Pendant son séjour à l’île de Chypre, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, s’est entretenu avec le correspondant de l’agence de presse ecclésiastique « Romfea ». Répondant aux questions du journaliste, le métropolite a abordé différents thèmes, parmi lesquels le Concile qui s’est tenu l’an dernier en Crète, la construction d’une église russe à Chypre, la situation de l’Église orthodoxe ukrainienne, la situation au Proche Orient, etc.

Éminence, où en est aujourd’hui l’Orthodoxie, depuis le Concile panorthodoxe qui s’est tenu en Crète et auquel l’Église orthodoxe russe n’a pas participé ?

Avant tout, il faut dire que ce ne fut pas, malheureusement, un Concile panorthodoxe. Nous désirions vivement un Concile panorthodoxe, notre Église a tout fait pour le préparer. Jusqu’au dernier moment, nous avons espéré que le Concile de Crète pourrait vraiment être un concile panorthodoxe, notre Église avait tout préparé pour y participer, nous avions même retenu nos chambres d’hôtel et nos billets d’avion. Nous avons été très déçus que le Concile panorthodoxe n’ait pas eu lieu.

Il y a bien eu un Concile, celui de dix Églises orthodoxes locales, tandis que cinq autres Églises orthodoxes n’y ont pas participé. J’inclus à ce chiffre l’Église orthodoxe en Amérique, que nous reconnaissons comme Église autocéphale.

Pourquoi n’avons-nous pas pu participer, finalement, au Concile ? Parce que nous avions toujours insisté pour que les décisions soient prises au consensus, compris comme l’accord de toutes les Églises orthodoxes locales reconnues de tous, sans exception. L’expression Églises reconnues de tous désigne 14 Églises, dans la mesure où il n’y a pas de consensus sur l’autocéphalie de l’Église orthodoxe en Amérique.

Lorsqu’il a été annoncé que l’Église bulgare, puis l’Église d’Antioche et enfin l’Église géorgienne refusaient de participer, il est devenu clair qu’il n’y aurait pas de consensus. Nous avons donc demandé au Patriarcat œcuménique de convoquer une Conférence panorthodoxe d’urgence, car il restait quand même encore deux ou trois semaines avant le Concile. Mais cette conférence n’a pas été convoquée, toutes les Églises ont été invitées au Concile. Dans ce contexte, trois Églises reconnues allant être absentes, nous ne pouvions pas participer au Concile, notre condition principale n’étant pas remplie, cette condition étant que les décisions prises par le Concile le seraient sur le mode du consensus de toutes les Églises locales reconnues de tous.

Néanmoins, le Patriarche Cyrille a envoyé un message au Concile de Crète. Nous comprenons aussi bien la décision des Églises qui n’y sont pas allées que celle des Églises qui ont participé au Concile, tous ont agi selon leur conscience. Le Concile a eu lieu, nous le recevons comme un pas important vers le Concile panorthodoxe. Ce n’est pas un Concile panorthodoxe, c’est un pas dans sa direction.

Aujourd’hui, nous continuons à étudier les décisions du Concile de Crète, nos théologiens y travaillent. Il nous faudra un jour donner notre avis sur ces documents. Mais nous pensons que, aussi bien avant le Concile de Crète qu’après lui, notre tâche principale est de travailler à l’unité panorthodoxe et à s’abstenir de toute démarche qui pourrait nuire à cette unité.

En Grèce, un tribunal a récemment prononcé une sentence d’acquittement dans l’affaire dite du monastère de Vatopedi. L’higoumène de ce monastère, l’archimandrite Ephrem, a remercié les Russes et l’Église russe de leur soutien dans les moments difficiles qu’il a traversés. Ainsi, les espérances de la Russie, qui était du côté du père Ephrem, se sont trouvées justifiées. Que pensez-vous de cette décision ?

L’Église orthodoxe russe et l’état russe ont soutenu dès le début l’archimandrite Ephrem dans sa lutte pour le triomphe de la justice. Nous ne sommes pas intervenus dans le procès, mais beaucoup avaient l’impression que cette affaire avait été fabriquée de toutes pièces et qu’il s’agissait dès le départ d’une action antireligieuse. Nous avons constamment soutenu l’archimandrite Ephrem, higoumène respecté d’un monastère de l’Athos, et nous sommes heureux que cette affaire qui a si longtemps traîné et causé tant de dommages à la réputation de l’Église (ce qui était d’ailleurs peut-être l’objectif de ceux qui l’avaient initiée), soit enfin terminée.

Comme nous sommes à Chypre, pouvez-vous commenter la construction d’une église russe dans l’île ? Est-ce qu’il ne serait pas formidable de voir semblables églises en Grèce aussi ?

Nous avons participé aujourd’hui à un évènement remarquable et très réjouissant : une première église russe a été bâtie à Chypre. Ce n’est pas une église de l’Église orthodoxe russe, mais une paroisse de l’Église orthodoxe de Chypre. Cependant, dans cette église bâtie dans le style russe grâce aux fonds de mécènes russes, l’office sera célébré en slavon et en grec, les Russes (qui sont environ 50 000 à Chypre) aussi bien que les Chypriotes pourront venir y prier. J’espère que d’autres métropoles de l’Église de Chypre construiront leurs églises russes.

C’est un excellent exemple de solidarité interorthodoxe et de sollicitude du métropolite local envers une certaine population. J’espère que l’exemple du métropolite Isaïe de Tamassos et d’Oreini sera suivi par d’autres hiérarques, non seulement à Chypre, mais aussi en Grèce, où résident de très nombreux fidèles russophones.

Éminence, Sa Sainteté le Patriarche Cyrille et vous-mêmes venez souvent en Europe. Le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie est récemment venu en Angleterre. Nous savons aussi que le gouvernement hongrois a accordé des subsides pour la restauration et la construction d’églises orthodoxes. Cela ne signifie-t-il pas que la Russie s’ouvre à l’Europe, qui s’éloigne de ses racines chrétiennes ?

Je tiens à dire tout d’abord que la Russie n’a jamais été fermée à l’Europe. C’est l’Europe qui se fermait à la Russie. Les sanctions russes sont une riposte. Mais je ne suis pas expert en politique.

Quant à ce qui concerne la morale et la vie spirituelle, je pense que l’Église russe est très préoccupée par ce qui se passe en Europe occidentale aujourd’hui, où le christianisme est rejeté hors de la sphère publique. L’Europe, si elle renonce à ses racines chrétiennes, renonce à son identité. Il n’en restera qu’une organisation amorphe, incapable de répondre aux défis extérieurs.

Je suis certain que sur le plan civilisationnel, l’Europe a toujours été et doit rester un continent chrétien, tout en ayant été et en devant rester une maison hospitalière pour les représentants d’autres traditions religieuses et pour ceux qui n’ont aucune religion. Je pense que l’un ne contredit absolument pas l’autre. Mais la défense du christianisme est notre tâche commune, et j’aimerais que la voix de l’Église orthodoxe résonne fortement dans l’Europe d’aujourd’hui. C’est encore une raison pour laquelle nous avons besoin d’être ensemble.

Éminence, l’un des thèmes de l’actualité est la question ukrainienne et, notamment, la situation de l’Église en Ukraine, qu’ignorent la plupart des Grecs. Que se passe-t-il donc dans ce pays ?

Il y a un schisme en Ukraine. Il résulte d’un projet politique : en 1992, le métropolite Philarète de Kiev, qui n’avait pas été élu Patriarche de Moscou et de toute la Russie, ayant conservé de la rancune à ses confrères les hiérarques de l’Église orthodoxe russe qui en avaient élu un autre, a décidé de proclamer une « église autocéphale ». Il l’a fait sans l’accord de l’Église orthodoxe russe et sans l’accord des autres Églises orthodoxes locales. L’épiscopat de l’Église orthodoxe ukrainienne ne l’a pas suivi, les fidèles orthodoxes ne l’ont pas suivi. Cet homme a rejoint un autre schisme, basé en Amérique, à l’intérieur duquel il a été finalement été proclamé pseudo-patriarche.

L’Église orthodoxe russe l’a invité à se repentir. Il a été interdit pour avoir créé un schisme. Ensuite, il a été déchu de son rang ecclésiastique et défroqué. Et finalement excommunié. Et c’est ce monsieur anathémisé qui se déclare patriarche. Une grande partie de ses actes sont motivés par la haine de l’Église orthodoxe russe.

Les autorités ukrainiennes actuelles, en la personne de nombre de leurs représentants, inclinent à créer une « Église locale d’Ukraine réunie ». Ils envisagent d’arracher l’Église orthodoxe ukrainienne canonique, qui rassemble la majeure partie des fidèles orthodoxes d’Ukraine, à l’Église orthodoxe russe, à laquelle elle est pourtant liée depuis un millénaire, afin de la soumettre à ce pseudo-patriarche. Ils veulent y inclure les partisans d’un autre schisme. Puis réunir à cet agglomérat les gréco-catholiques.

Croyez-vous que ce sont les uniates qui sont derrière ce projet ?

Ce sont les politiciens qui tentent de s’immiscer dans les affaires de l’Église.

Puisque vous avez mentionné les hommes politiques ukrainiens, comment commenteriez-vous leurs fréquentes visites au Phanar ? Ils ne cessent de s’adresser au Patriarche Bartholomée pour lui demande de proclamer une Église locale réunie.

Je pense que le Patriarcat œcuménique a le droit de recevoir les hommes politiques de n’importe quel pays et de n’importe quelle orientation politique. Nous avons beaucoup de respect pour le Patriarche de Constantinople et ne croyons pas nécessaire de commenter les audiences qu’ils donnent à des hommes politiques.

Mais lorsque de pseudo-hiérarques sont reçus au Phanar, cela ne peut pas ne pas nous attrister. Ces messieurs publient des photos de leurs rencontres avec les hiérarques du Patriarcat de Constantinople, révèlent le contenu des négociations. Nous ne savons certes pas à quel point leurs comptes-rendus de ces rencontres sont fiables, mais si l’on en croit ces gens, le Phanar les soutient et leur promet de créer une Église locale en Ukraine au moyen d’une scission avec l’Église orthodoxe russe.

Nous ne voulons naturellement pas croire ces informations. Nous avons entendu bien des fois le Patriarche œcuménique nous déclarer fermement qu’il considérait l’Église orthodoxe ukrainienne présidée par Sa Béatitude le métropolite Onuphre comme la seule Église canonique en Ukraine. Ces déclarations de Sa Sainteté le Patriarche Bartholomée sont la base sur laquelle nous fondons nos rapports avec le Patriarcat de Constantinople. Nous estimons que notre tâche principale est actuellement d’affermir l’unité interorthodoxe et d’empêcher absolument que la paix et l’entente entre les Églises soient rompues.

Éminence, l’Église russe a œuvré dès les premiers jours pour aider à résoudre la situation en Syrie. Vous ne cessez personnellement de parler de la situation au Proche Orient, de la menace de l’extrémisme et du terrorisme. Du point de vue de l’Église russe, où en est la situation actuellement ?

Avant tout, il est nécessaire d’arrêter la guerre en Syrie, d’en chasser les terroristes. Sans quoi, il est impossible de parler d’un règlement de la situation. Lorsque les représentants des cercles politiques occidentaux disent que la résolution du problème syrien consiste à chasser de Syrie le président B. Assad, nous leur rappelons que ce scénario a déjà été appliqué, d’abord en Irak, puis en Lybie. Cela n’a amené ni la démocratie, ni une amélioration de la situation dans ces pays. Au contraire, nous assistons à un déchaînement du terrorisme, à un génocide des chrétiens. Les évènements auraient suivi le même scénario en Syrie si la Russie n’étaient venue en aide aux armées syriennes dans leur lutte contre le terrorisme.

J’estime le terrorisme un défi pour l’ensemble du monde civilisé. Pour le vaincre, il faut que tous les hommes de bonne volonté unissent leurs efforts. Les hommes politiques doivent mettre de côté leurs désaccords et faire front commun.

La Syrie a besoin d’aide humanitaire, et, à la mesure de nos forces, nous lui en fournissons. Mais ce que nous pouvons faire n’est qu’une goutte d’eau dans la mer : le pays est détruit, l’infrastructure est détruite, il faudra d’immenses efforts pour le reconstruire.