Le métropolite Hilarion : « Mieux vaut prendre trop de précautions que sous-estimer le danger »
Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a donné une interview à la « Rossiïskaïa gazeta ».
- Le Vatican a décidé d’organiser des offices en ligne (les catholiques russes, d’ailleurs, n’ont pas suivi pour l’instant). Qu’en est-il chez nous ? Les offices de Pâques seront-ils célébrés en ligne ? Quelle décision a été prise ? Peut-elle changer ?
- La hiérarchie de l’Église orthodoxe russe n’envisage pas de lutter contre le coronavirus en fermant les églises, en limitant de force le nombre de fidèles à l’office ou en faisant passer entièrement la liturgie en mode « online ». Durant le Grand Carême et à Pâques, il y aura des offices réels, avec des paroissiens réels.
Cela ne veut pas dire que l’Église sous-estime la menace. Si le virus se répand et que le nombre de malades augmente, si les autorités publient de nouvelles directives pour lutter contre le coronavirus, l’Église y répondra. Ceci concerne autant l’Église en général que les diocèses, qui tiendront compte de la situation épidémiologique.
- En Italie, conformément aux directives du gouvernement, on a cessé de célébrer dans les églises orthodoxes. Le métropolite Antoine, exarque patriarcal en Europe occidentale, a donné l’ordre de suspendre les offices dans les paroisses de l’Église russe en Italie. Il s’agit d’une situation concrète, pour une période donnée ?
- Ce n’est pas une décision du métropolite, c’est une décision des autorités italiennes. En Italie, les organisations religieuses ont reçu des directives des autorités. La situation, dans ce pays, est telle que les déplacements personnels sont limités à l’intérieur des villes. Les rues sont vides, tout le monde reste chez soi et ne va nulle part, pas même dans les églises, qui restent ouvertes, d’ailleurs. La police parcourt les villes et s’ils voient que des groupes de personnes, même peu nombreuses, se réunissent devant les églises, les policiers enquêtent. Combien de temps de régime va-t-il durer ? On n’en sait rien pour l’instant. Dès que le gouvernement donnera l’autorisation, les offices reprendront.
- Dans quels autres pays les offices risquent-ils d’être suspendus dans les églises orthodoxes, si la situation provoquée par le coronavirus devient critique ? Comment la hiérarchie prend-elle des décisions dans ces cas-là ? Faut-il une résolution du Synode, ou de l’évêque diocésain ?
- Habituellement, c’est l’évêque diocésain qui prend la décision en fonction de la situation épidémiologique dans une région concrète, s’appuyant sur les directives des autorités et les décisions des organes de santé publique. Mais, dans certains pays, les évêques ne peuvent pas prendre de décisions. Ce sont les autorités qui décident, et le clergé ne peut que se soumettre à leurs décisions.
Lors de sa dernière séance, le 11 mars, le Saint-Synode a envisagé la situation dans son ensemble et donné un certain nombre de recommandations, mais elles peuvent être concrétisés différemment et complétées en fonction des pays.
Pour autant que je sache, en dehors de l’Italie, des mesures limitant l’accès des fidèles aux églises ont été prises en France, où, samedi dernier, le premier ministre a donné l’ordre d’annuler tous les services religieux. Cet ordre a été publié au bulletin officiel. Tous se sont soumis : les églises sont ouvertes, mais on ne célèbre pas.
J’ai entendu dire que les offices ont aussi été suspendus dans certaines églises de l’Église japonaise. Il s’est dit que la municipalité de Kiev avait donné l’ordre de « préparer un message aux chefs des établissements religieux de la ville de Kiev sur la suspension des offices de masse pour prévenir la diffusion de la nouvelle infection au coronavirus (COVID-19) sur le territoire de la ville de Kiev, et sur l’établissement d’un contrôle sanitaire ». Cependant, qu’entend-on par « office de masse » ? Il peut s’agir d’une limitation temporaire du nombre de participants à l’office, mais pas de l’interdiction des offices liturgiques en tant que tels.
- Quelles mesures prenez-vous dans les institutions ecclésiastiques que vous dirigez ?
- Il y a quelques jours, j’ai enregistré une vidéo dans laquelle je donnais aux paroissiens dix conseils pour se prévenir contre le coronavirus, dont certaines recommandations concernant la participation aux services religieux et au sacrement de communion. J’en ai aussi parlé dans une homélie.
Dans l’église de la rue Ordynka dont je suis le recteur, on utilise des verres jetables pour la boisson servie après la communion, les encadrements d’icônes sont régulièrement désinfectés. Conformément aux directives reçues aujourd’hui du patriarche, nous prendrons d’autres mesures sanitaires, notamment la désinfection des cuillers de communion ; on demandera de s’abstenir de baiser la croix et le calice, d’utiliser des gants hygiéniques jetables pour la distribution de l’antidore ; les clercs et les employés paroissiaux devront prendre leur température avant chaque office.
Par ailleurs, nous retransmettons dès à présent les offices divins en direct sur youtube et sur le site de la paroisse, pour que les paroissiens puissent y participer, même s’ils ne peuvent venir à l’église. C’est important, notamment pour ceux qui sont enrhumés, parce que nous leur demandons de ne pas venir à l’office avant d’être complètement guéris.
J’ai signé une directive pour le Département des relations ecclésiastiques extérieures, qui prévoit différentes mesures, à commencer par la suspension temporaire de tous les déplacements à l’étranger de nos collaborateurs, et la stricte observation d’une quarantaine de quinze jours pour ceux qui reviennent d’Europe, sans parler de la désinfection des bureaux et de la distribution de lingettes désinfectantes aux employés.
A l’Institut des Hautes-Études, conformément aux ordres du ministre de l’Instruction et des Sciences, les étudiants poursuivent leurs cours à distance, les collaborateurs travaillent aussi à distance. Par contre, les offices liturgiques sont célébrés suivant l’horaire établi dans les églises du métochion du Tchernigov.
- Dans l’une de vos interviews, vous avez admis qu’il serait possible d’utiliser des cuillères jetables pour la communion, si l’épidémie se répand. Est-ce réellement possible ?
- Pour l’instant, la question ne s’est pas posée, mais on ne peut pas l’exclure totalement à l’avenir, notamment dans certaines régions. D’un côté, nous croyons que le virus ne peut pas être transmis par la communion, car Dieu Lui-même est présent dans les Saints Dons. D’un autre côté, les objets matériels, comme le calice et la cuiller de communion, ne peuvent être protégés à 100% des infections à leur surface. Il existe des petites cuillers en bois qui pourraient être utilisées, puis brûlées. Cependant, ces mesures ne peuvent être prises qu’avec la bénédiction de l’évêque diocésain. A l’heure actuelle, il a été décidé d’utiliser la cuiller de communion habituelle, mais de l’essuyer après chaque communiant avec un linge spécial, imbibé d’alcool ; la cuiller sera ensuite rincée dans de l’eau, et les lèvres du communiant seront essuyées avec une serviette en papier, au lieu du linge ordinaire.
L’Église, au cours de l’histoire, a déjà été confrontée à des situations semblables. Voici ce qu’on peut lire dans le « Livre de chevet du ministre du culte », de S. V. Boulgakov, publié en 1900 : « Après la communion d’un enfant malade, en prévention de l’infection du communiant suivant, il conviendrait d’essuyer vigoureusement la sainte cuiller avec un linge. En cas d’apparition dans la paroisse de maladies infectueuses, comme la dyphtérie, la variole, qui pourraient être facilement transmises aux autres pendant la communion par la cuiller et le linge, on conseillera aux paroissiens de ne pas amener les enfants malades à l’église ; dans les cas extrêmes, les malades infectueux doivent être communiés après les bien-portants ; on essuyera ensuite la cuillère et les lèvres des enfants avec un morceau d’étoffe de lin, qu’on brûlera après la communion. » L’auteur considère donc possible la transmission de l’infection d’un communiant à l’autre par la cuiller. Le livre contient aussi des indications sur la nécessité de recourir « à une cuiller spéciale et à une étoffe de toile particulière » pour la communion des malades, aussi bien les enfants que les personnes de « grand âge ».
Certes, en 1900, les cuillères jetables n’existaient pas, mais elles existent aujourd’hui. Bien plus, elles sont déjà utilisées, par exemple, lorsque les prêtres communient des malades à l’immunité affaiblie par une opération, et installés dans des locaux spéciaux.
- Comment le fidèle orthodoxe doit-il réagir à ce type d’épidémie ? Comment ne pas se laisser aller à la panique, sans se montrer pour autant insouciant et négligent ?
- La panique n’a jamais aidé personne. Le chrétien doit surtout croire que sa vie est entre les mains de Dieu. Si Dieu veut faire passer une personne de ce monde à l’autre, Il dispose de nombreux moyens. Il ne faut pas avoir peur de la mort. Le Seigneur dit : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme ; craignez plutôt Celui qui peut tuer l’âme et le corps dans la géhenne » (Mt 10,28). Nous devons craindre de courroucer Dieu par nos péchés, mais il ne faut pas craindre ce qui ne peut faire périr que notre corps.
En même temps, au nom de la protection de sa propre santé et de la santé de son entourage, il faut s’en tenir aux mesures qui sont prises. Se laver les mains avec du savon, notamment après avoir serrer la main de quelqu’un, en revenant chez soi, avant de manger, avant de célébrer l’office divin. Ne pas aller à l’étranger, notamment dans les pays où l’épidémie de coronavirus prend des proportions menaçantes. Observer les autres mesures de prévention, recommandés par les médecins. Mieux faut prendre trop de précautions que sous-estimer le danger.
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