Le 26 février 2020, à Amman, capitale de la Jordanie, avait lieu une réunion de primats et de délégations des Églises orthodoxes locales. L’initiative de cette rencontre, dont l’objet était de discuter des relations interorthodoxes et de la sauvegarde de l’unité orthodoxe, avait été prise par Sa Béatitude le patriarche Théophile III de Jérusalem, qui en avait fait la proposition le 21 novembre 2019, pendant son séjour à Moscou.

Sa Béatitude le patriarche Théophile, Sa Sainteté le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie, Sa Sainteté le patriarche Irénée de Serbie et Sa Béatitude le métropolite Rostislav des Terres tchèques et de Slovaquie y ont pris part, ainsi qu’une délégation de l’Église orthodoxe roumaine, conduite par le métropolite Niphon de Targoviste, et une délégation de l’Église orthodoxe polonaise, présidée par l’archevêque Abel de Lublin et de Holm.

La délégation de l’Église orthodoxe russe se composait de Sa Béatitude le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine ; du métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou ; de l’archiprêtre Nicolas Balachov, vice-président du DREE ; de l’archimandrite Alexandre (Elissov), chef de la Mission spirituelle russe à Jérusalem ; de V. Legoïda, président du Département synodal chargé des relations entre l’Église, la société et les médias.

La conférence a commencé par une prière en commun, lue dans différentes langues.

Souhaitant la bienvenue à l’assemblée, le primat de l’Église orthodoxe de Jérusalem a remarqué : « Nous savons que l’unité est un don de Dieu, et nous avons conscience de notre responsabilité dans la sauvegarde de l’unité que les apôtres nous ont léguée. »

« Nous voici aujourd’hui rassemblés au nom de notre Seigneur Jésus Christ, a dit Sa Béatitude. Notre dialogue est fondé sur la charité chrétienne, unique moyen de réconciliation. La réponse à toutes nos questions doit être trouvée dans le dialogue et l’amour fraternel ».

La réunion d’Amman, a souligné le patriarche Théophile, n’est pas un Concile, mais une rencontre fraternelle informelle, dont l’objet est d’initier un dialogue sur les problèmes auxquels est confronté le monde orthodoxe en ces temps difficiles. « Nous espérons que cette rencontre posera les fondements de la recherche d’une solution. Nous devons lutter contre les divisions et déployer nos efforts en faveur de la sauvegarde de l’unité et de la poursuite du dialogue » a-t-il souligné.

Ensuite, le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a pris la parole.

Ayant remercié Sa Béatitude le patriarche Théophile d’avoir convoqué cette rencontre, Sa Sainteté a souligné : « C’est un acte courageux et je suis certain qu’il entrera dans l’histoire. En ces temps si difficiles pour l’Orthodoxie, le premier, par ordre de fondation, des sièges apostoliques, reprend sa mission historique, qui est d’être l’un des centres de l’Orthodoxie mondiale. »

Le primat de l’Église russe a aussi cordialement remercié le roi de Jordanie, Abdallah II ibn Hussein Al-Hashimi, de son aimable contribution à l’organisation de la rencontre.

« Grand est aussi le mérite des primats et des représentants des Églises locales qui sont venus à cette rencontre, car la décision même d’accepter d’y participer demandait, dans certains cas, une certaine audace. Mais le souci de la sauvegarde de l’unité de la Sainte Église nous a incités à rejeter toute autre considération, et à venir ici, répondant à l’appel de Sa Béatitude » a déclaré le patriarche Cyrille.

Il a constaté que l’Église orthodoxe était aujourd’hui menacée de divisions, semblables à celles d’il y a près de mille ans : les frontières des territoires canoniques sont révisées unilatéralement ; des documents de plusieurs siècles d’ancienneté sont déclarés nuls ; le schisme en Ukraine n’est pas surmonté, et les efforts pour y mettre fin n’ont pas atteint leur but ; l’uniatisme relève la tête ; des processus visiblement dangereux sont en cours sur le territoire canonique du Patriarcat de Serbie, en Macédoine du Nord, au Monténégro. « La cause de cette crise est, à mon avis, à chercher dans la perte d’une vision commune de l’organisation de l’Église et de la nature de la primauté à l’intérieur de celle-ci. Il y a mille ans, en 1054, l’Église a été confrontée au même défi, et nous en ressentons toujours les conséquences » a dit le patriarche Cyrille.

Pour faire face à cette menace, a-t-il assuré ensuite, il faut entamer une discussion panorthodoxe des problèmes qui se sont accumulés. Il a ainsi formulé les plus graves :

« En premier lieu, c’est la notion de primauté dans l’Église ; les tentatives pour appuyer les prétentions à une suprématie universelle, à l’aide d’une argumentation théologique, spécialement élaborée à cet effet ; l’absence d’un système de contrôle collégial du premier siège, la négation de la nécessité du consensus lors de l’adoption de décisions au niveau panorthodoxe. On doit réfléchir à ces questions au niveau panorthodoxe.

En second lieu, la menace contre l’institut de l’autocéphalie dans l’Église ; l’absence d’un mécanisme reconnu et incontesté dans toute l’orthodoxie ; les tentatives d’introduire une inégalité entre Églises autocéphales « majeures » et « mineures ».

Troisièmement, les tentatives actuelles de contester les frontières canoniques des Églises autocéphales, de remettre en question et d’annuler des documents d’importance historique, adoptés une fois pour toutes, et établissant ces frontières.

Quatrièmement, les prétentions du premier entre égaux des primats dans la famille des Églises orthodoxes locales à un droit à recevoir en appel des plaintes venant de n’importe quelle Église ; la menace d’utilisation de ces appels comme instrument d’ingérence dans la vie interne des autres Églises locales ; ceci, j’en suis profondément convaincu, nécessite aussi réflexion et discussion.

Cinquièmement : l’émergence d’une situation anormale, dans laquelle le premier hiérarque, en dépit des principes fondamentaux du droit canon, agit en qualité de juge dans des affaires dont il est l’un des protagonistes, se présentant comme dernière instance dans l’affaire examinée.

Et sixièmement, le problème de la création de prétendues « stavropégies » sur le territoire d’autres Églises locales, sans leur accord ou contre leur volonté. »

« Aujourd’hui, nous devrons lutter pour l’unité de toutes les Églises orthodoxes, pour l’unité entre nous » a dit le patriarche Irénée de Serbie. Le primat de l’Église orthodoxe serbe a témoigné : « La seule solution possible est de convoquer un Concile, d’y dire ce qu’il faut dire, et de résoudre les problèmes dans l’esprit de l’Orthodoxie. »

Il a affirmé que l’Église serbe se déclarait pour la sauvegarde des principes canoniques et du patrimoine chrétien. « Que Dieu nous aide, qu’Il ramène l’unité dans notre Église. Parce que le schisme est une tragédie pour l’Église » a dit le patriarche Irénée.

Le métropolite Niphon de Targoviste a parlé de l’importance d’une discussion panorthodoxe de la situation actuelle, ainsi que de la résolution des problèmes, en conformité avec les saints canons. « Nous estimons que dans l’optique d’un éventuel futur concile des primats ou d’une prochaine rencontre orthodoxe, il faut organiser une conférence préparatoire, pour discuter comme il convient de l’ordre du jour de cette rencontre, qui amènerait une réelle unité dans le monde orthodoxe », a dit le hiérarque.

L’archevêque Abel de Lublin et de Holm a déclaré, à son tour, que l’Église orthodoxe polonaise était très inquiète de la situation dramatique dans le monde orthodoxe. « Nous prions pour qu’une solution soit trouvée » a témoigné le chef de la délégation. Il a aussi constaté que l’absence d’unité parmi les Églises orthodoxes était un empêchement à son témoignage devant le monde non orthodoxe.

Le primat de l’Église orthodoxe des Terres tchèques et de Slovaquie, Mgr Rostislav, a remercié Sa Béatitude le patriarche Théophile de son invitation à dialoguer, soulignant : « Ce n’est qu’en se rencontrant et en discutant des problèmes en présence qu’on peut trouver une solution qui sera entièrement en accord avec les Saintes Écritures et les normes ecclésiales ».

Le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine s’est exprimé ensuite, parlant aux participants des évènements en cours dans l’Église orthodoxe ukrainienne.

Rappelant que l’Église orthodoxe ukrainienne, qui fait partie du Patriarcat de Moscou, a été créée en 1990, après avoir reçu du patriarche de Moscou et de toute la Russie une charte d’octroi de l’autonomie dans sa direction, Sa Béatitude le métropolite Onuphre a dit : « Avec le temps, les circonstances internes et externes à l’Église orthodoxe ukrainienne et au peuple ukrainien, ont stimulé les processus de perfectionnement de l’indépendance et de l’autonomie de la vie ecclésiale. Aujourd’hui, nous disposons, de facto, d’une véritable autocéphalie. Nous avons  un Saint-Synode, une Assemblée épiscopale, un tribunal ecclésiastique indépendant. Nous choisissons et consacrons de façon autonome nos hiérarques, créons des diocèses. Nous avons nos établissements de formation, des institutions synodales pour la coopération avec le monde extérieur et pour l’organisation du ministère social. »

Mgr Onuphre a parlé des schismatiques dans l’Orthodoxie ukranienne, constatant que la conséquence du prétendu processus de réunification, initié en 2018-2019 par le patriarche Bartholomée de Constantinople, n’avait fait qu’aggraver le schisme.

Le métropolite Onuphre s’est arrêté en détail aux démarches du patriarche de Constantinople en Ukraine, constatant qu’elles constituaient une violation aux canons de l’Église, et que la solution à la crise dans l’Orthodoxie ukrainienne pourrait être de mettre fin à ces violations.

« Certains disent aujourd’hui qu’un excellent moyen de mettre fin au schisme en Ukraine serait d’accorder le statut d’autocéphalie à l’Église orthodoxe ukrainienne. Pour être honnête devant Dieu et avec ma conscience, je dirais que je suis certain que le statut d’autocéphalie, accordé à l’Église orthodoxe ukrainienne, ne mettrait pas fin au schisme. Peut-être certains schismatiques reviendraient-ils dans le sein de l’Église canonique, mais pas tous. L’autocéphalie ne donne pas de garantie d’unité absolue. Dans les Églises autocéphales existant de par le monde, il y a des schismes » a souligné le métropolite Onuphre.

Selon le primat de l’Église orthodoxe ukrainienne, ce qui est à l’ordre du jour, c’est l’élaboration d’un système collégial de direction de l’Église, « qui conviendrait à tous et serait efficace pour le service salutaire de la l’Église une, sainte, catholique et apostolique dans le nouvel espace mondial ». « Nous ne pouvons résoudre ce problème avec succès que si nous renonçons à nos ambitions personnelles et si nous agissons dans un esprit d’humilité et de charité fraternelle » a-t-il assuré.

Ensuite, différentes communications ont été présentées pour étudier les thèmes soulevés ; d’autres sujets, inquiétant aujourd’hui les Églises orthodoxes locales, ont aussi été abordés.

Sa Sainteté le patriarche Cyrille a dit souhaiter que la présente rencontre soit la première d’une série de réunions, et il a demandé le patriarche Théophile de Jérusalem d’organiser une prochaine rencontre fraternelle en Terre Sainte.

Le même jour, les participants ont rencontré le roi de Jordanie.

Le soir, les primats des Églises orthodoxes locales et les chefs des délégations ont élaboré le texte du communiqué de presse final.

Le document constate d’abord que la réunion d’Amman a servi à renforcer les liens fraternels entre les participants et les Églises qu’ils représentent, contribuant à la consolidation de la paix en Christ entre eux.

Le texte évoque aussi les problèmes concrets auxquels est aujourd’hui confrontée l’orthodoxie. Les participants ont ainsi fixé la nécessité d’une discussion panorthodoxe de la situation de l’Église en Ukraine, pour résoudre les problèmes et surmonter les divisions. Concernant la situation en Macédoine du Nord, les participants sont convenus que la question devrait être résolue dans le cadre d’un dialogue à l’intérieur de l’Église serbe, avec le soutien de toute l’Orthodoxie. Concernant le Monténégro, où une loi permettant aux autorités de s’emparer des bâtiments historiques de l’Église canonique a été adoptée, les primats et les représentants des Églises orthodoxes ont appelé avec insistance les autorités de ce pays à respecter et à observer le droit de propriété fondamental, notamment le droit de propriété ecclésiastique.

Il est souligné que les problèmes à dimension panorthodoxe, notamment la proclamation de l’autocéphalie, devraient être résolus dans le cadre d’un dialogue interorthodoxe.

Les délégations sont convenues à l’unanimité de la nécessité d’une nouvelle rencontre pour affermir les rapports fraternels, au moyen de la prière et du dialogue ; il est précisé que cette seconde rencontre pourrait avoir lieu fin 2020. Les signataires du document expriment l’espoir que le patriarche Bartholomée s’adjoindrait au dialogue avec ses confrères primats.