Le 25 janvier 2020, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions de la présentatrice de télévision Ekaterina Gratcheva, dans l’émission « l’Eglise et le monde » (Tserkov’ i mir), diffusée sur « Rossia-24 » les samedis et les dimanches.

E.Gratcheva : Bonjour ! Vous regardez l’émission « l’Église et le monde », nous nous entretenons avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Bonjour, Monseigneur.

Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Chers frères et sœurs, bonjour.

E.Gratcheva : Monseigneur, (…) vous arrivez d’Israël où vous avez participé à la commémoration du 75e anniversaire du camp d’Auschwitz, où moururent 1 million 400 000 personnes entre 1941 et 1945, dont 1 million 100 000 Juifs. Le 27 janvier 1942, le camp fut libéré par l’Armée rouge. Vous faisiez partie de la délégation conduite par le président Vladimir Poutine. Parlez-nous de la façon dont Israël voit le rôle de l’Armée rouge dans la libération de l’Europe. En 75 ans, sa façon de voir a-t-elle évolué ?

Le métropolite Hilarion : Les chefs ou les hauts représentants d’environ 50 pays ont pris part à ce forum de grande ampleur. Le président russe occupait une place clé, puisqu’il représentait le pays qui libéra Auschwitz, qui délivra le monde, avec d’autres, de la « peste brune ». Bien que certains journalistes, historiens et politiciens en Israël s’efforcent d’imposer la mode occidentale, qui consiste à réécrire le bilan de la Seconde guerre mondiale, ils comprennent bien, dans l’ensemble, qui sauva le monde du fascisme. Le président russe, dans son allocution, l’a rappelé clairement. Il a déclaré que l’Union soviétique avait consenti des sacrifices impossibles à oublier, puisque 27 millions de citoyens sont morts dans cette guerre.

Certes, beaucoup d’autres leaders ont évoqué le rôle des soldats russes, des armées russes pour la libération. Mais il est à noter que le vice-président Mike Pence, qui s’est exprimé après le président Poutine, a bâti son discours de façon à mentionner Auschwitz, sans mentionner qui le libéra. C’et très représentatif de la rhétorique actuelle des leaders occidentaux.

E.Gratcheva : Si Pence a évité de le formuler, certains leaders ont préféré tout simplement éviter de participer au forum. Le président polonais, par exemple, a refusé de venir, disant que la parole ne lui serait pas donnée. Ces derniers temps, la Pologne donne une interprétation assez particulière des évènements d’il y a 75 ans. Il y a quelques jours, le premier ministre a dit : « L’armée rouge n’a pas libéré Varsovie. Les régimes de l’Union soviétique et de l’Allemagne nazie sont équivalents ». Qu’en pensent les Polonais ordinaires ? Certains ont-ils participé à ces manifestations ? Que disent les représentants de l’Église orthodoxe russe résidant en Pologne ? (…)

Le métropolite Hilarion : En Pologne, la majorité absolue de la population sait bien qui a libéré le pays du fascisme. Seuls certains hommes politiques partagent cette vision d’une équivalence entre le régime fasciste et le régime stalinien : ce sont eux qui ont décidé de ne pas se rendre aux cérémonies de commémoration des victimes de l’Holocauste. Cette décision était offensante pour les organisateurs du forum, car, comme je l’ai dit, les leaders de près de 50 pays étaient invités, mais il n’était absolument pas prévu qu’ils interviennent, sinon la cérémonie n’aurait pas duré quelques heures, mais quelques jours. On n’a donné la parole qu’aux leaders des pays de la coalition qui libéra l’Europe du fascisme, ainsi qu’au président de l’Allemagne, qui devait parler, et qui a parlé des torts des dirigeants allemands de l’époque, torts qui restent un lourd fardeau pour les Allemands d’aujourd’hui. Il y avait beaucoup d’émotion, dans son discours, il a eu de fort belles paroles. D’une façon générale, beaucoup de discours étaient chargés en émotions, car la tragédie de l’Holocauste n’est pas seulement celle du peuple juif, c’est une tragédie qui a touché tous les peuples d’une façon ou d’une autre.

(…)

E.Gratcheva : Pendant votre visite en Israël, vous avez participé à d’autres manifestations, rencontré de nombreuses personnes (…) dont le patriarche Théophile de Jérusalem. Cette rencontre avait-elle un rapport avec son initiative de réunir très prochainement à Amman les chefs des Églises orthodoxes ? Selon vous, cette rencontre peut-être tirer les relations interecclésiales de la crise actuelle ?

Le métropolite Hilarion : J’ai profité de ce voyage en Israël pour rendre visite au patriarche Théophile de Jérusalem. Bien entendu, nous ne pouvions pas ne pas évoquer la proposition qu’il avait faite pendant son séjour à Moscou, d’inviter les chefs des Églises orthodoxes locales à Amman, en Jordanie.

Les Églises y ont réagi différemment. Le patriarche Bartholomée de Constantinople a écrit au patriarche de Jérusalem une lettre exprimant sa colère et son irritation, lui reprochant, d’une part de recourir à l’anglais plutôt qu’au grec dans sa correspondance, et, d’autre part, de s’être permis cette initiative. Du point de vue du patriarche de Constantinople, seul le patriarche de Constantinople peut convoquer une assemblée interorthodoxe. Pourtant, je me souviens parfaitement qu’en 2000 le patriarche de Jérusalem Diodore avait invité tous les chefs des Églises locales à Bethléem pour fêter le deuxième millénaire de la Nativité du Christ. Le patriarche Bartholomée en était, de même que le patriarche Alexis de Moscou et de toute la Russie. Il y avait aussi Boris Eltsine, qui venait tout juste de renoncer à sa charge de président. Il n’était venu à l’esprit de personne de s’interroger : comment le patriarche de Jérusalem ose-t-il inviter, alors que c’est au patriarche de Constantinople de le faire ?

De façon générale, c’est une nouvelle théorie que nous ne pouvons pas approuver, parce qu’à notre avis chaque primat d’Église orthodoxe locale est responsable non seulement de son Église, mais aussi de l’entente entre les Églises. Si cette entente est rompue, si un conflit éclate, chacun peut contribuer à sa résolution. D’autant plus que le patriarche de Jérusalem n’a pas invité les chefs des Églises à une réunion formelle, mais à une rencontre amicale informelle, à « une rencontre fraternelle dans la charité », comme indiqué dans la lettre d’invitation. L’idée est de permettre aux primats de discuter des problèmes dans une ambiance calme, informelle, non officielle.

E.Gratcheva : Passons aux nouvelles en Russie en général. De grands évènements se sont produits récemment (…), la composition du cabinet des ministres a été largement renouvelée (…) Parlons du ministère de l’éducation et de l’instruction. A votre avis, qu’est-ce qui doit changer dans le système d’enseignement dans notre pays ?

Le métropolite Hilarion : Il y a deux ministères, l’un est responsable de l’enseignement supérieur et des sciences, l’autre de l’instruction en école primaire et secondaire. Je pense aussi qu’à chacune de ces étapes de son développement, l’homme n’a pas seulement besoin de sommes de connaissances, mais d’éducation. On a beaucoup dit, ces dernières années, que l’école n’était pas seulement un lieu d’instruction, mais aussi d’éducation. J’aimerais pouvoir espérer que ce rôle éducatif de l’Église, ce rôle éducatif de l’école ne disparaîtra pas. L’Église est séparée de l’état et l’école de l’Église, une séparation introduite par Lénine après la révolution de 1917. Ce principe empêche parfois une bonne interaction entre l’Église et l’école.

Parlant des rapports entre l’Église et l’enseignement supérieur, je crois qu’il faut constater un progrès considérable : pendant des années, nous nous sommes battus pour que la théologie soit reconnue comme une discipline au niveau de l’enseignement supérieur, et nous avons réussi. Il y a désormais des facultés de théologie, des départements de théologie, des conseils de soutenance qui délivrent des diplômes de théologie reconnus par l’état…

S’agissant de l’enseignement secondaire et primaire, depuis des années nous répétons que les élèves doivent avoir accès aux bases de la culture religieuse. Si les enfants sont orthodoxes, ils doivent connaître les fondements de la culture orthodoxe ; s’ils viennent de familles musulmanes, ils doivent découvrir les bases de la culture islamique, etc. Plusieurs modules ont été élaborés, plusieurs options, pour que les enfants puissent étudier une tradition suivant leur choix ou celui de leurs parents. S’ils n’appartiennent à aucune confession religieuse, ils suivent un cours d’éducation civique. Tout ce que nous avons pu obtenir, c’est une heure par semaine dans une seule classe, consacrée à une matière culturologique dénommée « Fondements de la culture orthodoxe » (musulmane, juive, bouddiste) ou les « Fondements de l’éthique civique », cela s’arrête là. Par ailleurs, cet enseignement n’est pas dispensé par des gens mandatés par l’Église (la communauté musulmane ou juive), mais par des enseignants d’autres disciplines.

Je pense que ce résultat est insatisfaisant. Nos enfants doivent avoir directement accès aux traditions religieuses. Nous ne disons pas que l’école publique soit un espace pour prêcher une religion ou une autre, ce sont aux enfants et à leurs parents de décider quelles église fréquenter, à quelle religion appartenir, mais ils doivent recevoir des représentants de leur tradition religieuse des connaissances adéquates sur cette religion. Ce n’est pas nécessairement aux clercs d’enseigner, cela peut être fait par des laïcs, mais ils doivent être mandatés par leurs organisations religieuses pour enseigner à l’école.

Si cette question est résolue, et pas sous la forme d’une heure par semaine pendant une seule année sur l’ensemble cycle d’études, cela contribuera à l’amélioration du climat interreligieux dans notre pays, et, au final, de la sécurité dans l’état.

E.Gratcheva : Ce qui manque aux écoliers dans le programme scolaire où on leur apprend, notamment, pendant cette heure que vous avez mentionnée, la tolérance en général et la tolérance envers les représentants d’autres religions en particulier, peut être compensé par le cinéma. La nouvelle ministre de la Culture, Olga Lioubimova, a dirigé le département de cinématographie (…) Elle est metteur en scène, a été scénariste, a participé à plus de 80 films, dont certains touchent à la tradition orthodoxe. Cela vous plaît-il ?

Le métropolite Hilarion : Je pense que le cinéma est un instrument très important, agissant considérablement sur les esprits et sur les cœurs. C’est bien que le ministre de la Culture soit étroitement lié à ce domaine. Dans son message au Conseil de la Fédération, le président a beaucoup parlé de la problématique sociale ; il a, notamment, longuement insisté sur la démographie.

Le président a parlé très concrètement d’allocations, de mesures de soutien aux familles qui seront prises, ce dont il a chargé le nouveau gouvernement. Mais ces questions ne sont pas seulement du ressort du ministre de la santé ou du ministre du travail : elles intéressent tous les ministères sociaux, parmi lesquels le ministère de la culture.

Vous avez parlé de films et je peux donner un exemple. Beaucoup de gens regardent des séries. Je ne les regarde pas, mais il m’arrive parfois, pour savoir de quoi vivent les gens, d’allumer la télévision le soir. Majoritairement, sur les principales chaînes de la télévision centrale, on rabâche le thème de l’infidélité conjugale. Il s’agit généralement d’un mari qui a une femme et une maîtresse, et qui est écartelé entre les eux. Le film est bâti sur cette intrigue. Comment le thème de la famille nombreuse trouverait-il sa place dans ces séries ? Où y est la place d’une famille saine, de la fidélité conjugale ? Elle n’y est pas.

Pour améliorer la démographie de façon significative, il n’est pas suffisant de donner des allocations, il faut changer l’état d’esprit des gens, pour que le modèle de la famille heureuse et saine s’enracine dans les consciences, notamment par le biais des médias, grâce aux films et aux séries.

J’espère qu’avec la nouvelle ministre de la Culture, l’effort d’assainissement des relations familiales à l’écran se poursuivra.

Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions des téléspectateurs, posées sur le site du programme « L’Église et le monde ».

Question : Pourquoi les églises orthodoxes sont-elles couvertes d’or, pourquoi les hiérarques portent-ils de riches décorations ? Ne vaudrait-il pas mieux économiser sur l’ornementation des églises et donner l’argent épargné aux pauvres ?

Le métropolite Hilarion : Lorsque vous allez à Rome, vous allez voir la basilique Saint-Pierre ; quand vous allez à Paris, vous visitez Notre-Dame. Quand les gens viennent à Moscou, ils visitent Saint-Basile-le-Bienheureux, la place des cathédrales au Kremlin, l’église du Christ-Sauveur. Ils admirent non seulement leur architecture, mais aussi leur décor intérieur.

Durant des siècles, l’Église a œuvré, et continue à œuvrer pour former les valeurs culturelles de peuples entiers. Il ne vient à l’esprit de personne de vendre les richesses du « Fonds des diamants », pour construire des hôpitaux et des écoles avec l’argent obtenu. On ne met pas en vente les collections de la Galerie Tretiakov ou de l’Ermitage. Cela fait partie du patrimoine. Si les musées conservent le patrimoine du passé, l’Église contribue à créer le patrimoine d’aujourd’hui et de demain. Beaucoup des églises qui se construisent aujourd’hui seront reconnues plus tard comme des monuments d’architecture, on les admirera, comme nous admirons aujourd’hui les églises anciennes. Même les vêtements sacerdocaux que portent les hiérarques d’aujourd’hui seront un jour exposés dans les musées, comme on peut voir aujourd’hui toute une collection d’habits sacerdocaux orthodoxes au Kremlin.

Question : Le patriarche Cyrille a récemment parlé de l’utilisation de la langue russe dans la liturgie. Compte tenu de l’attachement de la majorité des orthodoxes au slavon, est-ce une révolution ?

Le métropolite Hilarion : Je ne pense pas qu’il y aura de révolution. Le patriarche a invité à une utilisation très réfléchie, équilibrée et prudente du russe dans la liturgie, là où les fidèles sont prêts à cela. Il a dit, par exemple, qu’on pouvait lire les passages de l’Apôtre ou de l’Évangile en russe, ou bien les textes peu compréhensibles de l’Ancien Testament. Mais il ne s’agit absolument pas d’opérer une russification totale de la liturgie. Et il ne s’agit pas de renoncer au slavon. Il y a de nombreux moyens pour rendre l’office plus compréhensible qu’il l’ait aujourd’hui.

Voici un exemple tiré de ma pratique. Je célèbre dans une église sur la rue Ordynka ; nous lisons l’Apôtre et l’Évangile en slavon. Mais durant l’intervalle de temps entre la communion des prêtres et celle des fidèles, un prêtre sort prêcher. Il commence son homélie par la lecture en russe de l’Évangile et de l’Apôtre lu ce jour-là. C’est de ce type d’utilisation partielle du russe qu’il s’agit, et non d’une réforme ou d’une révolution.