Le 5 septembre 2018, le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a reçu l’archevêque de Turku et de toute la Finlande, Tapio Luoma, et une délégation de l’Eglise évangélique-luthérienne de Finlande. La rencontre avait lieu à la Direction diocésaine de Saint-Pétersbourg.
Le patriarche Cyrille, souhaitant la bienvenue à ses hôtes, a félicité l’archevêque Tapio Luoma de son élection au post de chef de l’Eglise évangélique-luthérienne de Finlande.
« Nous considérons votre Eglise et le peuple de votre Eglise comme des amis, a-t-il dit. Nous commémorons aujourd’hui le 40e anniversaire de la mort de Mgr Nicodème, nous souvenant, notamment, de sa contribution et de la contribution de Monsieur l’archevêque Martii Simojoki à l’établissement de relations particulières entre nos Eglises. »
« J’ai participé personnellement premières étapes du rapprochement entre nos Eglises. J’ai déjà raconté plus d’une fois comment, en 1966, la célébration pascale a enfin pu être célébrée suivant l’ordo liturgique à la cathédrale Saint-Nicolas, grâce à la présence de l’archevêque Martti Simojoki, que le métropolite Nicodème avait invité à participer à la procession. Tous les ans, les autorités s’efforçaient d’empêcher la procession, provoquant des confrontations, faisant souffrir physiquement beaucoup d’orthodoxes. Pour la première fois, la fête de Pâques s’est déroulée dans le calme parce que Martii Simojoki marchait aux côtes du métropolite Nicodème autour de la cathédrale Saint-Nicolas. Nous nous souvenons avec gratitude de ces magnifiques pages de nos rapports bilatéraux » a partagé le patriarche Cyrille.
« Aujourd’hui, nos relations ne sont pas aussi simples. Ce n’est pas la faute de l’Eglise orthodoxe russe, ce n’est peut-être pas non plus celle de l’Eglise luthérienne de Finlande. Mais les processus en cours dans le protestantisme contemporain créent de nouvelles barrières dans nos relations, a constaté le patriarche. Néanmoins, nous continuons à voir en vous des partenaires privilégiés parmi les églises protestantes du monde. Je ne sais pas si cela vous retiendra de prendre des mesures qui gêneraient notre dialogue, mais je tenais à le dire. »
« En septembre 2014, j’ai rencontré votre prédécesseur, Kari Mäkinen, à Moscou, a rappelé le primat de l’Eglise russe. J’avais exposé très clairement notre position, mais je ne peux pas dire que j’ai été compris de mon interlocuteur. Vous savez bien ce qui s’est passé ensuite. L’archevêque Mäkinen a fait plusieurs déclarations publiques, exprimant son soutien à certaines innovations dans la législation finlandaise. Nous avons été très déçus, mais, d’après nos renseignements, la majorité des fidèles est loin de soutenir ces innovations. »
« Les Finlandais sont conservateurs, dans le bon sens du terme. On s’en rend compte en parcourant vos villages. On dirait un oasis en Europe occidentale, les gens tiennent aux valeurs familiales, à un certain mode de vie, à un style particulier dans le travail agricole. Je pense qu’il est très important de protéger les fondements de votre vie nationale » a remarqué le patriarche Cyrille.
« Pour clarifier définitivement nos opinions sur les problèmes qui se posaient, nous avons poursuivi nos contacts, notamment dans le cadre de conférences bilatérales sur l’anthropologie chrétienne et sur le mariage. L’adoption d’un rapport sur les amendements à la Loi de la République finlandaise sur le mariage, par les évêques de votre Eglise, en août 2016, a été une étape importante. Suivant ce document, malgré les modifications dans la législation du pays, votre Eglise continuera à ne bénir que les mariages qui répondent à la conception biblique traditionnelle. Je vous félicite de cette décision et je vous remercie de cette résolution qui ouvre la voie à l’établissement de contacts pleins et entiers et au développement des rapports entre nos Eglises » a déclaré Sa Sainteté.
« Suivant le bilan des consultations, un groupe de travail sur le dialogue bilatéral a été créé. Il s’est réuni en mai 2018. Je vous remercie d’avoir rencontré ses membres. J’espère, qu’avec votre soutien et ma bonne volonté, les discussions théologiques se poursuivront » a ajouté le primat.
« En 2020, nous commémorerons le 50e anniversaire de notre dialogue. Le groupe de travail a proposé de reprendre ce dialogue, proposant à l’agenda le thème de la théologie de la paix. C’est un thème difficile, qui a été extrêmement idéologisé par le passé. Pendant la guerre froide, tout le monde parlait de paix, mais personne ne la voulait vraiment. Je me souviens de l’inconfort intérieur que j’éprouvais lorsque je devais parler de ce thème, à l’époque soviétique. J’aurais aimé parler des fondements anthropologiques de la discorde entre les hommes, de l’attachement aux principes bibliques de paix, mais on ne pouvait pas toujours formuler ces thèmes comme il aurait fallu » a expliqué le patriarche Cyrille.
Selon Sa Sainteté, « aujourd’hui, la théologie de la paix n’est pas non plus libérée des influences idéologiques et politiques ; ce thème exige du courage et la capacité à prononcer des paroles prophétiques, car aujourd’hui beaucoup parlent de paix, mais il n’y a pas de paix sur la planète. »
« Je pense que nous ne devons pas nous limiter aux questions théologiques. L’échange d’expérience dans le domaine de la diaconie est, entre autres, très important pour nous. Le service social se développe activement dans notre Eglise. A mon initiative, le Concile épiscopal a pris une décision très importante : toutes les paroisses de l’Eglise orthodoxe russe qui disposent d’un minimum de ressources financières doivent entretenir des travailleurs sociaux, des personnes chargées du travail avec la jeunesse, des missionnaires et des enseignants. Je ne peux pas dire qu’on soit parvenu à appliquer partout cette décision, mais ce système marche déjà dans la plupart des paroisses de l’Eglise russe » a raconté le primat.
Le patriarche Cyrille a constaté avec regret que les médias occidentaux présentaient souvent les rapports entre l’Eglise et l’état en Russie de façon déformée. « Je tiens à dire que le patriarche Cyrille est aujourd’hui plus libre que n’a jamais été personne dans l’histoire de l’Eglise russe. Je ne sais pas si les primats des autres Eglises orthodoxes disposent de la même liberté. L’Eglise russe est absolument libre de toute influence politique dans le pays, elle mène un dialogue d’égal à égal avec le pouvoir. Et ce pour la première fois de son histoire. Nous ne réglons jamais nos actes sur ceux des autorités, ni dans notre politique intérieure, ni dans notre politique extérieure. Nous prenons nous-mêmes collégialement nos décisions, aux réunions du Synode. Très souvent, je raconte au président, au cours de dialogues bienveillants, ce que fait l’Eglise. Par la grâce de Dieu, il réagit toujours très positivement. J’estime que c’est comme cela que cela doit être, et j’espère que l’Eglise conservera son autonomie à l’avenir » a dit le patriarche Cyrille.
« Nos initiatives à l’étranger découlent aussi de notre conscience ecclésiale. Personne ne nous demande rien. Mais, lorsque nous voyons ce qui se passe en Syrie, nous comprenons qu’il faut aider les chrétiens, et pas seulement les chrétiens, dans leurs souffrance. Voilà pourquoi nous aidons le peuple syrien, l’Eglise orthodoxe d’Antioche. Nous ne travaillons pas seulement entre orthodoxes, c’est pourquoi le thème des missions humanitaires dans le monde d’aujourd’hui présente aussi un intérêt pour nous » a constaté le primat de l’Eglise russe.
Le patriarche Cyrille a conclu en remerciant l’Eglise orthodoxe finlandaise autonome, appuyée par les luthériens, de son invitation en Finlande. Il a aussi invité l’archevêque Tapio Luoma à effectuer une visite officielle à Moscou.
Dans sa réponse, le chef de l’Eglise évangélique-luthérienne de Finlande a remercié Sa Sainteté de son hospitalité pendant les célébrations de commémoration du 40e anniversaire de la mort du métropolite Nicodème (Rotov). L’hiérarque est revenu sur la volonté de l’Eglise russe à poursuivre la discussion des problèmes existants : « Le respect et la confiance ne peuvent être fondés que sur la franchise et sur l’honnêteté. Nous apprécions beaucoup ces relations et c’est pourquoi nous voudrions regarder avec espérance vers l’avenir avec l’Eglise orthodoxe russe » a conclu l’archevêque Tapio Luoma.