Le métropolite Antoine de Borispol et de Brovary : Mgr Amphiloque était aimé de tous les Monténégrins
Le métropolite du Monténégro et du Littoral Amphiloque (Radovič) a été rappelé à Dieu le 30 octobre 2020. Dans une interview au portail « Vie orthodoxe » (Pravoslavnaïa jizn’), le métropolite Antoine de Borispol et de Brovary, chancelier de l’Église orthodoxe ukrainienne, a parlé de ses rencontres avec ce hiérarque de l’Église orthodoxe serbe.
Monseigneur, vous avez souvent rencontré Mgr Amphiloque. Quelles impressions en gardez-vous ?
C’était un saint. Un saint sous tous rapports. Il serait difficile de trouver quelqu’un qui aurait eu autant d’autorité dans l’Église. C’était un véritable leader national. Sa mort est une perte immense pour les Monténégrins, pour la Serbie, pour l’Amérique du Sud dont il avait aussi la charge pastorale. Et pour quantité d’orthodoxes sur tous les continents.
Vous aviez fait connaissance au Monténégro ?
J’ai entendu parler de Mgr Amphiloque pendant mes études. Il était l’un des meilleurs théologiens orthodoxes contemporains. Nous lisions ses ouvrages. J’ai eu l’occasion d’échanger avec lui quand il est venu à la laure de la Trinité-Saint-Serge. Mais c’est pendant mon rectorat à l’Académie de théologie de Kiev que nous avons fait plus ample connaissance. Mgr Amphiloque avait reçu le titre de docteur en théologie (nous n’avons pas eu le temps, d’ailleurs, de le lui remettre). Pendant mes séjours au Monténégro, j’ai pu constater à quel point il aimait son peuple, à quel point il souffrait de la situation dans son pays. Chacun sait que Mgr Amphiloque était aimé de tous les Monténégrins, du plus petit au plus grand. On l’appelait père, mère, grand-père, apôtre. Quel était le secret de cette reconnaissance générale, de cette vénération ?
Il était véritablement un père pour le peuple. Ses sermons étaient emplis d’une telle puissance évangélique, d’un tel amour, ils étaient d’une telle actualité que les gens avaient l’impression qu’il s’adressait personnellement à chacun d’eux. Il était proche de chacun, il faisait partie de la famille.
Son affection et sa sollicitude pour ses fidèles se manifestaient constamment.
L’an dernier, Monseigneur m’avait invité à fêter avec lui la Saint-Michel. En Serbie, on ne fête pas sa fête, la fête de son saint patron de la façon où nous l’entendons chez nous, on fête la « Gloire », la fête du saint patron de la famille. Ce saint patron se transmet de génération en génération. Le saint patron des Radovič était l’archange Michel.
Après la Divine liturgie, j’ai vu Mgr Amphiloque, âgé de 82 ans, rester debout pour accueillir des quantités de gens qui venaient lui présenter leurs vœux. Nos adieux ont été brefs, car les gens ne cessaient d’affluer… On m’a dit par la suite qu’il avait reçu ainsi des congratulations toute la semaine.
Il faisait partie du peuple monténégrin ; l’orthodoxie monténégrine est inséparable de Mgr Amphiloque. Il en est devenu le chef au moment de la chute du régime socialiste et c’est grâce à ses efforts que la vie ecclésiale a pu renaître, qu’on a bâti des églises, ouvert des monastères ; Plus de 700 églises et monastères ont été restaurés après des années de ruines et de désolation.
Et ce ne sont pas des monastères au sens de simples bâtiments. Ce sont de vrais monastères. Connaissant sa spiritualité et son amour du monachisme, beaucoup sont venus au Monténégro de différents coins du monde pour y recevoir la tonsure monastique de ses mains ; il tonsurait chacun et chacune personnellement. Parmi eux, de nombreux ressortissants russes, ukrainiens, biélorusses.
Son cheminement monastique est unique, parce qu’il s’est entretenu jadis avec des gens qui sont aujourd’hui canonisés par l’Église. Il a été le disciple de saint Justin (Popovic) et de saint Païssios l’Hagiorite. Ils étaient unis par une amitié spirituelle, par l’unité d’esprit.
C’est un ascète de notre temps. Un opposant brave et sincère aux schismes. D’un point de vue humain, on aimerait que des hommes comme lui, courageux, forts, faisant autorité, et il était vraiment un théologien et un hiérarque faisant autorité dans l’ensemble du monde orthodoxe, restent plus longtemps parmi nous. Sa défense de l’ordre canonique, concernant, notamment, la situation en Ukraine, a toujours fait poids, était très rigoureuse. De nombreux hiérarques d’autres Églises locales s’alignaient sur lui.
De ce point de vue, sa disparition est particulièrement douloureuse pour nous, mais je pense qu’il continuera à défendre l’orthodoxie depuis les Cieux, qu’il priera devant le trône de Dieu et implorera le Seigneur de nous donner raison et de nous envoyer l’unité, de faire que nous comprenions et soyons responsables du sort de l’orthodoxie.
Monseigneur, vous étiez aux funérailles du métropolite Amphiloque. Partagez vos impressions.
On aurait cru que tout le pays était aux obsèques. L’amour populaire s’est manifesté en cette heure triste où le Seigneur a repris son âme. Triste d’un point de vue terrestre. Le Seigneur, Lui, sait quand donner la vie et quand la reprendre.
La principale impression que j’ai retiré de ces obsèques, c’est la conciliation de l’inconciliable, avec des milliers de personnes en larmes, enfants, adultes, jeunes gens. Mais ces pleurs n’étaient pas des pleurs de découragement. Les larmes que verse une âme déchirée dans une situation sans issue sont une chose. Ici, c’étaient des larmes lumineuses, emplies d’espérance.
Mgr Amphiloque a su éduquer ses fidèles monténégrins à appréhender chrétiennement la vie comme la mort. Leurs larmes étaient celles d’une joie spirituelle intérieure, des larmes de triomple pour le Monténégro qui accompagnait son fils et son père vers sa dernière demeure. Mgr Amphiloque était le père d’un peuple qui ne craignait pas de souffrir pour l’Église et de se donner entièrement pour qu’elle renaisse et prospère.
Des foules sont venues lui dire adieu, l’esplanade de la cathédrale était noire de monde, cette cathédrale qu’il avait bâtie. Monseigneur faisait tout ce qu’il faisait avec ampleur, sans perdre le sens des choses de vue. La cathédrale en est un exemple.
Quel sens particulier a-t-on donné à cette cathédrale lors de sa construction ?
Si l’on regarde la grande cathédrale de la Résurrection de Podgorica, on remarque que la partie inférieure de l’église se compose de blocs grossiers ; des pierres taillées sont posées dessus, tandis qu’en haut de l’église on peut voir des carrelages de pierre très fins, un vrai travail d’orfèvre. Les pierres nécessaires à la construction ont été amenées de tout le Monténégro. Les pierres grossières du bas symbolisent ceux qui viennent de rejoindre l’Église : ils sont encore mal dégrossis, anguleux, il y a encore en eux beaucoup d’inexact, de rugueux, de grossier. Les pierres un peu plus haut représentent ceux que la grâce de l’Esprit-Saint transfigure peu à peu dans l’Église, qu’elle afine et adoucit. Les pierres du haut, ce sont ceux qui ont véritablement grandis dans l’Église et deviennent eux-mêmes des œuvres d’art.
Le monde orthodoxe est aujourd’hui terriblement divisé. Que peut-on faire pour sa réunification ?
S’en tenir courageusement à la vérité. Comme l’a dit saint Marc d’Éphèse : « Jamais, ô homme, ce qui se rapporte à l’Église ne peut être corrigé par les compromis : il n’y a rien entre la vérité et le mensonge ».
Nous vivons aujourd’hui une page difficile de l’histoire de l’Église. L’Église ukrainienne et l’Église orthodoxe serbe au Monténégro souffrent de persécutions, d’usurpations. Remémorons-nous la conduite du métropolite Amphiloque. Quand les précédentes autorités monténégrines ont voulu saisir les biens de l’Église orthodoxe serbe, Monseigneur a courageusement pris la défense de l’Église. Le peuple a entendu sa voix. Des centaines de milliers de personnes se sont levées pour défendre leur foi et leur Église. Un vrai miracle !
Quand Monseigneur a su que plusieurs personnes avaient été arrêtées, il s’est rendu à la police, il a dit : « Arrêtez-moi, mais libérez-les, c’est moi qui suis l’instigateur ».
Malgré les ans, malgré les maladies, il ne se cachait pas, il était prêt à aller en prison pour que d’autres soient libérés.
Le courage et la pureté, voilà l’exemple à suivre. Bon et ferme. Un vrai guerrier du Christ ! Souvenons-nous de lui dans nos prières, avec l’espoir qu’il priera bientôt pour nous devant le trône du Seigneur !