Discours de

Sa Sainteté le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie

A la Synaxe des Primats des Églises orthodoxes locales

Constantinople, 2014

 

Sainteté, bien-aimé dans le Christ Confrère Patriarche Bartholomée,

Béatitudes et Saintetés,

 

Toute rencontre des Primats est un évènement important. C’est la possibilité de témoigner une fois encore de notre amour fraternel, d’échanger nos avis, de discuter ensemble des questions inquiétant le plérôme de l’Orthodoxie, de remercier Dieu et de Le prier, de nous tenir ensemble devant l’Autel de Dieu, de communier au même Calice, de nous soutenir mutuellement dans les difficultés et dans les épreuves. Ces rencontres témoignent de la réalité des liens à l’intérieur de l’Église orthodoxe une, de ce que nous sommes prêts à œuvrer ensemble à la préservation de l’unité de l’Église.

Nous sommes reconnaissants à notre Confrère, Sa Sainteté le Patriarche Bartholomée de Constantinople d’avoir pris l’initiative de cette rencontre, qui nous permet de débattre des questions les plus importantes de l’agenda orthodoxe. L’une de ces questions est certainement la préparation du Concile panorthodoxe.

J’ai déjà discuté à de multiples reprises du Concile panorthodoxe, tant avec les hiérarques de notre Église, qu’avec mes Confrères-Primats et avec les représentants des Églises orthodoxes locales. J’aimerais expliquer aujourd’hui à toutes les personnes présentes comment l’Église orthodoxe russe envisage le Concile, exposer l’opinion de nos hiérarques, telle qu’elle s’est exprimée au Concile épiscopal de Moscou en février 2013.

Avant tout, le Concile épiscopal de l’Église russe a affirmé la conviction générale de notre épiscopat qu’au Concile panorthodoxe, toutes les décisions doivent être prises « sur la base de l’expression unanime de la volonté de toutes les Églises orthodoxes locales, et non à la majorité des voix » (décret du Concile épiscopal de l’Église orthodoxe russe du 5 février 2013).

Par ailleurs, notre Concile a exposé la position suivante : « Le règlement et l’ordre du jour du Concile panorthodoxe, les principes de sa formation, le protocole des offices divins et des réunions, les projets des principaux documents conciliaires doivent être préalablement concertés par toutes les Églises orthodoxes locales. Les hiérarques de l’Église russe estiment que la préparation du Concile panorthodoxe doit prévoir une large discussion des décrets en préparation et se distinguer par un souci particulier de la préservation de la doctrine orthodoxe. Les membres du Concile épiscopal estiment nécessaire que le présidium du Concile panorthodoxe se compose des Primats de toutes les Églises orthodoxes locales, et que l’épiscopat des Églises locales soit représenté au maximum » (décret du Concile épiscopal de l’Église orthodoxe russe du 5 février 2013, art. 61).

Ensuite, je m’arrêterai plus en détail sur ces positions, dont j’expliquerai l’essence.

Le processus préconciliaire s’est jusqu’à présent appuyé avec succès sur le principe du consensus. Nous poursuivons la préparation du Concile depuis la Conférence de Rhodes en 1961. Alors, à l’initiative du Patriarcat de Constantinople, le principe du consensus avait été posé comme base de la prise des décisions : « Les décisions des réunions communes sont prises à l’unanimité complète des délégations des Églises » (Règlement du fonctionnement et des travaux de la Conférence panorthodoxe de Rhodes, art. 14). Ensuite, l’utilisation du principe du consensus a été confirmée par le Règlement des Conférences préconciliaires panorthodoxes de 1986. « Les textes sur tous les thèmes à l’ordre du jour des Conférences préconciliaires panorthodoxes sont approuvés à l’unanimité » (art. 16). C’est sur cette base que la liste des questions à l’ordre du jour du Concile panorthodoxe, le règlement des travaux des conférences préconciliaires panorthodoxes et des projets de décisions sur huit des neuf thèmes portés au Concile ont été concertés.

Le consensus est à la base des travaux des conférences épiscopales dans les régions de la diaspora. C’est grâce à ce principe que, dans le contexte historique actuel, est préservée l’unité de l’Église.

L’histoire ecclésiastique nous apprend que les conciles ne réussissaient pas et n’apportaient pas l’unité à l’Église si un consensus n’avait pas été atteint au préalable. En qualité d’exemple, on pourrait citer le Brigandage d’Éphèse de 449 le concile iconoclaste de 754. Porter au Concile des questions non concertées signifie transformer le Concile en un lieu de divisions, faire planer une menace sur l’unité ecclésiale, compliquer la réception des décrets conciliaires dans nos Églises locales. Notre tâche est de manifester l’unité de l’Église sur les questions qui inquiètent le monde orthodoxe. La voix de chaque Église, indépendamment du nombre de ses fidèles et de l’époque de sa formation, doit être entendue. Le Concile panorthodoxe doit être un lieu où l’Esprit Saint manifeste sa présence dans l’unanimité ecclésiale, où la soumission tyrannique de la minorité à la majorité est impossible.

On entend parfois dire que le principe du consensus ralentit le processus de prise de décisions et de préparation du Concile. Mais je crois que la raison du retard n’est pas là du tout. Nous ne disposons pas, malheureusement, de mécanisme de préparation efficace. Le Secrétariat pour la préparation du Concile, créé il y a de longues années et qui présupposait la préparation des représentants des Églises orthodoxes locales, ne fonctionne pas. L’Église orthodoxe russe a souvent proposé d’envoyer son représentant au Secrétariat, mais elle n’a pas reçu la réponse attendue.

J’aimerais aussi, sans entrer dans une discussion trop étendue sur le consensus, dire que les références au 6e canon du I Concile œcuménique, ainsi qu’au 19e canon du Concile d’Antioche ne sont pas correctes dans ce cas précis. Les canons dont il s’agit parlent de la majorité des voix lors de l’élection et de l’installation d’un évêque par les conciles de la métropole. Le 19e canon du Concile d’Antioche s’énonce comme ci : « Il faut que la majorité des évêques soit absolument présente ». Il ne s’agit que de l’élection. Ensuite, je cite : « Si tout se passe selon cette ordonnance, et que quelques-uns s’y opposent par esprit de contradiction, le vote de la majorité l’emportera. » Il n’est dit nulle part dans les canons que le principe de la majorité doive être appliqué à toute autre question que des questions de personnes. Cette tradition a été appliquée à toutes nos Synaxes, sauf une, celle de 2005, lorsque nous nous sommes réunis pour résoudre la question du Patriarche de Constantinople. Alors les décisions ont été prises à la majorité. Comme on sait, certains membres de la Synaxe se sont abstenus de voter. Mais la majorité a décidé de reconnaître le décret du Synode de l’Église de Jérusalem sur la déposition du Patriarche de Jérusalem. En aucun autre cas, ni dans l’histoire contemporaine, ni dans l’histoire ancienne, lors de l’examen de problèmes théologiques ou canoniques, on n’a eu recours au vote, qui suppose que la décision sera prise selon la volonté de la majorité.

La préparation au Concile doit être intensive. Pour cela, il faut attirer des forces créatrices. Il faut créer un organe efficace composé de représentants des Églises locales, et cet organe doit se réunir régulièrement pour échanger des opinions et des matériaux, notamment en recourant aux moyens de communication modernes, qui facilitent grandement la tâche. Si nous voulons vraiment convoquer le Concile panorthodoxe, nous devons apprendre à travailler ainsi.

Car nous avons encore beaucoup à travailler sur la thématique du Concile et sur son Règlement. Même les huit thèmes qui sont déjà élaborés et approuvés nécessitent une certaine révision en tenant compte des changements de réalités, comme vous l’avez dit, Sainteté, dans votre allocution. Les décisions du Concile doivent être actuelles et servir l’unité de l’Église et non pas devenir une pierre d’achoppement pour le peuple de Dieu.

Ceci concerne plus particulièrement deux documents, intéressant la thématique interchrétienne et le dialogue avec les autres confessions. Dans le contexte actuel et compte tenu des développements dans certaines communautés protestantes, impliquant un rejet radical des normes morales bibliques, ces textes doivent absolument être revus.

Le document « La contribution de l’Église orthodoxe à la réalisation de la paix, de la justice, de la liberté, de la fraternité et de l’amour entre les peuples et à la suppression des discriminations raciales et autres » contient des positions importantes sur la dignité humaine, mais il est fortement daté. Le problème du racisme n’est plus aujourd’hui aussi actuel que dans les années 1980.

Tous les thèmes à l’ordre du jour du Concile doivent être préparés soigneusement ensemble, il faut trouver un accord sur chacun d’eux. Si nous ne parvenons pas à nous mettre immédiatement d’accord sur certaines questions, il ne faut pas avoir peur de les remettre à l’examen des prochains Conciles. Si nous parvenons à préparons dignement ce Concile, je pense qu’il ne sera pas le dernier.

Par ailleurs, il y a des défis de la modernité que le Concile ne peut pas contourner. C’est l’exil massif des chrétiens du Proche Orient et d’Afrique du Nord, la menace de disparition de la présence chrétienne sur les terres d’où s’est diffusé le christianisme. C’est le péril spirituel que représente le culte de la consommation, origine de la crise économique qui frappe de nombreux pays du monde chrétien. Du monde pseudo-chrétien, maintenant, malheureusement. Ce sont les tentatives d’introduction de la philosophie dite « du genre », détruisant les fondements de la morale et de la famille, tentatives qui touchent les pays occidentaux et s’engagent maintenant vers l’orient orthodoxe. Ce sont les problèmes de la bioéthique, comme le clonage, les mères porteuses et tout ce qui prétend faire irruption dans la nature humaine créée par Dieu. L’Église orthodoxe doit donner une réponse claire et concertée, enracinée dans la Tradition, à toutes ces questions d’actualité. Il faut donner une réponse non seulement théologique, mais aussi pastorale. Aujourd’hui, notre Église est confrontée à des demandes de baptême d’enfants nés de mères porteuses. Nous n’avons pas pu attendre de décision panorthodoxe à cette question, actuellement âprement discutée en Russie. Une commission spéciale a été créée, qui a préparé des recommandations pastorales au sujet du baptême des enfants nés de « mères porteuses ».

Quant au Règlement du Concile, il n’a jamais été discuté en commun. Pourtant, la question du Règlement du Concile est loin d’être une formalité Le Concile doit exprimer clairement notre ecclésiologie orthodoxe, de même que la Divine liturgie et sa concélébration conciliaire exprime notre ecclésiologie.

En premier lieu, cela concerne la composition du Concile. La responsabilité de l’Église reposant sur les évêques exige la participation de tous les évêques, ou du moins, de tous les évêques diocésains, représentant leurs ouailles au Concile. Ceci non seulement consolidera l’épiscopat orthodoxe dans la conscience de sa responsabilité pour les destinées de l’Orthodoxie, mais sera aussi une manifestation de la force et de l’unité de l’Orthodoxie devant le monde extérieur. Le Saint et Grand Concile ne peut rassembler moins de membres que les Conciles épiscopaux réguliers des Églises locales. Aujourd’hui, il n’est pas difficile du tout de rassembler 700 personnes dans un même local. Même à l’époque des Conciles œcuméniques, où les moyens de transport et de communication modernes n’existaient pas, un nombre important d’évêques se rassemblait. Par exemple, plus de 600 personnes ont participé au IV Concile œcuménique.

Il faut aussi comprendre que toute limitation artificielle de la représentation au Concile peut engendrer des mécontentements et des désaccords dans le milieu de l’épiscopat orthodoxe. Si le Concile panorthodoxe s’en tient strictement au principe du consensus, en ce cas, l’importance de la question de la représentation s’atténue. Mais même alors, notre Église considère comme fortement souhaitable la participation d’un maximum d’évêques au Concile panorthodoxe. Même l’image extérieure du Concile doit être convaincante pour le monde non-orthodoxe. Si un petit nombre de personnes se réunissent et que nous appelons cela Saint et Grand Concile, cela peut être perçu dans le monde entier avec une certaine ironie.

D’autre part, notre Église estime nécessaire que le Présidium du Concile panorthodoxe soit composé des Primats de toutes les Églises orthodoxes locales, en commençant par le premier d’entre eux, Sa Sainteté le Patriarche de Constantinople. L’histoire nous l’enseigne : à aucun Concile œcuménique, il n’y avait de présidence personnelle du premier des Primats selon les diptyques. Le présidium des Primats de toutes les Églises, indépendamment du nombre de leurs fidèles et de leur ancienneté, montrera visiblement notre ecclésiologie, suivant laquelle toute Église locale en communion avec les autres Églises a des droits égaux à ceux des autres Églises. Le modèle catholique plus récent, où le Concile est présidé par le Pape, est évidemment tout à fait inacceptable pour les orthodoxes.

Certes, l’ensemble du présidium ne peut diriger en même temps les travaux du Concile. Il y a pour cela le premier entre égaux qui, avec l’accord de toutes les Églises orthodoxes, assure la fonction éminemment responsable de coordonnateur.

Nous ne pouvons pas ne pas regretter que tous les Primats des Églises locales ne prennent pas part à notre réunion d’aujourd’hui, ce qui la rend incomplète. Nous avons déjà dû parler auparavant de l’absence du Primat de l’Église orthodoxe en Amérique, mais elle s’explique par le fait que toutes les Églises ne reconnaissent pas son autocéphalie. Cependant, dans le cas présent, c’est le Primat d’une Église dont l’autocéphalie est admise de tous qui est absent, Sa Béatitude l’Archevêque Rostislav de Presov, métropolite des Terres tchèques et de Slovaquie. Il a été légitimement élu par le Concile local de son Église en pleine conformité avec les statuts de celle-ci. On peut alors se demander si notre assemblée peut vraiment se dénommer Synaxe de tous les Primats des Églises orthodoxes locales, et comment nous expliquerons par la suite l’absence de l’un d’entre eux.

Il faut que nous aspirions à ce que toutes les Églises locales prennent part à la préparation du Concile panorthodoxe. Alors notre Concile sera l’expression de la voix prophétique de l’Église, adressée aussi bien aux siens qu’à ceux de l’extérieur. Les nôtres doivent sentir l’unité de l’Église. Ceux de l’extérieur doivent voir dans le Concile la force vive et le dynamisme de l’Orthodoxie que Lui donne Dieu. Nous devons créer les conditions pour ne pas empêcher le Saint Esprit d’agir en nous et à travers nous.

Dans l’esprit de ce qui vient d’être dit, je propose de former un nouveau Secrétariat, composé de représentants de toutes des Églises orthodoxes locales, qui finalisera les projets de document et élaborera les questions de procédure. Le Secrétariat communiquera les résultats de ses travaux à l’examen de la Commission préparatoire interorthodoxe. Si un consensus est trouvé au sein de cette commission, les documents seront adressés à la Conférence préconciliaire panorthodoxe qui, après leur approbation, pourra proposer une date pour la convocation du Concile.

A proprement parler, je n’introduis aucune proposition nouvelle, je répète la procédure qui avait été adoptée au niveau panorthodoxe, et qu’il faut rendre plus intensive, plus dynamique, si nous voulons que la tenue du Concile ne traîne pas en longueur.

J’appelle tous à travailler de façon constructive, dans un esprit d’amour mutuel et de respect pour l’opinion du prochain. Que Dieu nous vienne en aide !