Un article de l’archevêque Léonide de Vladikavkaz et d’Alana, vice-président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, publié sur IA-Regnum.

Ceux qui s’opposent à la création d’une Église autocéphale monténégrine sont les mêmes que ceux qui rejettent l’idée « d’un état monténégrin indépendant et souverain », a déclaré Milo Djukanovic, président du Monténégro, le 18 mai 2020. « L’état a connu un renouveau. Il est temps que l’Église connaisse aussi un renouveau. Nous avons proposé une solution, avec une Église orthodoxe rassemblant tous les fidèles. Si l’Église orthodoxe serbe refuse cette solution, elle sera l’Église ethnique des serbes au Monténégro. Mais nous créerons alors une Église ethnique des Monténégrins. Nous nous efforcerons d’obtenir son autocéphalie et sa reconnaissance » a-t-il dit.

Remarquons que M. Djoukanovic ne se rend pas compte que le pouvoir civil n’a pas le droit de fonder arbitrairement une Église autocéphale. L’indépendance politique du territoire sur lequel on prévoit de fonder une Église autocéphale, son éloignement géographique avec le territoire de l’Église kyriarchale, ou une différence ethnique de la région avec cette dernière peuvent être des facteurs pouvant justifier la création d’une nouvelle autocéphalie, mais ils sont insuffisants. Une condition essentielle à la fondation d’une autocéphalie est la volonté du peuple ecclésial, du clergé et de l’épiscopat de la région ecclésiastique concernée, et plus précisément la volonté d’une majorité significative à tous les niveaux. La décision d’accorder l’autocéphalie est prise par la hiérarchie de l’Église kyriachiale (dans le cas du Monténégro, l’Église orthodoxe serbe).

La question du droit à l’autocéphalie a causé et cause bien des débats, qui provoquent souvent des désordres, voire des divisions, allant jusqu’à la rupture canonique. En dehors des décisions du Concile œcuménique, qui ne s’est pas réuni depuis plus de 1200 ans, seule la volonté de l’Église kyriarchiale peut être un facteur légitime à la fondation d’une nouvelle autocéphalie. Il est arrivé que l’autocéphalie soit proclamée par un organe du pouvoir civil, ou par un épiscopat local, s’étant soustrait arbitrairement à sa subordination au collège des évêques de l’Église autocéphale et au premier hiérarque. L’illégitimité de ces actes d’un point de vue canonique est évidente, bien que dans les cas où cette décision était la conséquence inévitable de nécessités de la vie ecclésiastique, l’octroi post-factum de l’autocéphalie par l’Église-Mère, sous une forme légale, a pu mettre fin à la division résultant de cet acte arbitraire.

Aujourd’hui, les autorités du Monténégro s’efforcent de discriminer la plus importante communauté chrétienne du pays, les fidèles de l’Église orthodoxe serbe. Les parlementaires monténégrins ont adopté un projet de loi « De la liberté de conscience et des organisations religieuses », suivant lequel les biens immobiliers et les terres des communautés religieuses deviennent propriétés de l’état si elles n’appartenaient pas à ces communautés avant le 1er décembre 1918. Cela signifie que la majorité des biens immobiliers appartenant à  l’Église serbe au Monténégro doit devenir propriété d’état. L’objectif de cette loi est d’affaiblir l’Église orthodoxe serbe sur le territoire du Monténégro et de soutenir le groupe schismatique se donnant le nom « d’église orthodoxe monténégrine ». A l’heure actuelle, cette communauté religieuse est numériquement très minoritaire, mais elle se positionne comme la seule « église » du peuple monténégrin.

Les autorités du Monténégro ne cachent pas qu’elles soutiennent activement l’intégration européenne et l’isolement de la Serbie, raison pour laquelle elles s’efforcent de discréditer le patrimoine historique spirituel et culturel commun aux peuples serbe et monténégrin. C’est pourquoi elles poursuivent l’objectif d’affaiblir au maximum l’influence de l’Église serbe sur le territoire du Monténégro et, à l’avenir, d’obtenir du Patriarcat de Constantinople la reconnaissance de leur structure ecclésiastique affidée. Les médias ont entamé une campagne de discréditation de la métropole du Monténégro et du Littoral, dépendant de l’Église orthodoxe serbe, dont les fidèles sont accusés de « chauvinisme serbe » et d’opposition à l’indépendance de l’état monténégrin.

Tout cela rappelle fortement le scénario suivi par l’ex-président ukrainien Porochenko et son équipe, qui ont soutenu et légitimisé les schismatiques ukrainiens. Avec le soutien politique de l’ancienne direction de l’Ukraine, ceux-ci ont obtenu l’appui du Patriarcat de Constantinole, qui a approuvé la réunion des structures schismatiques sous le nom « d’église orthodoxe d’Ukraine », semant le trouble dans l’ensemble du monde orthodoxe. En Ukraine, de véritables persécutions ont été déclenchées contre les fidèles de l’Église orthodoxe ukrainienne canonique, par l’entremise de nationalistes agressifs, de partisans et même de « clercs » de l’EOd’U, les autorités locales se montrant passives et permissives. En même temps, une campagne d’information a été lancée contre notre Église. Le peuple chrétien d’Ukraine, malgré les pressions, les menaces et les violences, est resté fidèle à l’Orthodoxe canonique. Nous observons la même fidélité au Monténégro.

L’Église orthodoxe russe déclare son soutien total à sa sœur, l’Église serbe. La lettre patriarcale et synodale, publiée en décembre 2019, contient un appel aux autorités du Monténégro à « se reprendre et à voir dans les fidèles orthodoxes, leurs aïeux, leurs pères et leurs mères, leurs frères, leurs sœurs et leurs enfants, et non de mythiques « chauvins serbes ». Il est impossible et insensé de définir l’Église canonique, qui rassemble la majorité des citoyens du pays, comme l’agent d’une influence étrangère et hostile. »

En février dernier, dans le cadre de la rencontre de primats et de délégations des Églises de Jérusalem, de Russie, de Serbie, de Roumanie, de Pologne, des terres tchèques et de Slovaquie, la question de la situation des croyants orthodoxes du Monténégro avait été soulevée. Dans leur communiqué, les participants à la rencontre avaient déclaré que les autorités du Monténégro devaient « respecter et défendre le droit fondamental à la propriété, notamment des biens de l’Église. »

Le 12 mai, après la procession organisée pour la fête de saint Basile d’Ostrog, l’évêque Joannice de Budimlje-Nikšić et sept prêtres de la cathédrale de Nikšić avaient été arrêtés par la police monténégrine. Des milliers de fidèles, venus de tout le Monténégro, ont manifesté pour protester contre l’attitude du pouvoir, qui exprimait son hostilité à l’Orthodoxie serbe. Le 14 mai, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, commentant la situation pour RIA-Novosti, avait fait part de sa préoccupation du sort fait aux ecclésiastiques monténégrins, appelant à leur libération immédiate. Dans la nuit du 16 mai, les détenus ont été relâchés.

Aujourd’hui, il est tout à fait évident, que l’ingérence dans la vie de l’Église des autorités civiles, poursuivant des objectifs politiques, peut avoir des conséquences imprévisibles, en ce qu’elle introduit la division et sème la discorde dans la société sur un sujet aussi sensible que la religion. Nous devons comprendre nettement que les techniciens politiques occidentaux et les politiques en place s’en sont pris à la religion, dont ils ont fait un instrument pour parvenir à leurs fins en Europe de l’Est et dans les Balkans.

Au milieu du XXe siècle, un schisme gréco-bulgare ayant duré des années a pu être surmonté, avec la contribution de l’Église orthodoxe russe. Je suis certain que les schimes actuels, initiés par des hommes d’état manquant de vue à long terme et des hiérarques et faux hiérarques moralement peu scrupuleux, seront aussi surmontés tôt à tard, avec l’aide de Dieu. Aujourd’hui, il nous faut comprendre clairement où est la ligne de démarcation entre la vérité et le mensonge, et prier pour nos frères et sœurs, qui souffrent de l’ingérence brutale des autorités civiles, demeurant fidèles à l’esprit des canons ecclésiastiques et à notre tradition religieuse et historique multiséculaire.