Le 21 mai 2013, le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a reçu Thorbjørn Jagland, secrétaire général du Conseil de l’Europe là la résidence patriarcale et synodale du monastère Saint-Daniel de Moscou.

L’archimandrite Philarète (Boulekov), vice-président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou et l’archiprêtre Serguiy Zvonariov, secrétaire du DREE aux affaires de l’étranger lointain prenaient part à la rencontre.

Pour le Conseil de l’Europe étaient également présents le chef du secrétariat du secrétaire général du Conseil de l’Europe Bjorn Berge et d’autres personnalités du Conseil de l’Europe. Le ministère des Affaires étrangères russe était représenté par A. Alexeev la Douma d’état par V. Levitsky, adjoint au chef de la Direction de la collaboration internationale.

S’adressant au secrétaire général du Conseil de l’Europe, le Patriarche a dit :

« La dernière fois, nous avions abordé ensemble la question importante de la dignité, des droits et de la liberté de l’homme. J’aimerais dire que l’Église russe continue à placer ce thème au centre de ses préoccupations pour deux raisons. La première tient à notre patrimoine : nous avons pu nous convaincre par expérience tout au long du XX siècle qu’il est dangereux de violer les droits de l’homme et les libertés religieuses. L’histoire des relations de l’Église orthodoxe russe avec le pouvoir de l’état a été particulièrement complexe durant toute son histoire.

Si au Moyen Âge l’Église russe était relativement indépendante de l’état, dans l’Empire russe la situation a empiré et l’Église, privée de Patriarche sous Pierre I, a perdu sa liberté et toute possibilité de faire entendre son propre point de vue, y compris dans le dialogue avec l’état.

Après la révolution, l’Église a subi de violentes persécutions et a été physiquement anéantie. Durant ces dernières vingt années, nous tentons de restaurer au moins une partie des églises qui ont été détruites, mais ce travail n’est pas terminé, de nombreuses églises sont encore en ruines.

Après les transformations des années 90, l’Église a, pour la première fois de son histoire, eu la possibilité de se positionner elle-même dans la société et par rapport au pouvoir. Son rôle n’a pas été immédiatement défini, elle a procédé en tâtonnant ; y compris dans les conflits civils, l’Église ne s’est déclarée ni pour le pouvoir, ni en faveur de l’opposition. Mais elle soutient en même temps le pouvoir et l’opposition dans ce qui correspond à sa propre vision des choses qu’elle enseigne au peuple. Elle ne partait pas de la conjoncture politique passagère, mais de ces principes moraux fondamentaux de base qui contient l’Évangile et qu’elle enseigne. En 2000, nous avons eu la possibilité de fixer l’expérience acquise durant les année s90 et nous avons adopté un document intitulé « Principes de la conception sociale de l’Église orthodoxe russe » qui souligne l’autonomie de l’Église face à toute puissance politique, en même temps que l’ouverture de l’Église au dialogue avec toutes les forces politiques… Dans le document dont je parle, les limites de ce dialogue et les thèmes qu’il ne peut admettre sont clairement définis. »

Ensuite le Primat de l’Église orthodoxe russe a souligné l’importance de la position de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui suppose des réflexions morales comme limite normative pour la réalisation de ces droits. Dans le même temps, le Patriarche a dit regretter que ce principe soit aujourd’hui violé, ce qui conduit à la perte d’un équilibre important entre les droits et la responsabilité morale de la personne. Les droits et les libertés, sans cet équilibre, contribuent à la libération des instincts et deviennent synonymes de permissivité et de dissolution des mœurs.Le Patriarche a souligné le danger de cette tendance qui menace l’existence même de la civilisation humaine.

« Le droit a toujours eu une base morale. La notion de justice est une notion morale, elle touche la nature morale de l’homme si profondèment que les hommes dont prêts à donner leur vie pour la justice. En Afrique du Sud, les lois de l’apartheid sont un excellent exemple de réaction douloureuse à des lois dépourvues de justice. A l’époque, j’avais eu l’occasion de visiter l’Afrique du Sud et de dialoguer avec le gouvernement blanc. Notre argument principal était que les lois auxquelles se référait le gouvernement n’étaient pas fondées sur la morale et ne pouvaient donc être reçues comme justes » a raconté Sa Sainteté, remarquant la tendance dangeureuse a adopté des lois assimilant les unions homosexuelles au mariage et donnant à ces couples le droit d’adopter des enfants, ce qui va contre la nature morale de l’homme.

Dans ce cas, la référence à la liberté et aux droits de l’homme ne correspond nullement à la référence à la responsabilité morale de la personne. Nous avons été très touchés de voir des millions de Français s’élever contre la loi sur la légalisation des mariages homosexuels et avons été choqués de constater que l’opinion de ces millions n’a pas été prise en compte. La loi a été finalement adoptée à quelques voix près au Sénat. La société française est toujours agitée, et le restera, j’en suis sûr. Un peu auparavant, en février de cette année, M. Cameron a proposé l’asile politique à ces couples. J’aimerais dire que nous avons une position de principe sur ce problème. L’Église russe respecte le choix libre de tout homme, même peccamineux. (…) On ne peut forcer personne à entrer au paradis. C’est une affaire personnelle. Si quelqu’un veut commettre un péché, il le commet. De même pour les unions homosexuelles. Si les gens choisissent ce style de vie, c’est leur droit, mais ils portent la responsabilité de leur péché. Et la Bible déclare clairement qu’il s’agit d’un péché. Dans l’Ancien Testament, il y a l’histoire de Sodome et Gomorrhe, dans le Nouveau Testament, saint Paul s’exprime clairement à ce sujet. C’est pourquoi, ce qui nous préoccupe, ce n’est pas le fait de l’existence de couples homosexuels. Ce qui nous inquiète, profondément, c’est que pour la première fois dans toute l’histoire de l’humanité, le péché est justifié au moyen de la loi. Et cela ouvre des perspectives à de nouvelles menaces, qui contribueront encore à la dégradation morale de la société. »

Concluant l’entretien, le Patriarche a remarqué que l’Église russe se considérait comme faisait partie intégrante de l’Europe, comme partie organique de la civilisation européenne. « Nous sommes responsables de ce qui se produit dans cette civilisation, sur la base de notre expérience historique unique qu’aucun pays européen n’a vécu au XX siècle. C’est dans notre pays que se bâtissait une société sans Dieu. Nous savons ce que c’est que ce système. Et nous sommes prêts à dialoguer avec vous et avec toutes les puissances intéressées en Europe pour réfléchir à notre avenir commun » a souligné le Primat de l’Église russe.

S’adressant à Sa Sainteté, Thorbjørn Jagland a remarqué : « Nous sommes très heureux de vous rencontrer. Parmi les objectifs que nous cherchons à atteindre figure la dignité de la personne humaine. J’accorde personnellement une énorme importance à l’indépendance, à l’inaliénabilité de personne. Ce sont des facteurs importants dans n’importe quelle société. J’ai la possibilité de vous le dire personnellement. L’Église ne doit jamais poursuivre des objectifs politiques. J’aimerais encore une fois souligner le rôle que joue l’Église orthodoxe russe en Russie, celui qu’elle a joué à l’époque communiste. »