Le 2 septembre 2017, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions d’Ekaterina Gratcheva dans l’émission « L’Église et le monde », diffusée sur la chaîne de télévision « Rossia-24 » les samedis et les dimanches.
E. Gratcheva : Bonjour ! Vous regardez l’émission « L’Église et le monde », nous nous entretenons avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, sur les évènements-clé de la semaine. Bonjour, Monseigneur !
Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina, bonjour chers frères et sœurs !
E. Gratcheva : Le Consulat général de Russie à San-Francisco a été fermé aux visiteurs ce samedi. Les États-Unis ont fermé notre représentation diplomatique et deux bâtiments consulaires à Washington et à New York. Ceci en réponse au fait que la Russie, six mois après qu’on lui ait fermé l’accès à ses biens immobiliers diplomatiques en Amérique, a réduit le nombre des diplomates américains dans notre pays.
Jésus dit : « Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre » (Mt 5, 39). Dans le cas présent, la Russie n’aurait peut-être pas dû suivre l’exemple de Washington, et les citoyens ordinaires n’auraient pas eu à souffrir de cette situation ? A votre avis, que se passe-t-il actuellement ? L’Amérique nous déclare une nouvelle « guerre froide » ? Faut-il y répondre d’une façon ou d’une autre ?
Le métropolite Hilarion : Tout d’abord, il faut préciser que les principes formulés par Jésus dans le Sermon sur la montagne et dans ses autres exhortation, sont des principes de morale personnelle. Ils s’appliquent à la vie privée des gens, à leurs rapports entre eux. Ils ne peuvent pas toujours s’appliquer à l’éthique sociale, à la politique, aux rapports entre les états.
La politique a ses propres règles, qui existent depuis des siècles, règles qui suivent leurs propres principes. Ce qui se passe aujourd’hui entre la Russie et l’Amérique, à mon avis, est une fantasmagorie, parce que les sanctions qui ont été annoncées, les mesures qu’on annonce de part et d’autre ont peu de chance d’être utiles. Elles ne peuvent contribuer à l’amélioration des relations entre les deux pays. La raison de tout cela est que ce n’est pas la bonne personne qui a gagné les élections américaines, pas celle sur laquelle comptait l’establishment politique américain. Ce candidat, pendant sa campagne électorale, disait qu’il fallait améliorer les relations avec la Russie. Et c’est pour cela qu’il a été élu, parce que le peuple américain comprenait que sans une amélioration radicale des relations avec la Russie, il serait impossible d’avancer.
Or, ceux qui ont perdu sont majoritaires dans l’establishment. Ce sont les démocrates, qui ont perdu les élections, et c’est une grande partie des républicains. Aujourd’hui, les membres du congrès, les représentants des médias boycottent le président. Je m’en suis convaincu lorsque je suis allé en Amérique et que j’ai pu observer comment le président était attaqué. C’est pourquoi, il me semble que toutes ces mesures qui semblent actuellement prises contre la Russie sont en réalités prises contre le président Trump. Les gens qui ont perdu une bataille tentent de prouver qu’il est un président incapable de rien. Et ils créent une situation à laquelle il ne peut rien faire.
E. Gratcheva : Peut-être l’objectif est-il aussi de ne pas lui gagner la sympathie des Russes, car le speaker du Département d’état a dit qu’il s’agissait d’une décision personnelle de Trump. Donc vous ne croyez pas que cette décision émane de Donald Trump ?
Le métropolite Hilarion : Pour autant que j’ai pu en juger par la campagne électorale, par les déclarations de Trum, lorsqu’il est devenu président, notamment pendant sa rencontre avec Poutine, il avait et il a toujours le désir d’améliorer les relations avec le Russie, mais il n’a pas les mécanismes qui lui permettraient d’y parvenir. Il est en fait l’otage de cette situation de politique intérieure. Il doit garder le pouvoir dans un pays où les principales forces politiques sont dirigées contre lui, y compris les médias les plus puissants.
E. Gratcheva : Les opinions sont séparées en deux camps. Les uns disent qu’il faut arrêter et ne pas prendre exemple sur Washington, ne rien faire en réponse. D’autres estiment qu’on veut remettre à sa place la Russie, une grande puissance, et qu’il faut répondre.
Le métropolite Hilarion : Je ne pense pas qu’il faille prendre exemple sur Washington en ce qui concerne les sanctions et les provocations. Si nous voulons prendre des exemples en Amérique, on peut en chercher d’autres, et en trouver. Il y a beaucoup de bonnes choses en Amérique, dans le mode de vie, dans le rapport des gens à la religion. Même parmi les politiciens, il y a des gens sensés, qui comprennent très bien ce qui se passe. Mais prendre exemple sur les hommes politiques qui brandissent le poing et pensent qu’on peut nous remettre à notre place de cette manière, cela ne me semble pas une chose à faire. Quelqu’un doit s’arrêter, et peut-être même tendre la joue.
E. Gratcheva : Monseigneur, la semaine dernière, la Russie a commémoré le centenaire d’une date clé dans l’histoire de notre pays et de l’Église russe : celui de l’ouverture du Concile local panrusse. Quelles ont été les principales décisions prises il y a cent ans, celles qui influencent aujourd’hui encore la vie de l’Église orthodoxe russe, en dehors de l’élection de Mgr Tikhon au patriarcat ?
Le métropolite Hilarion : Lorsque les évènements révolutionnaires ont commencé et que les gens se sont mis à parler de réformes dans les domaines les plus différents, on a aussi parlé de réforme dans l’Eglise. Mais les gens d’Église entendaient par là qu’il fallait restaurer l’organisation canonique de l’Église, celle qui existait depuis l’Antiquité. Et pour cela, il fallait rétablir le patriarcat.
Le Concile avait été préparé pendant plus de dix ans. Il existait un organe spécial, la « Présence préconciliaire », ou Conférence préconciliaire, dont les membres, hiérarques, prêtres, moines et laïcs discutaient de cette question et d’autres. Le Concile a débuté le jour de la Dormition de la Mère de Dieu, le 28 août nouveau style, à l’époque c’était le 15 août, selon l’ancien style. Son principal résultat aura bien sûr été le rétablissement du patriarcat. Cela a eu lieu lorsque les bolcheviks s’étaient déjà emparés du pays. On peut donc parler d’un évènement décisif dans la vie du pays et dans la vie de l’Église. Grâce au fait que l’Église ait perdu l’empereur comme chef, mais se soit dotée d’un chef canonique, elle a pu tenir aux heures les plus difficiles des persécutions et des répressions.
Le Concile a pris, bien sûr, beaucoup d’autres décisions. Par exemple, celle de restaurer l’ordre canonique selon lequel chaque région a sa métropole, divisée en diocèses. Cette décision a été prise, mais elle n’a pas pu être appliquée pendant la période soviétique parce que le gouvernement empêchait l’Église de vivre et d’agir librement. Ce n’est qu’à notre époque, sous le patriarche Cyrille, que nous sommes revenus aux décisions du Concile, à des décisions qui ont cent ans, et que nous ne nous contentons pas de copier, mais auxquelles nous réfléchissons, que nous adaptons à l’époque contemporaine, mettant en place le système des métropoles en créant de nouveaux diocèses. Nous pouvons donc aujourd’hui appliquer les décisions qu’ont prises il y a cent ans les membres du Concile local, dont beaucoup sont devenus des martyrs et des confesseurs de la foi.
E. Gratcheva : Il y a eu un autre évènement décisif en 1917, c’est la chute de la monarchie. A votre avis, les historiens qui disent que les monarques ont dirigé l’Église pendant 200 ans avant la Révolution de février, durant ce qu’on a appelé la période synodale, ont-ils raison ?
Le métropolite Hilarion : Oui, les monarques ont effectivement dirigé l’Église. Par contre, ces monarques n’étaient pas hostiles à l’Église. Ceux du XIX siècle, notamment, protégeaient l’Église et étaient soutenus par elle. Il existait un système assez complexe de rapports entre la monarchie et l’Église, mais ce système a, malgré tout, permis à l’Église d’exister et de se développer librement. L’Église pouvait soutenir la monarchie non pas en tant que forme d’exercice du pouvoir mais, avant tout, soutenir l’état et, par-là, le peuple.
E. Gratcheva : Cette symphonie dans les rapports n’exaspérait pas les sujets de l’Empire russe ?
Le métropolite Hilarion : Je pense que, d’une part, tout le monde y était habitué et, d’autre part, que l’Église se souvenait très bien que, canoniquement parlant elle aurait dû être dirigée par un Patriarche. Cette aspiration à la restauration du patriarcat continuait à exister. On a continué à discuter de la restauration du patriarcat à l’époque de la monarchie. Mais il y avait une certaine inertie. Et on ne peut pas dire que la monarchie, au début du XX siècle, ait beaucoup soutenu cette discussion, parce que tout le monde avait l’habitude de l’ordre établi. Et finalement, la restauration du patriarcat est devenue possible lorsque la monarchie est tombée.
E. Gratcheva : Il y a quelques jours, le verdict est tombé dans une affaire qui a fait beaucoup de bruit, celle des restaurateurs. Au banc des accusés, en dehors de l’entrepreneur et du promoteur, beaucoup de hauts fonctionnaires du ministère de la Culture, licenciés depuis. Ils avaient volé des fonds alloués à la restauration du théâtre dramatique de Pskov, du musée du cosmos de Kalouga et de plusieurs sanctuaires, dont le monastère Novodiévitchi de Moscou. Quelles sont actuellement les relations entre le ministère de la Culture et l’Église orthodoxe russe lorsqu’il s’agit de choisir un entrepreneur pour la restauration d’un sanctuaire ?
Le métropolite Hilarion : Avant tout, le processus doit être très transparent, car là où il n’est pas transparent, on peut soupçonner, et ces soupçons sont souvent justifiés, que quelqu’un veut employer l’argent ou une partie de l’argent pour autre chose. Je me souviens par exemple de la restauration de la cathédrale Saint-Nicolas lorsque j’étais à Vienne ; il s’agit d’un monument de la fin du XIX siècle, propriété russe, situé sur le territoire de l’ambassade de Russie. Mais c’est aussi un des plus importants monuments architecturaux de la capitale autrichienne. Nous étions soutenus par l’état, et la compagnie « Loukoil » nous soutenait aussi financièrement. L’argent n’allait pas sur notre compte, mais directement sur celui de l’entrepreneur. Nous avions choisi le principal architecte de la cathédrale Saint-Étienne, et la compagnie qu’il dirige. Nous discutions de chaque étape avec lui. Nous contrôlions tout. J’étais presque tous les jours sur le chantier et j’ai vu comment on restaurait chaque pierre. Nous avons pratiquement réussi à rester dans le cadre du budget prévu au départ. Lorsqu’il y avait des situations inattendues, l’architecte me disait : nous avons fait une analyse, nous pensions qu’il faudrait changer 30% des pierres, en fait il faudra en changer 35%, ce qui augmente les frais. Nous avons pu obtenir de nouvelles subventions. Mais le processus a été absolument transparent du début à la fin. Chacun pouvait rendre compte de comment avait été dépensé le moindre kopeck. Voilà comment cela doit se passer.
E. Gratcheva : Nous sommes au début d’une nouvelle année scolaire. Vladimir Poutine a donné une leçon dans une école. Le ministre de l’Instruction a été appelé au tableau, les parents d’élèves lui posaient des questions sur des problèmes sensibles qui restent les mêmes d’année en année : le trop grand nombre d’heures de classe des écoliers de primaire, les frais qui incombent aux parents : travaux à faire dans les écoles, achat de manuels coûteux. Plus généralement, les députés font beaucoup de propositions avant les élections. De toutes ces propositions, qu’est-ce qui vous paraît rationnel et qu’est-ce qui vous paraît irrationnel ? Et vous-même, que changeriez-vous dans l’enseignement dans notre pays ?
Le métropolite Hilarion : Je dois dire que j’ai aussi donné un cours dans une école de Moscou, le gymnase Griboïedov, pour les enfants doués. Ce n’est pas la première fois que j’y vais.
On m’a demandé de donner un cours aux élèves des grandes classes. J’ai décidé de leur parler de la vocation, car la principale question à laquelle devra répondre un élève de terminale est : où aller ensuite ? Il ne faut pas se tromper. J’ai tenté, d’après ma propre expérience, d’après l’expérience de beaucoup de gens avec lesquels j’ai échangé durant toutes mes années de sacerdoce, d’expliquer aux enfants comment faire le bon choix, comment ne pas se tromper, comment entendre la voix intérieure qui te souffle où aller, et comment ne pas ignorer les signes que nous envoie Dieu.
Quant au système, je pense qu’il y aura toujours moyen d’améliorer quelque chose. En tant que représentant de l’Église, j’aimerais naturellement qu’on accorde plus d’attention à l’étude des traditions religieuses dans le programme scolaire. Cela ne veut pas dire que nous devons aller dans les écoles pour y prêcher, que nous devons convertir tout le monde à l’Orthodoxie. Nous avons, heureusement, assez d’orthodoxes. La plupart des écoliers sont des fidèles de l’Église orthodoxe russe. Mais il me paraît évident qu’on accorde trop peu d’attention au facteur religieux dans le programme scolaire, notamment dans les cours d’histoire. Pourtant, le problème principal qui se pose à la communauté internationale, celui du terrorisme, ne peut être résolu sans qu’il soit remédié à l’ignorance religieuse. C’est pourquoi les terroristes recrutent généralement leurs adeptes parmi des jeunes qui connaissent peu de choses de la problématique religieuse.
E. Gratcheva : Les élèves des grandes classes, c’est un auditoire difficile, ils sont en pleine adolescence. Ont-ils été intéressés par ce cours ? Quelles questions ont-ils posées ? Y avait-il des musulmans dans la classe ? Quelles questions ont-ils posées ?
Le métropolite Hilarion : On m’a posé des questions très variées, notamment, si étrange que cela puisse paraître, deux personnes ont demandé si tuer à la guerre était un péché et comment les soldats devaient se soumettre aux commandements de leurs chefs si ces commandements étaient immoraux, etc. J’ai même été un peu étonné. Je leur ai demandé : « Vous voulez aller faire la guerre ? »
Les élèves m’ont écouté avec grand intérêt. Je ne sais pas s’ils étaient tous orthodoxes et s’il y avait des musulmans parmi eux. Je n’ai pas posé la question. On ne peut pas juger de l’appartenance religieuse d’après l’aspect extérieur puisqu’ils portaient tous l’uniforme scolaire. Mais j’ai pu constater un grand intérêt.
Durant la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions des téléspectateurs posées sur le site de l’émission « l’Église et le monde », vera.vesti.ru.
Question : Quelles peuvent être les exigences du clergé envers les parrains et les marraines avant la célébration du rite du baptême : entretiens, confession, etc. Est-ce obligatoire, et pourquoi ?
Le métropolite Hilarion : J’aimerais préciser que le baptême, du point de vue de l’Église n’est pas simplement un rite. Nous parlons de Sacrement du baptême. Cette appellation dit bien qu’il se passe quelque chose de sacré, de mystérieux lorsque quelqu’un est baptisé, et qui aura sur lui une influence durant toute sa vie.
C’est pourquoi, lorsque nous préparons les gens au baptême, nous leur expliquons avant tout que le baptême n’est pas simplement un rite, c’est le début d’une vie nouvelle. S’il s’agit de baptiser un enfant, et c’est surtout dans ce cas qu’il y a besoin de parrains et de marraines, c’est le début d’une vie nouvelle pour l’enfant, et ce sont les parents et les parrains et marraines qui prennent la responsabilité de leur éducation chrétienne. C’est pour cela que les parrains et marraines sont nécessaires.
Il n’y a d’ailleurs pas forcément besoin d’un parrain et d’une marraine. Il peut n’y avoir qu’un seul répondant, qui doit être du même sexe que l’enfant. Cela doit être une personne qui connaît la doctrine de l’Église, en quoi consiste la moralité chrétienne, quelqu’un qui doit être capable d’élever l’enfant dans la foi orthodoxe, car s’engager à éduquer l’enfant dans la foi doit être une condition essentielle pour qu’il puisse être baptisé. Si nous ne sommes pas certains que l’enfant pourra être élevé dans la foi, nous refusons généralement de baptiser.

Ainsi, si ce n’est pas un adulte, mais un enfant qu’on baptise, on exigera certaines choses des parrains et marraines, mais ces exigences sont justifiées. En général, le prêtre donne des conseils et des recommandations en essayant de voir si la personne est assez intégrée dans l’Église ou non, si elle prend ou non au sérieux son rôle de parrain ou de marraine.