Le métropolite Hilarion : La Résurrection du Christ est l’évènement principal de l’année liturgique
Le 15 avril 2017, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions d’Ekaterina Gratcheva, dans l’émission « L’Église et le monde » sur la chaîne de télévision « Rossia-24 ».
E. Gratcheva : Bonjour ! Nous nous entretenons avec lemétropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Monseigneur, bonjour !
Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Bonjour, chers frères et sœurs.
E. Gratcheva : Monseigneur, cette année, la date de Pâques est la même pour tous les chrétiens. Cela n’arrive pas souvent. A quoi cela tient-il ?
Le métropolite Hilarion : Pâques et les fêtes qui en découlent – l’Entrée du Seigneur à Jérusalem, l’Ascension, la Pentecôte, les fêtes dites mobiles – sont célébrées selon un calendrier suivant, notamment, les phases de la lune. Pâques est célébré le premier dimanche qui suit l’équinoxe de printemps.
Les orthodoxes et les catholiques ont la même façon de déterminer la date de Pâques. Mais, d’une part, il existe chez les orthodoxes une règle selon laquelle la Pâque chrétienne ne doit pas être célébrée avant la Pâque juive, et, d’autre part, l’utilisation de calendriers différents influe sur le Comput. C’est pourquoi notre fête de Pâques coïncide parfois avec celle des autres confessions chrétiennes, et parfois non.
Afin que l’ensemble du monde chrétien fête Pâques le même jour, le I Concile œcuménique de 325 avait dicté des règles permettant de déterminer la date de Pâques. Tous les chrétiens ont ainsi fêté Pâques ensemble durant plus d’un millénaire. Cependant, après l’introduction du nouveau calendrier (d’abord dans l’Église occidentale puis, au XX siècle, dans certaines Églises orthodoxes), une divergence est apparue sur la date des fêtes fixes, ainsi qu’une différence dans la date de célébration de la fête de Pâques entre orthodoxes et catholiques.
E. Gratcheva : Les chants liturgiques orthodoxes appellent Pâques la fête des fêtes, tandis que les catholiques célèbrent Noël avec plus de solennité, faisant de la Nativité leur fête principale. Quelle est l’importance de la fête de la Résurrection du Christ dans la tradition russe, aussi bien religieuse que culturelle ?
Le métropolite Hilarion : L’expression « fête des fêtes et solennité des solennités » appartient à un grand écrivain ecclésiastique du IV siècle, saint Grégoire le Théologien, qui, dans une homélie pascale, emploie ces expressions, reprises par la liturgie orthodoxe.
Durant toute l’année, la liturgie orthodoxe est centrée sur la fête de la Résurrection du Christ. Chaque dimanche est une petite Pâque. Le décompte des dimanches de l’année se fait à partir de Pâques. Nous disons, en effet, « premier dimanche après Pâques », « deuxième dimanche après Pâques », etc. La Résurrection du Christ est effectivement pour nous le cœur, le sens, le principal évènement de l’année liturgique.
Pourquoi les traditions diffèrent-elles d’un pays à l’autre ? Il ne s’agit pas seulement, et pas tellement, de théologie, mais de différences culturelles. Dans l’ancienne Russie, Pâques était célébrée avec une grande ampleur, non seulement sur le plan liturgique, mais aussi sur le plan social, dans la sphère du quotidien. Pâques marquait la fin du carême, on organisait de grandes réjouissance populaires. Mais Pâques a aussi toujours été perçue non seulement comme une occasion de faire la fête, de bien manger après le carême, mais aussi une occasion de faire le bien. Le Patriarche Cyrille se rend toujours auprès d’enfants malades le jour de Pâques, il visite les hôpitaux, des institutions où il y a des gens qui souffrent, parce que, le jour de Pâques, nous voulons partager la joie pascale avec ceux qui souffrent, les malades, les déshérités.
E. Gratcheva : Monseigneur, en tant que directeur du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, vous avez fait le tour du monde. Quelles sont les traditions pascales les plus étonnantes que vous ayez vues, quelles fêtes de Pâques loin de la patrie vous ont le plus marqué ?
Le métropolite Hilarion : J’ai vécu Pâques dans différents lieux. Une fois, j’ai célébré l’office pascal à l’ambassade russe en Inde, où s’étaient rassemblés les employés de l’ambassade et nos compatriotes résidant en Inde.
J’ai été le premier clerc à célébrer l’office pascal à Dublin, dans notre paroisse, qui a maintenant sa propre église, alors qu’à l’époque nous louions un bâtiment. Ce fut la première Pâque de beaucoup de nos paroissiens en Irlande. Nous avons récemment introduit saint Patrick, patron de tous les chrétiens irlandais, à notre calendrier liturgique. Les orthodoxes le vénèrent depuis longtemps. C’est d’ailleurs à leur demande qu’il a été inscrit au calendrier ecclésiastique.
Il y a beaucoup de coutumes, non seulement autour de Pâques, mais autour de la Semaine sainte. En Angleterre, par exemple, où j’ai fait mes études, on recrée des drames liturgiques en plein air pendant la Semaine Sainte, bien qu’il fasse parfois très froid. Il s’agit de spectacles retraçant les derniers jours de la vie du Seigneur Jésus Christ, Sa Passion. C’est une façon de préparer les gens à la fête de la Sainte Résurrection du Christ.
E. Gratcheva : Ceux qui ont eu la chance de se rendre à Jérusalem pendant la Semaine sainte, juste avant Pâques, savent que des milliers de pèlerins espèrent être témoins de l’apparition du feu sacré. L’église du Saint-Sépulcre ne peut contenir tout ce monde. L’an dernier, le Saint-Sépulcre a été restauré, et on a ouvert l’édicule. Que pense l’Église russe des travaux effectués ?
Le métropolite Hilarion : Le bâtiment historique construit sur le lieu supposé du tombeau du Christ se dégradait lentement depuis longtemps. Cela tient à des phénomènes physiques : le terrain bouge, les contours de ces bâtiments changent… Il fallait depuis longtemps faire des travaux. Pour autant que je sache, la restauration a été faite de façon très professionnelle. Il n’y a pas eu de profanation de ces lieux saints, et les inquiétudes exprimées par certains fidèles orthodoxes sont, à mon avis, totalement infondées.
Très récemment, je suis allé à Jérusalem, en dehors de mes obligations ecclésiastiques, pour visiter une personne très malade qui y est soignée à l’hôpital. J’avais quelques heures devant moi, et j’ai pu visiter le Saint-Sépulcre, je suis entré dans l’édicule, j’ai vénéré le tombeau du Seigneur. C’est toujours une impression inexprimable.
Je n’ai jamais été à Jérusalem le jour de Pâques, mais j’y ai passé le Samedi saint, lorsque se produit la descente du feu sacré. C’est toujours un grand évènement pour l’Église de Jérusalem, pour les fidèles des autres Églises qui se rassemblent en grand nombre. Les gens s’exclament, crient, on voit briller les flashs de mille appareils photo, car les gens tentent de fixer ce moment. La flamme du feu sacré se répand dans l’église à la vitesse de l’éclair. C’est un phénomène extraordinaire et inoubliable.
E. Gratcheva : Monseigneur, cette année, nous fêtons le 15e anniversaire de l’église de la Sainte-Trinité dans l’Antarctique. Notre équipe cinématographique y est récemment allée. L’église est très belle. Le personnel de la station polaire y fête Pâques. Des baptêmes ont lieu dans les eaux de l’Antarctique. Le recteur de l’église dit que les touristes viennent volontiers la visiter. Mais il y a des sceptiques, des mécontents, qui voient dans la présence d’une maison de prière sur le continent blanc une prétention de notre pays à ce continent. Que diriez-vous à ces sceptiques ?
Le métropolite Hilarion : La construction de cette église n’a rien à voir avec de quelconques prétentions territoriales, car l’Église orthodoxe russe possède des paroisses sur les territoires les plus différentes, dans les pays les plus différents. La présence d’une église russe ne nuit aucunement à la souveraineté d’un pays ni n’influe sur le statut d’une région. Ce sont les membres de la station polaire qui ont demandé à ce qu’on leur construise une église. Ils se sont adressés au Patriarche Alexis II. Le Patriarche Alexis a confié ce projet au président du Département des relations ecclésiastiques extérieures de l’époque, le métropolite Cyrille, aujourd’hui Patriarche, qui s’est chargé de superviser la construction de l’église.
L’église a été bâtie. Cette œuvre a été reçue avec reconnaissance par les membres de la station polaire. Il y a un peu plus d’un an, le Patriarche s’est rendu en Antarctique, et nous avons pu nous convaincre de nos yeux que l’église n’est pas abandonnée, n’est pas pauvre : on y célèbre régulièrement les offices. Les explorateurs viennent y prier, ainsi que des membres d’autres stations, donc d’autres nationalités, des citoyens d’autres pays. Ils viennent prier, purifier leur âme, toucher à un monde supérieur, parler à Dieu, auxquels sont confrontés tous les hommes, même les non-orthodoxes, lorsqu’ils franchissent le seuil d’une église orthodoxe.
E. Gratcheva : Monseigneur, le Carême est terminé, mais le Conseil municipal discute de la possibilité d’introduire des menus tenant compte des traditions religieuses dans les cantines scolaires. Il ne s’agit pas seulement d’un régime spécial pour les élèves orthodoxes, mais aussi de nourriture hallal ou kacher. Que pensez-vous de cette initiative ? Cette discussion a-t-elle été proposée par les communautés religieuses ?
Le métropolite Hilarion : Il n’y a pas eu d’initiative spéciale de la part des communautés religieuses, bien que je puisse me tromper ou ne pas être au courant.
Il est intéressant de se demander pourquoi pratiquement toutes les religions ont des règles alimentaires. Le philosophe matérialiste Ludwig Andreas Feuerbach disait en son temps : « L’homme est ce qu’il mange ». Cette phrase contient un jeu de mot, aussi bien en allemand que dans sa traduction russe. Feuerbach voulait dire que l’homme est un être foncièrement matériel. Nous mangeons de la viande et sommes nous-mêmes chair. Le père Alexandre Schmeman, un de nos remarquables théologiens chrétiens, est parti de cette idée pour son livre sur la Communion. Il écrit : « Oui, en effet, l’homme est ce qu’il mange. Et ce n’est pas un hasard si le principal Sacrement de l’Église chrétienne est le Sacrement de la Communion, lorsque, nous l’aspect du pain et du vin, nous recevons Dieu Lui-même. L’homme devient ce qu’il mange. Il reçoit Dieu au-dedans de lui, et Dieu, de l’intérieur de lui-même, se met à agir en l’homme, Il transfigure de l’intérieur son être, non seulement physique, mais spirituel.
Quant aux prescriptions alimentaires qui existent dans l’Église, quant aux prescriptions alimentaires d’autres traditions, je dirais que, en tous cas en ce qui concerne les carêmes institués dans notre tradition chrétienne, ils ne sont pas là pour épuiser les gens, mais pour aider l’homme à se libérer du poids de son propre corps matériel, qui est si souvent une charge. Dans l’Église des premiers siècles, Pâques était déjà précédée du Grand carême. Certes, il n’a pas été institué pour des raisons diététiques, mais il a aussi une dimension diététique. Je ne vois rien de mauvais dans le fait que les élèves qui veulent se nourrir conformément à leur tradition religieuse en aient la possibilité.
E. Gratcheva : Peut-être que certains élèves le veulent, mais il y a des parents qui, sans être contre la nourriture maigre en soi, craignent pour l’organisme d’adolescents en pleine croissance.
Le métropolite Hilarion : Les adultes ne sont pas moins actifs que les écoliers. Pourtant, nous, adultes, observons le carême sans qu’il ait une incidence négative sur notre capacité de travail ou sur nos facultés intellectuelles. Je me souviens bien de mes années d’école, j’observais le carême, et la nourriture proposée à l’école n’était pas carémique, si bien que je ne pouvais presque rien manger. Il me fallait chercher autre chose à manger ou ne manger que la garniture. Cela compliquait la vie. Si je comprends bien, il ne s’agit pas de forcer les écoliers à observer telle ou telle diète. En définitive, un garçon musulman ou une fille chrétienne peuvent très bien décider eux-mêmes de jeûner ou non, ou bien leurs parents leur diront ce qu’ils ont à faire. Personne n’oblige à rien, mais on ne peut que saluer l’idée d’offrir la possibilité de choisir une nourriture en conformité avec sa tradition religieuse.
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Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions des téléspectateurs, postées sur le site du programme de l’émission, vera.vesti.ru
Question : Comment se comporter avec les gens qui ne jeûnent pas et ne viennent à l’église que pour faire bénir leur corbeille de nourriture à Pâques ?
Le métropolite Hilarion : Nous devons nous comporter charitablement envers toute personne qui vient à l’Église, comme le faisait le Christ envers les personnes qui venaient à Lui. Il ne leur demandait pas pourquoi ils venaient. Les uns venaient pour être guéris de leurs maladies, les autres pour L’écouter. Il les accueillait tous et ouvrait Son cœur à chacun de ceux qui venaient à Lui.
C’est ainsi que nous devons nous comporter envers ceux qui viennent à l’Église. Cela concerne aussi bien les clercs, que ceux qui travaillent à l’église et les paroissiens. Il arrive que quelqu’un vienne à l’église, et qu’il ne soit pas reçu avec charité. On lui reproche, par exemple, son aspect extérieur, si une femme est venue en pantalon ou sans foulard, ou si un homme est entré dans l’église sans se signer. Ce n’est pas à cela que nous devons faire attention. Dieu ne regarde pas l’aspect extérieur, mais le cœur de l’homme. Les gens viennent parfois à l’église parce qu’il leur est arrivé malheur. A ce moment-là, ils ne pensent pas du tout aux formes extérieures, ni s’ils sont entrés comme il faut ou ont placé correctement leur cierge. C’est le chagrin qui les amène, et ils ont besoin d’être consolés par Dieu et par les gens qu’ils rencontrent dans l’église.
Les gens qui viennent à Pâques viennent pour différentes raisons : certains croient sincèrement, et s’ils ne sont pas venus pendant l’année, c’est parce qu’ils avaient de bonnes raisons. D’autres accompagnent des amis ou des parents ; d’autres viennent faire bénir leur koulitch et leursœufs colorés. Mais l’Église les accueille tous avec charité. Nous ne devons pas demander qui a bien suivi toutes les règles, qui a jeûné et qui n’a pas observé le jeûne.
Pendant les matines pascales, on lit une homélie de saint Jean Chrysostome, qui a vécu au IV siècle. S’adressant aux fidèles rassemblés dans l’église, il dit : « Vous qui avez jeûné et vous qui n’avez pas jeûné, réjouissez-vous aujourd’hui ! ». Rappelons-nous aussi la parabole du publicain et du pharisien. Malheureusement, certains fidèles d’aujourd’hui ressemblent aux pharisiens : ils se font un mérite d’observer certaines règles. Ils se font un mérite d’observer le carême et jugent sévèrement ceux qui ne jeûnent pas. Ce n’est pas ce que le Seigneur nous enseigne, car Lui regarde le cœur de l’homme. L’homme ne doit s’attribuer aucun mérite. Si certaines personnes autour de nous ne respectent pas les règles de l’Église, ce n’est pas une raison pour les juger.