Le 28 septembre 2019, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions de la présentatrice de télévision Ekaterina Gratcheva, dans l’émission « l’Eglise et le monde » (Tserkov’ i mir), diffusée sur « Rossia-24 » les samedis et les dimanches.

E. Gratcheva : Bonjour ! Vous regardez l’émission « l’ Église et le monde », nous nous entretenons avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Bonjour, Monseigneur.

Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Chers frères et soeurs, bonjour.

E. Gratcheva : Plusieurs entreprises sont déjà prêtes à faire l’expérience de la semaine de quatre jours. Le ministère du Travail a soutenu cette initiative. Qu’en pensez-vous ?

Le métropolite Hilarion : N’oublions pas qu’il y a déjà beaucoup de jours fériés dans l’année. Chacun a droit à un mois de congé, plus presque dix jours au mois de janvier, un jour férié en février en l’honneur des hommes et un en mars en l’honneur des femmes ; en mai, nous sommes à nouveau en congé pour le 1er mai, puis autour du 9 mai, ce qui, en tout donne à peu près un mois de jours fériés. Je ne connais pas d’autre pays où il y en ait tant. Au Japon, par exemple, les gens n’ont, dans le meilleur des cas, qu’une semaine, maximum dix jours de vacances par an.

Je me pose donc plus de questions que je ne reçois de réponses. Il faudra réfléchir sérieusement à la mise en place d’une pareille mesure, afin qu’elle ait le soutien de la population et des différentes couches de la société, notamment de la jeunesse. Par ailleurs, il peut se trouver qu’on donne plein de travail aux gens, mais en le leur faisant faire à distance, à la maison. Imaginons aussi qu’un homme travaille quatre jours par semaine, tandis que sa femme suit la semaine de cinq jours et que ses enfants sont à l’école : à quoi va-t-il s’occuper pendant ce jour de repos supplémentaire s’il lui est imposé ?

Je ne dis pas que cette initiative soit mauvaise en soi, dans l’idéal elle est peut-être même bonne, mais on doit avoir répondu à toutes les questions que se posent les gens avant de l’introduire.

E. Gratcheva : Suivant les données de l’Organisme mondial de la santé, la Russie occupe la troisième place par le nombre de suicides. Pourquoi ? Que peut faire l’Église pour améliorer la situation ?

Le métropolite Hilarion : D’un point de vue général, l’Église aide les gens à donner un sens à leur vie. Parce que la cause principale du suicide est que l’homme ne voit pas de sens à sa vie, continuer à vivre ne l’intéresse pas. Or, l’Église donne un sens à l’existence.

Certes, tout le monde n’est pas prêt à accepter ce que l’Église propose. L’Église n’a rien à imposer. Dans l’Église, le suicide n’est pas seulement un péché, un interdit. Elle fait tout pour motiver les gens, pour que vivre leur semble intéressant. Je pense que beaucoup de pratiquants peuvent se dire heureux, bien que leur vie ne se distingue sans doute guère de l’existence de ceux qui ne viennent pas à l’Église, voire est parfois bien plus difficile.

Vivre en Église donne un axe intérieur, autour duquel tout le reste s’installe. Vivre en Dieu, prier, participer aux sacrements, tout cela aide à surmonter les difficultés de la vie, la dépression, les doutes. Il n’y a donc pratiquement pas de suicides chez les gens vraiment pratiquants.

E. Gratcheva : Pour la première fois depuis des années, le taux de mortalité a été plus important que le taux de natalité. Pour lutter contre le problème démographique, le premier ministre, Dimitri Medvediev, a proposer d’organiser des consultations psychologiques pour prévenir les avortements. Que pensez-vous de cette idée ?

Le métropolite Hilarion : Ces dernières années, grâce aux efforts commun de l’Église, des médias et de l’opinion publique, nous sommes parvenus à faire diminuer considérablement le nombre d’avortements. Néanmoins, il reste catastrophiquement élevé, représentant plus d’un demi-million de vies en moins par an. Pour répondre à ce défi, il faut créer des conditions de vie décentes pour les mères, les enfants, les familles en général. En ce sens, n’importe quelle initiative dont l’objet serait d’aider les jeunes familles, est justifiée et d’une extrême actualité.

E. Gratcheva : C’est en Tchétchénie qu’on enregistre le plus faible pourcentage de divorces en Russie. R. Kadyrov a proposé de partager l’expérience de la République de Tchétchénie, en tête des régions où il y a le moins de divorces. A votre avis, monseigneur, pourquoi le pourcentage de divorces est-il beaucoup plus élevé dans les familles orthodoxes que chez les musulmans ? Y a-t-il un rapport avec le stéréotype selon lequel un musulman peut avoir plusieurs femmes ?

Le métropolite Hilarion : En effet, ce sont dans les régions où la population musulmane est dominante que le divorce est le moins répandu. Il est évident que l’islam influe sur la vie de famille de telle façon que le nombre de divorces y est minimal. Cette statistique est à mettre en lien avec l’éthique familiale dont l’islam fait la promotion à tous les niveaux, depuis le clergé jusqu’aux membres des familles.

Les régions musulmanes ont conservé jusqu’à nos jours un mode de vie proche de ce qui existait dans toute la Russie avant la révolution. Après la révolution, qui a proclamé l’idéologie communiste et la liberté, notamment la liberté par rapport à de nombreux principes moraux, la situation a, naturellement, changé.

Certes, l’idéologie libérale dominante actuelle ne permet ni la diminution du nombre d’avortements, ni la diminution du nombre de divorces, ni la formation de familles solides, prospères, avec beaucoup d’enfants. L’Église rappelle aux hommes qu’ils sont appelés à vivre une vie de famille, que la femme est appelée à la maternité. L’Église n’a aucun moyen de contrainte. Dans les familles musulmanes, on recourt à la contrainte. C’est en cela qu’est la différence entre l’islam et le christianisme : le christianisme suppose un choix volontaire dans tous les cas, la possibilité d’observer librement certaines normes morales, tandis que l’islam, dans bien des cas, ne prévoit pas cette possibilité.

E. Gratcheva : Dans notre précédente émission, nous avions parlé du mariage d’un couple de vedettes, à Moscou, qui a causé du scandale. Nous avions parlé, notamment, de la responsabilité des prêtres qui marient ce genre de couples. Quelles responsabilités prennent les époux mariés chrétiennement envers l’Église et envers eux-mêmes ?

Le métropolite Hilarion : Mes années d’expérience et l’expérience de nombreux prêtres montrent que le mariage religieux n’est pas, en soi, une panacée, qu’il ne garantit pas contre l’adultère, ni contre les autres problèmes qui peuvent survenir dans une famille. La vie de famille est toujours un effort, et rester fidèles toute une vie exige de grands efforts spirituels et moraux de la part des membres de la famille. Je dirai même qu’il en va ainsi indépendamment de ce que le mariage a été béni ou non.

Mais le mariage à l’église implique une responsabilité des époux, parce qu’ils ont promis devant Dieu d’être fidèles l’un à l’autre. Cela s’apparente aux vœux monastiques qu’on ne peut enfreindre.

Malheureusement, dans la pratique, il n’en va pas toujours ainsi, et il y énormément de divorces, notamment chez les orthodoxes. Souvent, en effet, les jeunes gens se marient sans réfléchir, sans avoir bien pesé le « pour » et le « contre », sans avoir appris suffisamment à se connaître. Ces mariages-là se terminent souvent par un divorce, qu’ils aient été bénis ou non. Ensuite, les mêmes jeunes gens, ayant un peu mûri, se marient une seconde fois, essayant de ne pas refaire les mêmes erreurs, et ce second mariage est suffisamment solide. C’est une situation assez répandue.

E. Gratcheva : L’adultère est-il plus grave lorsque le mariage a été béni à l’église ?

Le métropolite Hilarion : Cela revient à demander si un assassinat est plus grave lorsqu’il a été commis par un baptisé que par un non-baptisé. L’adultère est toujours une faute grave. Il est puni de la même façon, et les conséquences de ce péché sont les mêmes pour tous les couples.

Le sacrement du mariage implique pour chacun des époux une responsabilité particulière, non seulement envers son époux, mais envers l’Église. Par ailleurs, lorsque nous marions, nous rappelons toujours aux époux qu’ils sont appelés à donner la vie à autant d’enfants que Dieu leur enverra. C’est une exigence assez sérieuse, que beaucoup ne prennent pas au sérieux, mais que nous, serviteurs du culte, estimons de notre devoir de la rappeler et de l’exiger de nos fidèles.

E. Gratcheva : La fondation « Notchlejka » (Nuitée) n’a pas réussi à s’entendre avec les habitants du quartier Begovaïa sur la création d’un centre pour les sans-abris. Pendant les négociations, il a été proposé de créer des centres d’aide aux sans-abris non pas en ville, mais à l’extérieur du périphérique. La situation est paradoxale : d’un côté les dons en faveur de nombreuses associations d’aide aux pauvres, aux sans-abris augmentent, d’un autre côté, les gens ne veulent pas les voir dans leur quartier, à côté de chez eux. Selon vous, leurs craintes sont-elles fondées ? Où est la place des sans-abris ?

Le métropolite Hilarion : Je ne crois pas qu’il faille introduire un seuil de résidence pour les sans-abris. En même temps, on peut comprendre les sentiments des gens qui craignent pour la sécurité de leurs enfants. On sait que dans toutes les villes il y a des quartiers plus ou moins favorisés ou défavorisés. Il y a des quartiers où les parents peuvent tranquillement laisser leurs enfants aller à l’école, sans avoir peur qu’ils ne reviennent pas. Et il y a des endroits où les parents vivent constamment dans la peur. Je pense que c’est précisément ce dont les gens ont peur, et il faut trouver des solutions qui satisferaient tout le monde.

E. Gratcheva : Tenant compte du fait que Moscou et sa région sont très densément peuplés, cela veut dire qu’il vaudrait mieux ouvrir ces centres dans des régions moins peuplées ?

Le métropolite Hilarion : Moscou n’est pas peuplé à 100%. Mais je ne suis pas expert en urbanisme, ni en construction d’établissements de ce type dans la région. Je dis simplement qu’on peut comprendre aussi bien les arguments de ceux qui appelent à la charité, que de ceux qui craignent pour leurs enfants.

E. Gratcheva : Le gouvernement russe a publié un règlement obligeant à prendre des mesures pour protéger les organisations religieuses des actes terroristes. Elles doivent maintenant employer des surveillants professionnels venant d’entreprise privées, pour assurer la sécurité des bâtiments cultuels. Pour l’Église, est-il important que ces gens soient croyants, leur religion a-t-elle une importance ?

Le métropolite Hilarion : L’important, c’est avant tout le professionnalisme des gardiens. Ce doit être des professionnels, capables de réagir en cas de situation d’urgence. Je dois dire que les instances du gouvernement ont consulté les organisations religieuses sur les mesures de sécurité à prendre quant à la protection des bâtiments et des terrains leur appartenant. Dans l’ensemble, ces obligations ont été approuvées par les confessions religieuses traditionnelles de Russie.

Suivant les normes désormais en vigueur, les bâtiments à fonction religieuse sont divisés en trois catégorie, en fonction du nombre potentiel de personnes susceptibles de se rassembler pour l’office. Les règles les plus strictes s’appliquent aux bâtiments de première catégorie, c’est-à-dire les églises, les mosquées et les autres bâtiments cultuels où peuvent se rassembler plus de mille personnes.

L’introduction de ces règles est très importante, et il faut espérer que les confessions religieuses auront assez de moyens pour s’y confirmer.

E. Gratcheva : Le Département d’état des États-Unis a déclaré que deux représentants des forces de l’ordre de la ville russe de Sourgout étaient impliquées dans des actes de torture contre des membres des « Témoins de Jéhovah », une secte désormais interdite en Russie. Les membres de leurs familles ont été sanctionnés : toute demande de visa américain de leur part sera refusée. Comment se fait-il que le Département d’état sache se qui se passe à Sourgout et pourquoi les Américains défendent-ils si âprement les Témoins de Jéhovah, même hors des États-Unis ?

Le métropolite Hilarion : On m’a souvent demandé ce qu’il advenait des « Témoins de Jéhovah » en Russie. Lorsque je suis allé au Conseil œcuménique des églises, on m’a posé la question. Il y a eu une personne, un citoyen du Danemark, qui a été condamné, et on m’a demandé de savoir ce qui s’était passé. Nous avons cherché à éclaircir les circonstances dans lesquelles cela s’est produit, avons envoyé un clerc qui s’est entretenu avec cet homme. Je pense qu’il faut enquêter sur des cas concrets.

Les « Témoins de Jéhovah » qui sont en prison n’ont pas été incarcérés à cause de leurs convictions, ni à cause de leur doctrine. Il s’agit toujours d’extrémisme. Si leur activité tombe sous le coup de la loi sur l’extrémisme, ils se retrouvent derrière les barreaux.

E. Gratcheva : Le Département d’état des États-Unis n’a donc rien d’autre à faire que de s’occuper des « Témoins de Jéhovah » de Sourgout ?

Le métropolite Hilarion : Depuis des années, les États-Unis d’Amérique font le monitoring de la situation religieuse dans différents pays et publient un rapport annuel. L’Église orthodoxe russe étudie ce rapport annuel et envoie ses remarques au Département d’état des États-Unis. Ces rapports sont parfois très tendancieux, bien que ces dernières années ils soient devenus plus objectifs, notamment, je ne l’exclue pas, grâce aux remarques que nous leur envoyons.

Néamoins, les Américains ont leur propre approche de la question religieuse. Ils estiment, par exemple, qu’il ne doit y avoir de confessions traditionnelles propres à un pays, que toutes les traditions religieuses, y compris les sectes, doivent disposer des mêmes droits. Notre histoire est différente, notre approche est différente et, sur certains critères, nous ne correspondons pas à l’approche américaine. Par contre, il est certain que s’il est prouvé qu’il y a eu torture, cela ne peut en aucun cas être approuvé, quelle que soit la religion de la victime, orthodoxe, musulman, juif, baptiste ou membre d’une quelconque secte.

Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions posées par les téléspectateurs sur le site du programme « l’Église et le monde ».

Question : Je suis enfoncé dans le péché, j’ai besoin d’aide spirituelle. L’onanisme et le visionage de vidéos pornographiques sont les principaux péchés qui m’empêchent de mener une vie chrétienne normale. Dans ma petite ville de province, il y a une église orthodoxe, mais je suis fâché avec le prêtre et je n’y vais plus. Depuis que j’ai arrêté d’aller à l’église, je suis encore plus plongé dans le péché. S’il vous plaît, dites-moi ce que je peux faire pour sortir de cette situation.

Le métropolite Hilarion : A mon avis, il faut commencer par vous réconcilier avec le prêtre. Allez le voir, demandez-lui pardon, demandez-lui de vous aider dans votre cheminement. Les péchés que vous avez cités viennent souvent de l’absence d’une vie familiale satisfaisante. Pour vous en débarasser, le mieux serait de fonder une famille solide, et de diriger toute votre énergie sexuelle sur votre épouse. Je vous le souhaite bien sincèrement.

Question : Comment comprendre ces paroles de l’Évangile : « Parmi ceux qui sont nés de femmes, il n’en a point paru de plus grand que Jean-Baptiste. Cependant, le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui » (Mt 11,11) ?

Le métropolite Hilarion : Il y a différentes interprétations de ces paroles. Certains pensent que le Christ voulait dire que tout homme qui atteint le Royaume des Cieux est plus grand que le plus grand saint sur la terre. Saint Jean Chrysostome affirme que Jésus Christ parlait de lui-même: parmi ceux qui sont nés de femmes, il n’y a pas eu de prophète plus grand que Jean Baptiste, mais le plus petit, c’est-à-dire Jésus Christ (qui, à ce moment, était plus petit, parce que Jean le Précurseur était son aîné), est plus grand dans le Royaume des Cieux. Jésus Christ parle de Lui-même.