Le 1er février 2020, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions de la présentatrice de télévision Ekaterina Gratcheva, animatrice de l’émission « L’Église et le monde » (Tserkov’ i mir), diffusée sur la chaîne « Rossia-24 » les samedis et les dimanches.

E.Gratcheva : Bonjour ! Ici « L’Église et le monde », nous nous entretenons avec le métropolite Hilarion  de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Bonjour, Monseigneur !

Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Chers frères et sœurs, bonjour.

E.Gratcheva : Ce samedi, le patriarche Cyrille a fêté le 11e anniversaire de son intronisation. Beaucoup, notamment des experts laïcs, ont remarqué que, durant cette période, l’Église s’était affirmée comme un véritable institut social, jouant un rôle dans la société. Qu’est-ce qui a permis cette évolution ? Et en était-il autrement sous les prédécesseurs du patriarche Cyrille ?

Le métropolite Hilarion : Vous savez, lorsque nous recréions l’Église, sous le patriarche Alexis, il nous semblait qu’on ne pouvait pas faire mieux : l’Église avait beaucoup de succès ; elle avait atteint une certaine envergure, nous construisions des églises les unes après les autres, nous baptisions les gens, par centaines, puis par dizaines tous les jours, dans les années 90. Certains se demandaient même ce qui resterait à faire au prochain patriarche, puisque tout était déjà fait, l’Église paraissait avoir atteint le sommet de son développement.

Mais le patriarche Cyrille est arrivé avec un programme très bien pensé, qu’il a pu mettre au point grâce à sa longue expérience de la vie de l’Église, ayant occupé des postes très différents. Il a été représentant de l’Église russe à l’étranger, il a été recteur d’une Académie de théologie ; pendant un quart de siècle, il a été l’ordinaire de deux diocèses. Il connaît la vie de l’Église de l’intérieur. Il a voyagé dans toute la Russie, il a voyagé dans le monde entier. Ainsi, il a pu élaborer sa propre conception de la direction de l’Église, qu’il a mise en place progressivement, dès les premiers jours de son patriarcat.

Le point crucial du processus initié par le patriarche Cyrille, qu’on a appelé depuis réforme de la direction ecclésiale, a été l’augmentation du nombre des sièges diocésains. Si vous vous souvenez, nous avions naguère des diocèses d’un bout à l’autre duquel il pouvait y avoir 1000 km, avec plus de 600 paroisses, que l’évêque n’avait pas la possibilité de visiter toutes, car elles étaient trop nombreuses ou trop éloignées. C’est cette situation que le patriarche a voulu changer : là où les diocèses étaient trop grands, soit par le nombre de paroisses, soit par l’étendue du territoire, on a créé plusieurs diocèses, deux, trois, quatre. Ces diocèses sont regroupés en métropoles. L’évêque diocésain de l’ancien grand diocèse est devenu métropolite, il est à la tête du centre du diocèse, tandis que les nouvelles éparchies ont désormais leur propre évêque. Cela veut dire qu’il a fallu créer une cathédrale, une direction diocésaine. Ces mesures ont ainsi donné une puissante impulsion au développement de la vie ecclésiale, non seulement dans les grands centres, mais aussi dans ce qu’on pourrait appeler la « Russie profonde ».

E.Gratcheva : Une autre réforme importante, voulue par le patriarche, a été la création du Haut Conseil ecclésiastique, qu’on peut définir comme le gouvernement de l’Église. Depuis que ce Conseil a été créé, est-il arrivé que quelqu’un y ait publiquement exprimé son désaccord avec une opinion du patriarche, mais ait gardé ensuite son poste dirigeant dans l’Église ?

Le métropolite Hilarion : D’une part, le Haut Conseil ne siège pas en public. La presse n’est invitée qu’à l’ouverture des séances, lorsque le patriarche prononce un discours d’introduction. Ensuite, la presse quitte la salle, et le Haut Conseil travaille à huis clos. Le Haut Conseil ecclésiastique est effectivement un gouvernement, dans le sens où ce mot est employé pour désigner le Conseil des ministres, car chaque département synodal peut être assimiler à une sorte de ministère ecclésiastique. Auparavant, ils travaillaient isolément : il y avait des ministres, mais il n’y avait pas de Conseil des ministres. Le patriarche a créé cet organe pour que nous, responsables des institutions synodales, sachions qui fait quoi, pour que nous puissions nous demander conseil, nous conseiller les uns les autres. Et surtout, pour que nous puissions entendre du patriarche les conseils dont nous avons besoin dans notre sphère d’activité.

Au Conseil, la discussion se fait librement. Les membres du Haut Conseil ecclésiatique ne sont pas toujours d’accord avec le patriarche, et le patriarche n’est pas toujours d’accord avec les membres du Conseil. Je me souviens très bien d’un jour où l’un des membres du Haut Conseil avait contredit plusieurs fois le patriarche, n’était pas d’accord avec lui. Finalement, le patriarche lui avait dit en plaisantant : « Savez-vous ce que c’est que dialoguer avec ses chefs ? Dialoguer avec ses chefs, c’est entrer dans le cabinet du chef avec votre propre opinion, et en sortir avec l’opinion du chef. Reparlons-en plus tard dans mon cabinet ». C’était une plaisanterie, mais elle contenait un message adressé à ce responsable d’une institution synodale. Il est toujours à la tête de cette institution, cela se passait il y a quelques années. Donc oui, il est tout à fait possible qu’un responsable d’institution synodale exprime son désaccord avec le patriarche.

En même temps, l’opinion du patriarche est une loi, pour nous. Il serait étrange que nous n’obéissions pas à ses indications. Nous pouvons exprimer notre avis, nous pouvons déclarer notre désaccord, mais c’est le patriarche qui prend la décision finale ; dans le contexte du Haut Conseil ecclésiastique, il s’agit d’une décision collégiale, que nous prenons tous ensemble.

Le Saint-Synode fonctionne sur le même mode. Au Synode, nous discutons les questions à l’ordre du jour, nous exprimons notre avis. Nous pouvons ne pas être d’accord entre nous. Mais la décision finale est prise à l’unanimité. Nous ne votons même pas, c’est une décision qui est prise à la suite d’un consensus.

E.Gratcheva : Monseigneur, on discute beaucoup en ce moment des modifications apportées au document fondamental du pays, la Constitution. J’ai trouvé sur internet un document du 21 décembre 2018, qui contient une section « Modifications à la législation ». C’est une annexe à un rapport du patriarche Cyrille devant l’assemblée diocésaine. Il y est dit qu’il faut ajouter aux lois en question la formule : « les propositions suivantes de l’Église orthodoxe russe ont été prises en compte ». Maintenant qu’on prépare des amendements à la Constitution, l’Église orthodoxe russe ne pense-t-elle faire valoir un droit de l’Église à l’initiative législative, au même titre que le président et que le gouvernement ?

Le métropolite Hilarion : Je n’ai pas entendu dire que quiconque dans l’Église ait proposé d’apporter des amendements à la Constitution, ou que quelqu’un ait proposé d’y fixer un rôle particulier de l’Église orthodoxe russe, mais je peux dire que le patriarche est déjà intervenu avec des initiatives législatives. Pas plus tard qu’il y a quelques jours, il est intervenu devant le Conseil de la Fédération dans le cadre des Conférences de Noël. Ces interventions ont lieu une fois par an : une année au Conseil de la Fédération, l’année suivante à la Douma d’état. Le patriarche utilise toujours ces allocutions pour proposer certaines initiatives législatives ; il fait ces propositions en tant que chef de l’Église, et elles sont ensuite examinées. Il ne s’agit pas d’un droit constitutionnel. Il s’agit des propositions d’un leader religieux, qui est suivi par des millions de personnes, et qui parle au nom de millions de personnes.

Bien plus, il ne parle pas seulement au nom des gens qui l’en ont chargé. Quand il affirme la nécessité de diminuer le nombre d’avortements, le patriarche dit que les avortements ne doivent plus être pris en charge par le système d’assurance sociale, afin que l’argent des contribuables ne serve pas au remboursement des avortements. Le patriarche Cyrille se donne pour objectif de conserver le plus possible de vies humaines. Il parle au nom de ces enfants qui n’ont pas de voix et qui, si on pouvait leur demander s’ils veulent avoir le droit de vivre, répondraient : bien sûr que oui. Mais personne ne le leur demande, ils sont éliminés sans pitié dans le sein de leur mère, et c’est contre cette iniquité que s’élève le patriarche. Il a de nouveau soulevé ce thème devant le Conseil de la Fédération, il a dit que l’Église le soulèverait tant qu’une solution n’aurait pas été trouvée. Il a souligné qu’on cherchait actuellement différents moyens de résoudre le problème démographique, alors qu’un des moyens est justement de réduire au maximum le nombre des avortements.

Il y a aussi un autre moyen, dont il a aussi parlé au Conseil de la Fédération : soutenir les familles nombreuses non seulement matériellement, mais aussi socialement, par l’intermédiaire des médias. Nous espérons vraiment que l’image des familles nombreuses deviendra positive, aussi bien dans les séries que dans les films diffusés par les chaînes de la télévision centrale. Nos législateurs l’ont entendu de la bouche du patriarche, il leur en a parlé.

E.Gratcheva : Merci, Monseigneur, de cet entretien.

Le métropolite Hilarion : Merci, Ekaterina.

Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions posées par les téléspectateurs sur le site du programme « l’Église et le monde ».

Question : Bonjour. J’ai regardé l’émission « l’Église et le monde » du 19 janvier, et j’ai été étonné des faits dont a parlé le métropolite Hilarion. Il a dit que le Monténégro voulait fonder un nouveau diocèse sur la base du diocèse serbe. Je me suis posé la question suivante : est-ce que vous ne connaissez effectivement pas les origines de « l’église orthodoxe du Monténégro », ou est-ce que vous voulez simplement soutenir l’Église orthodoxe serbe sans égards pour l’histoire orthodoxe monténégrine ?

Le métropolite Hilarion : Il y a quelques jours, j’ai rencontré l’ambassadeur du Monténégro en Fédération de Russie. L’ambassadeur, dans notre entretien, m’a assuré au nom de l’état monténégrin qu’il n’y aurait pas de transfert de propriété, que les communautés qui possèdent des biens immobiliers les conserveraient. Mais il m’a donné le texte de la loi, dont il ressort ce qui suit : l’état nationalise les églises et les monastères bâtis avant 1918. La loi prévoit aussi qu’un organe de l’état décidera à qui devront appartenir ces églises et ces monastères. Avant que cette décision soit prise, ils appartiendront à la communauté à laquelle ils appartiennent actuellement, mais la loi ne dit pas ce qu’il en sera après que la décision aura été prise. C’est ce qui a alerté et inquiété les orthodoxes du Monténégro.

Il faut savoir qu’au Monténégro, comme en Ukraine, il existe un schisme. La communauté schismatique n’est, numériquement parlant, pas aussi importante qu’en Ukraine, mais leur chef, qui se donne le titre de métropolite, prétend être chef d’une « église monténégrine », distincte de l’Église orthodoxe serbe. Du point de vue des canons ecclésiastiques, il s’agit d’un groupuscule non canonique. Mais M. Djukanovic (qui n’est même pas baptisé, et n’a donc aucun rapport avec l’Église orthodoxe en général), est déjà intervenu pour déclarer que « nous devons avoir une Église indépendante au Monténégro », indépendante de l’Église serbe, s’entend.

Nous avons déjà été confrontés à une situation semblable en Ukraine. Nous avons vu les conséquences de l’ingérence de M. Porochenko dans les affaires de l’Église en Ukraine, et nous ne voudrions pas que le scénario se répète au Monténégro. Ce qui se passe actuellement, le fait que des dizaines de milliers de personnes descendent dans les rues de différentes villes, témoigne que la population orthodoxe du Monténégro ne soutient pas le projet en question.

Question : Comment croire en Dieu s’il ne se manifeste absolument pas ? J’ai 45 ans, et je n’ai jamais vu de miracles de ma vie, ni de révélations. J’ai essayé d’aller à l’église, mais ça n’a rien donné. J’ai prié, j’ai posé des questions à Dieu dans mes prières, mais je n’ai reçu aucune réponse. Pourquoi Dieu ne répond-il pas ?

Le métropolite Hilarion : Chaque personne a un rapport individuel avec Dieu. On ne peut pas obliger Dieu à répondre à une question s’Il ne veut pas répondre, pour une raison ou pour une autre.

Mais il arrive souvent que Dieu réponde, sans que l’homme l’entende. Par exemple, Dieu se révèle souvent dans notre vie : vous voulez quelque chose, vous aspirez à quelque chose, et Dieu vous aide. Sa présence peut être tout à fait indiscernable, mais sans l’aide de Dieu, il n’est pas possible de rien faire de bien. Si vous analysez votre vie dans une perspective chrétienne, vous verrez que Dieu était présent dans bien des évènements de votre vie. Mais si vous n’avez jamais constaté de miracles surnaturels dans votre vie, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de ces petits miracles par lesquels Dieu se révèle, sans que, peut-être, vous l’ayez remarqué.

Pour entendre Dieu, pour entendre Sa réponse à nos questions, il faut se régler sur Sa longueur d’onde. Avant tout, soyez ouvert à Dieu. Si vous lisez l’Évangile, si vous écoutez la parole de Jésus Christ, si vous contemplez Sa face divine, si vous conformez votre vie à l’enseignement du Christ, si vous vous efforcez de vous intégrer à la communauté qu’Il a créée, c’est-à-dire l’Église, je ne peux pas croire que Dieu continuera à se cacher de vous. Je suis absolument certain que vous Le découvrirez, et que vous Le découvriez au-dedans de vous. Vous comprendrez que Dieu a toujours été avec vous, qu’Il était avec vous depuis votre enfance, qu’Il vous a conduit, qu’Il se révélait à vous par des milliers de petits miracles.

(…)

Je termine cette émission en citant les Actes des Apôtres, sur une parole prononcée par saint Pierre : « Repentez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ, pour le pardon de vos péchés ; et vous recevrez le don de l’Esprit Saint » (Ac 2,38).

Je vous souhaite bonne continuation, que le Seigneur vous garde tous !