Le 5 décembre 2016, Sa Sainteté le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie, en visite au diocèse de Chersonèse, s’est entretenue avec les représentants des médias et a répondu à leurs questions.

Question : Sainteté, quel est le bilan de votre première visite en France, quelles sont vos impressions personnelles ?

Le Patriarche Cyrille : Je suis très satisfait de ma visite. Le programme a été très bien préparé, et les résultats des rencontres qui ont eu lieu sont aussi très encourageants

L’évènement le plus important a été la consécration de la cathédrale, au centre de Paris. Lorsque j’en ai reparlé avec différentes personnes, j’ai souvent entendu des expressions comme : « C’est un évènement historique », « c’est un miracle auquel on n’aurait pas pu croire il y a encore peu de temps ». Le Seigneur aide à la réalisation des projets les plus incroyables, dont la réalisation paraît en soi un miracle.

On ne saurait surestimer l’importance de l’existence d’une cathédrale orthodoxe russe et d’un centre spirituel et culturel orthodoxe en plein Paris. Différents représentants de la société française ont déjà manifesté leur intérêt pour le développement de ce centre, afin que nos peuples, malgré un contexte politique peu porteur, puissent mieux se comprendre, afin que la sympathie grandisse entre eux, d’autant qu’il existe pour cela toute une base historique : le début du XX siècle, les siècles précédents… Même les tragédies du siècle passé témoignent de ce que les Russes et les Français ont été alliés, ont su se soutenir les uns les autres. Dieu fasse que cette tradition de bonnes relations, de relations d’alliance, se développe et nous aide face aux défis politiques d’aujourd’hui, à élaborer une position réaliste et utile aux deux pays.

Question : Quel message souhaitiez-vous transmettre au Président François Hollande ? De quoi avez-vous parlé, et comment l’a-t-il reçu ?

Le Patriarche Cyrille : La visite s’est très bien passée, elle était organisée à un très haut niveau protocolaire, et nous avons eu un bon entretien. Nous avons parlé, naturellement, de sujets d’actualité. En premier lieu de la situation au Proche Orient, de la situation des minorités chrétiennes et autres dans la région. On sait que l’Église russe a, dès le début, exprimé sa position, invitant à définir ce qui se passe au Proche Orient comme un génocide.

Je pense que notre déclaration commune avec le Pape François de Rome a beaucoup fait pour la promotion de cette idée, car nous étions entièrement du même avis, nous avons la même approche du problème oriental. Il faut aussi dire qu’au printemps 2016 (c’était d’ailleurs peu après ma rencontre avec le Pape François), la France a fait plusieurs propositions très importantes au Conseil de sécurité de l’ONU sur la situation des minorités chrétiennes. Mon entretien avec Monsieur le Président m’a permis de sentir une préoccupation clairement exprimée sur ce qui arrive aujourd’hui aux chrétiens et aux minorités en général au Proche Orient.

Nous avons aussi parlé de l’Ukraine. J’ai parlé de la position de paix que défend l’Église. Elle n’est ni avec les uns, ni avec les autres, et estime de son devoir de tout faire pour réconcilier les gens, pour que cesse ce profond conflit civil.

L’entretien a aussi abordé l’évènement historique de la consécration de la cathédrale au centre de Paris. Je dois dire que tous ceux que j’ai rencontrés voient positivement ce remarquable évènement.

Question : Sainteté, nous avons vu que le sujet de la légalisation des mariages homosexuels était très douloureux pour beaucoup de Français. Il y a eu des protestations massives. Avez-vous abordé ce thème pendant votre visite ?

Le Patriarche Cyrille : Nous avons abordé ce thème pendant ma rencontre avec l’archevêque de Paris, le cardinal André Vingt-Trois. Tout le monde connaît le rôle de l’Église catholique, qui s’est prononcée de façon catégorique contre la légalisation des mariages homosexuels. La manifestation d’un million de Français, principalement des catholiques, a été le témoignage éclatant du désaccord d’une partie importante de la population avec ce qui se passait.

Il faut dire que la position de l’Eglise n’a changé en rien, et ne peut changer, car cela va contre la morale chrétienne. Je répète encore une fois que ni les catholiques, ni les orthodoxes ne jugent personne. Nous n’exigeons pas de durcissement contre ceux dont les orientations sexuelles présentent des particularités. Mais nous refusons catégoriquement que ces relations soient mises au même niveau que le mariage, qui a été établi par Dieu et duquel naissent des enfants, par lequel se poursuit l’existence du genre humain. Ce qui entre dans le dessein de Dieu ne peut être corrigé par des doctrines ou des pratiques politiques. La position de l’Église se base sur ce postulat.

Question : Votre visite a lieu à un moment difficile dans les relations bilatérales, dans les relations entre la Russie et l’Europe. Avez-vous ressenti un désir d’établir un dialogue, ou le contraire ?

Le Patriarche Cyrille : Je n’ai éprouvé aucune difficulté. Un grand nombre de personnes que j’ai rencontrées sont bien disposées envers la Russie, elles comprennent l’importance des relations franco-russes, tiennent compte de notre histoire commune.

Et comment ne pas en tenir compte ! Mardi, j’ai célébré dans la région de Kaliningrad. A Goussev (anciennement Gumbinnen), on a construit une nouvelle église, que j’ai consacrée. Une tragédie terrible s’est déroulée sur ce site : en août 1914, là-bas, en Prusse orientale, l’armée russe du général Samsonov a été défaite. Pourquoi des Russes sont-ils morts là-bas ? La Prusse orientale était pourtant sur le territoire de l’Allemagne. Parce que l’État russe avait pris sur lui la responsabilité d’aider les Français, d’empêcher l’occupation de leur pays par l’Allemagne, d’empêcher la prise de Paris. Afin que les Allemands ne puissent concentrer leurs forces sur l’invasion de la France et la prise de Paris, les Russes ont ouvert un deuxième front. C’est ainsi que l’armée de Samsonov a péri.

Peut-on rayer d’un trait des épisodes comme celui-ci de notre histoire commune ? Non, jamais. Je suis satisfait que beaucoup de gens s’en souviennent, le savent. C’est sur des faits comme celui-là que s’appuie la sympathie mutuelle que j’ai pleinement ressentie durant ma visite.