Le 19 août 2017, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou fêtait le 30e anniversaire de son ordination sacerdotale. La veille, Monseigneur avait donné une interview à l’agence d’information TASS, expliquant pourquoi il n’était pas devenu musicien et quels succès avait obtenu l’Église orthodoxe russe sur le plan international. Il a aussi parlé des relations avec les vieux-croyants et du rôle de l’éducation religieuse dans la lutte contre le terrorisme international.

  • Il y a exactement trente ans que vous êtes devenu hiéromoine. Comment se fait-il que vous, qui faisiez des études à la faculté de composition du Conservatoire de Moscou, soyez devenu prêtre ?
  • J’ai d’abord quitté le conservatoire, je suis entré au monastère. J’ai été tonsuré, puis ordonné, d’abord diacre, ensuite prêtre. J’avais 20 ans lorsque je suis devenu diacre, 21 à mon ordination sacerdotale. Mais dès l’âge de 15 ans j’avais pris la ferme décision de consacrer ma vie à l’Église et de devenir prêtre. Il me restait à atteindre l’âge « canonique » et à faire mon service militaire. A l’époque, autrement, on ne pouvait être reçu au séminaire ni être ordonné. Donc, j’ai commencé des études au conservatoire immédiatement après mes années d’école, mais j’ai rapidement été appelé sous les drapeaux. Après l’armée, j’ai repris mes études, pour un temps très court, car mon âme était attirée par l’Église et non par la musique.
  • Vous êtes président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou depuis presque 10 ans. Une page nouvelle de l’histoire des relations entre l’Église orthodoxe russe et les autres religions dans le monde entier s’écrit sous vos yeux. Qu’est-ce qui a été entrepris ces dernières années pour assurer les positions de l’Église orthodoxe russe ? Dans quelles directions se poursuit ce travail ?
  • Beaucoup a été fait. Je tiens à souligner que Sa Sainteté le patriarche Cyrille, en me transmettant le poste de président du DREE en mars 2009, n’a pas cessé de suivre la politique étrangère de l’Église, mais continue à y participer de la façon la plus active. Bien plus, c’est lui qui la dirige. C’est pourquoi c’est à lui que nous sommes redevables des succès obtenus. Notre travail consiste à mettre en œuvre les idées du patriarche. Nous lui rendons compte, ainsi qu’au Saint Synode, de notre travail.

Je pense que notre Église a acquis une plus grande autorité au niveau international. Là encore, c’est au patriarche qu’en revient le mérite. Les primats de dix Églises orthodoxes locales ont pris part aux célébrations de son 70e anniversaire, et les Églises restantes avaient envoyé d’importantes délégations. Ce fait est éloquent. Je pense que notre Église n’avait jamais autant collaboré avec les autres Églises locales. Même les désaccords sur le Concile de Crète ne nous ont pas empêchés de poursuivre notre service commun de l’orthodoxie dans la concorde fraternelle.

Nous sommes aussi parvenus à d’importants progrès dans le domaine des relations interchrétiennes. L’évènement le plus important aura été la rencontre historique entre le patriarche Cyrille et le pape François à La Havane le 12 février de l’an passé. Cette rencontre avait été précédée de 20 années de préparation, et je suis heureux d’avoir eu le bonheur de participer à l’étape finale de cette préparation. La rencontre a été rendue possible grâce au haut niveau de compréhension mutuelle sur des thèmes aussi importants que la situation des chrétiens au Proche Orient, la situation du christianisme en Europe, la défense des valeurs traditionnelles, notamment de la famille et du mariage. Il est aussi très important que la déclaration commune du pape et du patriarche évoque l’uniatisme.

Enfin, nous sommes face à un évident progrès des contacts interreligieux. Je pense que les religions traditionnelles de Russie n’ont jamais connu de période d’entente et de confiance comme celle que nous vivons actuellement. C’est ce qu’a montré la dernière réunion du Conseil interreligieux de Russie dont le patriarche Cyrille est le président. En tant que chef de l’Église orthodoxe russe, il travaille à la consolidation des confessions traditionnelles, ce qui est extrêmement important pour notre pays. Nous l’aidons autant que nous le permettent nos modestes forces.

Ce travail se poursuivra dans toutes les orientations que je viens d’énoncer, ainsi que dans d’autres relevant des larges compétences du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. L’une de ces orientations est la pastorale des expatriés russes. Nous travaillons dans ce domaine conjointement avec l’Administration des établissements du Patriarcat de Moscou à l’étranger.

  • La rencontre historique du patriarche Cyrille et du pape François a eu lieu en 2016. La semaine prochaine, le secrétaire d’état du Vatican viendra en visite à Moscou. Cela veut-il dire que les relations entre les deux Églises sont au mieux ? Quelles questions seront soulevées lors de cette rencontre ?
  • Le secrétaire d’état du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, est invité par l’état russe. Cependant, dans le cadre de cette visite, une rencontre avec Sa Sainteté le patriarche est prévue. Je rencontrerai aussi le cardinal. Nous nous entretiendrons principalement de la situation des chrétiens d’Orient, de la situation en Ukraine, ainsi que de quelques autres thèmes d’actualité.
  • Il y a peu, des millions de Russes ont vénéré les reliques de saint Nicolas, apportées d’Italie. Cet évènement a suscité un intérêt inédit chez les fidèles, les gens étaient prêts à faire la queue pendant des heures. D’autres reliques seront-elles prochainement apportées de l’étranger ?
  • Les reliques de saint Nicolas ont quitté Bari pour la première fois depuis 930 ans, afin de séjourner dans le pays où il est plus vénéré que n’importe quel autre saint. Cet évènement at été rendu possible par la rencontre entre le pape et le patriarche à La Havane, car c’est là-bas qu’un accord a été trouvé sur ce point. J’ai eu la joie de réaliser ce projet, de mener les négociations sur ses différents aspects avec le pape François et avec l’archevêque de Bari. Lorsque l’évènement a eu lieu, tout le monde l’a perçu comme un miracle, aussi bien chez nous qu’en Italie. Près de deux millions et demi de personnes ont vénéré les reliques de leur saint préféré, et elles auraient été encore plus nombreuses si les reliques étaient restées plus longtemps à Moscou et à Saint-Pétersbourg, ou si elles avaient passé de ville en ville dans le pays. Car Vladivostok est beaucoup plus loin de Moscou ou de Saint-Pétersbourg que Moscou de Bari. Beaucoup de ceux qui auraient voulu vénérer les reliques du saint n’ont pas pu le faire à cause de la distance.

Je ne crois pas que des évènements de cette ampleur puissent devenir réguliers, mais nous continuerons à faire venir d’autres reliques en Russie. J’aimerais beaucoup qu’on parle plus et qu’on sache plus de choses sur nos propres reliques. Nous avons tellement d’icônes miraculeuses et plus de reliques qu’il n’y en a dans aucun autre pays du monde. Le peuple russe aime ses saints et ses objets sacrés. Il suffit de voir les dizaines de milliers de personnes qui se rassemblent pour « les journées impériales » à Ekaterinbourg, ou le jour de la Saint-Serge à la Trinité-Saint-Serge, ou pour la procession de Velikotets. Dommage que les médias parlent si peu de ces pèlerinages qui attirent pourtant quantité de Russes.

  • En 2020, les vieux-croyants fêteront le 400e anniversaire du protopope Avvakoum, figure controversée de l’histoire de l’Église. L’Église orthodoxe russe prévoit-elle de participer à cet évènement ? Où en sont les relations entre les chrétiens orthodoxes après le schisme ? Un rapprochement est-il possible ?
  • Nous avons de très bonnes relations avec les vieux-croyants. Je rencontre assez souvent le métropolite Corneille, notamment avant chaque réunion du Conseil présidentiel aux relations avec les associations religieuses, ainsi qu’à d’autres évènements. Il ne faut pas aller trop vite ou se montrer trop zélé dans ce dialogue, compte tenu de l’ampleur des problèmes accumulés. Mais il ne faut pas non plus oublier l’essentiel : nous avons une foi commune, la différence ne tient qu’aux rites. Certains trouveront étrange ou absurde qu’un schisme existe à cause de détails sur le rituel. A première vue, qu’est-ce que cela peut faire, qu’on se signe avec deux ou avec trois doigts, qu’on écrive le nom de Jésus avec un seul « I » ou avec deux (Issous, Iissous. NDT). Pourtant le schisme a bien eu lieu à cause de questions de rituel, et il tient toujours.

Je me sens très proche de l’ancien rite. A une époque, j’ai étudié le chant neumatique, la notation neumatique, j’ai composé un dictionnaire des popevki (mélodies modèles. NDT) des huit tons, je lisais le Psautier dans des livres datant d’avant la réforme de Nikon. Deux fois par an, je célèbre la Liturgie selon l’ancien rite à l’église de la Protection de la Mère de Dieu de Roubtsov, où est situé le Centre patriarcal de culture russe ancienne.

Les vieux-croyants et nous n’avons pas la même opinion du protopope Avvakoum, c’est évident. Pour eux, c’est un saint, pour nous, c’est l’un des responsables du schisme. Mais on ne saurait nier son importance historique. Nous participerons aux festivités pour autant que nous le jugerons convenable et selon ce que nos frères vieux-croyants jugeront convenable. En tous cas, nous pouvons tout à fait discuter à la même table du patrimoine littéraire du protopope Avvakoum, qui fut indubitablement l’un des plus grands écrivains de son temps : son autobiographie est l’un des grands monuments de la littérature russe du XVII siècle.

  • Les informations évoquent souvent le départ de Russes pour la Syrie ou d’autres pays, soi-disant pour prendre part à « la lutte contre les infidèles ». Comment l’Église orthodoxe russe prévoit-elle de coopérer avec les autres religions pour résoudre ce problème d’actualité ?
  • Il me semble que nous devons intensifier notre travail avec la jeunesse. Les jeunes gens doivent mieux connaître les bases de leur tradition religieuse et des traditions religieuses de leurs voisins. Car c’est l’ignorance religieuse qui fait de ces jeunes une proie facile pour des aventuristes qui cachent leurs agissements criminels sous des slogans islamistes et enrôlent la jeunesse dans des organisations terroristes.

Une mesure préventive efficace pourrait être une diffusion plus large de l’enseignement religieux, notamment dans les établissements d’enseignement supérieur. Ces dernières années, beaucoup a été fait. La théologie occupe désormais une place dans le système universitaire de l’état, le premier conseil de soutenance en théologie de l’histoire russe a été créé, la première thèse a été soutenue. Des départements de théologie fonctionnent dans plus de 50 établissements supérieurs du pays. Mais ce n’est pas suffisant. Nous devons créer des facultés de théologie dans les principales universités du pays, et ce sont les diplômés de ces facultés qui devraient enseigner les fondements de la culture religieuse dans les écoles, et pas des personnes choisies au hasard.

La liquidation de l’ignorance religieuse serait un vaccin efficace contre l’idéologie terroriste. Elle doit être un projet national auquel participeraient toutes les confessions traditionnelles du pays.