Le métropolite Hilarion : J’aimerais remercier nos médecins au nom de l’Église orthodoxe russe
Le 2 mai 2020, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions de la présentatrice Ekaterina Gratcheva, dans l’émission « L’Église et le monde » (Tserkov’ i mir), diffusée sur la chaîne de télévision « Rossia-24 ».
E.Gratcheva : Bonjour ! Vous regardez l’émission « L’Église et le monde », nous nous entretenons chaque semaine avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Bonjour, monseigneur !
Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Le Christ est ressuscité !
E.Gratcheva : Il est vraiment ressucité ! La traditionnelle parade du 9 mai, que nous attendions tant en cette année jubilaire, est reportée. Le président a reconnue que cette décision lui avait coûté, mais les risques pour la santé et la vie sont trop grands. « Le régiment immortel », qui devait rassembler, suivant différentes estimations, un nombre record de participants, aura lieu en ligne, et les portraits seront remplacés par des hashtags sur internet. A votre avis, Monseigneur, cela remplace-t-il la parade ?
Le métropolite Hilarion : Ce n’est pas tout du la même chose, évidemment, mais ce qui prime actuellement, c’est la santé. Les gens voient la parade sur la Place Rouge une fois par an, mais tout le monde ne se rend pas compte du temps qu’occupe la préparation au défilé.
A l’époque où je faisais mon service dans l’orchestre militaire, j’ai participé 4 fois aux défilés de la Place Rouge, et je peux vous dire que les répétitions commencent au moins 2 mois ou 2 mois et demi avant, et qu’elles ont lieu presque tous les jours… Dans le contexte actuel, il est absolument iréaliste de préparer cette manifestation. Je pense donc que les autorités n’avaient tout simplement pas le choix, il fallait reporter à une date ultérieure, quand toutes les restrictions seront levées.
Quant à l’organisation en ligne de manifestations à la mémoire des soldats morts pendant la Seconde guerre mondiale, je pense qu’il faut saluer toute initiative en ce sens. De même que les gens n’ont pas pu venir à l’église pour Pâques et ont passé la nuit pascale devant leurs écrans de télévision ou leurs ordinateurs, se sentant membres de la communauté ecclésiale, nous passerons le 9 mai devant nos écrans de télévision, nos ordinateurs ou nos smartphones, et nous prendrons part à ces manifestations, qui ne seront pas moins nationales parce qu’on n’aura pas pu y prendre physiquement part.
E.Gratcheva : Monseigneur, ce sont actuellement les médecins et le personnel médical qui ont le plus de mal, ils travaillent « en zone rouge », avec des patients très malades, atteints par le coronavirus. L’Église orthodoxe russe a décidé de soutenir ces malades en créant un groupe de prêtres qui peuvent venir dans les hôpitaux, donner la communion et le sacrement de l’onction à ces patients. Comment ces prêtres ont-il été choisis ?
Le métropolite Hilarion : Au nom de l’Église orthodoxe russe, je voudrais m’incliner devant les médecins, qui dépensent leurs forces et risquent leur vie pour sauver leurs patients. Ils sont à l’avant-poste de la lutte contre le coronavirus, et nous prions dans l’Église chaque jour pour que le Seigneur les préserve, qu’Il nous préserve tous, ainsi que nos proches. Nous prions pour que le danger passe au plus vite.
Quant aux prêtres, le Département synodal à l’action caritative et au ministère social, présidé par l’évêque Pantéléïmon d’Orekhovo-Zouïevo, a formé un groupe de 21 prêtres, qui travaille 24/24. Un prêtre est de garde pendant 12 heures, il est remplacé par un autre pour 12 heures au bout de ce temps. Ils ont été formés pour agir en temps d’épidémie, ils savent comment remplir leurs fonctions sacerdotales en portant un costume de protection. J’espère que grâce à cette initiative, ceux qui seront dans un état critique dans les hôpitaux ne seront plus privés des sacrements de la confession, de la communion et de l’onction.
E.Gratcheva : Monseigneur, un nouveau service est désormais accessible à Moscou : les funérailles en ligne. Les invités aux obsèques peuvent suivre la cérémonie sur leurs écrans. On peut aussi réserver une place de cimetière en ligne, commander le nettoyage de sa concession, etc. Que pensez-vous de ce genre de services ?
Le métropolite Hilarion : Cela me paraît une nécessité provisoire. Dans le contexte actuel, alors que beaucoup de gens ayant perdu un proche ne peuvent pas lui dire adieu, ils peuvent au moins assister aux obsèques par internet, et je pense que beaucoup y recourront.
E.Gratcheva : Monseigneur, non seulement à Moscou, mais dans tout le pays, l’Église fonctionne tout différemment. On ne baise plus la croix, on désinfecte la cuiller de communion, on désinfecte les icônes. Les offices ont lieu en ligne, beaucoup disent que l’Église, même si elle le veut, ne pourra plus revenir à son mode de vie antérieure, que quelque chose restera changé après. Êtes-vous d’accord ? Si oui, à votre avis, qu’est-ce qui peut et doit être amélioré ?
Le métropolite Hilarion : Je pense que l’Église reviendra à son mode de vie antérieure. La vie des communautés reprendra, les gens qui fréquentaient les églises y reviendront. Bien plus, je pense que nous aurons de nouveaux paroissiens, car j’observe que des gens tout à fait nouveaux se connectent à nos sites. Par exemple, nous avions organisé la retransmission des offices uniquement pour nos paroissiens, nous ne nous attendions pas à ce que d’autres personnes les regardent. Cependant, le nombre de ceux qui suivent nos offices en ligne dépasse de très loin le nombre de paroissiens. Cela veut dire qu’on nous a rejoints, et j’espère qu’au moins une partie de ces personnes se mettront à fréquenter les offices en temps réel lorsque les mesures de confinement seront levées.
Je pense aussi, bien entendu, que des leçons seront tirées de cette histoire, notamment en ce qui concerne la désinfection des objets qui se trouvent dans l’Église. Concernant la vénération des icônes, celles qui sont sous verre ont toujours été essuyées avec un chiffon humide, mais l’usage de les frotter avec un produit désinfectant restera peut-être.
E.Gratcheva : Monseigneur, le 3 avril, la loi fédérale 106 est entrée en vigueur. Elle défend les intérêts des personnes qui doivent payer leur crédit à la banque, mais qui ont perdu plus de 30% de leurs revenus mensuels. Suivant la nouvelle loi, les banques doivent leur accorder un sursis pouvant aller jusqu’à six mois. Mais les débiteurs se plaignent sur internet de ce que les banques refusent de leur accorder ce surcis, et répondent par un refus à leurs requêtes écrites. Que faire, dans cette situation ? Passer au tribunal ou se résigner ? Que conseilleriez-vous ?
Le métropolite Hilarion : La personne concernée doit décider elle-même, en fonction de sa situation à elle, si elle doit porter l’affaire devant le tribunal ou se résigner. Si la situation financière le permet, on peut se résigner. Mais si les difficultés sont trop grandes, si la banque enfreint la loi ou les directives de l’état, il faudra en venir aux tribunaux, sans doute. Je pense qu’il est très important qu’on ne se contente pas de prendre acte des documents normatifs que publient actuellement les autorités, mais qu’on les applique, autrement le système ne fonctionnera pas.
E.Gratcheva : A votre avis, Monseigneur, combien de temps le confinement durera-t-il dans notre pays ?
Le métropolite Hilarion : On aimerait espérer en avoir bientôt fini avec le confinement, mais tout dépendra de la rapidité avec laquelle le coronavirus se répandra, et de notre réponse à ce défi, c’est-à-dire de notre discipline et de la façon dont nous observerons les mesures d’isolement qui ont été prises.
E.Gratcheva : Merci, Monseigneur, d’avoir répondu à nos questions depuis votre domicile.
Le métropolite Hilarion : Merci, Catherine.
Dans la suite de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions posées par les téléspectateurs sur le site du programme « L’Église et le monde ».
Question : L’Église fait la propagande de la famille nombreuse, elle est contre l’avortement, mais elle interdit aux moines de se marier. Chaque moine, chaque moniale, ce sont plusieurs enfants qui ne naîtront pas, des dizaines de petits-enfants qui ne verront jamais le jour. S’il n’y avait pas de moines, la population augmenterait.
Le métropolite Hilarion : Je ne pense pas que la population dépende du nombre de moines. Par contre, elle dépend étroitement du nombre d’avortements, c’est un fait. Si l’on pouvait résoudre le problème de l’avortement, la population augmenterait considérablement. Les avortements continuent à emporter des centaines de milliers de vies par an, et c’est une tragédie pour notre pays, pour notre peuple. Le fait que quelqu’un choisisse un mode de vie monastique n’a pas d’influence sur la population, parce qu’il y a toujours eu et il y aura toujours assez peu de moines. Les moines font ce choix de vie, avant tout, pour donner toutes leurs forces au service de Dieu et des hommes, au service de l’Église, tandis que ceux qui avortent commettent un crime.
Du point de vue de l’Église, l’avortement est un meurtre, dont sont responsables aussi bien la femme qui accepte de s’y soumettre, que l’homme qui y participe, et le médecin qui l’opère. C’est pourquoi l’Église a toujours été contre les avortements et intervient avec des propositions concrètes, notamment celle que l’avortement ne soit plus remboursé par la sécurité sociale, de façon que les contribuables, dont ceux qui sont contre l’avortement, ne financent pas cet assassinat légal. J’espère que les gens continueront à prendre conscience de ce que l’avortement est un crime monstrueux.
Question : L’Église a insisté pour que Dieu soit mentionné dans la Constitution, le président Vladimir Poutine a soutenu cette proposition, alors que nous sommes dans un état laïc. Les droits de millions d’incroyants sont enfreints.
Le métropolite Hilarion : Je ne crois pas que soient enfreints les droits de millions de croyants uniquement parce que Dieu est mentionné dans la Constitution ou dans l’hymne de la Fédération russe, ce n’est pas une violation des droits des athées. Nous sommes dans un état dirigé par un président, mais il y a, en Russie, des gens qui voudraient une monarchie ; est-ce que le fait que la Russie soit dirigée par un président constitue une violation aux droits des monarchistes ?
Quant à la mention de Dieu dans la Constitution de la Fédération de Russie, l’Église orthodoxe russe n’était pas seule à la demander, d’autres confessions traditionnelles le voulaient aussi. Le Conseil interreligieux de Russie, qui est l’organisme interreligieux le plus important du pays, rassemblant des représentants de l’orthodoxie, du judaïsme, de l’islam et du bouddhisme, et le Comité consultatif interconfessionnel chrétien (dans lequel sont représentés des orthodoxes, des catholiques et des protestants) se sont réunis spécialement et ont pris ensemble la décision de demander aux autorités d’introduire la mention de Dieu dans la Constitution.
Je vous dirais d’ailleurs que le fait que Dieu existe n’est pas une infraction aux droits des incroyants, parce que les incroyants peuvent ne pas croire en Lui, même si Dieu les aide quand même. Dieu n’aide pas seulement les croyants, Il aide aussi les incroyants, seulement ils n’en ont pas conscience ou ne veulent pas en prendre conscience… Ainsi, de même que l’existence de Dieu n’enfreint pas les droits des incroyants, la mention de Dieu dans la Constitution n’est pas non plus une violation de leurs droits.
Question : Pourquoi construire tant d’églises ? Il n’y aura personne pour y aller. J’ai même entendu dire qu’on en construisait trois par jour.
Le métropolite Hilarion : Ce chiffre, trois églises par jour, reflète la dynamique de construction des églises durant les 32 dernières années, c’est-à-dire depuis 1988. A l’époque, l’Église orthodoxe russe n’avait que 6500 églises, elle en possède aujourd’hui presque 40000. Il ne s’agit pas seulement de la Russie, mais de toute l’Église orthodoxe russe : en Russie, en Ukraine, en Biélorussie, en Moldavie et dans d’autres pays où l’Église orthodoxe russe est présente… Le chiffre de trois églises par jour concerne l’Église orthodoxe russe dans son ensemble.
S’agissant de la construction d’églises en Russie même, on peut parler d’une église et demi ou de deux églises par jour. Néanmoins, c’est vrai qu’on construit beaucoup d’églises. Ce n’est pas parce que quelqu’un en a donné l’ordre, ou que quelqu’un a intérêt à augmenter le nombre de bâtiments en construction, mais parce qu’il existe un vrai besoin. On construit des églises là où vivent les gens. La situation est d’ailleurs paradoxale, parce que dans le centre historique des villes, il y a beaucoup d’églises, mais elles sont peu fréquentées parce que presque personne n’habite dans le centre, tandis que dans les « cités dortoirs » il y a jusqu’à présent un manque réel d’églises. On le sentait avant l’introduction des mesures de quarantaine, des dizaines, des centaines, parfois des milliers de personnes venaient à l’église dans ces quartiers, et ne parvenaient pas à s’y entasser, au sens propre du terme. On construit parce qu’il le faut, parce que les gens veulent aller à l’église sans avoir besoin de faire un trajet d’une heure ou d’une heure et demi en métro ou autrement jusqu’à l’église la plus proche, pour pouvoir aller à l’église avec leurs enfants.
Je terminerai cette émission en citant ces paroles du Sermon sur la montagne, prononcées par Jésus Christ : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés » (Mt 5,6).
Prenez soin de vous et que Dieu vous garde !