, je me demande à quel point nous avons le droit d’en juger ? C’est Dieu qui sauve, mais, comme disaient les Pères, Il ne sauve pas en dépit de l’homme. Dieu a déjà accompli tout ce qu’il fallait pour cela : Il s’est incarné, autrement dit, Il s’est fait  homme, Il nous a donné l’Église, dans laquelle nous pouvons participer aux Sacrements, recevoir en nous le Dieu incarné Lui-même par la communion à Son corps et à Son sang. De la part de Dieu, la voie du salut est déjà ouverte, et Dieu a tout fait pour. Mais le salut ne peut être imposé à l’homme, le salut est un don, et il dépend de chacun de l’accepter ou non, de répondre à cet appel.

Le Christ dit que la seule foi en Dieu n’est pas suffisante au salut. Les pharisiens et les scribes de l’époque de Jésus Christ étaient des gens très croyants. Ils observaient de multiples rituels et règles de vie, ils vivaient en justes. Néanmoins, c’est avec eux que le Christ entra en conflit, un conflit qui lui coûta la vie. Chacun répond différemment à l’appel de Dieu. L’un dira : je fais de bonnes œuvres, mais je ne vais pas à l’église ; et il espère être sauvé. Certes, mieux vaut faire de bonnes actions que de ne pas en faire. Bien plus, il y a plus de justice en l’homme qui fait de bonnes œuvres, qu’en celui qui va à l’église et n’accomplit pas de bonnes actions. L’apôtre Jacques disait déjà : la foi sans les œuvres est inutile (Jc 2,20) et les démons croient aussi, et ils tremblent (Jc 2,19). La foi doit, tout naturellement, s’exprimer dans les œuvres.

D’autre part, quand on pose la question : peut-on être sauvé sans l’Église, effectivement, les Pères, et pas seulement saint Augustin, qui n’est pas correctement cité ici, mais aussi saint Cyprien de Carthage et de nombreux autres, disent qu’on ne peut être sauvé sans l’Église. L’Église, c’est la communauté des disciples du Christ. Le Christ vous y invite et dit : « J’ai créé cette communauté pour te sauver, pour t’ouvrir les portes du Royaume des Cieux ». Vous pouvez, certes, ne pas répondre à cette invitation, mais inutile, alors, de poser la question du salut. On peut soit accepter la doctrine du Christ tout entière, soit la rejeter en bloc. On ne peut pas l’accepter partiellement. Si le Christ a créé l’Église pour ouvrir aux hommes la voie du salut, afin qu’ils puissent accéder à Dieu par les Sacrements, c’est la voie qu’il faut suivre.

Question : Une question sur un passage du roman de Dostoïevski « Les frères Karamazov ». Ivan Karamazov, rencontrant son frère Aliocha, dit qu’il n’accepte pas le monde de Dieu, où tous, torturés et tortionnaires, agneaux et pécheurs invétérés, vivront en harmonie et se pardonneront leurs péchés. A votre avis, prendra-t-on au Royaume de l’harmonie et de la vérité, dans l’au-delà, au paradis, tous les hommes, y compris les pécheurs, comme le général du roman et les derniers des malfaiteurs ? Le Seigneur peut-il pardonner à tous, comme le pensait Aliocha Karamazov ? Ou bien après leur mort les hommes seront-ils « triés » en fonction des péchés qu’ils auront commis durant leur vie, pour savoir qui ira au paradis, qui ira en enfer ?

Le métropolite Hilarion : C’est une question difficile. Les philosophes en discutent depuis des siècles. Dostoïevski pose aussi ces questions, mais ne leur donne pas de réponse définitive, parce qu’il n’existe tout simplement pas de réponse définitive.

Nous ne savons pas vraiment ce qui se passera au Royaume des Cieux. Nous savons que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Cela est dit clairement dans l’Écriture Sainte, c’est le désir de Dieu. Il n’y a pas d’homme que Dieu voudrait envoyer aux tourments éternels.

En Occident, il a existé une doctrine selon laquelle une partie des hommes serait prédestinée par Dieu au salut, et l’autre à leur perte. Le théologie saint Augustin, mentionné dans la question précédente, est l’un de ceux qui ont développé cette théorie.

Dans la tradition orientale, d’où découle naturellement notre tradition orthodoxe aujourd’hui, la réponse a toujours été la suivante : Dieu a prédestiné tous les hommes au salut, et veut que tout homme soit sauvé. Il y a de la place pour tout le monde au paradis. Le Christ disait : Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père (Jn 14,2). Seuls ceux qui ne l’auront pas voulu n’iront pas au paradis.

Mais où se produit ce que vous appelez le « tri » ? Pas dans l’au-delà, mais ici, sur terre. C’est ici que les hommes se rangent au côté de Dieu ou dans le camp de Son adversaire, le diable. Les uns choisissent une vie vertueuse, les autres une vie de vice. Le Jugement a lieu ici, sur terre, et se poursuit dans l’éternité. Notre vie éternelle dépendra de la façon dont nous aurons vécu sur terre. C’est ce principe fondamental qui détermine qui sera ou ne sera pas admis au Royaume céleste.

Nous savons, d’un côté, que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. D’un autre côté, on sait qu’il y a des gens qui ne veulent pas de ce salut, qui passent leur vie à s’opposer à Dieu, à lutter contre l’Église, contre la religion, à faire du mal aux autres. Comment peut-on dire que ces hommes auront les mêmes droits au Royaume céleste. C’est impossible.

Je terminerai cette émission en citant les Actes des Apôtres : C’est par la grâce du Seigneur Jésus que nous croyons être sauvés (Ac 15,11).

Bonne continuation, que le Seigneur vous garde tous.