Message du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe à l’épiscopat, au clergé, aux moines et aux laïcs au sujet du fléau répandu cette année
Rendant gloire au Dieu miséricordieux qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes (Mt 5,45), l’Église prie ardemment pour que l’humanité soit définitivement délivrée de l’infection qui s’est abattue sur elle cette année. Le Saint-Synode appelle les hiérarques, les clercs, les moines et les laïcs à ne pas relâcher leur prière et à implorer du Seigneur Tout-puissant le don de Son aide à tous ceux qui se battent contre le fléau. Le devoir sacré des chrétiens orthodoxes est de prier pour le repos de l’âme des victimes de l’infection au coronavirus ou de ses séquelles. Nous nous souviendrons avec une affection reconnaissante des clercs et des laïcs, notamment des médecins qui sont morts, remplissant leur devoir jusqu’à la fin, donnant, suivant le mot de l’Évangile leur vie pour leurs amis (cf Jn 15,13).
Réfléchissant aux causes du malheur qui nous nous a frappés, veillons à conserver la sobriété, la prudence et le discernement chrétiens. Certes, les afflictions qui frappent des personnes en particulier et des peuples entiers sont parfois la conséquence du rejet de la protection divine salutaire par des communautés humaines. Suivant saint Paul, tous les malheurs qui touchent la création ont pour première raison la chute de nos premiers parents, à cause de laquelle la création toute entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement (Rm 8,22). Cependant, il est inexact de considérer les souffrances comme la conséquence obligatoire des péchés personnels. « Ces dix-huit personnes sur qui est tombée la tour de Siloé et qu’elle a tuées, croyez-vous qu’elles fussent plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? » interroge le Sauveur à propos d’un accident survenu dans la Sainte Cité (Lc 13,4). Il rappellait ainsi que les desseins de Dieu restent souvent longtemps incompréhensibles aux hommes. L’apôtre prévient contre les jugements hâtifs et immatures qui amènent presque toujours à la condamnation orgueilleuse de certains par d’autres. Il appelle les chrétiens à attendre humblement que soit révélée la plénitude des desseins de Dieu au jour du second avènement du Christ : « Ne jugez de rien avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres, et qui manifestera les desseins des coeurs. Alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui sera due » (I Co 4,5).
Cependant, toute crise survenant dans l’histoire de l’humanité permet de réévaluer notre mode de vie habituel, de remettre en question les motivations de nos actes. Que tout homme portant le nom de chrétien entende ces paroles de saint Ignace le Théophore : « Il faut savoir tout supporter en vue de Dieu, pour mériter qu’il nous soutienne. Redoublez de vigilance, pesez la valeur du temps. Attendez celui qui est par-delà les temps ; c’est l’éternel, l’invisible, rendu visible pour nous ; l’impalpable, l’impassible, pour nous devenu capable de souffrir, pour nous livré à tous les genres de souffrances » (Épître à saint Polycarpe, 3).
Le confort, dont la société contemporaine fait tant de cas, est si fragile et si peu fiable. Nous délectant des dons de la miséricorde divine et du bien-être accordé par le Créateur, nous sommes, si affligeant que cela soit, enclins à l’insouciance. Les évènements de l’année en cours sont en grande partie un témoignage de cette insouciance. Comme la présomption humaine est inconsistante !
Il est heureux de constater que, dans le contexte de l’épidémie, la majorité des enfants de notre Église s’est montrée digne du titre de disciples du Seigneur Jésus, démontrant avec une généreuse patience leur fidélité à la vérité évangélique, prenant soin du prochain, comme doivent porter les fardeaux les uns des autres ceux qui observent la loi du Christ (Ga 6,2). Les pasteurs et les enfants de notre Église l’ont compris : l’insouciance envers sa propre santé, qui pourrait sembler l’affaire privée de chacun, aurait pu causer ces jours-ci les souffrances et la mort d’autres personnes. A l’inconscience et à la présomption, beaucoup de chrétiens orthodoxes ont préféré une attitude de responsabilité, s’inquiétant pour la vie et la santé de leurs proches. Ils n’ont pas craint d’accomplir leur devoir, faisant fi de leurs propres désirs et de leurs habitudes, comprenant que les mesures de précaution prises dans la célébration des services liturgiques n’amoindrissaient nullement notre foi en l’action de la Providence divine, ni la sainteté des sacrements de l’Église, dont le principal est le Sacrement du Corps et du Sang du Christ.
L’accès réduit des laïcs à la participation aux offices publics, voire l’impossibilité de se rendre à l’église, ont particulièrement éprouvé les chrétiens orthodoxes. Cette circonstance nous invite à réfléchir à nouveau au sens de la liturgie et de la prière commune des disciples du Christ dans notre vie. Nous devons chérir ce don du Seigneur, apprécier toute possibilité de franchir le seuil de la maison de Dieu. Oui, la célébration de la Divine Eucharistie n’a jamais été interrompue, même en l’absence de la majeure partie des fidèles sous les voûtes de nos églises. Oui, la retransmission des offices sur internet ou à la télévision, ainsi que la publication des textes liturgiques, ont pu, dans une certaine mesure, atténuer la difficulté de l’enfermement à domicile et consister une certaine consolation. Cependant, suivant le témoignage de beaucoup, prier seul chez soi s’est révélé très difficile. Il va de soi que les retransmissions ne peuvent en aucun cas remplacer la participation personnelle à la liturgie, sans parler du fait qu’aucun moyen technique ne peut permettre au chrétien de participer à la majorité des sacrements de l’Église, particulièrement au principal d’entre eux, la divine eucharistie. La présence personnelle des apôtres à la chambre de la Sainte Cène, voilà la norme irrévocable de l’Évangile pour le souvenir de la vivifiante mort du Christ et pour la confession de Sa Résurrection dans le sacrement de Son Corps et de Son Sang. Cette norme ne doit jamais, en aucune circonstance, être oubliée.
La participation considérablement réduite des fidèles à la liturgie a été pour la majeure partie de l’épiscopat, du clergé et des laïcs une expérience personnelle sans précédent. Comprenant que le danger nouveau auquel faisait face l’humanité pourrait avoir de graves conséquences, difficiles à évaluer précisément, consciente d’être responsable de la vie et de la santé d’une multitude de personnes, l’Église a partagé avec son peuple les difficultés suscitées par la diffusion du fléau, et appelé ses enfants à s’abstenir temporairement de leur habituelle participation à la vie liturgique. Cependant, cette décision, prise dans des circonstances historiques exceptionnelles, ne peut devenir une sorte de norme nouvelle. La liberté de conscience et la liberté de confession religieuse, prévues par la législation de la majorité des pays, doivent rester intangibles, dont le droit des fidèles à participer ensemble aux services religieux, même dans des circonstances exceptionnelles.
L’inquiétude de beaucoup de chrétiens et de personnes d’autres convictions, quant à la possibilité d’étendre à l’avenir les méthodes qui ont assuré durant l’épidémie la nécessaire raréfaction des contacts entre personnes, semble largement justifiée. Le recours aux identifiants électroniques, la prise automatique de décisions capables d’entraîner la perte des droits civiques des personnes et de communautés entières, la collecte générale d’informations personnelles, notamment de renseignements sur la santé, ainsi que le traitement de ces données, doivent nécessairement être contrôlées par la société, notamment par l’Église, en tant qu’institut public. Les Conciles épiscopaux de notre Église, notamment le Concile épiscopal de 2013, ont plus d’une fois mentionné les dangers que peuvent receler le développement des technologies de collecte et de traitement des données personnelles.
Rependant aux évènements des mois passés, nous soulignons que ni la variété des opinions, des informations et des rumeurs, ni les différences de mode de pensée, inévitables dans le monde moderne, ne doivent déchirer la tunique du Christ, Son Église. Les réflexions sur les causes des différents évènements dans le monde, heureux ou malheureux, les discussions entre chrétiens, ne doivent pas être un échange de revendications, ni la mise en opposition de personnalités les unes contre les autres. Il s’agit encore moins de semer la haine et le schisme, mais de s’entraider, de chercher ensemble le moyen pour l’Église et ses enfants d’agir dans les circonstances qui surviennent, d’être prêts à s’écouter et à se comprendre, et, surtout à écouter la voix collégiale de l’Église.
Les mesures définies par le Saint-Synode pour lutter contre la diffusion de l’épidémie doivent continuer à s’appliquer, en fonction des circonstances locales. Il faut également veiller à organiser la reprise les activités dans les établissements religieux et les écoles du dimanche ; dans certains cas particuliers, le début de l’année scolaire pourra être reporté sur décision de l’évêque, en fonction de la situation épidémiologique et en tenant compte des résolutions des autorités civiles quant au début de l’année scolaire dans les établissements laïcs.
Nous prions pour le repos de l’âme de ceux qui n’ont pas survécu à la maladie ou à ses séquelles. Nous sommes reconnaissants aux archipasteurs, au clergé et aux laïcs qui n’ont cessé d’œuvrer pour la gloire du Dieu Trinité en ces temps difficiles. Que le Seigneur vous récompense de votre zèle pour la glorification de Son saint nom, de votre amour pour Son Église et pour la liturgie, de votre aide active au prochain. Nous exprimons notre reconnaissance particulière au personnel médical et social, aux employés des services du maintien de l’ordre et des organisations municipales, aux travailleurs des équipements collectifs, aux volontaires, et à tant et tant de nos frères et sœurs qui ont allégé les souffrances des malades et pris soin de ceux qui ne pouvaient prendre soin d’eux-mêmes.
Que la bénédiction de Dieu soit sur nous !