Le 6 janvier 2020, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions de la présentatrice de télévision Ekaterina Gratcheva, dans l’émission « l’Eglise et le monde » (Tserkov’ i mir), diffusée sur « Rossia-24 » les samedis et les dimanches.

E.Gratcheva : Bonjour ! Vous regardez l’émission « l’ Église et le monde », nous nous entretenons avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Bonjour, Monseigneur. Joyeux Noël !

Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Joyeux Noël à vous aussi. Je souhaite à tous les téléspectateurs une bonne fête de la Nativité, l’une des plus grandes fêtes chrétiennes.

E.Gratcheva : J’aimerais poser une première question sur Noël. Avez-vous remarqué la tendance de ces dernières années dans les familles russes, où Noël prend, dans un certain sens, le pas sur le Nouvel an, où beaucoup ne voient plus seulement dans Noël l’occasion d’un bon repas, mais vont à l’église ?

Le métropolite Hilarion : La fête du Nouvel an a été introduite en Union soviétique notamment pour éradiquer la fête de la Nativité du Christ des habitudes de la population. Cela a partiellement réussi, même si, même à l’époque soviétique, les croyants continuaient à fêter Noël, qui, tout naturellement, retrouve aujourd’hui sa place, celle d’une des deux principales fêtes de l’année.

Noël est associé à un certain nombre de coutumes, mais les gens n’ont pas toujours conscience de fêter la Nativité de quelqu’un. Noël, c’est pourtant la Nativité du Christ. C’est une fête en l’honneur de l’avènement dans le monde du Dieu incarné. La personne même de Jésus Christ est au cœur de cette fête, Lui que plus de deux milliards d’hommes sur terre adorent comme leur Dieu fait homme. La présence de Dieu parmi nous, le fait que Dieu a voulu devenir l’un de nous et qu’Il continue à vivre dans Son Église, dans Sa communauté, donnent leur contenu à la fête de la Nativité du Christ.

La fête de Noël commence le 6 janvier. L’office célébré le matin de ce jour porte le nom de Paramonie, en russe « sotchelnik », mot dérivant de « sotchivo », qui désigne un plat maigre consommé après cet office du matin par lequel commence la fête de la Nativité, sans que le jeûne soit rompu. La Paramonie de Noël est un office où nous fêtons déjà la Nativité, où nous lisons l’Évangile de la Nativité et différents passages de l’Ancien Testament, que la tradition a reçu comme des préfigurations de la Nativité.

On célèbre ensuite des vigiles qui durent, en pratique, environ trois heures. Ce service débute à 5 ou 6 heures du soir, après quoi on célèbre la Liturgie nocturne.

Cette liturgie nocturne, que le patriarche célèbre à l’église du Christ Sauveur et qui est retransmise par les chaînes de télévision d’état, est l’office central de la Nativité du Christ. Ensuite, vers 2 ou 3 heures du matin, les gens rentrent chez eux et, suivant la tradition, ils partagent un repas festif ; la famille réunie autour de la table, met fin au Carême de Noël. La fête se poursuit durant la période qu’on appelle « les jours saints », « sviatki », jusqu’à la Théophanie. Pendant toute cette période, nous glorifions le Christ naissant, continuant à célébrer sa Nativité.

E.Gratcheva : Dans l’émission précédente, nous avions évoqué les principaux évènements ayant marqué l’Église orthodoxe russe. Puis-je vous demander quels ont été les principaux problèmes pour l’Église orthodoxe russe en 2019 ? Comment est-on parvenu à les résoudre et avec quels problèmes internes l’Église orthodoxe russe débute-t-elle l’année 2020 ?

Le métropolite Hilarion : En tant que président du Département des relations ecclésiastiques extérieures, je suis moins confronté aux problèmes internes qu’aux problèmes externes. Mais je pense justement que la principale difficulté qui s’est posée à l’Église l’an dernier vient de l’extérieur. Ce n’est pas un problème venant de l’intérieur de l’Église orthodoxe russe. Je pense à la la soi-disant « autocéphalie », accordée par le patriarche Bartholomée de Constantinople à un groupe de schismatiques ukrainiens.

L’Église orthodoxe russe a relevé ce défi avec beaucoup d’humilité et de dignité. Nous n’avons pas pu faire autrement que de répondre en rompant la communion avec Constantinople, non pas, comme l’affirment les commentateurs grecs, pour utiliser l’Eucharistie comme moyen de pression ou pour manipuler par la communion, mais pour préserver nos fidèles du schisme car, suivant les canons ecclésiastiques, ceux qui entrent en communion avec les schismatiques deviennent schismatiques eux-mêmes. Notre Église est, sans doute, entrée dans l’année 2020 plus soudée qu’elle ne l’était auparavant.

E.Gratcheva : Monseigneur, en 2019, dans le classement des pays en fonction du respect de l’égalité entr les sexes, la Russie a été reléguée à la 81e place, derrière le Nicaragua et le Rwanda. Autant dire que c’est un très mauvais résultat. Pour le nombre de femmes au parlement, nous sommes à la 112e place. A votre avis, faut-il augmenter le nombre de femmes au parlement ?

Le métropolite Hilarion : Je ne pense pas qu’il faille augmenter artificiellement le nombre de femmes, parce que ce qui nous intéresse avant tout, c’est la qualité du travail. Il y a des femmes députés et des femmes ministres, mais je pense qu’elles n’ont pas été élues ou nommées à ce poste parce qu’elles sont des femmes, mais parce qu’elles fournissaient un travail de qualité.

Il faut qu’il y ait une saine concurrence, y compris entre hommes et femmes. Si la femme travaille mieux, pourquoi ne pourrait-elle pas être ministre, membre du Conseil de la Fédération ou député de la Douma ? Je pense que c’est ainsi que cela se passe. Si l’on introduit des quotas de femmes dans les organes du pouvoir, cela risque d’avoir des répercussions négatives sur la qualité du travail, non que les femmes travaillent moins bien que les hommes, mais parce qu’on aura nommé ou élu quelqu’un pour respecter le quota, et non pour la qualité de son travail.

E.Gratcheva : Monseigneur, la revue Forbes a publié son classement annuel des blogueurs les mieux rémunérés sur Youtube, et il se trouve qu’une enfant de cinq ans, Nastia Radzinskaïa, de la région de Krasnodar, occupe la troisième place. Elle a gagné 18 millions de dollars en un an. Je ne sais pas ce que gagnent ses parents, mais on peut considérer cette somme comme les revenus de la famille de Nastia Radzinskaïa. Je sais que vous avez aussi une chaîne Youtube. Quels matériaux publiez-vous ? Combien avez-vous d’abonnés ? Et gagnez-vous de l’argent avec votre chaîne ?

Le métropolite Hilarion : Je ne gagne rien avec la chaîne Youtube que j’anime depuis quelques temps et qui a environ 3500 abonnés. Il y a aussi la chaîne Youtube « Iissous », que nous avons fondée il y a un peu plus d’un an et qui compte 40 000 abonnés. Sur ces deux chaînes, nous publions des vidéos que j’essaie de faire tous les jours et qui portent le titre « L’essentiel en bref ».

L’idée de ces vidéos, qui durent en moyenne 7 minutes, est d’exposer de façon très brève, sous formes de thèses, des vérités fondamentales sur la foi, la morale chrétienne, l’organisation de l’Église, la liturgie. Par exemple, dans la vidéo « Dix choses à savoir sur Dieu », j’énumère dix points les uns après les autres. Ces vidéos sont appréciées différemment, certaines ont été vues plusieurs centaines de milliers de fois, comme « Orthodoxie et catholicisme », qui explique les principales différences entre l’Orthodoxie et le catholicisme.

Je suis très loin d’obtenir les résultats de Nastia Radzinskaïa. D’ailleurs, j’ai regardé cette chaîne pour préparer notre émission. Son histoire est intéressante. La fillette est née hémiplégique. Ses parents ont décidé de la filmer dès ses premiers mois pour que les membres de leurs familles puissent voir ses progrès. C’est comme cela que tout a commencé. Ensuite, la fillette, à force de poser devant la caméra, s’est mise à progresser, et ne présente plus aucun signe de maladie, c’est une enfant normale, en bonne santé. Elle parle de sa vie, elle montre ses jouets, sa maison. Cela intéresse les gens, notamment, je suppose, les parents dont les enfants ont les mêmes problèmes, cela leur permet d’espérer : ils voient que cette enfant s’en est sortie, ils s’efforcent de mieux s’occuper de leurs enfants, de les développer physiquement pour leur permettre de guérir.

E.Gratcheva : Que Dieu accorde à Nastia Radzinskaïa la santé. Malheureusement, il y a, dans notre pays, quantité de petits patients souffrant de maux comme la mucoviscidose, et qui sont bien loin de pouvoir créer une chaîne sur Youtube. La présidente de la Fondation « Oxygène », Maïa Sonina, a publié une lettre ouverte à tous les croyants, après l’interdiction d’importer des médicaments, des antibiotiques destinés aux malades de la mucoviscidose. Maïa écrit : « Je demande aux prêtres orthodoxes, aux prêtres de toutes les confessions, de célébrer autant que possible des offices d’intercession pour nos enfants et nos adultes atteints de mucoviscidose, pour leurs familles pour lesquelles il est aujourd’hui si difficile, si terrible d’être en Russie. L’enfer est revenu dans leurs vies. Priez pour que les fonctionnaires dont dépend désormais leur sort réfléchissent, pour que les autorités trouvent l’argent nécessaire pour payer les soins dont nos malades, enfants et adultes, ont absolument besoin, parce que sans eux ils connaîtront prochainement une mort affreuse. Dieu le voit-Il ? L’entend-Il ? » Que répondriez-vous à Maïa, que peut faire l’Église face à cette situation ?

Le métropolite Hilarion : La mucoviscidose est une maladie génétique très grave, pratiquement incurable. Elle se déclenche à la suite de la mutation de certains gènes et atteint le foie, le pancréas et, plus particulièrement, les poumons. C’est pourquoi les enfants atteints de cette maladie s’essoufflent, ont les poumons malades, ils s’enrhument facilement et beaucoup d’entre eux en meurent.

Notre paroisse de la rue Bolchaïa Ordynka travaille depuis des années avec des enfants malades de la mucoviscidose, nous collectons des fonds, nous organisons des ventes de charité, notamment en collaboration avec la fondation « Oxygène », présidée par Maïa. Je pense que la situation est causée par les efforts de l’état pour remplacer peu à peu les produits importés ce qui, nous en avions parlé dans une autre émission, ne devrait pas concerner les médicaments. On dit bien qu’il y a des médicaments russes analogues aux médicaments étrangers que prennent les malades de la mucoviscidose, mais ce n’est pas vrai. Je pense qu’il faut écouter les parents.

Par le biais de cette émission, je m’adresse au ministère de la Santé et, personnellement à la ministre Véronika Igorevna Skvortsova, pour la prier de revoir cette résolution, d’empêcher que des enfants ne puissent plus recevoir les médicaments dont dépend leur vie.

Pour terminer cette émission, je reviens à ce par quoi nous avons commencé, à la fête de la Nativité du Christ. C’est une fête pour tous. Pour les enfants et pour les adultes. Pour les malades et pour les bien-portants. Pour ceux qui vont bien, et pour ceux qui vont mal. Je souhaite à tous nos téléspectateurs de sentir dans leur vie la présence de Dieu, de sentir que Dieu les aide, y compris dans leur quotidien et dans leurs difficultés. Que Noël soit la fête de tous, sans exception.

E.Gratcheva : Merci, Monseigneur.

Le métropolite Hilarion : Merci, Ekaterina !

Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions posées par les téléspectateurs sur le site du programme « L’Église et le monde ».

Question : Les Évangiles ne donnent pas la même généalogie du Sauveur. J’ai essayé de comprendre, mais je n’ai pas réussi. Pouvez-vous expliquer en deux mots pourquoi ces divergences ?

Le métropolite Hilarion : J’ai consacré un chapitre de mon livre sur Jésus Christ à cette question. Il s’agit du premier tome de mon étude qui en compte six, sous le titre commun de « Jésus Christ. Sa vie, Sa doctrine. » J’ai aussi abordé cette question dans le livre « Jésus Christ », sorti dans la série « Vie des grands hommes ».

Pour résumer en quelques mots, les deux généalogies, celle contenue dans l’Évangile selon saint Mathieu et celle de l’Évangile de Luc, se recoupent sur certains points et diffèrent sur d’autres. Il y a deux explications possibles à ces divergences. Selon la première, chez les Juifs de l’Ancien Testament fonctionnait la loi dite du lévirat, c’est-à-dire que si un homme mourrait sans descendance, sa veuve épousait le frère de cet homme et devait, selon l’Ancien Testament, « susciter une postérité à son frère » (Gn 38,8). Ainsi, parmi ceux qui sont mentionnés dans ces généalogies, certains étaient les pères réels de leurs enfants, d’autres leurs pères légaux, d’où ces divergence et cette confusion. C’est une première explication possible.

Selon d’autres commentateurs, l’Évangile de Mathieu contiendrait la généalogie de Joseph, père légal de Jésus, sans être, comme on dirait aujourd’hui, son père biologique. L’Évangile de Luc, lui, contient la généalogie de Marie, qui fut Sa Mère. Cette explication figure dans la tradition chrétienne.

Question : Pourquoi appelle-t-on Dieu le Christ, ce n’est pourtant pas l’un des noms divins ?

Le métropolite Hilarion : Jésus Christ est l’une des Personnes de la Sainte Trinité. Dieu, suivant la doctrine chrétienne, est un, mais Il existe en trois Personnes, le Père, le Fils et le Saint Esprit. Jésus est le nom qui fut donné à Dieu lorsqu’Il s’incarna, c’est-à-dire lorsqu’Il se fit homme. C’est Son nom humain. Le mot « Christ » signifie en grec « l’Oint », c’est de ce mot que les premiers chrétiens désignaient Jésus comme Dieu et homme en une même personne. Nous employons le nom Christ non à l’égard du Dieu trinitaire, mais pour désigner Dieu fait homme : lorsque Dieu s’incarna, Il prit le nom de Jésus et le surnom de Christ.

Question : Quelles sont les preuves de l’existence de Dieu ? Je n’en ai trouvé aucune.

Le métropolite Hilarion : Il existe différentes preuves. Le théologien latin Thomas d’Aquin, par exemple, énumère cinq preuves de l’existence de Dieu. L’une d’elle réside dans le mouvement du monde : pour que le monde soit en mouvement, il faut un premier moteur, qui est Dieu. Une autre preuve part du principe que tout objet a une cause, et, par conséquent, tous les objets doivent remonter à une cause première.

Ces preuves ne peuvent pas, bien entendu, convaincre le sceptique, elles ne peuvent convaincre l’incroyant : qui ne veut pas voir la présence de Dieu dans le monde ou dans les évènements de sa vie personnelle ne peut être convaincu par aucun argument. Le principal argument est ce qui se passe dans la vie de chacun. Dieu fait parfois irruption dans la vie des incroyants, et ils comprennent que Dieu est proche, que Dieu est intervenu dans leur vie, ou que sans Dieu ils ne peuvent rien faire.

Je donnerai l’exemple de personnes souffrant de dépendance à l’alcool ou à la drogue. Ces gens ne croyaient pas en Dieu, ils niaient Son existence, mais se sont retrouvés dans des situations telles qu’ils ont compris qu’ils n’arriveraient pas à s’en sortir par leurs propres forces. Ils se sont dit : je vais demander l’aide de Dieu, je vais lutter moi-même, mais je vais appeler Dieu à l’aide. Et ils ont été guéris de leur dépendance, en même temps que de leur incroyance.

Beaucoup de personnes vivent des expériences semblables. En lisant les Évangiles, on se rend compte que les miracles opérés par Jésus n’avaient pas tant pour objectif la guérison physique des personnes, que leur conversion, qu’ils aient foi en Sa présence dans leur vie, en Sa miséricorde et en Sa force. La foi est un mystère. C’est un mystère qui existe entre une personne concrète et Dieu. Nous ne savons jamais vraiment pourquoi deux personnes peuvent vivre dans les mêmes circonstances, dans des conditions semblables, faire des expériences similaires, les uns voyant dans ces évènements la présence de Dieu, les autres ne la voyant pas.

L’homme a certaines limites. Certains ferment leur cœur à Dieu. Ils ne veulent pas que Dieu y entrent, refusent d’entendre parler de Dieu. Dans certaines situations, Dieu ne se révèle pas à  une personne concrète, pour des motifs que Lui seul connaît.

Beaucoup, aujourd’hui, ne se définissent pas comme athées, mais comme agnostiques. Ce mot vient du grec « a-«  qui veut dire « in-« , et « gnosis », qui signifie « science ». Littérallement, un agnostique est une personne qui ne sait pas si Dieu existe ou non et a conscience de son ignorance. Il y a une certaine franchise, dans cette position, parce que nous ne savons pas grand chose, en effet. Mais quand quelqu’un nie agressivement l’existence de Dieu, s’attaque à la foi, à l’Église, ferme son cœur à Dieu, c’est une situation spirituellement dangereuse qui n’est pas seulement nocive pour lui, mais pour l’entourage.

Je termine cette émission en citant le psaume 13 : « L’insensé a dit dans son coeur : « Il n’y a pas de Dieu ! » Ils sont corrompus, abominables en toute leur conduite, il n’en est aucun qui agisse avec bonté » (Ps 13,1).

Je vous souhaite plein de bonnes choses à tous, et que le Seigneur vous garde !