Le 7 octobre 2017, le métropolite Hilarion de Volokolamsk a répondu aux questions de la présentatrice Ekaterina Gratcheva, sur la chaîne « Rossia-24 » dans l’émission « L’Église et le monde » (Tserkov’ i mir), diffusée les samedis et les dimanches.
E. Gratcheva : Bonjour, vous regardez l’émission « L’Église et le monde », nous nous entretenons de l’actualité en Russie et dans le monde avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou.
Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina, bonjour chers frères et sœurs !
E. Gratcheva : Vous venez de rentrer d’un voyage en Ouzbékistan, dans lequel vous avez accompagné le patriarche Cyrille. C’était sa première visite primatiale dans ce pays. Peu de gens savent où en est l’orthodoxie et s’il y a des églises orthodoxes en Ouzbékistan depuis la chute de l’URSS. Où en est la situation ?
Le métropolite Hilarion : D’après les données officielles, environ 840 000 russophones résident en Ouzbékistan, et la plupart sont des chrétiens orthodoxes. Par ailleurs, l’histoire de l’Orthodoxie en Ouzbékistan a déjà 145 ans. C’est d’ailleurs à l’occasion de cet anniversaire que le patriarche s’est rendu là-bas.
Après la chute de l’URSS, par la suite de divers évènements, la population russophone a considérablement diminué en Ouzbékistan, en conséquence de quoi, logiquement, le nombre d’orthodoxes aurait dû diminuer. Or, il n’a pas diminué, parce que nous travaillons à la catéchèse, à l’éducation religieuse des gens. Donc le nombre de russophones a diminué, mais le nombre d’orthodoxes a augmenté. Le patriarche, pendant sa visite en Ouzbékistan, a rencontré les fidèles de Tachkent, de Samarkand, de Boukhara. Ces rencontres ont été très touchantes, il y avait partout beaucoup de monde, les gens attendaient le patriarche, et il leur a parlé avec beaucoup de chaleur, suscitant une vague d’émotion très positive.
E. Gratcheva : Monseigneur, le patriarche a notamment vénéré les reliques du prophète Daniel que viennent prier également les chrétiens, les musulmans et les juifs. Comment se fait-il que les reliques de ce personnage biblique se soient retrouvées sur le territoire de l’actuel Ouzbékistan ?
Le métropolite Hilarion : Selon une légende, c’est la dextre du prophète Daniel qui a été ramenée en Ouzbékistan. Selon une autre version, il s’agit seulement d’un peu de terre de son tombeau. Un tombeau symbolique du prophète existe en tous cas là-bas depuis plusieurs siècles. Il s’agit d’un monument imposant, qui est, effectivement, un sanctuaire pour les représentants de trois religions. Dans un pays comme l’Ouzbékistan, où chrétiens et musulmans vivent côte à côte, ce genre de symbole est très important. Au moment où le patriarche s’y trouvait, un nombre important de musulmans étaient venus pour le voir, notamment le grand mufti d’Ouzbékistan, qui l’accompagnait dans son voyage.
E. Gratcheva : Vous dites qu’il y a une importante communauté orthodoxe en Ouzbékistan, venue écouter le discours du patriarche. Le patriarche s’est aussi exprimé lors d’un autre voyage, à Novorossiïsk. Il a notamment déclaré que les prêtres d’aujourd’hui qui n’étaient pas prêts à remplir leurs fonctions pastorales feraient mieux de prendre leur retraite. Sa Sainteté a invité les prêtres à travailler plus avec les jeunes, à connaître personnellement les personnes âgées qui ont besoin d’aide, ainsi que toutes les vieilles femmes de leurs paroisses qui sont nécessiteuses mais n’osent pas demander d’aide. Monseigneur, est-il possible, dans le contexte des grandes villes d’aujourd’hui qui comptent plusieurs millions d’habitants, de connaître tous les nécessiteux de sa paroisse, et ceux qui fréquentent l’église mais n’osent pas réclamer ?
Le métropolite Hilarion : Ce n’est qu’un passage de la longue allocution prononcée par le patriarche, dont les médias ont extirpé un passage qui ne dévoilait pourtant pas le sens général du discours. Il s’agissait de montrer que les prêtres doivent réagir sérieusement aux directives de la hiérarchie, à savoir les décisions du patriarche, les décrets des Conciles épiscopaux et du Saint-Synode qui servent, principalement, à activer la vie de l’Église. Le patriarche a appelé les prêtres à ne pas avoir une approche formaliste de leur ministère, à ne pas se contenter de célébrer la Liturgie et les différents rites, mais à se consacrer à la catéchisation, à connaître toutes les personnes âgées de sa paroisse.
Je pense que c’est tout à fait possible, parce que, d’une part, beaucoup de paroisses ne sont pas très grandes, et un prêtre peut très bien connaître de vue tous ses paroissiens. Si le noyau paroissial compte moins de cent personnes, ce qui arrive très souvent dans les campagnes, le prêtre connaît de vue tous ses paroissiens et doit être au courant des réalités de leurs conditions de vie. Quant aux grandes paroisses, les prêtres doivent avoir des assistants qui s’en occupent. Ce n’est pas pour rien que le patriarche dit qu’il doit y avoir un assistant social dans toutes les paroisses de grande taille. L’idée principale du discours du patriarche était que les prêtres ne doivent pas seulement se préoccuper du spirituel, mais aussi du bien-être matériel de celles de leurs ouailles qui ont besoin d’aide matérielle.
E. Gratcheva : Monseigneur, votre mois de septembre a été riche en voyages, et la géographie de vos déplacements est très vaste : la Grèce, le Liban, Chypre, la Turquie. Vous êtes aussi allé en Grande-Bretagne et au Vatican. A quoi tient ce déploiement d’activité diplomatique dans l’Église cet automne ?
Le métropolite Hilarion : Septembre, c’est la saison où tout redémarre dans tous les domaines. Le Vatican, par exemple, est en vacances au mois d’août, et tous les services reprennent leurs travaux en septembre. C’est la même chose dans beaucoup d’autres églises. En septembre, je dois donc faire le tour de nombreux pays pour rencontrer les chefs des Églises. J’ai ainsi rencontré le patriarche de Constantinople et celui d’Antioche, les archevêques de Grèce et de Chypre, le pape de Rome.
Il s’agit de rencontres d’affaires. Nous avons notamment discuté de l’actualité. Deux problèmes majeurs se dégagent. Le premier, c’est l’Ukraine. Nous avons parlé avant tout des projets de lois qui restent à l’ordre du jour de la Rada suprême. Ce sont trois projets de loi, dont chacun est discriminatoire pour l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou. Certes, le fait que ces projets de lois discriminatoires et contredisant les normes du droit international, ainsi que les principes de non-ingérence de l’état dans les affaires internes des confessions religieuses, restent à l’agenda de la Rada nous préoccupe beaucoup. Le second thème majeur, c’est la situation au Proche-Orient. Nous en avons parlé avec le patriarche d’Antioche, avec le patriarche maronite et avec le pape de Rome. Au Liban, par exemple, il y a presque deux millions de réfugiés syriens. Parmi eux, un certain nombre de chrétiens. Certains sont prêts à rentrer chez eux. Mais pour qu’ils repartent, il faut mettre en place les conditions nécessaires. Quelles doivent être ces conditions, que pouvons-nous faire pour eux en tant qu’Églises chrétiennes, c’est ce dont nous avons parlé en détail, notamment avec le pape de Rome.
E. Gratcheva : Le ministère de la Défense de la Fédération de Russie constate qu’en Syrie la phase de l’opération anti-terroriste contre l’État islamique, une organisation interdite en Russie, touche à sa fin. Il reste un dernier foyer, la région Deïr-ez-Zora. Mais nous sommes en présence d’une catastrophe humanitaire. Qu’est-ce que les Églises chrétiennes de Syrie sont prêtes à faire pour aider les chrétiens qui ont temporairement quitté leur pays à rentrer dans leurs foyers ?
Le métropolite Hilarion : Je tiens à préciser que, dans mes rencontres avec les dirigeants des Églises, lorsque nous discutons de ce thème, j’ai eu des échos unanimement positifs sur le rôle de la Russie dans le règlement du conflit syrien. Certains de mes interlocuteurs ont dit franchement qu’ils étaient reconnaissants à Poutine d’être intervenu dans la situation, sans quoi la Syrie aurait subi le sort de l’Irak et de la Lybie et il n’y serait resté aucun chrétien.
Aujourd’hui, les gens peuvent espérer, notamment les chrétiens. Mais, pour eux, la victoire sur le terrorisme dépend exclusivement de la Russie, bien que certains pays tentent déjà de s’attribuer cette victoire. Tout le monde comprend pourtant bien que le rôle de la Russie a été et reste déterminant.
Quant à la restauration de la Syrie après le conflit, il doit s’agir de projets humanitaires de grande ampleur. Avant tout, il faut recréer les conditions pour que les gens se sentent en sécurité, notamment les chrétiens. Certaines églises ont été complètement démolies, beaucoup de monastères ont été détruit ou pillés, tout cela devra être restauré. Dès maintenant, nous avons un groupe de travail commun, fondé par l’Église orthodoxe russe et l’Église catholique, qui établit le catalogue des églises détruites ou endommagées. Il faut aider à restaurer ces églises. En dehors des églises, il faut aider les gens à réparer leurs maisons, car beaucoup sont détruites ou endommagées. Il faudra bien entendu les efforts de l’état et la participation des Églises chrétiennes. C’est de ces projets communs que nous avons parlé pendant mes rencontres de septembre.
E. Gratcheva : Monseigneur, vous avez parlé de la discrimination de l’Église orthodoxe ukrainienne. J’aimerais évoquer les discriminations contre les médias russes à l’étranger. Je pense à la chaîne de télévision RT et à l’agence « Spoutnik », qui font partie du même groupe. Ce sont des médias russes en langues étrangères. Aux États-Unis, on veut assimiler RT et l’agence « Spoutnik » à des agents étrangers. Cela signifie qu’ils seront soumis à de sérieuses restrictions de leur activité et devront peut-être même cesser d’émettre aux États-Unis. Vous êtes allé dans ce pays cette année, au moment de la phase la plus intensive de la campagne d’informations contre Trump, quand il a été élu président. RT est l’un des rares canaux qui se trouvaient de l’autre côté de la barricade, au contraire, par exemple, de CNN. Notre chaîne de télévision RT est-elle si dangereuse que les États-Unis veuillent la mettre au rang des agents étrangers ? Le Département d’État en parle comme une menace pour la sécurité nationale ?
Le métropolite Hilarion : En effet, cette chaîne est dangereuse pour ceux qui ne veulent pas que Trump reste président. Ils ont tout fait pour qu’il ne le devienne pas, ils ont organisé une violente campagne de propagande sur la fameuse chaîne CNN, et sur d’autres chaînes centrales, au profit de l’autre candidat. Maintenant, ils tentent de prendre leur revanche, notamment au détriment de la chaîne RT, parce que toute la campagne qui s’est déchaînée contre la soi-disant ingérence de la Russie dans les élections américaines ne peut pas ne pas toucher cette chaîne de télévision.
Il faut dire que la chaîne RT est un projet médiatique russe qui marche très bien. J’ai souvent rencontré des gens qui regardent cette chaîne. Une fois, en Jordanie, j’ai rencontré un membre de la famille royale et, en me voyant, il a dit : je viens de vous voir sur la chaîne RT. JE sais qu’en Amérique beaucoup de gens la regardent.
La fermeture de la chaîne de télévision RT en Amérique rappellera ce qui se passait autrefois en URSS, à l’époque où les autorités soviétiques empêchaient la radio américaine d’émettre et, pour écoute « La voix de l’Amérique », il fallait tourner le bouton du poste de radio et tenter de trouver le bon signal dans une mer de bruitages. Les Américains suivent la voie autrefois empruntée par l’Union soviétique. Certes, personne n’aurait pu attendre un tel développement de la part de la soi-disant Amérique démocratique, qui lutte, dit-on, pour la liberté d’expression. En fait, l’Amérique lutte pour la liberté d’expression en Russie, elle est très préoccupée de ce que la liberté d’expression n’existerait pas, paraît-il, chez nous. Peut-être les Américains feraient-ils mieux de se préoccuper de ce qui se passe chez eux ?
E. Gratcheva : Nous avons déjà parlé des perquisitions dans nos représentations diplomatiques aux États-Unis. Mais ce n’était que des broutilles, quand on pense qu’il y a quelques temps, une propriété appartenant à la diplomatie russe a été usurpée aux États-Unis. Et je vous pose traditionnellement la question : faut-il répondre à cette nouvelle vague de sanctions antirusses ? Faut-il répondre aux actions entreprises contre RT et « Spoutnik », à l’usurpation de notre propriété diplomatique ? Quelle doit être la réponse de Moscou ?
Le métropolite Hilarion : Je ne peux pas donner de recommandations sur des questions exclusivement politiques. Je tiens seulement à dire que, dans l’ensemble, la politique de sanctions que l’Amérique a mis en place contre la Russie, est contre-productive, car, d’une part, elle ne créé pas de sympathie pour l’Amérique dans le peuple, d’autre part, elle ne fait pas vraiment de tort à la Russie, mais nuit énormément à l’image de l’Amérique en Russie et dans le monde ; enfin, ce système entraîne forcément des contre-mesures. Mais je reste convaincu que la politique de sanctions et de contre-sanctions ne peut rien apporter de bon. Il faut chercher la solution aux problèmes, il faut négocier et manifester sa volonté de résoudre les problèmes, et non de les aggraver.
E. Gratcheva : Monseigneur, je ne vous demande pas, naturellement, de parler au nom du ministère des Affaires étrangères, mais représentez-vous la situation suivante. Un nouvel ambassadeur de Russie a été nommé aux États-Unis et il est déjà entré en fonctions. Mettons que vous êtes invité à une réception chez cet ambassadeur. Que lui diriez-vous personnellement, à quoi l’appelleriez-vous afin de redémarrer les relations entre Moscou et Washington ?
Le métropolite Hilarion : Je pense qu’il faut parler des sanctions, dire que la politique de sanctions mène à l’impasse. Dire qu’il faut chercher la solution aux problèmes dans la négociation. Si nous ne pouvons résoudre tous les problèmes d’un coup, résolvons chaque problème à son tour. Si nous nous sommes mis d’accord, sur l’Ukraine, par exemple, tentons maintenant de chercher un accord sur le Proche-Orient. On ne peut se contenter d’un monologue, de refuser le dialogue, tout en espérant que la situation s’améliorera d’elle-même. S’il se trouve qu’on ne veut pas améliorer la situation, on se pose alors la question de la nécessité du dialogue.
Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions des téléspectateurs, postées sur le site de l’émission « l’Église et le monde », vera.vesti.ru.
Question : Est-il donné à tout le monde d’être sauvé ?
Le métropolite Hilarion : Dieu offre le salut à tout homme, mais tous n’accueillent pas ce don divin. Sont sauvés ceux qui répondent par leur vie à ce don de Dieu et suivent Dieu là où Il les conduit. Malheureusement, il y a des gens qui ne veulent pas suivre Dieu : soit ils rejettent l’existence de Dieu, soit ils ne veulent pas vivre selon Ses commandements. Si l’homme résiste à la volonté divine, s’il refuse volontairement d’observer les commandements divins, il rejette lui-même le salut que Dieu lui offrait. Personne n’est prédestiné à la damnation. Le salut est préparé pour tous, mais tous sont loin de choisir et de recevoir ce don de Dieu.
Question : Peut-on connaître le mystère de la providence divine ?
Le métropolite Hilarion : Nous ne pouvons certes pas connaître entièrement le mystère de la providence divine. L’Écriture Sainte dit, au nom de Dieu : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, vos voies ne sont pas mes voies » (Is 55, 8). Nous ne comprenons pas toujours le sens de ce qui se passe autour de nous.

Certaines personnes se plaignent de Dieu, car Il n’agit pas comme ils le voudraient. Mais si nous voulons connaître quel est le dessein de Dieu à notre sujet, il faut avant tout lire la Sainte Écriture et écouter la voix de Dieu qui nous est adressée au travers de l’Écriture, à chacun de nous. Nous comprendrons alors comment la providence divine se manifeste dans notre vie et comment nous pouvons répondre à l’appel de Dieu au salut. Si nous y parvenons, ce sera déjà beaucoup. Tout le reste viendra en son temps.