Le 3 octobre 2020, le métropolite Hilarion de Volokolamsk a répondu aux questions de la présentatrice Ekaterina Gratcheva, dans l’émission « L’Eglise et le monde » (Tserkov’ i mir), diffusée sur la chaîne de télévision « Rossia-24 » les samedis et les dimanches.

Gratcheva: Bonjour ! Ici l’émission « L’Eglise et le monde ». Nous interrogeons le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, sur l’actualité de l’Eglise et du monde. Monseigneur, bonjour.

Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina. Bonjour, chers frères et sœurs !

Gratcheva : L’Union des architectes de Russie a suscité une polémique en annonçant un concours sur l’utilisation du mausolée après l’inhumation du corps de Lénine. A cause du scandale (les communistes russes ont protesté), le concours a été annulé, mais l’affaire a une suite : on apprend qu’un artiste américain veut bâtir une copie du monument à Washington et se dit prêt à racheter le corps de Lénine. 50 millions de dollars auraient déjà été collectés à cette fin. Qu’en pensez-vous ? Les idées fusent sur le devenir du corps et celui de l’emplacement du mausolée. L’Église orthodoxe russe pense-t-elle qu’on pourrait le remplacer par une église ?

Le métropolite Hilarion : Je pense qu’il est absolument inutile d’y bâtir une église. Il y a déjà Basile-le-Bienheureux, Notre-Dame-de-Kazan, la chapelle de la Vierge d’Iveron ; il y a suffisamment d’églises sur la Place Rouge.

Quant à l’enterrement de Lénine, je ne doute pas que, tôt ou tard, le corps de cet homme finira par être inhumé. Difficile de dire, pour l’instant, quand et dans quelles circonstances. Lénine est rentré en Russie quand la Russie était enflammée par la révolution et en guerre avec l’Allemagne. Lénine et d’autres révolutionnaires sont revenus grâce à l’argent allemand. Autrement dit, l’Allemagne savait qu’elle ne pourrait vaincre la Russie par les armes et a voulu profiter de la situation pour changer le régime politique en Russie. Ainsi, la puissance militaire russe était anéantie, elle n’était plus capable de résister. L’Allemagne gagnait du temps et évitait une défaite honteuse. La paix de Brest-Litovsk, conclue par la Russie soviétique, tenait surtout compte des intérêts de l’Allemagne. Autrement dit, c’est un traître à la patrie qui est rentré en Russie dans un wagon plombé, un homme qu’on aurait dû, selon la loi, juger pour haute trahison. Or, c’est cet homme qui a déclenché la terreur rouge, les répressions contre la population russe. Je pense qu’il n’a rien à faire sur la place Rouge.

D’un autre côté, il faut bien comprendre que Lénine reste « sacré » pour ses adeptes. Nous disons qu’en faisant dynamiter les églises et tuer les prêtres, les bolcheviks ont porté atteinte à notre foi. Si le corps de Lénine est retiré du mausolée, ceux pour qui ce corps reste une relique sacrée le ressentiront comme une atteinte à leur propre foi. Il faut donc être très prudent, afin de ne pas provoquer des troubles sociaux. Les communistes nous ont laissé entendre qu’ils ne laisseraient pas passer une atteinte au corps de Lénine. Il faudra donc sans doute encore attendre avant de pouvoir l’enterrer.

Gratcheva: A votre avis, Monseigneur, par quoi remplacer le mausolée ?

Le métropolite Hilarion : Je pense qu’il faut laisser le monument lui-même. Il est l’œuvre du grand architecte Chtchoussiev, auteur de plusieurs églises et de nombreuses édifices. En bonne logique, on pourrait y installer un musée des répressions.

Gratcheva: Comment se fait-il que toutes les tentatives d’enterrer Lénine aient échoué ? Comment se fait-il que le principal athée russe soit devenu, en quelque sorte, la « divinité » d’une nouvelle religion ?

Le métropolite Hilarion : Quand les communistes sont arrivés au pouvoir, ils ont compris qu’il fallait remplacer la religion par quelque chose. Pas doute de suite, mais progressivement. Le culte de Lénine a commencé dès son vivant et a été entretenu après sa mort par Staline et par ses successeurs. Ce culte est bientôt devenu une sorte d’anti-religion ou de pseudo-religion. Lénine a été promu au rôle d’une sorte d’autorité infaillible, à laquelle il fallait se référer dans tous les mémoires scientifiques, dans tous les manuels. Un livre ne pouvait sortir si sa préface ne contenait pas, au moins, une citation de Lénine. Les portraits de Lénine étaient partout : dans les écoles, dans les universités, dans les lieux publics, les usines, les ateliers. Il n’était pas un lieu public où manquât « l’icône » de cet homme. Bien plus, beaucoup affichait des portraits de Lénine chez eux. C’était un culte, conçu pour servir de religion à ceux qui seraient en quête religieuse, et ils étaient nombreux, pour qu’ils aient de quoi alimenter leur recherche. C’est ainsi que le principal athée de Russie a été quasiment divinisé, c’est ainsi que cet homme, mort depuis près de cent ans, dort dans son mausolée, comme un pharaon.

Pourquoi n’est-on pas parvenu à retirer ce corps du mausolée ? Pendant quelques années, le corps de Staline a été exposé dans le même mausolée, aux côtés de Lénine. On l’a retiré ensuite, après avoir renoncé au culte de la personnalité de Staline. Sur tout le territoire de l’URSS, les monuments à Staline ont été démontés, la plupart ont été détruits. Mais Lénine est resté une autorité immuable. Après la chute de l’URSS, on a détruit de nombreux monuments de l’époque soviétique : le monument à Dzerjinski, sur la Place de la Loubianka, a été retiré à cette époque. On aurait pu, à ce moment-là, retirer le corps de Lénine de son mausolée, mais cela n’a pas été fait. Cela n’a pas été fait non plus à la fin de l’époque Eltsine, bien qu’on y ait pensé.

Je pense que les autorités ont toujours peur, et c’est le cas aujourd’hui, que les communistes n’utilisent cet évènement pour attiser le mécontentement populaire, pour soulever les foules. Mieux vaut ne pas leur donner cette chance. Il faut attendre que l’idéologie communiste soit une page définitivement tournée. Il sera temps, alors, d’enterrer le corps de Lénine.

Gratcheva: Monseigneur, ces jours-ci, des voix se sont de nouveau élevées dans l’Église orthodoxe russe contre le remboursement de l’avortement par la sécurité sociale. A l’heure actuelle, les services de santé prennent en charge les avortements et les fécondations in vitro. Quel représentant de l’Église orthodoxe russe négocie avec le ministère de la Santé sur ce thème, si des négociations sont en cours ? L’Église orthodoxe russe a-t-elle une position claire sur ce sujet, qui serait partagée par tous ?

Le métropolite Hilarion : Oui, bien sûre, la position de l’Église orthodoxe russe est sans équivoque, elle est énoncée dans les « Principes de la conception sociale de l’Église orthodoxe russe : il y est dit que l’avortement est un assassinat et qu’il ne peut être assimilé à un acte thérapeutique. C’est le patriarche Cyrille qui a pris l’initiative de demander le retrait de l’avortement de la liste des actes médicaux pris en charge par le système médical. Il l’a fait savoir plus d’une fois. Aujourd’hui, c’est le prêtre Fiodor Loukianov, récemment nommé chef de la Commission patriarcale chargée de la protection de la maternité et de l’enfance. Je suppose que c’est cette commission qui est en pourparlers avec le ministère de la Santé.

Nous sommes tous des contribuables, et la prise en charge médicale s’effectue sur l’argent des contribuables. Nous estimons que les avortements ne doivent pas être pris en charge. D’abord parce que l’avortement n’est pas un soin, mais un crime, d’autre part parce beaucoup de contribuables sont contre l’avortement. Pourquoi devraient-ils payer les avortements de leur poche ? Nous avons souvent entendu les autorités dire que la démographie était l’un des principaux problèmes de la Russie d’aujourd’hui, proposer des mesures pour redresser la courbe démographique. Or, l’avortement est pratiquement l’une des principales raisons pour lesquelles la population de notre pays diminue ai lieu d’augmenter. J’espère que les appels de l’Église serviront, au moins, à faire baisser le nombre d’avortements.

Gratcheva: Dans la région de Iaroslavl, un homme de 41 ans a commis un crime monstrueux, en violant et en démembrant des fillettes de 8 et 13 ans. Il passe actuellement en jugement. Par ailleurs, on vient d’apprendre qu’une loi venait d’être adoptée au Nigéria, prescrivant la castration pour les violeurs et la peine de mort pour les pédophiles. Je sais que vous, et l’Église orthodoxe russe en général, vous êtes prononcés contre la peine de mort, indépendamment de la gravité du crime commis. Mais peut-être devrait-on suivre l’exemple du Nigéria ? Peut-être faut-il castrer les violeurs et les pédophiles ? Peut-être cette menace les arrêterait-elle ?

Le métropolite Hilarion : L’Église orthodoxe russe ne se prononce pas catégoriquement contre la peine de mort. Dans les « Principes de la conception sociale », notre document officiel, il est dit que chaque état prend la décision d’abolir la peine de mort en fonction du niveau de criminalité, et suivant sa conception d’un système de maintien de l’ordre capable de prévenir les crimes. La peine de mort existait dans l’Ancien Testament. Jésus-Christ Lui-même n’a rien dit de l’abolition de la peine de mort ; d’une façon générale, Jésus n’était pas un réformateur social. Le document de l’Église orthodoxe dit qu’elle salue l’abolition de la peine de mort dans les pays où cela est possible et dans ceux où cela a déjà été fait, car la peine de mort n’est pas un moyen de correction et ne doit pas se transformer en instrument de vengeance. C’est la première chose que je voulais dire.

A propos du châtiment des violeurs, à présent. Je pense qu’ils devraient être incarcérés à vie, totalement isolés de la société. Toute possibilité de commettre un nouveau crime aussi monstrueux doit leur être défitivement ôtée.

Doit-on prendre modèle sur le Nigéria ? Je ne pense pas que ce soit le pays sur lequel il faille prendre modèle. L’état du Nigéria où ont été pris ces actes législatifs observe la charia. Le niveau de violence est très élevé au Nigéria. Les autorités n’ont pas la situation en main, la violence est omniprésente et les responsables de certains états sont forcés de prendre des mesures extraordinaires et d’adopter une législation semblable. Mais je ne pense pas que ce soit ce que la Russie puisse apprendre du Nigéria.

Plus généralement, la situation au Nigéria est tragique, les chrétiens y sont persécutés. L’organisation « Boho Haram » s’est donné pour objectif d’éliminer physiquement tous les chrétiens. Ils attaquent des villages entiers, les incendient, violent et tuent les habitants. Malheureusement, les autorités sont pratiquement incapables de régler ce problème.

Gratcheva: Merci, Monseigneur, d’avoir répondu à nos questions.

Le métropolite Hilarion : Merci, Ekaterina.

Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions des téléspectateurs, posées sur le site du programme « l’Église et le monde ».

Question : A quoi servira la vie éternelle, celle qui sera donnée à l’homme après la résurrection, que fera-t-on dans l’éternité ? La conscience de son immortalité ne causera-t-elle à l’homme pas une perte du sens de la vie, avec, pour conséquence, une nouvelle révolte contre Dieu ? La transfiguration de la nature humaine après la résurrection ne conduira-t-elle pas à une perte de la personnalité ?

Le métropolite Hilarion : Nous ne savons pas à quoi l’homme sera occupé dans l’éternité. Nous le saurons quand nous y serons. Mais les pères disent que Dieu a créé l’homme en vue de l’éternité, la vie terrestre étant une préparation à la vie éternelle. La qualité de notre vie éternelle dépendra de la façon dont nous aurons vécu sur terre. Qui est resté avec Dieu durant cette vie, sera aussi avec Dieu dans la vie éternelle. Qui L’a ignoré ou a lutté contre Dieu durant sa vie, qui a vécu non selon la loi du bien, mais selon la loi du péché, vivra la présence de Dieu dans l’éternité comme une source de tourments. C’est en cela que consiste la doctrine de l’Église, quand elle dit que certains iront au paradis et d’autres en enfer. Les uns et les autres pourront sentir la présence de Dieu, mais cette présence sera pour les uns une source de joie et de délices, tandis qu’elle sera une source de tourments pour d’autres.

Concernant la perte de la personnalité et la possibilité d’une révolte contre Dieu dans la vie future, l’Église enseigne que la personnalité demeurera et qu’une révolte contre Dieu sera impossible, car l’homme sera fixé dans l’état auquel il était parvenu dans cette vie terrestre. Si, durant cette vie, nous ne cessons de changer, cherchons, passons d’une idéologie à l’autre, voire d’une confession religieuse à l’autre, de la foi à l’incroyance ou le contraire, ces fluctuations seront impossibles dans la vie éternelle. Par contre, il nous est difficile de comprendre ce qu’elle sera, habitués que nous sommes à nous représenter la vie dans le temps, alors que la réalité de la vie future sera tout autre. Le temps s’arrêtera, on sera éternellement soit avec Dieu, soit sans Dieu, soit dans la béatitude, soit dans les tourments.

Question : On a prédit que l’Église serait enlevée le 20 septembre. Mais la Bible ne dit-elle pas que le Seigneur viendra sur terre inopinément, et que nous ne connaîtrons ni le jour, ni l’heure ?

Le métropolite Hilarion : Ma réponse vient sans doute trop tard, puisque le 20 septembre est passé et que l’Église est toujours là. Personne ne peut dire quand la fin du monde aura lieu, ni quand se terminera l’histoire humaine. Le Christ l’a dit clairement dans l’Évangile : « Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne le sait, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul » (Mt 24,36). C’est pourquoi, si vous entendez dire que la fin du monde est pour tel jour, tel mois, telle année, n’en croyez rien.

Un jour, un devin avait prédit la date de la fin du monde. Des journalistes étaient venus me voir et, braquant la caméra sur moi, m’avaient demandé si la fin du monde aurait lieu ce jour-là. J’ai répondu : Non. Ils m’ont demandé pourquoi j’étais si sûr de moi. J’ai dit : si elle n’a pas lieu, tous sauront que j’avais raison ; si elle a quand même lieu, personne ne sera plus là pour m’en faire la remarque. C’était une boutade, naturellement. Sérieusement, personne ne sait quel jour aura lieu la fin du monde, aucun prophète ne peut le dire. Si vous entendez des prédictions, dites-vous que vous avez affaires à des charlatans, à des aventuriers, peut-être à une secte qui se sert de ces dates pour vous éloigner de la vraie foi. Nous restons attachés à l’enseignement du Seigneur Jésus-Christ. Il faut vivre de façon à être prêt en permanence à accueillir Jésus-Christ.

La fin du monde, nous, chrétiens, ne la craignons pas. Nous sommes dans l’attente du passage de tous les hommes à une vie meilleure. Qui doit craindre la fin du monde ? Ceux qui vivent sans Dieu, qui font le mal, qui s’opposent à Dieu, qui ne veulent pas accomplir Sa volonté. Eux, effectivement, peuvent craindre la fin du monde, car elle sera le début de tourments éternels. Quand à nous chrétiens, soyons attentifs à notre mode de vie, à faire le bien, à observer les commandements de Dieu, à lire l’Évangile et à appliquer dans nos vies ce que dit Jésus Christ. Si nous l’observons, nous pouvons vivre avec l’espoir qu’après la fin du monde ou après la fin de notre vie, nous rencontrerons le Christ.

Rappelons-nous aussi que pour chacun la fin du monde peut survenir à n’importe quelle heure. Finalement, peu importe quand se terminera l’histoire humaine, puisque tôt ou tard notre histoire terrestre personnelle doit s’achever. Je pense qu’il faut s’y préparer, mais de façon à ce que la pensée de notre fin ne transforme pas notre vie en une longue attente de cet évènement. Il faut employer à faire le bien le laps de temps déterminé qui nous est donné sur terre. Ce que nous pouvons faire aujourd’hui, nous ne pourrons peut-être pas le faire demain. Il faut donc s’empresser de faire le bien, d’observer les commandements divins. Comme disaient les docteurs chrétiens, vivons chaque jour comme si c’était le dernier ; soyons présents à Dieu, ayons le sentiment de Sa présence.

Je terminerai cette émission par les paroles de Jésus-Christ dans l’Évangile selon saint Mathieu : « Tenez-vous prêts, car le Fils de l’homme viendra à l’heure où vous n’y penserez pas » (Mt 24,44).

Bonne continuation à tous, que le Seigneur vous garde.