Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a donné une interview à l’agence « Sputnik Arabic ».

  • Monseigneur, à quel point, à votre avis, la situation des chrétiens en Syrie a-t-elle changé depuis que la situation a commencé à se stabiliser dans le pays ? Les chrétiens qui ont quitté leur pays après la forte augmentation du nombre de terroristes, avant 2015, reviendront-ils ?
  • Je peux dire avec certitude que depuis la défaite du gros des troupes des terroristes, en grande partie grâce à l’aide de la Russie, la situation en Syrie s’est stabilisée, notamment pour les chrétiens. Ce qui est très important, c’est qu’à la différence de l’Irak, les chrétiens de ce pays ne se sentent pas abandonnés à leur triste sort, c’est pourquoi, même s’ils ont quitté la Syrie, beaucoup de réfugiés ont gardé la volonté de revenir dans au pays.

L’Église orthodoxe russe entretient depuis longtemps des liens avec les chrétiens de cette contrée. Nos liens fraternels avec l’antique Patriarcat d’Antioche ont des racines très profondes. Au temps de la Rus’ moscovite, sous l’Empire russe, et jusqu’à nos jours, notre pays a toujours été regardé par les chrétiens syriens comme un ami et un défenseur. C’est pourquoi l’aide de la Russie à la Syrie permet aujourd’hui aux communautés chrétiennes d’espérer que la situation continuera à se stabiliser, permettant, notamment, aux réfugiés de revenir en Syrie.

Il faut remarquer que durant toutes ces années, l’Église orthodoxe russe n’a cessé de faire la promotion du thème de la défense des chrétiens d’Orient dans les médias, parlant des persécutions des terroristes, de la nécessité pour les autorités civiles de faire respecter leurs droits ; nous avons soulevé ce problème dans nos contacts avec les hommes politiques des états étrangers et avec les leaders religieux, à tous les forums internationaux tant soit peu importants. Souvent, aussi bien à Moscou qu’à Damas, le patriarche Cyrille a rencontré le ministre syrien des wakoufs, Muhammad Abdassat As-Saïd, et le grand mufti de Syrie, Akhmad Badreddine Hassoun. En tant que président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, je l’ai aussi rencontré, notamment lors de ma visite dans la capitale syrienne.

De son côté, Sa Béatitude le patriarche Jean X d’Antioche et de tout l’Orient, a rencontré le président russe pendant ses visites à Moscou et pendant le récent voyage de Vladimir Poutine en Syrie. Il a aussi participé à la rencontre organisée le 30 octobre 2019, à Budapest, par le chef de l’état et le premier ministre hongrois, avec les chefs des Églises chrétiennes du Proche-Orient.

Dans la situation actuelle, nos efforts visent à favoriser le retour des chrétiens en Syrie. Pour cela, il leur faut des garanties de stabilité, de sécurité, ils doivent être sûrs que leurs droits fondamentaux seront respectés par l’état, il faut aussi que les conditions nécessaires à la vie des citoyens soient remplies. Les gens ont besoin de logements, d’infrastructure sociale (hôpitaux, écoles) et, bien sûr, de lieux de prière. Les chrétiens ont du mal à vivre là où il n’y a pas d’église, où la liturgie n’est pas célébrée.

  • Vous appelez souvent les chrétiens à aider ensemble les Syriens à la restauration de leur infrastructure. Parlez-nous du rôle et de la mission de l’Église orthodoxe russe dans ce domaine.
  • En effet, depuis le début du conflit syrien, nous n’avons cessé d’appeler la communauté internationale, y compris les chrétiens, à unir leurs efforts pour aider les Syriens.

A un moment, il est devenu clair qu’une des principales conditions au retour à la vie normale était la restauration de l’infrastructure détruite sur le territoire syrien. L’Église orthodoxe russe est parvenue à fournir un sérieux travail, en impliquant à la fois les musulmans et les chrétiens de Russie. En 2017, avec la bénédiction de Sa Sainteté le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie, un groupe de travail interreligieux d’aide humanitaire à la population syrienne a vu le jour sur la base du Conseil présidentiel d’interaction avec les associations religieuses de Russie. Des chrétiens et des musulmans russes en font partie.

En peu de temps, le Groupe de travail interreligieux a réalisé avec succès plusieurs actions humanitaires. La plus importante a été la reconstruction d’une école publique ayant souffert des opérations militaires, dans le quartier Barza, à Damas. Cette école, d’une surface totale de 6000 mètres carrés, accueille 1200 élèves.

A l’étonnement des Syriens, qu pensaient que les réparations prendraient plusieurs années, nous avons réussi à terminer les travaux en quelques mois, pour le début de l’année scolaire en cours. L’inauguration solennelle a eu lieu le 23 septembre 2020 ; des leaders religieux de Syrie, des hauts représentants des autorités publiques, des délégués de Russie y ont pris part. Les Syriens se sont déclarés satisfaits de l’excellente qualité des travaux de restauration, et ils ont constaté que ce projet n’avait pas d’analogue en Syrie.

  • En 2017, vous aviez annoncé le début d’un projet de restauration des sanctuaires détruits de Syrie. A quel stade en est aujourd’hui ce projet, qu’a-t-on pu réaliser à ce jour ?
  • La société syrienne est profondément traditionnelle et la restauration des sanctuaires détruits – églises, mosquées, monastères – est un signe important de retour à la vie normale pour les habitants de la Syrie. Nous sommes prêts à aider. En 2013, par exemple, le monastère orthodoxe de femmes Sainte-Thècle, au village de Maaloula, a été fortement endommagé par les terroristes. Aujourd’hui, les travaux de restauration sont presque achevés. Avec la bénédiction de Sa Sainteté le patriarche Cyrille, ils ont été menés avec le soutien du Patriarcat de Moscou. Aider l’Église orthodoxe d’Antioche à restaurer les sites religieux des villes d’Arbin et d’Az-Zabadani est toujours d’actualité. Précisons que l’Église orthodoxe russe a élaboré tout un programme d’aide à la restauration des sanctuaires détruits de Syrie.
  • L’Église orthodoxe russe participe aussi aux projets de mission humanitaire. Parlez-en plus en détail, je vous prie.
  • Notre travail, dans ce domaine, s’effectue principalement dans le cadre du Groupe de travail interreligieux que j’ai mentionné plus haut. Durant ces trois dernières années, c’est lui qui a convoyé l’aide humanitaire destiné aux Syriens sinistrés.

En juin et en août 2017, deux avions convoyant de l’aide humanitaires ont été acheminés vers la Syrie. En 2018, plus de 77 tonnes de produits de haute qualité ont été livrées en Syrie et au Liban (pays qui a accueilli le plus grand nombre de réfugiés), réparties entre les familles nécessiteuses. L’aide était distribuée dans les églises et dans les mosquées par des chrétiens et des musulmans de Syrie et de Russie.

En novembre 2018, de l’aide humanitaire a été livrée à un orphelinat d’enfants de militaires syriens, à Damas. Des vêtements d’hiver et des jouets ont été distribués aux enfants. Pour le Nouvel an, les sol des salles de classes et des chambres de cet orphelinat ont été entièrement recouverts de matériaux isolants.

En mars dernier, le Groupe interreligieux a fait parvenir dans la capitale du pays 1000 lots d’aide alimentaire (soit environ 15 tonnes), distribués aux familles syriennes nécessiteuses.

Toutes ces actions humanitaires du Groupe de travail interreligieux sont organisées avec les leaders religieux de Syrie et avec des représentants des dirigeants syriens. Pour coordonner les efforts du groupe de travail, des consultations de haut niveau et des tables rondes interreligieuses sont régulièrement organisées. Cette activité des confessions religieuses de Russie contribue sérieusement à l’amélioration de la situation humanitaire en République arabe syrienne, aidant ses citoyens à revenir à la vie normale.

Par ailleurs, nous organisons aussi des programmes humanitaires en dehors du Groupe interreligieux. En février 2018, le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a proposé d’aider les enfants syriens, victimes de la guerre. Ce sont des enfants qui ont sauté sur des mines, ou été victimes de bombardements, et qui ont perdu un membre ou perdu la vue. L’an dernier, il a été possible de faire poser des prothèses et faire suivre de la rééducation à dix enfants syriens. Cette année, nous espérons poursuivre ce programme.

  • Fin décembre, vous avez parlé d’un projet de construction d’un centre de réhabilitation pour enfants victimes de la guerre, à la représentation russe de Damas. Comment se projet se fera-t-il ?
  • Pour nous, il est important de ne pas seulement restaurer les sanctuaires. Le patriarche Cyrille se préoccupe beaucoup des gens. J’ai déjà mentionné son initiative d’aide aux enfants invalides de guerre, en Syrie. Leur réhabilitation est assez difficile, car chaque enfant a sa propre histoire, ils ont vécu des choses horribles, qui ont bouleversé toute leur vie et celle de leur famille.

Voici un exemple parmi d’autres. Mahmoud Alhassian, quinze ans, pendant un tir d’obus sur son école par des terroristes, a été blessé par des débris. Il a été blessé aux yeux, a eu la peau brûlée et la main droite partiellement amputée. A l’époque, il était en 7e classe. Un autre garçon, Ibrahim Mardan, 12 ans ; devant l’école, il a été abordé par un homme qui lui a offert un jouet. Lorsque l’homme s’est éloigné, alors qu’il voulait rentrer chez lui, le jouet lui a explosé dans les mains. L’explosion a entraîné la perte du bras gauche, l’enfant ne voit plus de l’oeil droit.

Sachant que l’Église a pour vocation d’aider de toutes ses forces ceux qui souffrent, nous suivons chaque enfant et menons le projet avec beaucoup de responsabilité. Nous comprenons que des milliers d’enfants ont besoin d’aide, nous cherchons des hommes de bonne volonté, nous collaborons avec les médecins. L’Église doit faire son possible pour donner à ces enfants une nouvelle chance et un espoir. C’est pourquoi nous pensons sérieusement organiser et installer cette année un centre d’aide aux enfants sous le toit de la Représentation de l’Église orthodoxe russe à Damas. Ainsi, nous pourrons aider beaucoup plus d’enfants handicapés à cause de la guerre, nous resterons accessibles, même lorsqu’ils auront déjà été prothésés et auront suivi leur première réhabilitation.

Avec l’aide de Dieu, nous prévoyons qu’au moins 30 enfants syriens seront prothésés en 2020 ; nous prévoyons aussi de faire venir à Moscou ceux qui auront besoin d’une aide plus spécialisée. J’en suis convaincu : les gens verront que notre centre fonctionne, que nous aidons réellement, Dieu nous enverra des personnes prêtes à aider cette initiative.

  • A propos du métochion russe de Damas, la vie paroissiale a-t-elle repris ? Quels sont ses problèmes aujourd’hui ?
  • Au plus fort du conflit, la plupart de nos compatriotes, y compris les employés de la Représentation, avaient été évacués. Durant cinq ans, les bâtiments sont restés vides, et la pastorale des fidèles de l’Église orthodoxe russe s’effectuait principalement à Beyrouth, capitale du Liban. En 2014, l’actuel représentant du patriarche de Moscou et de toute la Russie auprès du patriarche d’Antioche et de tout l’Orient, l’higoumène Arsène (Sokolov), a donné sa bénédiction à l’installation d’un groupe de réfugiés des banlieux de Damas occupées par les terroristes, dans les locaux de la Représentation. Ces gens, fidèles de l’Église orthodoxe russe, y vivent toujours. En 2017, avec la bénédiction de Sa Sainteté le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie, la Représentation a repris son activité, et des offices sont régulièrement célébrés dans l’église.

La Représentation de Damas rencontre surtout des difficultés d’ordre matériel, dans une Syrie en reconstruction. L’électricité peut s’éteindre plusieurs fois par jour, il n’y a pas de gaz, pas d’essence pour l’automobile de la Représentation. Mais nous espérons qu’à mesure que le pays reviendra à une vie normale, les choses s’arrangeront.