Le 65e anniversaire du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, le 24 juillet 2011, a donné lieu à une réception solennelle à l’hôtel « Danilovskaya ». Le Primat de l’Église orthodoxe russe s’est exprimé devant les invités :

Éminences ! M. Narychkine, chers pères, frères et sœurs, mesdames et messieurs,

Je me sens particulièrement concerné par le ministère que remplit le Département des relations ecclésiastiques extérieures, ne serait-ce que parce que j’ai présidé cette institution durant 20 ans. En fait, c’est depuis 1968 que je me consacre aux affaires extérieures : peu avant le fameux Printemps de Prague, alors que j’avais 21 ans, j’ai été délégué par notre Église pour représenter la jeunesse au Congrès pacifique chrétien de Prague.

Depuis, je suis resté intimement lié à la politique extérieure de l’Église, et je le reste aujourd’hui du fait de mes nouveaux pouvoirs et de mes nouvelles obligations.

Je dois dire que le Département a toujours joué un rôle particulier : il s’agit de la plus ancienne de nos institutions synodales. L’idée même de sa création revient au Concile local de 1917-18. A cette époque, on attendait beaucoup du dialogue interreligieux et interconfessionnel et l’Église russe, conduite par le patriarche Tikhon, prenait une part importante à ce travail. Suivant un décret du Concile, une commission spéciale aurait dû être créée, qui aurait été chargée des relations interconfessionnelles. Pour les raisons que nous connaissons bien, cette commission n’a pu voir le jour, pas plus que les nombreuses autres structures dont ce remarquable Concile prévoyait la création.

En conséquence de quoi, ce n’est qu’en 1946, à la suite d’une certaine normalisation, très conventionnelle, des relations entre l’Église et l’état soviétique, que le Département des relations ecclésiastiques extérieures est né.

Le Département a été présidé par un hiérarque exceptionnel, le métropolite de Kroutitsy et de Kolomna Nicolas (Iarouchevitch), bras droit du Patriarche Alexis I. Au départ, il s’agissait d’une petite structure, qui a su dès le début concentrer des cadres exceptionnels. C’était des gens liés à l’émigration russe, et d’autres qui avaient reçu une excellente formation dans les écoles d’avant la révolution, mais possédaient une certaine expérience du travail ecclésiastico-administratif à l’époque nouvelle.

Depuis, le Département des relations extérieures, pratiquement la seule institution réellement agissante, a absorbé les meilleures forces de l’Église russe dans les années 40, 50, 60, 70, 80, 90 et 2000. Et ceci parce que l’Église avait conscience que c’était cette structure-là qui effectuait quelque chose d’important à la fois du point de vue de la défense des intérêts de l’Église, qui vivait alors dans les conditions difficiles d’un état athée, et du point de vue de la résolution des réels problèmes au niveau des relations inter-orthodoxes, ainsi qu’en vue du renforcement de la présence de l’Église orthodoxe russe dans le monde entier par la création de paroisses et de diocèses.

Un peu plus tard, est apparue la problématique des relations interconfessionnelles, plus large à l’époque de la guerre froide que ce qu’on appelait alors la sphère œcuménique. Dans le cadre du Conseil œcuménique des Églises, ce sont deux mondes qui se confrontaient l’un à l’autre, non pas en termes de confrontation idéologique, comme c’était alors le cas partout, que ce soit à l’ONU, dans les organisations régionales ou n’importe quelles commissions ou institutions inter-gouvernementales. A l’époque, le facteur idéologique déterminait les décisions politiques des deux parties. Dans le cadre du Conseil œcuménique des Églises, au contraire, dans le contexte de la guerre froide, des gens vivant au sein de systèmes différents, parvenaient à s’unir, principalement en déclarant qu’ils avaient beaucoup plus de choses en commun que d’éléments de divisions : ils avaient la foi dans le Seigneur Jésus Christ.

Certains y voient aujourd’hui un des tours de la propagande soviétique, un fonctionnement malin de la part de l’Église russe. En réalité, il s’agissait d’un miracle : dans une Europe divisée, dans un monde divisé, des chrétiens appartenant à des confessions différentes ont pu se rencontrer, prendre conscience de ce chacun d’entre eux se trouvait influencé par son propre contexte politique et pourtant formuler un ordre du jour commun dans lequel la défense des droits de l’homme, des droits des gens à la liberté religieuse occupait une place prépondérante.

Je pense que la participation de l’Église orthodoxe russe au travail interconfessionnel, aux travaux du Conseil œcuménique des Églises et à ceux d’autres organisations interconfessionnelles a arrêté la main des persécuteurs. Ne l’oublions pas : les dirigeants de l’Union soviétique ne souhaitaient qu’une chose : montrer au peuple, et ensuite, peut-être, au monde entier, que la religion appartenait au passé, qu’elle était mourante, qu’elle ne concernait plus que des personnes âgées dépourvues d’instruction, qu’il n’y avait rien en commun entre l’Église et le progrès, la sicence, l’instruction, la culture, que l’Église était un institut archaïque à peine supportable, que l’on était encore provisoirement forcer de maintenir dans la mesure où il jouait un certain rôle en aidant les personnes âgées et en leur procurant une consolation.

Je n’oublierai jamais ma conversation avec un fonctionnaire du Conseil des affaires religieuses peu après que l’on m’ait écarté de mes fonctions de recteur de l’Académie de Léningrad et envoyé à Smolensk. Suivant la coutume de l’époque, je devais me rendre au Conseil des affaires religieuses. Et le fonctionnaire qui m’avait paru dans l’ensemble un homme tout à fait normal a tout d’un coup changé de discours. Il m’a dit : « Vous êtes habitué aux affaires internationales, vous devez redescendre sur terre et comprendre pourquoi le gouvernement soviétique supporte l’Église jusqu’à présent. Il le fait parce qu’il comprend que pour une partie de notre société, les couches âgées, sans instruction, l’Église a indirectement une importance positive. Ces gens ne vont pas au club, ni aux maisons de culture, ils vivent seuls chez eux et l’Église est pour eux un calmant, un jouet. Mais ne pensez pas que votre activité ecclésiastique a la moindre perspective d’avenir. L’Église n’a pas d’avenir en Union Soviétique ». C’est fort de ces bonnes paroles que je suis parti pour Smolensk.

Nous savons tous ce qui s’est passé ensuite. Et la politique extérieure de l’Église a joué un rôle très important pour que le point de vue que je viens d’énoncer ne devienne pas dominante dans notre pays, même au sein de l’élite soviétique. Beaucoup se sont mis à dire que l’Église ne s’occupait pas que des vieillards, ne faisait pas que les consoler, elle se battait aussi pour la paix, elle contribuait à l’établissement de bonnes relations entre les peuples, et l’URSS avait justement besoin à l’époque de ce que la mission pacifique devienne plus efficace. Au moyen de notre activité extérieure, par l’établissement de relations avec de nombreuses confessions, avec une immense quantité d’organisations gouvernementales et non-gouvernementales, l’Église a mis en place un puissant système de soutien à ses efforts contre les pressions dont elle faisait alors l’objet en Union Soviétique.

Si j’insiste sur ce point, c’est que notre position fait parfois l’objet de critiques, en premier lieu de la part de gens qui à cette époque n’occupaient aucune position militante au sein de l’Église : soit parce qu’ils étaient de simples laïcs, soit parce qu’ils sont venus à l’Église lorsqu’être croyant avait cessé de présenter des risques. Ce sont souvent ces gens qui critiquent la politique du Département des relations extérieures et tout ce qui a été fait à cette époque décisive. Il est pourtant évident que la liberté de l’Église a été en grande partie préparée par l’œuvre et les sacrifices de ces clercs, de ces théologiens, de ces intellectuels qui travaillaient au sein du DREE en ces temps difficiles.

J’aimerais évoquer avec une reconnaissance particulière les noms des présidents défunts du Département, le métropolite Nicolas (Iarouchevitch), premier chef de cette structure synodale, le métropolite Nicodème de Léningrad et de Novgorod, grâce auquel j’ai consacré ma vie aux relations ecclésiastiques extérieures. Nous avons chanté aujourd’hui « Éternelle mémoire » en leur honneur. Nous gardons la mémoire de l’œuvre de ces hiérarques défunts, de leurs efforts en vue de l’amélioration des relations de l’Église russe avec tout le monde chrétien, avec de nombreuses confessions, avec les religions monothéïstes. Grâce à leurs efforts, Moscou est effectivement devenue un centre interreligieux mondial. Cela ne pouvait pas ne pas avoir d’importance dans le changement de la situation interne de notre pays, tout cela a eu une influence heureuse sur la formation de notre élite. Je suis convaincu que ces influences ne sont pas restées infructueuses.

Mentionnons également le métropolite Juvénal et le métropolite Philarète, ici présents, qui ont contribué en ces temps difficiles au développement de l’activité extérieure de notre Église.

En devenant président du DREE, j’ai pris le relais. Des nouveaux objectifs, des thèmes et des problèmes nouveaux apparaissaient alors, et il fallait renforcer les contacts avec le pouvoir, la société, les partis politiques qui commençaient à se former, avec les mouvements sociaux, les syndicats. Ainsi donc, le Département est devenu un lieu de rencontre entre l’Église, la société civile et le monde politique, y compris pendant les évènements tragiques d’août 1991 et d’octobre 1993.

C’est ici, au Département qu’il a été proposé de développer la formation, la catéchèse, la mission, les relations avec les forces armées, avec les médias, ainsi que le travail social. Sous forme embryonnaire, toutes ces fonctions ont été assumées par le DREE. Au début des années 1990, des secteurs du Département ont été créés qui travaillaient à élaborer une conception à la renaissance de ces multiples aspects de la mission ecclésiale et à préparer la création de structures de travail.

C’est le Département des relations extérieures qui a défini les orientations et préparé les cadres d’organismes comme le Département du ministère social et caritatif, du Département de l’éducation religieuse, du Département de la mission, du Département des relations avec les forces armées et les forces de l’ordre, le Département d’information (la première structure d’information de l’Église orthodoxe russe, le Service de communications, avait été créée au début des années 1990 et fonctionnait au sein du DREE).

Après les changements que l’on sait, intervenus dans la direction de notre Église en 2009, plusieurs institutions du Département des relations extérieures sont devenues des Départements synodaux indépendants, aujourd’hui largement connus : le Département pour les rapports avec la société civile, le Département d’information. Je suis profondément convaincu de l’importance du rôle historique du DREE, qui a consisté à créer un nouveau système de direction de notre Église, à définir le plan d’action dans les directions qui lui étaient autrefois confiées. C’est le mérite historique de tous ceux qui ont travaillé au Département durant ces 65 années.

J’aimerais rendre à chacun, défunt et vivant, ce qui lui revient pour ses travaux et exprimer l’espoir que le souvenir de nos remarquables prédécesseurs qui ont œuvré au sein du Département des relations ecclésiastiques extérieures demeurera vivant à jamais. C’était parfois des gens incroyablement doués, éclairés dont les capacités non seulement dépassaient le niveau moyen de l’intelligentsia soviétique d’alors, mais qui se distinguaient radicalement des gens les plus éclairés de l’époque. Ils ont tous apporté leur contribution à l’œuvre de l’Églies et je suis profondément convaincu qu’ils ont préparé les changements qui se sont produits dans la vie du pays et de l’Église.

Aujourd’hui, la sphère d’activité du DREE s’est rétrécie depuis la création d’institutions synodales spécialisées et dans la compétence desquelles entrent des questions relevant autrefois du Département. Il faut cependant le souligner : l’importance du Département n’en est nullement amoindrie. Aujourd’hui, nous attachons beaucoup d’importance aux relations inter-orthodoxes, et c’est très important car, d’un côté, toutes les Églises orthodoxes sont unies entre elles par la foi, mais, d’un autre côté, elles ont longtemps vécu relativement isolées les unes des autres. Et lorsque dans les années 1960 les Églises orthodoxes locales ont commencé à se rencontrer régulièrement, il s’est avéré que nous divergions sur certaines traditions. Ceci concerne avant tout la tradition canonique, la direction, et ces différences ont provoqué ces dernières années des conflits parfois très sérieux. Nous entrons aujourd’hui dans une phase où nous prenons conscience de ce que même le fait d’une certaine divergence de pensée dans le domaine de l’application des canons ne peut suffir à nous empêcher de travailler ensemble. Il faut travailler de concert pour que l’Église orthodoxe puisse dignement témoigner et servir.

Le Département a également conservé une fonction essentielle, celle d’assurer la collaboration avec les états et les institutions gouvernementales des pays étrangers, avec les structures inter-gouvernementales, avec les organisations non-gouvernementales. Et bien sûr, autre domaine immense, nos compatriotes.

Aujourd’hui, le Département des relations ecclésiastiques extérieures travaille efficacement. Une nouvelle génération a rejoint le DREE, désormais présidé par Mgr Hilarion qui fête aujourd’hui ses 45 ans en même temps que l’anniversaire de ce Département synodal.

C’est pourquoi j’aimerais souhaiter, cher Monseigneur, à vous et à tous vos collaborateurs, à tous ceux qui vous aident, de faire croître les meilleures traditions du Département, de garder le DREE un centre intellectuel et spirituel, pour qu’il soit prestigieux au sein de notre jeunesse de travailler au Département, pour que s’y engagent les plus instruits, les esprits les plus larges, capables de défendre les intérêts de l’Église jusqu’aux frontières les plus lointaines. A vous, j’aimerais souhaiter l’aide de Dieu et la prospérité. Il est important que se développe la composante intellectuelle du Département, qu’il s’instaure un système de dialogue avec les institutions gouvernementales et non-gouvernementales afin que nos succès profitent à l’Église comme à la patrie.