Le 10 novembre 2015, Sa Sainteté le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a rencontré le chef de l’Église syro-jacobite, ou Église syriaque orthodoxe, Sa Sainteté le Patriarche Ignace Ephrem II.

La rencontre avait lieu à la résidence patriarcale du monastère Saint-Daniel de Moscou. Y participaient également le métropolite de Bagdad et de Basra Mor Severius Hawa, le métropolite Mor Dionysius Jean Kawak, assistant du Patriarche, directeur du Département des relations œcuméniques de l’Église syriaque orthodoxe, l’archevêque Mor Philoxène Youssouf Cetin, vicaire patriarcal à Istanbul et Ankara, l’archevêque Mor Nicodème Daoud Sharaf de Mossoul, le révérend père Raban Roger-Youssef Akhrass, directeur du département d’études syriaques, le révérend père Raban Joseph Bali, secrétaire patriarcal et directeur du bureau des médias syriaque.

L’Église orthodoxe russe était représentée par le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, son vice-président l’archimandrite Philarète (Boulekov), le hiéromoine Stéphane (Igoumnov), secrétaire du DREE aux relations interchrétiennes.

« Je suis heureux de vous accueillir, ainsi que vos compagnons de route », a dit le Primat de l’Église orthodoxe russe, accueillant le Patriarche Ignace Ephrem II, avant de constater que c’était la première visite depuis 27 ans d’un primat de l’Église syro-jacobite. La dernière visite avait eu lieu en 1988 : le Patriarche Mar Ignace Zakka Ier Iwas était venu à Moscou participer aux cérémonies du millénaire du baptême de la Russie.

Les relations entre les deux Églises se sont intensifiées durant la seconde moitié du XX siècle, a poursuivi le Patriarche Cyrille, constatant par ailleurs qu’il serait erroné de croire qu’il n’y avait eu auparavant aucun contact entre la Rous’ orthodoxe et les représentants de l’Église syriaque orthodoxe. « Immédiatement après que nos ancêtres ont adopté le christianisme, un grand nombre de pèlerins s’est acheminé vers le Proche Orient. Là-bas, en Syrie, en Palestine, en Irak, les nôtres ont découvert votre Église en visitant les lieux saints. Il s’agissait de liens du cœur, au niveau de l’expérience personnelle de rencontre des pèlerins avec votre Église » a dit le Patriarche Cyrille, rappelant que par la suite, chaque fois qu’un danger menaçait les chrétiens d’Orient, la Russie s’était fait un devoir de leur venir en aide.

Aujourd’hui, les communautés chrétiennes au Proche Orient traversent une époque très difficile, a constaté le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie. « Ces souffrances sont comparables à celles des premiers chrétiens, qui ont été persécutés par le pouvoir païen des Romains. Mais il y a une différence : les Romains ne détruisaient ni les maisons, ni les villages, tandis que les ennemis actuels du christianisme démolissent les maisons et des villages entiers. Ils chassent des milliers et des milliers de chrétiens des lieux où ils ont toujours vécu » a constaté Sa Sainteté.

Le Primat de l’Église orthodoxe russe a présenté d’effrayantes statistiques sur le nombre de victimes assassinées, opprimées, forcées de quitter leurs pays.

Le Patriarche Cyrille a aussi exprimé son extrême inquiétude au sujet du sort du métropolite de l’Église syro-jacobite Mar Grégoire Jean Ibrahim, qu’il a connu personnellement depuis plusieurs décennies. Avec le métropolite Paul d’Alep, hiérarque de l’Église orthodoxe d’Antioche, le métropolite Grégoire Jean Ibrahim a été enlevé par les extrémistes au nord-est de la Syrie. Depuis plus de deux ans, on est sans nouvelles de ces deux hiérarques chrétiens, on ne possède sur eux aucune information sûre, on ignore même s’ils sont vivants ou non.

Evoquant son séjour en Syrie et au Liban, en novembre 20177, lorsque le conflit ne faisait que commencer, le Patriarche Cyrille a raconté : « J’ai rencontré les chefs des communautés religieuses. Nos frères chrétiens disaient déjà à l’époque que cette guerre pourrait avoir des conséquences épouvantables pour la population chrétienne. Au Liban, les représentants des communautés chrétiennes traditionnellement liées à l’Occident m’ont donné des informations très étonnantes, comme quoi l’Occident les avait abandonnés et avait cessé de les défendre, sans parler des chrétiens qui n’avaient traditionnellement pas de relations avec l’Occident. » Selon Sa Sainteté, ces mots l’avaient profondément frappée, l’incitant à faire son possible pour mobiliser les gens en faveur des chrétiens du Proche Orient.

Le Synode de l’Église orthodoxe russe a publié à plusieurs reprises des déclarations sur la situation des chrétiens au Proche Orient ; le Patriarche de Moscou et de toute la Russie en parle lors de ses rencontres avec les chefs d’État et les responsables des organisations internationales, notamment avec les autorités de la Fédération de Russie. En 2013, les Primats et les représentants de toutes les Églises orthodoxes locales participant à la célébration du 1025e anniversaire du baptême de la Russie ont demandé au Président russe, lors de leur rencontre avec Vladimir Poutine, de faire tout ce qui dépendait de lui pour mettre fin aux persécutions des minorités ethno-confessionnelles du Proche Orient.

L’Église orthodoxe russe travaille en permanence sur ce thème avec le ministère des Affaires étrangères russe. En mars 2015, à l’initiative de la Russie, du Vatican et du Liban, dans le cadre de la XXVIII session du Conseil aux droits de l’homme de l’ONU, une déclaration de « Soutien des droits des chrétiens et des autres communautés, en particulier au Proche Orient » a été adoptée. « Aussi étonnant que cela soit, c’était la première fois que le communauté internationale reconnaissait l’existence du problème, a souligné Sa Sainteté. Jusque-là, pendant quatre ans, « il ne se passait rien » et pratiquement personne ne parlait des souffrances des chrétiens. Nous savons que la communauté internationale réagit très vite et prend des résolutions ou adopte des déclarations très fermes sur d’autres cas de discrimination, mais rien de ce genre n’a été fait pour la défense des chrétiens du Proche Orient ».

« Nous espérons qu’aujourd’hui, grâce à l’activité de la Russie pour la lutte contre le terrorisme international, des changements positifs interviendront. Et j’aimerais connaître votre avis sur cette perspective » a dit Sa Sainteté, s’adressant au chef de l’Église syro-jacobite.

Le Patriarche Cyrille a aussi décrit les efforts de l’Église orthodoxe russe pour organiser des envois d’aide humanitaire à ceux qui souffrent du conflit au Proche Orient. Les convois sont remis à l’administration de Sa Béatitude le Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient Jean X, ainsi qu’au grand mufti de Syrie, le cheik Ahmed Badreddin Hassouna, afin qu’ils les distribuent aux victimes.

« Nous savons que l’Église syriaque orthodoxe a beaucoup souffert et beaucoup perdu à cause de cette guerre, particulièrement dans les régions d’Alep et de Homs, a poursuivi le Patriarche de Moscou. A notamment souffert la fameuse église d’Umm Zeynar, où est conservée une parcelle de la ceinture de la Mère de Dieu. Nous savons quelles souffrances a enduré votre communauté à cause de ce qui se passe aujourd’hui en Syrie. »

Le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a exprimé son espoir que la présente rencontre contribuerait au renforcement des relations entre les deux Églises et à des changements positifs dans la situation des chrétiens au Proche Orient.

Dans sa réponse, le chef de l’Église syro-jacobite a dit : « Au nom de mes frères et en mon nom personnel, permettez-moi de vous remercier de votre invitation à rendre visite à notre sœur l’Église orthodoxe russe, qui est un repère pour nous, en particulier dans les conditions difficiles dans lesquelles nous sommes aujourd’hui. Aujourd’hui nous sommes venus de Damas, la ville la plus ancienne de la terre, la ville de saint Paul, de saint Ananias et de tant d’autres saints. Nous sommes venus ici, portant avec nous la douleur du peuple syrien, ses attentes et ses espoirs. »

Le Patriarche Ignace Ephrem II a parlé des souffrances des peuples syrien et irakien, soulignant : « Nous souffrons à cause de l’expansion du terrorisme et de l’extrémisme qui ont été apportés dans notre pays depuis l’extérieur ; la présence chrétienne au Proche Orient est particulièrement menacée. »

« Ce n’est pas la première fois que nous venons en Russie et que nous nous adressons à vous dans des temps difficiles, a rappelé le Patriarche syro-jacobite. Cette année, nous célébrons le centenaire du génocide de la population chrétienne de l’Empire ottoman. Il y a cent ans, de nombreux représentants de notre communauté syro-jacobite sont venus chercher le salut en Russie, fuyant la terreur et les meurtres visant les chrétiens. Nous voulons remercier Votre Sainteté de ce qu’en ces temps difficiles, vous luttez avec nous épaule contre épaule. Nous sommes reconnaissants des fermes déclarations que vous publiez en notre faveur, de ce que vous contribuez à une solution pacifique du conflit en Syrie, nous vous sommes aussi reconnaissants de l’aide humanitaire que l’Église orthodoxe russe accorde à notre peuple. »

Le Patriarche Ignace Ephrem II a mentionné avec reconnaissance la lettre adressée par le Patriarche Cyrille au Président des États-Unis B. Obama sur la situation en Syrie, ainsi que les nombreuses initiatives entreprises par l’Église orthodoxe russe en rapport avec le conflit en Syrie.

« Par vous et par l’Église orthodoxe russe, qui est l’âme du peuple russe, nous voulons remercier tout votre peuple du soutien que vous nous accordez. Nous sommes notamment reconnaissants des opérations militaires entreprises par la Russie, des pertes que vous avez subies, de l’aide que vous apportez pour surmonter ces circonstances difficiles. Nous voulons vous assurer que la plus grande partie du peuple syrien, de même que la plus grande partie du peuple irakien, vous sont reconnaissantes de ces pertes et de cette aide » a dit le chef de l’Église syriaque orthodoxe, soulignant que c’est la population civile de ces pays qui souffre, les chrétiens comme les musulmans ayant à surmonter des épreuves extrêmement difficiles.

« En ce qui concerne les chrétiens, a poursuivi le Patriarche syro-jacobite, ils sont l’objet de persécutions non seulement parce qu’ils ont refusé de soutenir la soi-disant révolution, de s’allier à l’opposition, mais aussi tout simplement parce qu’ils sont chrétiens et restent fidèles à leur foi. Des dizaines d’églises et de monastères antiques, remontant aux IV-V siècles, ont été détruits. Des milliers de personnes ont été tuées. »

Sa Sainteté le Patriarche Mar Ignace Ephrem II a partagé ses impressions de sa récente visite de l’antique ville de Sadad, mentionnée dans l’Ancien Testament. Une communauté syro-orthodoxe y réside, qui compte 50 000 personnes. En octobre 2013, le groupe « Djabhat-an-Nursa » a attaqué cette ville, et 48 personnes ont été tuées. Les forces armées syriennes ont libéré la ville, et les gens sont revenus. Cependant, la semaine dernière, une nouvelle menace émanant du groupe « État islamique » est apparue : il s’est emparé d’un petit village peu éloigné de Sadad et y a détruit le monastère Saint-Élie. « Nous avons pu emmener les personnes âgées, les femmes et les enfants ; les jeunes sont restés dans la ville pour la défendre, a expliqué le chef de l’Église syro-jacobite. Grâce à Dieu, ces jeunes gens sont soutenus par d’autres communautés de toute la Syrie, y compris par des communautés chrétiennes, et ils ont pu refouler l’attaque de « l’État islamique ». Il me semble que la ville a été sauvée principalement parce que les gens commencent à espérer grâce aux opérations militaires de la Russie en Syrie. Avec votre soutien, les gens ont reçu une nouvelle impulsion, ils se sont remis à espérer qu’on pourrait vaincre la violence, le terrorisme, l’extrémisme. Nous observons la même chose dans toute la Syrie. »

Sa Sainteté le Patriarche Ephrem a attiré l’attention sur le problème des réfugiés fuyant les différentes régions en conflit. Une grande partie d’entre eux sont membres de communautés chrétiennes persécutées. « Selon nos évaluations, plus de 40% des chrétiens ont quitté la Syrie » a témoigné le Patriarche Ignace Ephrem II. Il a également rappelé que de nombreuses personnes trouvaient la mort en tentant de fuir en Europe.

« Tout cela se reflète négativement sur notre Église, sur notre communauté, a souligné le Patriarche syro-jacobite. Beaucoup de nos frères et sœurs commencent à perdre espoir. Ils se posent la question : avons-nous un avenir, pouvons-nous rester sur la terre de nos ancêtres, où ils ont vécu des milliers d’années avant la naissance du christianisme, y demeurant lorsque le christianisme, puis l’islam sont apparus ? Ceci n’est pas seulement valable pour la Syrie. En Irak, dans la vallée de Ninive, en un clin d’œil 150 000 personnes ont été privées de leurs maisons. Ils vivent aujourd’hui dans des camps de réfugiés dans la partie kurde du pays. Ils attendent depuis un an et demi l’aide promise par l’Occident, mais cette aide n’est toujours pas arrivée. »

« Lorsqu’il s’agit de gens qui n’ont ni pétrole, ni ressources naturelles, il apparaît que leur sort n’intéresse pas ces pays, ces grandes puissances. Pourtant, nous sommes aussi des hommes, a dit le Patriarche Mar Ignace Ephrem II. C’est pourquoi nous estimons la position de la Russie et de l’Église orthodoxe russe. Cela nous permet d’espérer pouvoir vivre en paix et en sécurité sur la terre de nos ancêtres. »

Pendant l’entretien, les Primats ont discuté des perspectives de développement du dialogue bilatéral et de la contribution des deux Églises à l’intensification des discussions entre les Églises orthodoxes et les Églises orientales, qui se poursuivent depuis la fin des années 1980 dans le cadre d’un dialogue théologique officiel. D’autres aspects d’une possible collaboration entre l’Église orthodoxe russe et l’Église syro-jacobite ont aussi été abordés.

A la fin de la rencontre, les parties ont échangé des cadeaux en souvenir.