Le métropolite Hilarion : Les manœuvres du patriarche de Constantinople en Ukraine ont été un véritable cataclysme pour l’orthodoxie
Le 19 septembre 2020, le métropolite Hilarion de Volokolamsk a répondu aux questions de la présentatrice Ekaterina Gratcheva, dans l’émission « L’Eglise et le monde » (Tserkov’ i mir), diffusée sur la chaîne de télévision « Rossia-24 » les samedis et les dimanches,.
Gratcheva: Bonjour ! Ici l’émission « L’Eglise et le monde ». Nous interrogeons le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, sur l’actualité de l’Eglise et du monde. Monseigneur, bonjour.
Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina. Bonjour, chers frères et sœurs !
Gratcheva : Monseigneur, dans notre précédente émission, nous avions parlé de la vaccination contre le coronavirus. Vous aviez conseillé à tous les paroissiens de se faire vacciner, dans la mesure du possible. Cette invitation a suscité de nombreuses réactions, et les médias ont affirmé que vous auriez, vous aussi, eu le COVID-19. Quand, et pourquoi n’en avoir pas parlé plus tôt ?
Le métropolite Hilarion : J’ai eu le coronavirus tout de suite après Pâques. Un prêtre de mon église est tombé malade, et soit qu’il m’ait contaminé, soit que je l’ai contaminé, toujours est-il que nous avons été malades en même temps, lui gravement, moi assez légèrement. J’ai eu une pneumonie, 15% du poumon droit était atteint. Je me suis soigné chez moi, avec des antibiotiques prescrits par le médecin, et j’ai, bien entendu, respecté le régime d’isolement (…)
Pourquoi ne l’ai-je pas affiché ? D’abord à cause du secret médical. Chacun a le droit d’afficher ou non ses maladies, d’en parler ou non. Si j’avais dit, en pleine pandémie, que j’étais malade, la presse l’aurait annoncé, on ne m’aurait pas laissé être malade tranquille, on m’aurait sans cesse dérangé au téléphone…, beaucoup de gens se seraient inquiétés, et je ne le voulais pas. La maladie étant relativement légère, je n’ai pas estimé nécessaire d’en informer quiconque, si ce n’est le patriarche, qui était au courant.
Gratcheva: Que disent les médecins, pourquoi vous faire vacciner si vous avez des anticorps ? Ai-je bien compris que le risque d’une réinfection est très élevé ?
Le métropolite Hilarion : Les médecins disent ceci : si l’on a développé une immunité contre ce virus, elle ne tiendra sans doute pas très longtemps ; ceux qui ont eu le coronavirus devraient donc se faire vacciner une fois. Après ce vaccin, il leur faut faire une analyse au bout de deux-trois semaines, pour voir la quantité d’anticorps. Ceux qui n’ont pas été malades doivent être vaccinés deux fois…
Pourquoi est-ce que je conseille aux paroissiens qui le peuvent de se faire vacciner ? Parce que, même si le vaccin n’a pas été expérimenté jusqu’au bout, le risque de tomber malade est encore très élevé, et ce risque augmente en ce moment. Plusieurs personnes de ma connaissance ont été très gravement malades. Plusieurs de mes connaissances sont mortes du coronavirus, je sais donc de quoi je parle… Il me semble que les risques liés au vaccin lui-même sont beaucoup moins importants que le risque de tomber malade avec des conséquences imprévisibles. Quant au risque de réinfection, oui, pour autant qu’on sache, il existe. Je connais quelques cas de personnes qui, ayant été malades du COVID en mai, sont retombées malades en août ou début septembre.
Gratcheva: Monseigneur, il y a quelques jours, le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie est venu au Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, dont vous êtes le président. On appelle aussi ce département le « ministère des Affaires étrangères de l’Église orthodoxe russe ». Cela fait un quart de siècle que vous y travaillez. Le patriarche était venu vous en féliciter et a souligné la qualité de votre travail. Mais les critiques constatent que la rupture avec Constantinople a eu lieu justement alors que vous êtes président de ce département, et ils vous en rendent personnellement responsables. Que leur répondriez-vous ?
Le métropolite Hilarion : On peut, certes, rendre responsable de la rupture des relations diplomatiques entre la Russie et l’Ukraine le ministre des Affaires étrangères russe. On peut accuser le ministre de la Santé de ce que l’épidémie de coronavirus a eu lieu justement sous son ministère. Et on peut dire du directeur du Centre de Météorologie que c’est de sa faute, s’il y a eu trop de pluie et même s’il y a eu une tempête pendant qu’il était directeur. Mais il y a des choses qui dépendent de nous, et d’autres qui n’en dépendent pas. Ce qui dépendait de moi, en tant que président du Département, je l’ai fait et je continue à le faire pour défendre les intérêts de notre Église.
Effectivement, notre département synodal est souvent appelé « ministère des Affaires étrangères de l’Église russe », mai,s ces dernières années, il a surtout rempli le rôle de « ministère de la Défense ». Nous nous sommes efforcés et nous nous efforçons de défendre les frontières de notre Église. On peut, certes, prévoir les manœuvres de nos ennemis, de même que le directeur du Centre de Météorologie peut prévoir les cataclysmes naturels et prévenir les gens, mais il ne peut pas empêcher un cataclysme naturel de se produire.
Les agissements du patriarche de Constantinople en Ukraine ont été un cataclysme pour l’orthodoxie. Nous n’en portons aucunement la responsabilité. Durant toutes ces années, nous n’avons rien fait contre les intérêts du patriarche de Constantinople. Au contraire, nous l’avons régulièrement informé de notre position, nous l’avons prévenu des conséquences des actes qu’il avait l’intention de poser, nous avons tout fait pour l’empêcher. Puisque nos avertissements n’ont pas été entendus…, notre tâche est d’en minimiser les conséquences pour l’orthodoxie dans le monde, à laquelle le patriarche de Constantinople a porté tort.
Je pense qu’il s’est surtout fait tort à lui-même, à sa réputation, à son ministère, parce qu’il est impossible maintenant de le considérer comme le chef de l’Église orthodoxe, comme le premier parmi les égaux. Il a lui-même, volontairement, renoncé à cette fonction. D’autre part, le problème du schisme en Ukraine n’a pas été résolu. Au contraire, le schisme n’a fait que s’aggraver, et, depuis l’Ukraine, il s’est étendu à d’autres Églises locales. Il nous faut minimiser les conséquences de ce schisme.
Le bilan principal de ces dernières années est que nous avons conservé notre Église unie : tous ceux qui étaient membres de notre Église le sont restés. Je pense que c’est le principal résultat de l’activité extérieure de notre Église ces dernières années.
Gratcheva: Monseigneur, j’aimerais vous demander de commenter une autre nouvelle : Gérard Depardieu s’est récemment converti à l’Orthodoxie, mais il s’était déjà converti à l’islam, puis au bouddhisme et il a l’intention d’essayer le judaïsme. Que pensez-vous de ces fréquents changements de religion ? N’est-ce pas, pour le moins, une approche superficielle du sacrement ?
Le métropolite Hilarion : J’aimerais souhaiter à Gérard Depardieu que l’orthodoxie reste son choix définitif. La tradition chrétienne orthodoxe permet à chacun de réaliser son potentiel spirituel et moral. L’orthodoxie est un trésor auquel on peut puiser toute sa vie. Si ce choix a été précédé de longues années de recherche spirituelle, je suis très heureux que ce cheminement se termine dans l’Église orthodoxe.
J’aimerais rappeler que Gérard Depardieu est un grand acteur. Je pense qu’il est l’un des plus grands acteurs du XXe siècle. Il a joué dans toute sorte de films, des drames, des tragédies, des comédies ; tous les rôles lui conviennent. Je me souviens d’un de ses rôles, celui du colonel Chabert, d’après le roman de Balzac. Si vous n’avez pas vu ce film, je vous conseille vivement de le regarder, la profondeur du jeu de Gérard Depardieu est époustouflante. J’espère vraiment qu’il approchera la foi orthodoxe avec la même profondeur, la même sensibilité, et qu’elle dévoilera pour lui toutes les facettes qu’elle découvre à tout croyant sincère.
Gratcheva: Merci, Monseigneur, d’avoir répondu à nos questions.
Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions posées par les téléspectateurs sur le site du programme « L’Église et le monde ».
Question : Pourquoi l’Orthodoxie fait-elle une distinction entre les livres de la Bible, certains sont reconnus et d’autres apocryphes ?
Le métropolite Hilarion : La question n’est pas tout à fait correctement posée. Dans la tradition orthodoxe, comme dans les traditions catholique et protestante, la Bible est divisée en deux parties, l’Ancien et le Nouveau Testaments. Le Nouveau Testament est le même pour tous les chrétiens, tandis qu’il y a des différences dans le choix des livres canoniques et non canoniques de l’Ancien Testament. Qu’est-ce que cela signifie ? Lorsque le canon hébreu de la Bible s’est formé, certains livres n’y sont pas entrés. A la mesure de la formation de la Bible chrétienne, on y admettait à la fois des livres canoniques du point de vue de la tradition juive, et des livres non-canoniques, certains de ces livres non-canoniques ayant pour l’Église la même valeur que les livres canoniques. En témoigne le fait que certains de ces livres non-canoniques sont lus à l’église.
En ce qui concerne les apocryphes, ce sont des livres qui ne font partie ni de la Bible orthodoxe, ni de la Bible catholique, ni de la Bible protestante. Il existe des apocryphes néotestamentaires et des apocryphes vétérotestamentaires. Les seconds sont ceux qui ont été rédigés avant la venue du Christ au monde, les premiers ont été composés d’après les Évangiles canoniques. Dans cette littérature apocryphe, il y a des livres que l’Église a rejetés résolument, parce que leur contenu désinformait sur la vie et sur la mort de Jésus Christ ou sur Sa doctrine, présentait cette doctrine de façon déformée ou avait pour objet d’appuyer certaines doctrines sectaires. D’autres, sans faire partie de l’Écriture Sainte, ont été admis par l’Église. C’est le cas du Protoévangile de Jacques, qui rapporte la vie de la Mère de Dieu de sa naissance à la Nativité du Sauveur. C’est sur la base de cet apocryphe que l’Église a institué les fêtes mariales… L’Église a aussi admis un texte appelé Évangile de Nicodème, qui rapporte les évènements ayant suivi la mort de Jésus Christ, Sa descente aux enfers… Ces récits forment la trame de l’office du Samedi Saint.
Ainsi, pour résumer et répondre à votre question, la Bible contient des livres canoniques et non-canoniques, mais les orthodoxes perçoivent la Bible comme un tout et ne font pas de différence entre ses livres. Quant aux apocryphes, la majorité a été rejetée par l’Église, mais certains ont été retenus, quoique pas toujours sous leur forme initiale.
Question : Pourquoi le baptême du Christ est-il un baptême, puisque le Christ n’avait pas encore été crucifié ?
Le métropolite Hilarion : (…) Le rite qu’accomplissait Jean Baptiste sur les rives du Jourdain, quand les gens venaient à lui comme à un prophète et lui confessaient leurs péchés, était une sorte de rituel : en signe de purification des péchés, il les faisait plonger dans l’eau. Ce n’était pas le sacrement du baptême au sens que lui donne l’Église chrétienne, c’en était un prototype.
Le Christ, venant à Jean au Jourdain, se fait baptiser. Non qu’il ait besoin de se purifier et de se repentir, mais, comme enseigne l’Église, il se fait baptiser par Jean pour bénir les eaux par Sa descente au Jourdain et pour prendre sur Lui les péchés que les gens y avaient symboliquement laissés. Ainsi, Son baptême a une dimension rédemptrice. Pour nous, chrétiens, le baptême est un sacrement par lequel nous nous unissons au Christ, et par lequel nous devenons membres de Son Église. Ce sacrement nous permet d’accéder à tous les autres.
Question : Dans l’Évangile, il est dit que Simon Pierre coupa l’oreille droite du serviteur du grand-prêtre (Jn 18,10). Pourquoi l’oreille droite ?
Le métropolite Hilarion : Difficile de dire pourquoi précisément l’oreille droite. Sans doute Pierre coupa-t-il ce qu’il put, là où son glaive porta. Se représentant l’arrestation de Jésus, il faut bien comprendre que les disciples étaient désorientés. Ils avaient deux glaives avec eux. L’un, peut-être Pierre, se disait qu’il y aurait un conflit armé, qu’il faudrait se battre avec ceux qui viendraient arrêter Jésus. En ceci, il montrait son incompréhension de la mission de Jésus-Christ, ce qui lui arrive plus d’une fois dans l’Évangile. C’est pourquoi Jésus lui dit : « Remets ton épée au fourreau » (Jn 18,11), c’est pourquoi Il guérit immédiatement le serviteur blessé, car Il n’avait absolument pas l’intention de se défendre. Il était prêt à cette arrestation, Il savait qu’il allait à la mort. C’était une mort volontaire, pour le rachat des péchés, et Il n’admettait pas qu’on résiste à ceux qui venaient l’arrêter.
Je terminerai cette émission par les mots de Jésus Christ au moment même de son arrestation : « Tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée » (Mt 26,52).