Le 27 mai 2017, le métropolite Hilarion a répondu aux questions de l’animatrice de télévision Ekaterina Gratcheva, dans l’émission « l’Église et le monde », diffusée les samedis et les dimanches sur la chaîne de télévision « Rossia-24 ».
E. Gratcheva : Bonjour ! Nous nous entretenons avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Monseigneur, bonjour !
Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina. Bonjour, chers frères et sœurs !
E. Gratcheva : Vous êtes récemment rentré des États-Unis, où vous avez participé au Sommet mondial pour la défense des chrétiens. Le vice-président des États-Unis, Mike Pence, saluant les participants au forum, a dit qu’il était avant tout chrétien, ensuite conservateur et enfin républicain. On soupçonne Moscou, et Vladimir Poutine personnellement, d’entretenir des liens particuliers avec l’administration des États-Unis. Un lien spirituel s’est-il fait sentir, en tenant compte du fait que Mike Pence est chrétien ?
Le métropolite Hilarion : J’aimerais partager mes impressions sur l’hystérie autour du président Trump et de son administration dans les médias américains d’aujourd’hui. Lorsque je suis arrivé, j’ai allumé la chaîne de télévision CNN, et il m’a suffi de 20 minutes pour me convaincre du haut degré d’hystérie : absolument tous les commentateurs en direct se déclaraient violemment contre le président Trump.
Il est évident que la campagne commencée avant les élections se poursuit, où CNN et d’autres chaînes de télévision américaines soutenaient ouvertement l’autre candidat. Même depuis que le peuple a élu Trump, ils n’arrivent pas à se calmer. Ils s’efforcent de lui attribuer n’importe quelle faute, n’importe quel faux pas, n’importe quelle erreur de calcul pour affirmer qu’il n’est pas compétent, qu’il révèle des secrets d’état. On ne cesse de jouer la carte russe : les mots « Russie », « Russes » sont agités comme des épouvantails. On montre des photos de Trump avec S. V. Lavrov, avec l’ambassadeur S. I. Kisliak, etc.
Il est donc trop tôt pour parler de liens spirituels entre la Russie et l’Amérique. Certes, Lavrov a rencontré plus d’une fois R. Tillerson, Lavrov a rencontré D. Trump, mais les Américains attendent tous une rencontre de Trump avec Poutine, on en parle beaucoup. On en a parlé aussi au Sommet mondial pour la défense des chrétiens persécutés.
E. Gratcheva : Vous n’avez pas réussi à échanger quelques mots avec Mike Pence loin des caméras ? Comment se fait-il à l’hystérie qui entoure l’élection de D. Trump ? Quels conseils donne-t-il, peut-être, à son chef, Trump ?
Le métropolite Hilarion : J’ai pu lui parler en privé. Je lui ai dit que le principal défi auquel nous étions confrontés était le terrorisme international. Comme le rappelle S. S. le patriarche Cyrille, pour vaincre le terrorisme, il faut que tous les hommes de bonne volonté unissent leurs efforts.
Cela concerne naturellement en premier lieu l’Amérique et la Russie. C’est aussi ce qui est dit dans la déclaration commune du Pape et du Patriarche, signée à La Havane l’an dernier en février. J’ai dit que pour vaincre le terrorisme, il fallait une coalition anti-terroriste. Pas plusieurs coalitions qui, chacune à sa manière, tente de lutter contre le terrorisme. Il doit y avoir, comme l’ont dit le Pape et le Patriarche, des actions concertées. J’ai aussi offert au vice-président Pence un exemplaire du livre du patriarche Cyrille, Liberté et responsabilité en anglais. Il a été édité en anglais par le séminaire Saint-Vladimir, tandis que nous l’avons publié en russe à l’Institut des Hautes Études. C’est la version anglaise de ce livre que j’ai offert au vice-président.
E. Gratcheva : Pence a déclaré, dans son allocution pendant le sommet, que la nouvelle administration des États-Unis tiendrait compte de la détresse des chrétiens au Proche-Orient, et que la politique des États-Unis allait changer. A votre avis, qu’est-ce qui peut changer au Proche-Orient, et notamment en Syrie, avec l’arrivée de Pence ?
Le métropolite Hilarion : J’aimerais vraiment croire ce qui se dit maintenant et ce que disait Trump pendant sa campagne électorale. Il a clairement dénoncé les erreurs des précédentes administrations des États-Unis. La situation actuelle au Proche-Orient, est pour beaucoup le résultat direct des actes de ces administrations, lorsque l’Amérique s’est conduite au Proche-Orient comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, s’ingérant dans les affaires internes des états, renversant plusieurs régimes, d’abord en Irak, puis en Lybie, soi-disant au nom de la démocratie.
C’est le chaos qui est advenu, aucune démocratie n’a pris la place des régimes renversés et, comme l’a dit Pence, en 13 ans, le nombre de chrétiens en Irak a diminué le 80%. Selon nos données, il pourrait s’agir de 90%, car il y avait un million et demi de chrétiens, et ils ne sont plus que 150 à 200 000, dans le meilleur des cas. En Lybie, il n’y a pratiquement plus de chrétiens.
Cette situation résulte de ce qui s’est passé dans ces pays avec la participation directe des États-Unis. C’est pourquoi, si la nouvelle administration des États-Unis parvient à changer sa ligne politique au Proche-Orient, cela peut avoir d’excellentes répercussions sur la situation, notamment aider les chrétiens qui ont été forcés de fuir leur pays et qui espèrent encore pouvoir y rentrer.
Mais le degré d’hystérie que j’ai observé en Amérique autour du président Trump oblige à douter de la capacité de cette administration à diriger le processus, car ce que le président veut est une chose, ce qu’il peut réellement faire en est une autre. Il a contre lui une partie importante de l’establishment politique, les principaux médias américains. Il n’a pas de soutien suffisant dans la société, c’est-à-dire qu’il est soutenu par de larges couches de la population, mais les gens qui prennent les décisions au niveau moyen ou en bas de l’échelle s’opposent à lui ouvertement ou en sourdine.
E. Gratcheva : En d’autres termes, à votre avis, il doit se passer quelques temps avant que Tramp et sa nouvelle administration puissent parler ouvertement d’un véritable redémarrage des relations avec Moscou ?
Le métropolite Hilarion : Je pense qu’il faudra du temps, il faut que cette administration s’affirme, car ce qu’on observe actuellement fait véritablement craindre pour sa viabilité. Des déclarations comme quoi il faut soumettre le président Trump à une procédure d’impeachment se sont déjà fait entendre. Il n’est au pouvoir que depuis une centaine de jours, et on parle déjà d’impeachment, on dit qu’il n’est pas capable de remplir ses fonctions, etc.
E. Gratcheva : Autrement dit, la chaîne de télévision CNN, que certains appelaient le Clinton News Network pour son soutien à Clinton pendant la campagne électorale, a plus de pouvoir que Trump. C’est ce que vous voulez dire ?
Le métropolite Hilarion : Ce n’est pas seulement la chaîne CNN, ce sont aussi d’autres chaînes de télévision, qui déforment et altèrent la position de Trump. On cite ses déclarations, on commente ses actions, mais les commentaires ont toujours une connotation fortement négative. En écoutant les commentaires de CNN, je n’ai pas entendu de point de vue alternatif : un commentateur, un second, un troisième, un quatrième, un cinquième, ils sont tous contre Trump.
E. Gratcheva : Passons maintenant aux affaires russes. Le procès du blogueur Rouslane Sokolovski s’est terminé par une condamnation à trois ans et demi de prison avec sursis. Il a été condamné pour incitation à la haine sur Internet et pour atteinte aux sentiments des croyants. Ce jeune homme de 22 ans a fondé un journal sur internet, s’inspirant du scandaleux journal français « Charlie Hebdo ». Le créateur de ce journal, l’éditeur François Cavanna, pour lequel il n’existait aucun tabou, rien de sacré ni d’amoral, disait en 1982, que c’est là le principe numéro un de sa publication. Je le cite : « Pas même ta propre mère, pas même les martyrs juifs, ni même ceux qui crèvent de faim. Rire de tout, de tout férocement, amèrement, pour exorciser les vieux monstres. »
Qu’est-ce que c’est que ce phénomène qui s’est emparé des esprits de nos jeunes ?
Le métropolite Hilarion : L’arrestation de ce jeune homme, son procès et sa condamnation sont présentés dans les médias comme si c’était l’Église qui condamnait ce blogueur, c’est, disent-ils, le retour de l’inquisition, on se fait juger pour ne pas croire en Dieu. Un présentateur connu a dit qu’il ne croit pas non plus en Dieu, est-ce qu’il sera condamné pour cela ? Autour de ce procès, il y a eu dès le début beaucoup de démagogie, reposant, à mon avis, sur une désinformation volontaire, car ce jeune homme n’est pas condamné à cause de son athéisme, pas parce qu’il ne croit pas en Dieu, mais pour excitation à la haine, pour ses déclarations offensantes.
Personne ne s’intéresse au fond de l’affaire. On m’a imprimé certaines des déclarations de ce blogueur. Voici ce qu’il dit, par exemple : « Les violeurs et leurs victimes, les uns et les autres sont des ordures débiles. » Je m’excuse de citer ça, mais il faut que nos téléspectateurs sachent. « Les musulmans sont pas cools… Il n’y a pas longtemps, pendant je ne sais quelle fête religieuse, les miliciens ont fait irruption chez eux, ils les ont tous liés, et après ils ont déporté la plupart à l’étranger. Dommage que ce ne soit pas plus souvent. » Des hospices, il écrit : « les malades incurables qui y sont, ils finiront de toute façon par crever, ça ne sert à rien de leur donner de l’argent ». Sauf qu’à la place de « ça ne sert à rien », il emploie un mot grossier. L’ensemble de ses textes est truffé de mots orduriers. « C’est un légume, et ça aussi c’est un légume », voilà le commentaire qu’il écrit sous une photo représentant une tomate et un enfant trisomique.
Donc c’est quelqu’un qui attise volontairement et démonstrativement la haine envers des classes entières, des couches entières de la population : les musulmans, les malades incurables, les trisomiques, etc. C’est pour cela qu’il a été jugé. Et d’ailleurs, il n’a eu qu’une peine avec sursis, donc rien à voir avec l’image qu’ont présentée certains médias, comme quoi l’Église aurait fait condamner un garçon innocent. L’Église n’a aucunement participé à ce procès, ni comme témoin, ni comme victime. Cette personne a offensé des quantités de gens, et les organes judiciaires ont mis en évidence le mal que font ses déclarations. Il reste d’ailleurs en liberté. Il n’y a donc pas eu tragédie, ni pour lui, ni pour la vision du monde dont il fait la propagande.
E. Gratcheva : Je me pose donc la question : pourquoi l’Église est-elle restée à l’écart de ce procès civil, si dans les vidéos qu’il poste sur sa page, il s’attaque directement aux orthodoxes, et plus généralement aux chrétiens, s’il insulte Jésus Christ. Sa vidéo est d’ailleurs montée sur fond de célébration de la Divine liturgie, ce que tout le monde ne sait pas.
Le métropolite Hilarion : L’Église ne lutte pas ouvertement contre ceux qui luttent contre elle. L’Église, quand elle le juge nécessaire, exprime sa position, et de nombreux clercs et fidèles orthodoxes se sont exprimés sur Internet, dans la presse, à la télévision, à propos de ce blogueur. Mais l’Église ne doit pas être impliquée dans un procès, à mon avis. D’autant plus que personne ne l’a invitée. Il s’agissait de quelqu’un de concret, de ses déclarations, et c’était aux organes judiciaires de déterminer son degré de culpabilité.
E. Gratcheva : La comparaison entre le site de Sokolovski et « Charlie Hebdo » est donc juste ?
Le métropolite Hilarion : Il y a beaucoup de démagogie autour de « Charlie Hebdo ». Dans le fond, ce sont des gens qui excitent à la haine, qui font la propagande d’un cynisme franc et d’une idéologie misanthrope. Là, c’est à chaque état de réagir à sa manière à des déclarations et à des activités de ce genre. La France a réagi à sa manière, la Russie à la sienne.
« Charlie hebdo » est devenu populaire non pas à cause de ses publications, mais à cause de l’attentat qui a d’ailleurs été provoqué par ces mêmes publications. On ne doit pas se demander qui est le plus coupable, ni poser le dilemme : vous êtes pour qui, pour « Charlie » ou pour les terroristes ? Ce dilemme est faussé, car nous, gens d’Église, ne sommes ni pour les terroristes, ni pour « Charlie ». Nous ne pouvons en aucun cas approuver les actes de violence des terroristes, nous condamnons toujours le terrorisme, mais, dans le même temps, nous ne pouvons être solidaires de gens qui diffusent une idéologie misanthropique de ce genre.
E. Gratcheva : L’affaire Sokolovski a été l’occasion de parler à nouveau de restrictions à apporter à Internet ou à certains comptes sur les réseaux sociaux. Certains blogueurs ont des millions d’abonnés, ce qui revient à la population de villes entières, ou même de certains pays européens. Que pensez-vous de l’idée de restreindre d’une façon ou d’une autre les réseaux sociaux ? Beaucoup de prêtres ont leur page sur les réseaux sociaux, dont ils se servent beaucoup. Le réseau social orthodoxe « Elitsi » devient de plus en plus populaire aussi.
Le métropolite Hilarion : Le monde virtuel d’aujourd’hui devient semblable au monde réel, de nombreux processus commencent dans le monde virtuel, puis se matérialisent dans le monde réel. Au départ, mettons, certains appellent sur Internet à commettre des actes de violence, ensuite ces actes sont commis réellement.
Nous avons toujours dit qu’il ne fallait pas seulement lutter contre les terroristes, mais organiser une prévention efficace du terrorisme. Nous devons lutter par tous les moyens contre la diffusion de l’idéologie terroriste. Cela concerne notamment Internet, car Internet est un espace échappant à tout contrôle, où agissent impunément des gens qui propagent l’idéologie terroriste et misanthropique. Certes, il faut un contrôle. De quel genre de contrôle doit-il s’agir, et quelles formes doit-il avoir, je pense que c’est à l’état de décider, afin d’assurer la sécurité des citoyens.
Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions des téléspectateurs posées sur le site de l’émission « l’Église et le monde », vera.vesti.ru
Question : Toutes les sectes sont-êtes destructives pour la personnalité ?
Le métropolite Hilarion : Il n’y a pas de sectes qui seraient inoffensives ou sans danger. Je le sais bien car je travaille beaucoup avec les gens qui ont été victimes des sectes. Dans l’église où je célèbre, Notre-Dame-Joie-de-tous-les-affligés, on accueille souvent des personnes victimes de religions non traditionnelles, qui désirent revenir à l’Église. Tous les six mois, je célèbre le rite de réunion à l’Église orthodoxe des personnes qui s’en sont temporairement écartées, et chaque fois cette cérémonie réunit 60, 80 voire 100 personnes. En échangeant avec elles, je constate les dommages que font les sectes.
Question : J’ai loué une chambre pendant quatre mois chez une adepte convaincue de la secte interdite des « Témoins de Jéhovah ». Je ne le savais pas quand je me suis installée. Elle n’a pas cessé de m’attirer dans sa secte. Elle était agressive et s’est même mise à me menacer : « Vous verrez bientôt de quoi nous sommes capables ». Est-ce que je dois me plaindre à la police ou à la procurature ?
Le métropolite Hilarion : Cela dépend du danger. Si vous vous sentez en danger, vous devez naturellement vous adresser à la police ou à la procurature. Mais le danger des sectes est qu’elles causent du tort à l’âme, donc la première chose à faire est de quitter cet appartement afin de ne pas être en butte à la propagande de la secte. Il faut trouver un autre endroit où vous serez en sécurité spirituellement parlant.