Le 23 juin 2011, en la cathédrale de l’église du Christ-Sauveur, le Patriarche Cyrille de Moscou a présidé la seconde réunion du Haut Conseil de l’Église orthodoxe russe. Dans son discours d’introduction, le Patriarche a passé en revue les principales questions à l’ordre du jour.

Je salue tous les membres du Haut conseil ecclésiastique.

Nous sommes réunis pour la première fois dans cette salle restaurée, et si les membres du Haut conseil ne s’y opposent pas, je proposerais de l’appeler Salle du Haut conseil ecclésiastique. Jusqu’à présent, le Conseil, contrairement au Saint Synode, n’avait pas d’endroit où se réunir. Je pense que nous pourrons confortablement nous rencontrer ici, dans ce local pratique, sous les voûtes de l’église du Christ Sauveur.

Nous devrons aujourd’hui débattre de plusieurs questions l’enseignement et l’éducation des enfants au sein de l’Église orthodoxe russe. Nous parlerons également de l’évolution des initiatives du Patriarcat de Moscou énoncées par le Patriarche concernant la famille et l’enfance.

Il me semble très important que le débat sur les programmes d’Église concernant l’enfance soit suffisamment large, tant à l’intérieur de l’Église que dans les médias. L’Église, en effet, dispose d’un capital dans le domaine de l’enseignement dont ne peut probablement se prévaloir aucun autre organisme, ni même peut-être l’état. L’Église remplit en effet sa fonction éducatrice depuis 2000 ans, elle l’a remplie au cours des siècles dans des contextes politiques, sociaux et culturels très différents. Lorsque nous parlons d’idéaux moraux, lorsque nous parlons de valeurs morales fondamentales, nous pensons avant tout à ces valeurs morales dont sont tissés la chair et le sang de notre peuple du fait même de cette éducation.

Des critiques extérieures nous adressent parfois cette question : pourquoi, tandis que l’Église orthodoxe russe est de plus en plus active, existe-t-il toujours autant de maison d’enfants et d’orphelinats ? On nous cite l’exemple d’autre pays, plus prospères, dans lesquels les orphelins sont immédiatement répartis dans des familles, des pays dans lesquels il faut s’inscrire sur une liste d’attente pour adopter un enfant. Et cette liste est parfois si longue que certains parents préfèrent prendre un enfant à l’étranger. Nous savons que notre pays, comme d’autres pays du monde russe, attire les familles qui veulent adopter un orphelin, nous savons que beaucoup de nos enfants sont remis à des familles étrangères. Il y a de nombreux exemples d’adoptions réussies d’orphelins issus des pays du monde russe, y compris de la Fédération de Russie, mais nous sommes aussi souvent témoins du contraire. Nous recevons de plus en plus d’informations sur des cas de cruauté envers les orphelins. Dans le cadre de l’enquête, il devient clair que ces enfants ont été abusé, qu’une fois à l’étranger, ils se sont trouvés les jouets sans défense du vice des adultes.

Je crois que notre société doit se montrer responsable de ses jeunes citoyens. Nous n’avons pas le droit moral de voir apparaître des « orphelins » dont les parents sont vivants. L’Église peut et doit agir en collaboration avec les institutions politiques et sociales, les instituts de la société civile, comme on dit maintenant, et avec le peuple. Il est capital de renverser la tendance actuelle, et l’Église doit user de toutes ses forces pour influer sur la situation. L’Église doit avoir son propre programme d’insertion des enfants orphelins dans les familles.

Je me souviens de mon ministère au diocèse de Smolensk. C’était certainement la première expérience de ce genre : il y a plus de dix ans, nous nous sommes mis à soutenir financièrement les familles qui accueillaient des enfants d’orphelinats pour les vacances. Grâce à ce soutien financier, qui n’était peut-être pas très important en chiffres absolus, mais tout à fait honorable comparativement au niveau de vie de cette région, les enfants étaient volontiers accueillis dans des familles pour les vacances et, pour un pourcentage important d’enfants, cette expérience débouchait par la suite sur une adoption.

Je sais que cette pratique est largement répandue aujourd’hui, qu’elle est appliquée par les structures gouvernementales. Dieu fasse que cela continue. Mais je pense que l’Église doit avoir clairement conscience de ce que les refuges pour enfants créés par nos soins ne sont qu’une mesure provisoire. S’il est possible d’encourager l’adoption, en vérifiant naturellement au préalable avec le plus grand soin dans quelles mains nous nous apprêtons à remettre ces enfants, c’est ce processus qu’il faut reconnaître comme l’orientation prioritaire de notre action.

A propos de l’expérience dont je viens de parler, je précise que les familles dans lesquelles les enfants passaient leurs vacances étaient soigneusement triées par l’Église. Il s’agissait pour la plupart de paroissiens instruits et ayant un certain niveau culturel. Je crois qu’il faudrait propager l’idée d’adoption au sein même de l’Église.

Néanmoins, dans un avenir proche, les maisons d’enfants continueront à exister. ll est très important que ces refuges, y compris monastiques, car ce sont les plus nombreux, soient contrôlés de près aussi bien par les autorités ecclésiastiques que par les organes de tutelle, afin que personne ne puisse reprocher à l’Église de mal éduquer les enfants. Naturellement, nous défendrons le droit de l’Église à élever les enfants conformément aux traditions morales et spirituelles de l’Orthodoxie, c’est notre devoir. Mais nous devons en même temps nous conformer aux normes définies par les institutions civiles, voire les dépasser.

Nous aborderons aujourd’hui un second thème, celui de l’enseignement. Il s’agira de la préparation des travailleurs sociaux de l’Église orthodoxe russe. On nous présentera un document auquel nous devrons réfléchir ensemble, ce qui me donne l’occasion de dire quelques mots sur l’enseignement en général, y compris sur le travail de l’Église dans ce domaine.

L’instruction est l’un de ces domaines de la vie qui donne du sens à l’existence de la société. Si l’on limite le concept d’instruction au système de transmission des connaissances par l’école, qu’il s’agisse de l’école primaire, secondaire ou des établissements d’enseignement supérieur ou spécialisé, il s’agit d’une approche purement technique. L’instruction, ce n’est pas seulement le système d’enseignement. Il me semble que le débat autour de l’école, aujourd’hui, ne s’occupe que des moyens d’améliorer le système. Mais c’est secondaire. Ce qui est important, c’est le contenu de l’enseignement. Et l’instruction concerne non seulement le système d’éducation et l’école, mais compte tenu du fait que l’enseignement est porteur de sens pour la société, la vie même des gens, toutes les sphères sociales.

En conséquence, j’aimerais évoquer le problème de l’examen d’état unique, dont nous entendons tous parler en ce moment. C’est étonnant, mais la plupart des commentaires reviennent à dire que le système d’examen unique est mauvais : les questionnaires ne sont pas comme il faut, les questions ne sont pas posées comme il faudrait, on ne les donne pas dans les bonnes enveloppes et pas au bon moment… Je n’exclue pas qu’il y ait quelques défauts techniques, mais ce n’est pourtant pas la technique qui a bouleversé, c’est le résultat, soit la fraude organisée et la corruption. Est-ce que la fraude en masse et la corruption ont quelque chose à voir avec les détails techniques de cet examen ? Le côté technique a été utilisé pour tromper et se faire de l’argent.

Donc, à la différence des autres commentateurs, l’Église ne doit pas commenter le côté technique de la question, bien que certains de nos spécialistes pourraient participer à cette discussion aussi. C’est le côté moral de la situation qui doit indubitablement faire l’objet d’une étude soignée et attentive, y compris de la part de l’Église.

Disons les choses comme elles sont : il y a toujours eu des anti-sèches, et il y en aura toujours. Que se passe-t-il quand quelqu’un se sert d’une anti-sèche ? D’un point de vue moral, c’est naturellement une action loin d’être irréprochable, et si l’élève s’en accuse en confession, le prêtre lui demandera sans doute de se repentir d’avoir fraudé. C’est un péché, c’est une faiblesse, mais elle ne concerne qu’une seule personne, qui met en jeu sa propre responsabilité. Que se passe-t-il aujourd’hui ? Nous sommes en présence d’un système bien rodé employant des milliers et des milliers de personnes, et ce n’est déjà plus leur affaire personnelle, c’est l’affaire des élèves, de leurs parents, des organisateurs, des sponsors, si vous voulez.

Pourquoi cela se produit-il ? Pourquoi peu nombreux sont ceux qui parlent de cet aspect des choses ? Parce que le mensonge est devenu l’un des péchés les plus dangereux et les plus répandus. Il faut arrêter de mentir, et les premiers à arrêter doivent être les adultes. Les adultes mentent, les adultes fraudent, les adultes élèvent leurs enfants dans le mensonge. Si les parents vont jusqu’à financer le mensonge qui entoure l’examen d’état unique, ce n’est pas par désespoir, mais parce qu’ils mentent comme ils respirent. Les enfants le voient et le comprennent. Mais une société éduquée dans le mensonge ne peut pas être juste. La question de la corruption est également liée au mensonge. On ne peut pas vaincre la corruption sans mettre le mensonge hors du code moral de notre société.

C’est pourquoi ce qui se passe aujourd’hui avec l’examen d’état unique, c’est un problème pastoral d’immense envergure. J’en parle avec beaucoup de tristesse, les informations sur les fraudes lors de l’examen m’ont semblé véritablement dramatiques. J’espère, bien sûr, que l’état en tirera les conclusions qui s’imposent et que le ministère de l’instruction en collaboration avec les organes de maintien de l’ordre saura ajuster le mécanisme d’un point de vue technique. Mais il ne s’agit pas de mécanismes. Il s’agit de l’état des esprits et des cœurs.

Aujourd’hui, nous discuterons le bilan de travail du Département synodal d’information. C’est un thème très important, qui concerne directement ce que le monde apprendra sur l’Église et comment. Je me contenterai de dire que l’information, aujourd’hui, n’est pas un auxiliaire, mais un aspect essentiel de la vie de l’Église : d’ellet dépend la façon dont le peuple chrétien (une grande partie des fidèles s’’informant sur l’Église au moyen des médias) et la société dans son ensemble, y compris les sphères areligieuses ou non orthodoxes, percevra ce que pense l’Église, ce qu’elle dit et ce qu’elle fait.

Nous vivons aujourd’hui dans un espace informationel, dans une société informationelle, et cette circonstance change grandement la donne. L’information a cessé d’être un phénomène additionnel, elle est devenue une dimension essentielle de la société moderne et ce n’est pas un hasard si les corporations les plus florissantes aujourd’hui, y compris dans le domaine financier, sont celles qui travaillent dans le domaine de l’information.

L’Église s’engage, s’est déjà engagée sur cette voie, mais nous avons encore beaucoup à faire. Les technologies nouvelles nous aident entre autres à résoudre certaines questions. La discussion de l’Assemblé interconciliaire serait sûrement tout autre si les résultats de ses travaux n’étaient pas publiés et s’ils n’étaient pas discutés dans la blogosphère. Ces débats dans la blogosphère sont un aspect important des efforts de l’Assemblée interconciliaire. J’espère vraiment que le travail de l’Église avec les médias, à l’intérieur même du torrent d’informations, se développera et deviendra de plus en plus efficace. C’est à l’efficacité de la mission de l’Église dans le monde dans lequel nous vivons que l’on reconnaîtra l’efficacité de ce travail, car l’information aujourd’hui est un moyen, une technologie de transmission du témoignage missionnaire de la foi orthodoxe.

Encore une fois, je vous adresse mes salutations et je remercie les médias de leur participation.