Le métropolite Hilarion : l’Église a des millions de vies sauves à son actif
Un vif débat sur le phénomène des mères porteuses a agité cette semaine la société russe, après que Dmitri Kisseliov, journaliste, auteur et animateur de l’émission « Nouvelles de la semaine » (Vesti Nedeli), sur la chaîne de télévision « Rossia 1 », a invité l’Église orthodoxe russe à lever pour les croyants l’interdit sur cette pratique. Selon lui, la position de l’Église, élaborée et exposée il y a vingt ans dans le document « Fondements de la conception sociale de l’Église orthodoxe russe », est contraire au commandement divin « soyez féconds et multipliez-vous » ; selon lui, elle devrait être réexaminée en tenant compte des réalités actuelles au nom d’une hausse de la natalité. Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions sur le développement de la GPA dans une interview exclusive à RIA Novosti.
— L’Église orthodoxe russe est-elle au courant de l’ampleur du phénomène : sait-elle que des dizaines de milliers d’enfants sont nés de mères porteuses et font partie de notre société ? En discute–t–on dans l’Église ?
— La position de l’Église ne peut dépendre de la statistique et des quantités. Nous avions discuté de la GPA en Église en 2000, lorsque nous avions adopté les « Fondements de la conception sociale de l’Église orthodoxe russe. Voici ce que dit ce document, adopté par l’autorité supérieure dans l’Église, le Concile épiscopal : « La « gestation par autrui », c’est-à-dire la gestation par une femme d’un ovule fécondé, la femme rendant l’enfant à ses « commanditaires » après l’accouchement, est contraire à la nature et moralement intolérable, même dans les cas où elle s’effectue sur une base non commerciale. Cette méthode détruit la profonde intimité émotionnelle et spirituelle qui s’établit entre la mère et l’enfant pendant la grossesse. La « GPA » est un traumatisme tant pour la femme qui a porté l’enfant, et dont les sentiments maternels sont ignorés, que pour l’enfant qui peut ensuite éprouver une crise d’indentité ».
En 2013, l’Église est revenue au débat sur la GPA, pour examiner un aspect particulier du problème, à savoir le baptême des enfants nés de mères porteuses. Le document consacré à ce thème a été adopté pendant la séance du Saint-Synode de décembre 2013. Il y est répété que « l’Église condamne sans équivoque » la GPA, tandis que le terme même de « mère porteuse » « constitue une déviation de la notion supérieure de devoir et de vocation maternels ».
Le document spécifie : « La pratique de la GPA fait courir à la société le risque de changements radicaux sur la représentation même de la nature humaine. Dans le cas présent, la conception de l’homme comme personnalité unique est remplacée par l’image d’un individu biologique qu’on peut construire selon les besoins, manipulant les éléments du « matériel biologique ». »
Ce sont, notamment, ces expressions, qui ont été critiquées par D. Kisseliov. Dans son émission sur « Rossia 1 », il attribue précisément à l’Église la conception qu’elle réprouve. Pour l’Église, l’enfant n’est pas un individu biologique, mais un homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu qui, conformément aux lois divines, doit avoir un père et une mère. L’Église refuse qu’un être vivant, humain, soit perçu comme une masse biologique manipulable.
— Qu’est-ce exactement que la gestation par autrui : l’utilisation par un couple d’une tierce personne jouant le rôle d’incubateur, de nouveaux « services payants » ou une forme d’entraide sociale, de compassion envers ceux qui n’ont pas d’enfants ? L’appréciation qu’on peut en donner dépend-elle de la façon dont on envisage ce concept, de ce qui motive la GPA ? Peut-elle être mauvaise dans certains cas, et bonne dans d’autres ?
— Du point de vue de l’Église, cette pratique « représente une humiliation de la dignité humaine de la femme, dont le corps est, dans le cas présent, envisagé comme une sorte d’incubateur ».
L’Église n’impose pas sa vision aux gens qui sont en dehors d’elle. Mais pour les membres de l’Église, aucune circonstance ni considération ne peut justifier de la GPA.
L’Église donne sa bénédiction à l’adoption d’enfants par les couples qui ont des difficultés à concevoir. Bien plus, en tant que ministre du culte, je connais bien des cas où à des couples sans enfants en ayant adopté un ou plusieurs, Dieu envoyait ensuite un enfant biologique.
— La mère porteuse est tout de même une mère, mère-1 ou mère-2 ? Comment considérer son mari, qui l’a aidée pendant sa grossesse ? Et comment doivent-ils gérer les sentiments qu’ils éprouvent envers l’enfant et son développement ? Est-il responsable d’eux lorsqu’ils seront âgés ?
— La loi russe prévoit qu’une mère porteuse a le droit de garder l’enfant qu’elle a porté et mis au monde, sans le remettre à ses parents biologiques. On entend aujourd’hui des voix appeler à modifier cet article de la loi pour priver la mère porteuse de toute espèce de droit sur l’enfant qu’elle a porté. Dans l’Église, nous ne sommes pas d’accord avec cette « amélioration » de la législation.
Dans bien des pays, la GPA est interdite par principe. Chez nous, elle est autorisée, mais les droits de la mère porteuse y sont définis, ce qui constitue un risque certain pour les « commanditaires » de l’enfant, ses parents biologiques. Peut-être cela force-t-il dans une certaine mesure des couples à réfléchir.
— Peut-on assimiler la GPA à une forme de don ?
— Je ne vois aucune raison à cela. Bien que la notion même de don soit utilisée de façon très large aujourd’hui.
Le don a aussi un aspect moral. C’est une chose de donner son sang pour aider les victimes d’un tremblement de terre, ou de sacrifier un rein pour conserver la vie à un proche qui n’en a plus. Lorsqu’un homme donne son sperme en échange d’argent, pour qu’on le gèle et qu’on insémine ensuite une femme non mariée, c’est tout autre chose. La première forme de don peut être qualifiée d’héroïsme, voire de prouesse, mais la seconde n’a aucune justification du point de vue de l’Église.
— Quelle que soit l’opinion de l’Église, l’enfant n’est pas coupable. Peut-on quand même le baptiser dans son enfance, et si non, pourquoi ?
— L’enfant n’est pas coupable. Mais si les parents biologiques, connaissant la position de l’Église, se sont résolus à des actes incompatibles avec cette position, pourront-ils élever l’enfant dans la foi ? Or, l’éducation dans la foi orthodoxe est une condition obligatoire au baptême des enfants.
C’est pourquoi il est précisé dans le document de 2013 : « D’une part, tout enfant nouveau-né peut être baptisé, selon la foi de ceux qui ont l’intention qu’il soit baptiser. L’enfant ne peut répondre des actes de ses parents et n’est pas coupable de ce que sa venue au monde se soit produite au moyen de technologies reproductives réprouvées par l’Église. D’autre part, ce sont les parents, les parrain et marraine qui portent la responsabilité de l’éducation chrétienne de l’enfant. Si les parents ne se repentent pas sincèrement de leur acte et que les parrain et marraine approuvent cet acte peccamineux, il ne peut être question d’éducation chrétienne. Le refus de conférer le baptême, dans le cas présent, sera en accord avec la tradition orthodoxe, qui suppose l’accord du baptisé, et, dans le cas d’un enfant, celui de ses parents, parrain et marraine, avec la doctrine de l’Église. Ce refus aura aussi une valeur pastorale, car la société en recevra un signal fort, montrant que la pratique de la GPA est inadmissible d’un point de vue chrétien. »
La précision suivante est apportée : « L’enfant né de mère porteuse ne peut être baptisé suivant le désir des personnes qui l’éduquent, que ce soit ses parents biologiques ou la mère porteuse, qu’après qu’ils aient pris conscience que, d’un point de vue chrétien, cette technologie reproductive est moralement condamnable et qu’ils se soient repentis devant l’Église, qu’ils aient consciemment ou involontairement ignoré sa volonté. Dans ce cas seulement l’Église peut espérer que l’enfant baptisé sera éduqué dans la foi orthodoxe et que des conceptions morales chrétiennes lui seront inculquées. Tant que cette prise de conscience n’a pas lieu, la décision du baptême est reportée jusqu’à ce que l’enfant fasse le choix lui-même d’être baptisé. Dans ce dernier cas, le fait d’être né de mère porteuse n’est pas un obstacle au baptême, car il ne porte pas la responsabilité de la conduite de ses parents. »
Vous voyez que la position de l’Église est élaborée en détail. On ne peut pas reprocher à l’Église de manquer d’humanité. Au contraire, plusieurs solutions sont proposées.
— Que répondriez-vous à la question clairement formulée par D. Kisseliov dans son émission : « Si depuis 2000, date à laquelle la « Conception sociale de l’Église orthodoxe russe » a été adoptée, les méthodes thérapeuthiques et chirurgicales ont tellement changé qu’il devient possible aux époux de concevoir l’enfant, peut-être faut-il, au nom de la natalité, revoir la position sur cette question. Dans la Bible il est écrit : « Soyez féconds et multipliez-vous », et voici un prêtre qui nous condamne pour cela, soit disant parce que la méthode n’est pas la bonne. »
— Reprocher à l’Église de mettre soi-disant un frein à la natalité en condamnant la pratique de la GPA est injuste. Non seulement l’Église n’empêche pas la natalité, mais, au contraire, elle y concourt par tous les moyens. Qui, si ce n’est l’Église, s’élève contre les avortements, les considérant comme un infanticide ? Qui, si ce n’est l’Église, s’oppose à l’utilisation de moyens de contraception abortifs ? Et n’est-ce pas l’Église qui invite sans cesse à la fidélité conjugale, qui parle de la vocation des époux à la parentalité, qui dit que tout embryon humain a un droit imprescriptible à la vie ?
C’est pour beaucoup grâce à la position claire et cohérente de l’Église, à son travail avec les fidèles, avec la société, avec les médias, avec les organes de santé publique, grâce à ses propres organismes de bienfaisance que le nombre d’avortements a diminué d’un tiers en 18 ans. Ainsi, l’Église a des millions de vies sauves à son actif. Les programmes de l’état incitant à une paternité et à une maternité responsable jouent aussi un rôle important. Mais le rôle de l’Église orthodoxe et des autres confessions traditionnelles ne peut aucunement être ignoré.
Non seulement l’Église ne met pas d’obstacle à la réalisation du commandement divin « soyez féconds et multipliez-vous » mais, au contraire, elle fait tout ce qu’elle peut pour augmenter la natalité dans notre pays. Si le niveau de natalité reste faible, ce n’est pas parce que l’Église ne fait rien, mais parce que de nombreuses forces lui font obstable, notamment l’idéologie de consomnation, qui met à la première place le confort personnel, et non la responsabilité devant la famille, devant le pays, devant les générations suivantes. Cette idéologie de consomnation est à l’origine de la pratique de la GPA, elle permet aux femmes riches d’éviter les souffrances liées à la naissance d’un enfant, les laissant à des membres moins favorisés de la société.
Si l’on part du fait que pour parvenir à de bons résultats démographiques tous les moyens sont bons, alors pourquoi ne pas autoriser le clonage des humains ? On pourrait, grâce au clonage, parvenir à des résultats excellents, non seulement sur le plan quantitatif, mais aussi sur le plan qualitatif. Cependant, il existe encore une barrière morale qui ne permet pas de dépasser cette limite et de faire de la planète le « merveilleux nouveau monde » décrit par Aldous Huksley.
— Que savez-vous de la position des autres confessions et des autres religions à ce sujet ?
— La position des confessions traditionnelles de la Fédération de Russie correspond à la nôtre, ce qui a été souligné aux réunions du Conseil interreligieux de Russie.
— Est-il possible que la position de l’Église orthodoxe russe évolue sur ces questions dans un avenir proche ?
— L’Église ne stagne pas, elle réagit à ce qui se passe autour d’elle, donnant aussi son opinion sur les nouvelles technologies, si elles ont des répercussions morales. C’est pour cette raison que les « Fondements de la conception sociale » s’attardent longuement à la bioéthique. Ces questions continuent à être discutées, notamment dans le cadre du travail de la Commission interconciliaire pour la théologie et l’enseignement théologique. Un réexamen de cette question est peu probable, car notre position ne s’appuie pas sur l’actualité, mais sur la doctrine de l’Église. Mais il se peut que certains aspects de cette position clairement formulée soient précisés, à la mesure que le problème se complexifiera de nouveaux éléments.