Intervention le 23 octobre de Mgr Hilarion, métropolite de Volokolamsk Président du DREE du patriarcat de Moscou, au III Comité de l’Assemblée Générale de l’ONU réunie en session à New York

Monsieur le Président,

Je représente à cette tribune de la prestigieuse organisation internationale que sont les Nations Unies l’Eglise orthodoxe russe qui compte de nombreux millions de fidèles dans le monde entier. La défense des droits de l’homme dans diverses régions du monde est l’une des orientations essentielles des organisations internationales parmi lesquelles l’ONU occupe une place primordiale. La liberté de confesser sa foi est l’un des droits fondamentaux de l’homme. Notre Eglise se prononce immuablement contre la discrimination, les persécutions et la violence sous des prétextes religieux quelles qu’en soient les formes. Nous sommes aujourd’hui les témoins de très fréquentes violations de la liberté de religion et de manifestations de violence à l’égard de communautés ou de groupes ethniques et religieux dans le monde entier.

 

Je tiens tout particulièrement à attirer votre attention sur les persécutions et les discriminations dont sont victimes les chrétiens qui constituent de nos jours le groupe cible par excellence de ces violences. Un chrétien meurt pour sa foi toutes les cinq minutes, je m’en réfère à M. Massimo Introvigne, représentant de l’OSCE. L’organisation humanitaire Open Doors estime que plus de 100 millions de chrétiens sont aujourd’hui l’objet de persécutions. Voilà des chiffres qui devraient inciter la communauté internationale à réfléchir et à parler de la discrimination des chrétiens. Une action résolue s’impose en leur défense.

Révolutions, heurts armés, conflits politiques, rivalités économiques, tel est le tableau que nous observons au Proche Orient et en Asie. Ces bouleversements sociétaux dans les régions en question entraînent des déséquilibres dans les rapports inter-religieux multiséculaires qui s’y étaient établis. Ces rapports permettaient auparavant la coexistence pacifique de diverses communautés confessionnelles, de la religion de la majorité et de celles des minorités. Nous constatons aujourd’hui qu’une partie de la majorité religieuse se radicalise. Cela se répercute sur le climat social et d’autant plus quand des groupes radicaux se trouvent à même de prendre le contrôle politique, voire de modifier la législation en vigueur.
La situation des minorités religieuses s’en trouve dramatiquement détériorée. Je pense en premier aux chrétiens dans des pays qu’ils habitent depuis des siècles et qu’ils considèrent légitimement être leurs patries.

Depuis toujours notre Eglise entretient des relations étroites et fraternelles avec les anciennes Eglises chrétiennes du Proche Orient. Ces derniers temps les évêques et les croyants de ces Eglises nous font parvenir des informations terribles quant à la discrimination et à la violence que les chrétiens subissent là-bas sous diverses formes. En ma qualité de représentant de l’Eglise orthodoxe russe je me dois d’élever de cette prestigieuse tribune ma voix en défense de mes frères chrétiens. Notre Eglise a, dans plusieurs déclarations et messages, exprimé l’inquiétude qu’elle éprouve à constater la dégradation de la situation des chrétiens dans de nombreuses régions du monde. Nous avons réuni fin 2011 à Moscou une conférence internationale dont le thème était « La liberté de religion : discriminations des chrétiens dans le monde ». Nous avons l’intention d’organiser en 2013 un forum international à ce sujet et nous y inviterons des personnalités religieuses de premier plan.
La situation que vivent les chrétiens un peu partout dans le monde est tout simplement consternante. En voici quelques exemples.
L’année dernière les chrétiens représentaient 10% de la population de la Syrie. Des dizaines de milliers de chrétiens sont de nos jours victimes de l’intolérance religieuse dans ce pays déchiré par la guerre. Leurs temples et leurs sanctuaires sont détruits. Les chrétiens doivent quitter leurs maisons sans l’espoir d’y revenir alors que ces demeures sont démantelées ou occupées par des représentants radicaux de la religion majoritaire. 50.000 chrétiens au moins ont du abandonner la ville de Homs sous la menace.

Il y a quelques minutes le distingué représentant de l’Egypte a déclaré que « les pays arabes respectent la liberté d’opinion. Mais pas celle qui attise la haine à l’égard de quiconque ni celle qui est dirigée contre telle ou telle confession ou culture. Cependant nous respectons la liberté d’opinion qui dissuade l’extrémisme et la haine ». Nous constatons un exode massif des chrétiens coptes en Egypte avec ses 80 millions d’habitants dont 8 millions au moins de chrétiens. Cette tragédie a pour cause des persécutions d’ordre religieux qui sont devenues systématiques. Nous appelons le gouvernement de ce pays à faire tout son possible pour mettre fin aux persécutions et protéger les chrétiens de la haine et de la violence.

Plus de la moitié des 60 mille chrétiens que comptait la Libye ont du fuir le pays pendant la guerre civile.
Près d’un million et demi de chrétiens vivaient en Irak jusqu’en 2003. Actuellement ils ne représentent qu’un dixième de la population, tous les autres ont soit été tués, soit ont du émigrer. Au Pakistan, au Soudan et en Algérie les chrétiens n’ont plus aucun recours juridique et sont l’objet de persécutions en conformité avec la législation en vigueur dans ces pays.

C’est au Pakistan que nous constatons les souffrances les plus terribles et les plus cruelles que doivent éprouver les chrétiens. L’inaction des autorités fait que les criminels restent impunis. Une liste des exemples les plus parlants de violence à l’égard des enfants et des adolescents de familles pakistanaises chrétiennes a été publiée en août dernier. La Commission de défense des droits de l’homme du Pakistan fait savoir que les cas de rapt de jeunes filles sont en recrudescence dans ce pays, les victimes de ces enlèvements sont forcées à se convertir à l’islam. Près de 1.800 rapts ont été constatés en 2011. Une vague de manifestations antichrétiennes a déferlé dans le pays ces derniers mois.
Des dizaines de milliers de chrétiens fuient le Mali pour chercher refuge en Algérie et en Mauritanie car ils sont persécutés par les islamistes radicaux du Nord du Mali. Au Nigeria la secte islamiste radicale « boko haram » continue à exterminer les chrétiens.

Nous entendons souvent dire qu’il est indispensable de faciliter l’émigration dans des pays tiers des chrétiens soumis aux persécutions. C’est là une mesure extrême à laquelle on peut avoir recours lorsque c’est le seul moyen de sauver des vies. Or, une telle politique ferait le jeu de ceux qui persécutent les hétérodoxes car leur objectif consiste précisément à évincer la population chrétienne et à l’inciter à émigrer.
Tout doit être entrepris pour que les chrétiens se sentent en sécurité dans les terres qu’ils habitent depuis des siècles, les terres de leurs ancêtres. Les organisations internationales peuvent être en cela extrêmement efficaces.

L’introduction dans le glossaire international du terme « christianophobie » (en 2009, à la Conférence de l’ONU sur la lutte contre le racisme) a été plus qu’opportune. Les représentants de l’Eglise orthodoxe russe avaient alors insisté sur l’acceptation de ce terme. Nous voyons aujourd’hui, hélas, qu’ils avaient tout à fait raison. Mais ce n’est que partiellement que ce mot décrit la tragédie humanitaire qui a lieu aux yeux du monde entier. Il aurait fallu parler non de « christianophobie » mais de persécutions du christianisme qui ces dernières années se déploient d’une manière massive.

Les mécanismes internationaux de protection des minorités religieuses permettent de mettre en place des centres de collecte et d’étude des informations portant sur la discrimination religieuse dans divers pays et régions du monde. Il s’agit de la persécution des personnes comme des communautés.

Les organisations internationales, les Nations Unies en premier, se doivent d’accorder leur attention à ces données. Les informations concrètes portant sur les violations des droits des chrétiens et diverses formes de violence à leur égard permettront aux représentants autorisés de l’ONU de traiter de ces problèmes avec les représentants des pays où sont constatées des manifestations de haine à l’égard des chrétiens.

Chaque cas de violence et de persécution des croyants doit devenir l’objet d’une procédure judiciaire dans les instances nationales comme internationales.
Ainsi, en janvier 2012 l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté une résolution sur la défense des chrétiens et la garantie de la liberté de conscience. Ce texte condamne les meurtres et la discrimination des chrétiens dans divers pays, en particulier en Egypte, au Nigeria, au Pakistan, en Iran, en Irak et dans les Philippines. La résolution propose la mise en place de procédures de suivi des phénomènes de discriminations religieuses. Ce suivi permettrait de faire de sorte à ce que le soutien politique et l’aide économique ne soient accordés qu’aux pays qui garantissent la sécurité des minorités religieuses. Le Parlement européen a également alors adopté une résolution allant dans ce sens. La Commission des questions politiques de l’APCE réunie le 15 novembre 2011 à Paris a adopté une déclaration à propos des actes de violence commis à l’égard des chrétiens en Egypte.

Cependant nous ne voyons pas en 2012, alors que la fréquence et l’ampleur des persécutions antichrétiennes sont devenues encore plus importantes de réaction adéquate de la part des organismes internationaux. Tous les Etats doivent octroyer à leurs ressortissants le droit de pratiquer librement leur religion, d’éduquer leurs enfants dans leur foi et d’exprimer et de défendre ouvertement leur identité sans être l’objet de persécutions.

Afin de surmonter les tendances négatives dans le domaine de la liberté de religion il nous faut unir nos efforts et agir de concert avec les organismes internationaux, les associations publiques et religieuses, avec tous les hommes de bonne volonté.
J’espère que les Nations Unies, organisation respectée dans le monde entier, accordera l’attention indispensable au problème de la persécution des chrétiens dans le monde moderne et élèvera sa voix en la défense des victimes afin que la communauté mondiale mette en place des procédures efficaces pour combattre les discriminations en fonction des appartenances religieuses.

Traduction Nikita Krivocheine