Le 16 mai 2020, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions de la présentatrice Ekaterina Gratcheva, dans l’émission « L’Église et le monde » (Tserkov’ i mir), diffusée sur la chaîne de télévision « Rossia-24 ».

E.Gratcheva : Bonjour ! Vous regardez l’émission « L’Église et le monde », sur la chaîne « Rossia-24 ». Nous interrogeons le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Bonjour, monseigneur !

Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Chers frères et sœurs, bonjour !

E.Gratcheva : Nous continuons à échanger à distance, étant tous deux à Moscou, mais les régions de Russie sortent peu à peu du régime de confinement. Dans certaines régions, les cafés ont rouvert, ainsi que les magasins, en plus des magasins d’alimentation, et même les salons de beauté. Les fidèles voudraient bien savoir quand ils pourront revenir à l’église, prendre part à la liturgie. Comment les décisions seront-elles prises ? Au niveau central, c’est-à-dire par le patriarche, ou, de même que ce sont les autorités civiles qui  prennent les décisions dans les régions, ce seront les diocèses qui décideront ?

Le métropolite Hilarion : Les décisions seront prises en fonction de la situation épidémiologique dans chaque région concrète. Nous tiendrons compte des recommandations des autorités sanitaires. Comme on sait, la situation diffère suivant les régions, mais même à Moscou, où le confinement est toujours en vigueur, on voit déjà beaucoup de voitures dans les rues, le métro est plein de gens qui vont travailler, les chantiers ont rouvert. On ne peut plus dire que le confinement soit respecté. Les fidèles se posent donc fort justement la question : quand pourront-t-ils revenir à l’église ?

J’espère que nous en recevrons très prochainement l’autorisation des autorités sanitaires de Moscou, au moins d’ouvrir les églises en dehors des horaires des offices, pour que les gens puissent venir mettre un cierge, remettre leurs dyptiques, parler avec le prêtre. L’étape suivante sera la réouverture des églises pour les services divins, auxquels les fidèles pourront assister, mais des mesures de prudence seront sans doute introduites : respecter une certaine distance entre les fidèles, limiter leur nombre. Ce sont pas les autorités ecclésiastiques, qui prendront ces décisions, mais les autorités civiles, et, en fonction de ces décisions, prises séparément dans chaque région, les chefs des églises définiront localement les mesures de déconfinement. A Moscou, ce sera le patriache, dans les diocèses, ce seront les évêques diocésains, à l’étranger, les chefs des diocèses des pays concernés.

E.Gratcheva : Au moment où nous enregistrons cette émission, Moscou, la région de Moscou et Saint-Pétersbourg sont toujours en tête de liste pour le nombre de personnes contaminées. A Saint-Pétersbourg, on a interdit aux familles de faire leurs adieux à leurs défunts, quelle que soit la cause du décès. Les funérailles se feront partout à cercueil fermé. Les médecins expliquent que ceux qui sont morts du coronavirus sont gardés à la morgue à côté de ceux qui sont morts d’autres causes. A votre avis, cette mesure est-elle justifiée ? Ou bien la famille a le droit de dire adieu à son parent défunt de la façon qu’elle le souhaite ?

Le métropolite Hilarion : Je suppose que lorsque les autorités municipales prennent ce genre de décisions, elles se basent sur des expertises, mais il faudait qu’on l’explique aux gens, qu’on leur dise les raisons pour lesquelles ces décisions sont prises. Personne, jusqu’à présent, n’a dit clairement si le coronavirus peut être transmis par un défunt, c’est-à-dire si le virus reste sur un mort qui avait été porteur du virus. Si oui, pour combien de temps ? Je pense que les mesures qui sont prises pour sauver les gens, pour minimiser les risques de contagion sont justifiées. Il faut les prendre avec humilité, avec patience.

E.Gratcheva : Monseigneur, une autre information : Le Concile populaire russe mondial, présidé par le patriarche Cyrille, a demandé au Comité d’enquête d’étudier les causes de la pandémie, attirant particulièrement l’attention sur la fabrication des vaccins. Les auteurs de ce message s’inquiètent de ce que le virus aurait pu être lancé artificiellement. Le vaccin pourrait être fabriqué hors de Russie et ne pas être contrôlé par les autorités russes. Pour tout dire, c’est un empiètement de l’Église sur le terrain politique. Partagez-vous ces inquiétudes ? La pandémie peut-elle être un instrument dans le jeu politique, et que vient faire ici l’Église ?

Le métropolite Hilarion : Le Concile populaire russe mondial n’est pas l’Église, c’est un organisme public. Le patriarche en est le président, parce qu’on l’a invité à le présider. De même que le patriarche est à la tête de la Société des lettres russes, mais cela ne veut pas dire que la Société des lettres russes est l’Église.

Quant aux préoccupations du Concile populaire russe mondial, je pense qu’elles sont justifiées, et nous devons effectivement recevoir des réponses sur l’origine du virus. Différentes théories ont cours. Certains disent que le virus a été inventé en Chine et lancé pour frapper l’économie des autres pays. Il y a la théorie inverse, qui circule, en Chine, notamment, où il se dit que le virus a été inventé en Amérique et qu’il est parti de là-bas.

L’organisation mondiale de la santé a demandé une enquête sur l’origine du virus. Je pense que si notre pays effectue sa propre enquête, cela peut être profitable à tous. Effectivement, nous voulons savoir d’où vient ce virus, entre autres pour comprendre comment et quand un vaccin pourra être élaboré, parce que s’il s’agit d’un virus naturel, c’est une chose, mais s’il est artificiel, c’est une toute autre histoire. Par ailleurs, beaucoup disent que ce virus est peut-être une nouvelle arme biologique et, que, peut-être, on la teste actuellement sur les gens. Là encore, c’est une théorie qui doit être explorée.

Mais voilà ce que je voudrais dire. En dehors des possibilités de guerre biologique, il existe une possibilité de guerre biopsychologique. Lorsque les gens ont tellement peur de ce qui se passe, tellement peur du danger représenté par le virus pour leurs proches et pour eux-mêmes, qu’ils perdent leur immunité parce qu’ils se concentrent sur le négatif, parce qu’ils ne voient plus le positif. C’est une situation psychologique très dangereuse, comme le répètent de plus en plus souvent les psychologues.

C’est pourquoi, indépendamment de l’enquête sur les causes possibles de ce virus, j’appelle tous les téléspectateurs à s’occuper plus de leur état spirituel, moral et physique. Pour vaincre le virus, il faut une immunité en parfait état, et cette imunité ne s’acquiert pas seulement au niveau physique, mais aussi au niveau spirituel et moral.

E.Gratcheva : Monseigneur, passons à l’international, on aimerait comprendre s’il s’agit ou non de politique. La police monténégrine a relâché l’évêque orthodoxe Joannice et les autres prêtres de l’Église orthodoxe russe qu’elle avait, je le rappelle, arrêtés, pour avoir organisé un rassemblement en période de pandémie. L’arrestation et l’accusation portées contre eux avaient provoqué des protestations de masse, et les prêtres ont été libérés, mais ils risquent néanmoins jusqu’à un an de prison. A votre avis, s’agit-il d’une exigence légitime du ministère de le Santé, ou la quarantaine n’est-elle qu’un prétexte à une attaque contre l’Église orthodoxe serbe au Monténégro, comme cela a déjà eu lieu auparavant ?

Le métropolite Hilarion : Il faut comprendre clairement et le déclarer : le président du Monténégro, Djukanovič, va contre la volonté de son peuple. Le fait qu’il lutte ouvertement contre l’Église, qu’il essaye de créer une sorte de nouvelle église, tout cela montre que, d’une part, il ne comprend pas ce qu’est l’Église, et, d’autre part, qu’il ne comprend pas son propre peuple. L’Église orthodoxe serbe, au Monténégro, n’est pas une organisation étrangère, c’est l’Église du peuple monténégrin. Si M. Djukanovič, qui, pour autant que je sache, n’est ni baptisé, ni croyant, essaye de créer sa propre église, il commet une grave erreur. L’ancien président ukrainien, Porochenko, l’a déjà commise : il a voulu profiter de la situation, jouer la carte ecclésiastique pour gagner des points dans sa campagne électorale. Comme on sait, cette aventure n’a rien donné, si ce n’est un échec honteux et cuisant aux élections. Je suis certain que le même sort attend monsieur Djukanovič, s’il ne revoit pas sa position, s’il ne renonce pas à persécuter l’Église orthodoxe canonique au Monténégro, et je le souligne, une Église orthodoxe monténégrine non pas de nom, mais parce qu’elle est l’Église du peuple monténégrin. Si M. Djukanovič ne le comprend pas, qu’il regarde les foules venues clamer leur solidarité avec l’évêque emprisonné.

Je pense que le meilleur moyen de violer toutes les mesures contre le coronavirus est de prendre un évêque orthodoxe et de le mettre en prison, alors tous les gens sortiront dans les rues. Et ces violations du confinement, il ne faudra pas les reprocher à l’Église, mais aux responsables de cette situation, à M. Djukanovič en premier lieu. J’espère qu’il finira par le comprendre. Je sais qu’il a eu vent de ce que j’ai dit dans nos précédentes émissions. J’espère qu’il réexaminera sa position.

E.Gratcheva : Espérons qu’il regarde notre émission.

Le métropolite Hilarion : Je ne sais pas s’il la regarde, mais il écoute sûrement l’ambassadeur du Monténégro à Moscou, qui lui répétera ce dont nous avons parlé.

E.Gratcheva : Pour terminer, j’aimerais vous demander de commenter l’information suivante. Cette semaine, le patriarche Cyrille a démis deux évêques de leurs fonctions. La raison n’a pas été annoncée. Différentes chaînes ont beaucoup jasé autour de cette nouvelle, mais pour ne pas nous appuyer sur des sources non officielles, dites-nous, en tant que représentant de l’Église, pour quelles violations de droit ont-ils été limogés ?

Le métropolite Hilarion : Je ne peux rien vous dire, parce qu’il existe une règle dans l’Église que nous observons tous : ne pas divulguer les détails avant que la personne n’ait été jugée. La notion de « présomption d’innocence » est toujours d’actualité, de même que celle de secret de l’enquête. Ces notions ont toutes leur valeur au tribunal ecclésiastique. Ces évêques ont été démis de leurs fonctions jusqu’à ce que le tribunal ecclésiastique prenne une décision ; une fois la précision prise, l’accusation sera formulée.

Certains se demandent comment le patriarche a pu écarter tout seul des hiérarques de la direction de leur diocèse. Suivant les Statuts de l’Église orthodoxe russe, le patriarche prend des décisions unilatérales de ce genre si l’évêque tombe sous la juridiction du tribunal ecclésiastique. Dans ce cas, la décision est prise en urgence, avant la réunion du Saint-Synode. Naturellement, le Saint-Synode examinera la situation quand le tribunal ecclésiastique aura fait connaître sa décision.

J’aimerais rappeler que cette année, ces deux évêques y compris, cinq hiérarques ont été démis de leurs fonctions d’évêques diocésains. Deux, sur une décision du Saint-Synode, trois sur une décision du patriarche. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que des personnes occupant de hauts postes au sein de l’Église ne sont pas sans poser problème par leur vie personnelle. Mais cela veut dire aussi que  l’Église exerce un contrôle efficace, et que si l’on apprend que certains ne remplissent pas leurs fonctions comme il faudrait, commettent des actes immoraux ou mène une vie amorale, ils ne sont pas à l’abri : ni les évêques, ni les métropolites. Chacun répond non seulement devant Dieu et devant sa conscience, mais aussi devant le tribunal ecclésiastique, et, s’il s’agit de violation de droit ou de crime, devant le tribunal civil.

E.Gratcheva : Merci, monseigneur, d’avoir répondu à nos questions.

Le métropolite Hilarion : Merci, Ekaterina.

Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions posées par les téléspectateurs sur le site du programme « l’Église et le monde ».

Question : Monseigneur, quel type de musique recommandez-vous aux chrétiens d’écouter ? Quel type de musique préférez-vous ? Quel est votre compositeur favori ?

Le métropolite Hilarion : Je recommande aux chrétiens, ainsi qu’aux incroyants, d’écouter de la musique classique. La musique classique, c’est un monde merveilleux, non seulement de sons, mais aussi de sentiments, d’émotions. C’est un art qui ennoblit l’âme, qui est capable d’influencer des personnes de tout âge, de toute éducation, parlant n’importe quelle langue. Pour comprendre le langage de la musique, il n’y a pas besoin d’étudier les langues étrangères, il faut simplement avoir un cœur ouvert et apprendre à écouter de la musique classique, parce que l’écoute de la musique classique exige certaines savoirs, comme, par exemple, la lecture de poésie ou de littérature scientifique. Si vous n’avez jamais écouté de musique classique, vous n’entrerez pas tout de suite dans cet univers, mais personne n’est incapable de se familiariser avec lui, et, pour écouter cette musique, il n’y a pas besoin de connaissances spéciales.

Parmi les compositeurs que je préfère, je mettrais, bien sûr, Jean-Sébastien Bach à la première place. Il n’a pas seulement écrit de la très belle musique : sa musique se distingue par sa profondeur spirituelle. Pendant ce confinement, je m’efforce d’écouter régulièrement du Bach, et sa musique me met de bonne humeur.

Question : Expliquez pourquoi l’Église orthodoxe russe a-t-elle octroyé l’autocéphalie à l’Église orthodoxe en Amérique, si la question du droit d’octroi de l’autocéphalie n’est pas résolue dans l’Orthodoxie ? De quel droit notre Église l’a-t-elle fait ?

Le métropolite Hilarion : Cela s’est fait il y a 50 ans, en 1970. Parce que l’Orthodoxie avait été importée en Amérique par des missionnaires russes et, parce que, pendant longtemps (plus d’un siècle), l’Église orthodoxe russe était restée la seule Église orthodoxe sur le continent américain.

Au XVIIIe siècle, des moines de Valaam sont arrivés en Alaska et y ont fondé une mission. Au début du XXe siècle, l’Église orhtodoxe sur le continent américain était dirigée par l’évêque Tikhon (Belavine), futur patriarche de Moscou. Plus tard, dans les années 1920-1930, d’autres juridictions orthodoxes ont fondé des communautés sur le continent américain, mais la juridiction fondée par les Russes et dirigée par des évêques russes, était toujours présente, et c’est elle qui a reçu l’autocéphalie de l’Église orthodoxe russe.

Pourquoi l’autocéphalie a-t-elle été octroyée de façon unilatérale ? Parce qu’à l’époque, beaucoup d’Églises orthodoxes locales étaient convaincues que l’octroi de l’autocéphalie était la prérogative de l’Église qui avait fondé une autre Église ? Ensuite, dans les années 1990-2000, au niveau panorthodoxe, on a tenté de résoudre la question de la proclamation de l’autocéphalie pour l’avenir. Un document avait été préparé et approuvé, suivant lequel l’autocéphalie serait octroyée uniquement avec l’accord de toutes les Églises orthodoxes locales, mais ce document n’a pas été ratifié, ensuite il a été bloqué par Constantinople, retiré de l’ordre du jour du Concile de Crète, auquel il devait être discuté, suivant le programme initial. A présent, le Patriarcat de Constantinople affirme que ces accords n’avaient pas eu lieu, et il a, notamment, accordé l’autocéphalie à des schismatiques ukrainiens unilatéralement.

C’est pourquoi la question de la proclamation de l’autocéphalie n’est pas résolue au niveau panorthodoxe. Mais, au moment où fut proclamée l’autocéphalie de l’Église orthodoxe en Amérique, on envisageait la question de la façon que j’ai décrite plus haut.

Cette année, nous fêtons le 50e anniversaire de l’octroi de l’autocéphalie à l’Église orthodoxe en Amérique. Durant cette période, elle a beaucoup avancé, est devenue une grande Église nationale indépendante, desservie principalement par des Américains : ses hiérarques, la majorité absolue de ses prêtres sont américains, et le service divin est dit en anglais. Cette Église possède un excellent centre de formation, le séminaire Saint-Vladimir, fondé jadis par des émigrés russes, mais où l’enseignement est dispensé en anglais depuis des décennies.

Je terminerai cette émission en citant ces paroles de notre Seigneur Jésus Christ dans l’Évangile selon saint Jean, sur l’unité des chrétiens : « Que tous soient un, comme toi, Père, Tu es en moi, et comme Je suis en Toi, afin qu’eux aussi soient un en Nous » (Jn 17,21).

Bonne continuation, que le Seigneur vous ait en Sa garde !