Le 18 juillet 2019, fête de saint Serge de Radonège, thaumaturge de toute la Russie, le métropolite Hilarion, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a célébré la Divine liturgie à l’église de la Descente du Saint-Esprit, à la Laure de la Trinité-Saint-Serge. L’archipasteur concélébrait avec l’archevêque Théophane de Corée, l’évêque Alexis de Galitch et de Makariev, et les frères de la communauté monastique.

Après la litanie instante, le métropolite Hilarion a prononcé une prière pour la paix en Ukraine. Dans son homélie, prononcée à la fin de l’office, le métropolite a dit:

«Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Je vous souhaite à tous, chers frères et sœurs, une bonne fête de notre père Serge, higoumène de Radonège, thaumaturge de toute la Russie.

Le jour de sa fête et notre rassemblement dans les murs de son monastère, la Trinité-Saint-Serge, nous permettent de réfléchir aujourd’hui au sens de la vie monastique. Saint Jean Climaque disait : « La lumière pour les moines, ce sont les anges ; la lumière pour les laïcs, c’est la vie monastique ». Cette phrase de saint Jean énonce l’essence même de la vie monastique. Ce n’est pas pour rien que la vie monastique est appelée aussi vie angélique. Le moine est un homme qui se donne volontairement au service de Dieu et de l’Église, il se consacre au Seigneur pour que personne ne le distraie du service de Dieu ; pour qu’aucun souci terrestre ne devienne un fardeau le distrayant de la glorification angélique, qui est au centre du ministère des anges.

Nous savons très peu de choses sur les anges. L’Écriture Sainte enseigne qu’ils se tiennent devant Dieu qu’ils glorifient constamment, servant le Seigneur. Nous savons que les anges sont des médiateurs entre Dieu et les hommes. Le Seigneur envoie des anges aux hommes, pour qu’ils leur portent la bonne nouvelle, pour qu’ils gardent les hommes sur leurs chemins de vie. Chaque homme, nous le croyons, reçoit un ange gardien après le baptême, chargé de le garder sur toutes ses voies. Mais nous ne savons rien de plus sur les anges.

Nous savons qu’une partie des anges se sont séparés de Dieu et transformés en démons. Nous avons aussi que d’autres, beaucoup plus nombreux, ont tenu bon. Ces anges-là ne peuvent plus se séparer de Dieu, en aucun cas. Nous savons que l’esprit angélique est tout entier tourné vers Dieu et vers l’existence divine.
Au début du mouvement monastique, ceux qui devinrent moines voyaient dans leur mode de vie un moyen de ressembler aux anges. Les anges ne se marient pas, ils ne sont pas chargés des soucis du monde, leur attention se s’éparpille pas entre de multiples affaires terrestres. Ils se concentrent pour accomplir la volonté de Dieu et voient en cela leur principal ministère et leur principale vocation. Quand quelqu’un devient moine, il renonce avant tout à sa volonté propre, ou, plus exactement, il la remet entièrement entre les mains de Dieu. Sa volonté humaine demeure en lui, et ses désirs humains, ses passions entrent parfois en contradiction avec la volonté de Dieu. Cependant, le moine s’efforce toute sa vie de soumettre sa volonté à celle de Dieu. Afin d’accorder son monde intérieur au monde spirituel qui vient d’en-haut, qui vient de Dieu.

Le Seigneur Jésus Christ est l’exemple le plus éminent pour tout moine. Il n’était pas un ange. Il était Homme, homme comme nous, sans avoir part au péché. Sa volonté humaine, Il la soumit entièrement à la volonté divine. Entre Sa volonté humaine et la volonté divine, disent les Pères, il n’y avait aucun conflit, aucune possibilité de conflit. La volonté de Jésus Christ homme était toujours en harmonie avec sa volonté divine. Les moines sont des hommes qui apprennent à soumettre leur volonté à celle de Dieu.

Comment connaître la volonté divine ? C’est la question que se posent très souvent non seulement les moines, mais aussi les laïcs. Plusieurs moyens permettent de connaître la volonté divine. D’abord l’Écriture Sainte, parce que dans l’Écriture Sainte, notamment dans l’Évangile, Dieu s’adresse à nous. La voix du Dieu incarné résonne dans l’Évangile. Nous lisons l’Écriture Sainte et les coryphées des apôtres, Pierre et Paul, afin de connaître, grâce à leurs épîtres et à celles de Jean et des autres apôtres, en quoi consiste la volonté divine.

En dehors de ce qu’on peut lire, dans les livres sacrés ou non, on peut aussi discerner la volonté de Dieu dans les évènements de notre vie. Lorsque le Seigneur nous montre clairement en quoi consiste Sa volonté. Nous cherchons parfois à manifester notre propre volonté, à agir selon elle, mais le Seigneur nous montre que Sa volonté est ailleurs. Alors nous avons le choix : agir suivant la volonté de Dieu, ou selon la nôtre. En dehors de l’Écriture Sainte, on peut aussi s’adresser aux œuvres des pères pour qu’ils nous disent ce qu’est la volonté de Dieu.

Néanmoins, il faut d’abord écouter notre voix intérieure, la conscience. Si la conscience suggère d’éviter certaine conduite, mieux vaut effectivement l’éviter, parce que Dieu parle par la voix de la conscience. Ainsi donc, les moines sont des hommes qui sont appelés à accomplir la volonté de Dieu durant toute leur vie, ils sont appelés à ne jamais se soumettre à la volonté humaine peccamineuse. Par un mode de vie ascétique, par l’ascèse, en ayant sans cesse Dieu à la mémoire, en ayant le souvenir de la mort à l’esprit, ils épuisent leur homme corporel et font naître à la vie l’homme spirituel.

L’esprit du moine doit être tout entier tourné vers Dieu. Cela veut dire que le moine doit progresser dans la prière. Il ne doit pas prier une ou deux fois par jour, mais toute la journée et toute la nuit. Qu’il dorme ou qu’il mange, qu’il s’entretienne avec d’autres gens, son esprit ne doit pas se laisser distraire de Dieu. Son esprit doit toujours demeurer en Dieu, et cette prière intérieure ne doit jamais cesser.

Les moines ont jadis inventé un moyen sûr d’unir leur esprit à Dieu : c’est la prière de Jésus. La répétition de la prière de Jésus donne une certaine force intérieure, parce que par cette prière le Seigneur Lui-même est présent dans le cœur de l’homme et, invisiblement mais sensiblement, il transforme son esprit et sa vie toute entière. Pour ne pas se laisser distraire par des pensées extérieures, par des pensées mauvaises, par l’idée de la fornication ou toute autre, les moines ont inventé un art qu’ils ont appelé la sobriété et qui consiste à couper court à toute pensée peccamineuse.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire, enseignent les Pères, comme saint Jean Climaque et tant d’autres, que les pensées peccamineuses ne s’installent pas d’emblée en l’homme. Toute pensée vient de l’extérieur, du diable ou d’ailleurs et, avant de s’enraciner, elle passe par plusieurs stades. A l’un de ces stades, l’homme accueille la pensée, il l’accepte et il lui devient alors difficile de lutter contre elle. Mais si cette pensée ne fait qu’apparaître à l’horizon de l’esprit, il est possible de la rejeter, de ne pas la laisser prendre racine dans le cœur.

Les moines ont assimilé cet art avec une virtuosité sans pareille. Ils savaient quelle pensée venait de Dieu, quelle pensée venait du malin ; ils accueillaient certaines pensées et en rejetaient d’autres. Par la lutte contre les mauvaises pensées, ils vainquaient les passions peccamineuses car, comme disent les pères, aucune passion ne s’installe sans pensée mauvaise : la pensée vient d’abord, puis, s’enracinant peu à peu dans le cœur de l’homme, elle amène à la passion, et la passion conduit au péché.

La vie monastique n’est pas destinée à tous. Les moines sont ces rares personnes résolues à suivre jusqu’au bout la voie tracée par le Seigneur Jésus Christ. De cette voie, le Seigneur a dit que tout le monde ne pouvait la comprendre (Mt 19,12). De fait, tout homme n’est pas capable de suivre la voie monastique, et tout homme n’est pas appelé à la vie monastique. Si l’on ne sent pas en soit l’appel à cette vie, mieux vaut ne pas s’y forcer. La vocation monastique est une voix de Dieu retentissant au cœur de l’homme et, généralement, dès sa jeunesse, l’homme comprend qu’il est choisi par Dieu pour la vie monastique.

Au tropaire de saint Serge, on chante : « Tu as aimé le Christ dès ta jeunesse, bienheureux ». Nous voyons dans nos enfants, dans les enfants qu’on amène à l’église, qu’il faut en amener certains presque de force : ils n’aiment pas l’église, ils s’y ennuient, ils sont pressés de sortir, ils étouffent ; d’autres, au contraire, dès leur plus jeune âge, sont attirés par l’église, ils s’y plaisent, l’office les attire, ils s’intéressent à l’Écriture Sainte et aux objets saints, tout les attire. Ce sont des enfants que le Seigneur Lui-même appelle, pas forcément au monachisme, même si certains choisiront peut-être cette voie par la suite. A une étape de sa vie, l’homme doit reconnaître la voix de Dieu, l’entendre, écouter ce à quoi Dieu l’appelle et, si le Seigneur l’appelle au monachisme, il lui faut répondre humblement et avec reconnaissance et crainte de Dieu à cet appel divin.

Il ne faut surtout pas devenir moine pour d’autres raisons. Parce qu’on a manqué son mariage, par exemple, ou parce qu’on n’a pas trouvé de compagnon de vie, ou pour quelque autre raison secondaire. Seule une vocation inébranlable, lorsqu’on est sûr d’être fait pour cette vie, qu’on veut vivre ce mode de vie, peut être une raison de devenir moine.

Notre saint père Serge a manifesté dans toute sa vie l’idéal de la vie monastique. En contemplant son cheminement, nous le prions et vénérons ses saintes reliques, accourons pour le prier aux jours de sa fête. Nous venons en ce saint monastère pour toucher à cet esprit dont il vécut et qui inspira des dizaines, des centaines, des milliers de moines au cours des siècles. Cette inspiration qu’il insuffla au monachisme russe, qui vit en ce saint monastère, n’a pas tari, elle demeurera jusqu’à la fin des âges. Nous croyons que la vie monastique ne s’épuisera jamais, qu’à chaque génération le Seigneur suscitera des vocations pour rejoindre la cohorte de cette armée de guerriers du Chrsit, afin que la vie monastique se meurt pas, mais ne cesse de se développer.

Souvenons-nous de la période, encore récente, des persécutions contre l’Église, au XXe siècle, lorsque les autorités n’autorisaient pas à bâtir des monastères, ni même aux monastères existants à accueillir de nouveaux moines. Il y avait 20 monastères dans toute l’Église orthodoxe russe. Aujourd’hui, ils sont presque 1000.
D’où viennent les gens qui emplissent aujourd’hui les monastères ? Ce sont, principalement, des jeunes gens, hommes et femmes, venus se consacrer à la vie monastique. Il ne peut y avoir qu’une seule réponse : Dieu les a appelés, afin qu’ils avancent sur cette voie étroite que peu sont capables de comprendre. Nous croyons que la vie monastique continuera à se développer dans l’Église, et que dans les murs de cette sainte Laure, la vie monastique ne s’appauvrira jamais par les prières de notre saint père Serge et de tous les saints moines. Amen».

Après la liturgie, le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie et les archipasteurs célébrant le même jour, à sa bénédiction, des offices pontificaux dans les églises du monastère, ont marché en procession derrière une icône de saint Serge vers la place de la Laure, où le primat de l’Église orthodoxe russe a célébré un office d’intercession.

Depuis le balcon des appartements patriarcaux, Sa Sainteté a conféré à l’assistance sa bénédiction primatiale.