Le patriarche Cyrille a rencontré le haut commissaire du Conseil de l’Europe aux droits de l’homme
Le 27 mai 2019, Sa Sainteté le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a été reçue par Mme Dunja Mijatović, haut commissaire du Conseil de l’Europe aux droits de l’homme.
Prenaient part à la rencontre: le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, l’archimandrite Philarète (Boulekov), vice-président du DREE, l’archimandrite Philippe (Riabykh), représentant du Patriarcat de Moscou au Conseil de l’Europe, le représentant permanent de la Fédération de Russie au Conseil de l’Europe, I. Soltanovski, des représentants du Commissariat.
Le patriarche Cyrille a d’abord constaté l’importance du rôle du Conseil de l’Europe, une organisation dont l’objectif principal est la défense des droits de l’homme.
« Le Conseil de l’Europe a de grandes ressources, ses spécialistes sont capables d’aider les gens à résoudre des problèmes concrets comme la violation de leurs droits. Vous savez sûrement mieux que moi qu’il y a différents niveaux d’atteintes aux droits : lorsque, par exemple, les droits de groupes entiers de personnes ne sont pas respectés, pour des raisons de nationalités, d’ethnie, de religion ou de culture, ou lorsqu’on porte atteinte aux droits d’une personne en particulier. Il existe différentes structures nationales qui doivent défendre les droits de l’homme, et j’espère qu’elles sont suffisamment efficaces ; et il existe, et c’est très important, une institution supranationale, le Conseil de l’Europe, spécialement chargé de cette problématique. »
Depuis des années, l’Église orthodoxe russe, a rappelé Sa Sainteté, accorde une grande importance aux droits de l’homme. Dans les années 1990, le patriarche Cyrille, alors métropolite de Smolensk et de Kaliningrad, avait écrit deux articles dans lesquels il exposait sa vision des droits de l’homme. Les idées qu’il défendait ont servi à la rédaction du document « Fondements de la doctrine de l’Église orthodoxe russe sur la dignité, la liberté et les droits de l’homme ».
Au cours de l’entretien, le primat de l’Église russe s’est dit profondément inquiet des discriminations dont sont victimes les fidèles de l’Église orthodoxe ukrainienne, résultats de l’intervention des précédents dirigeants de l’état dans les affaires de l’Église. « Tout récemment, comme vous le savez, des évènements importants ont eu lieu : un nouveau président a été élu en Ukraine, et nous espérons que la politique de l’état dans le domaine des droits de l’homme changera, car les autorités précédents s’étaient ouvertement engagées sur la voie de la discrimination religieuse » a dit le patriarche Cyrille.
Le primat de l’Église orthodoxe russe a attiré l’attention de Dunja Mijatović sur le fait que l’ancien président Petro Porochenko avait fait voter deux lois qui portent atteinte aux droits de l’Église orthodoxe ukrainienne.
Ainsi, en décembre 2018, le chef de l’état a signé une loi permettant d’exiger que l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou change de dénomination. Parlant de cet acte législatif, Sa Sainteté a rappelé le principe fondamental des rapports entre un état laïc et les organisations religieuses, qui suppose la non-intervention des autorités civiles dans les affaires des religions. L’état doit, notamment, laisser aux groupes religieux l’initiative de leur propre dénomination.
« En Ukraine, on a adopté une loi qui interdit à l’Église orthodoxe ukrainienne de s’appeler ukrainienne, a poursuivi Sa Sainteté. Bien que cette Église soit entièrement composée de citoyens ukrainiens, on cherche à la présenter comme une Église de la Fédération de Russie, alors que sa direction est basée en Ukraine et qu’elle est entièrement autonome de l’Église en Russie.
Le patriarche Cyrille a aussi mentionné la loi adoptée par la Rada suprême d’Ukraine en novembre dernier. Il s’agit de modifier la procédure de changement de juridiction des communautés religieuses, ce qui pourrait, à terme, priver l’Église orthodoxe ukrainienne canonique de ses églises.
Parlant des nouvelles règles dictées par cette loi, le patriarche a remarqué : « N’importe quel habitant d’une localité, orthodoxe ou non, (bien plus, il peut même ne pas résider dans cette localité) a le droit de venir à l’assemblée de la communauté et d’exiger le transfert de la paroisse orthodoxe à une autre juridiction. » Des situations semblables ont conduit à des protestations de la part des paroissiens, se dressant contre le transfert de leurs églises à une autre juridiction. Les protestataires ont souvent fait l’objet de violences physiques, a raconté le patriarche.
En même temps, le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a attiré l’attention de son interlocutrice sur le fait que lorsque les croyants se sont adressés à la justice pour défendre leurs droits, dans la majorité absolue des cas le tribunal a été du côté des victimes. Sa Sainteté a souligné : « Malgré une pression politique très forte, les juges ont rempli honnêtement leurs fonctions. Tous les actes de violation grossière des droits religieux émanent des autorités législatives et exécutives, mais sont rejetés du peuple. Les résultats des élections présidentielles ont montré que le peuple n’a pas soutenu la politique suivie par le pouvoir précédent. »
Le primat de l’Église orthodoxe russe a mentionné qu’il remettrait au haut commissaire du Conseil de l’Europe aux droits de l’homme des documents sur les violations des droits des fidèles en Ukraine.
« J’aimerais que le Conseil de l’Europe contrôle le respect des droits de l’homme au choix religieux » a dit le patriarche.
Dunja Mijatović, haut commissaire du Conseil de l’Europe aux droits de l’homme, a remercié le patriarche Cyrille de sa visite et de cet entretien. Elle a précisé qu’elle était informé de ce qui se passait en Ukraine et qu’elle prévoyait de visiter ce pays prochainement pour étudier la situation sur le terrain. « J’ai aussi l’intention de venir en Russie pour établir des contacts et pour mettre en route un processus de coopération efficace » a-t-elle déclaré.
« Lorsqu’il s’agit des droits de l’homme, de violences à l’égard des croyants, cela relève de mon mandat. Je vais m’en occuper très attentivement » a déclaré Mme Mijatović.
Durant la suite de l’entretien, le haut commissaire du Conseil de l’Europe aux droits de l’homme a mentionné plusieurs sujets sur lesquels elle souhaiterait collaborer avec l’Église orthodoxse russe. Parmi eux, la protection des droits de la femme, la lutte contre la violence domestique, le soutien aux personnes à mobilité réduite, le développement de la société civile.
« Si nous avons un but commun, qui est le bien-être des hommes sur la planète, nous avançons dans la bonne direction. En tant que commissaire aux droits de l’homme, je serai attentive à votre opinion. J’espère que nous pourrons nous rencontrer de nouveau, lorsque je viendrai en Fédération de Russie » a dit D. Mijatović.
« Aujourd’hui, l’Église russe développe intensivement son activité sociale, notamment dans les domaines que vous avez mentionnés, a répondu le patriarche Cyrille. Nous travaillons beaucoup auprès des sans-abri. Nos réalisations sont d’actualité dans de nombreuses villes, et nous partageons volontiers nos réussites. Citons, notamment, le « Bus du salut », pour aider les sans-abri en hiver. L’Église dirige des centres spécialisés où ils peuvent se réchauffer, se nourrir, se laver, s’habiller de propre, où nous tentons des expériences de socialisation, les aidons à trouver du travail. Je ne dis pas que tous s’en sortent, mais beaucoup tout de même. »
Sa Sainteté a souligné aussi que l’Église était très attentive au sort des enfants qui n’ont plus de parents. « Je me rends souvent dans des orphelinats. Nous travaillons à l’adoption des enfants, leurs cherchons des parents, a dit le primat. Beaucoup d’organisations laïques s’inspirent de notre travail, et la situation s’améliore. Je tiens à vous assurer que l’Église est à la pointe de ce processus, et nous ne quitterons notre place de leader que lorsque nous serons sûrs que des changements positifs suffisamment importants se sont produits. »
Évoquant le problème des conflits familiaux, dont des actes de violence envers l’un des membres de la famille peuvent être la conséquence tragique, le patriarche Cyrille a déclaré qu’on pouvait le résoudre en soutenant les relations familiales traditionnelles entre l’homme et la femme. « Il n’y a sûrement pas une seule famille dans laquelle il ne se soit jamais produit de situation conflictuelle. Le pourcentage élevé de divorces, dans notre pays, comme en Occident, est un témoignage de la fréquence de ces conflits, cependant, lorsqu’une personne lève la main sur l’autre, la bataille est perdue d’avance » a constaté le patriarche, déclarant qu’il fallait lutter pour préserver la famille tant que le conflit n’avait pas atteint ce stade. « Lorsque les conflits sont assortis de violence, la bataille, je le répète, est perdue…, c’est pourquoi l’Église lutte pour la prévention de ces conflits. »
Le primat de l’Église russe a aussi remarqué que l’Église s’efforçait d’aider les victimes des conflits familiaux, notamment en fournissant un logement ou une aide matérielle.
Au cours de cet entretien, le patriarche Cyrille a aussi parlé du travail de l’Église dans la prévention de l’avortement, pour faire baisser leur nombre : « L’Église est catégoriquement opposée à l’avortement. Nous travaillons avec les jeunes femmes, non seulement en nous adressant à elle à l’église, mais par l’intermédiaire de nos consultants, qui travaillent dans les établissements où l’on procède à des avortements. »
Comme l’a remarqué le primat de l’Église orthodoxe russe, les conflits à l’intérieur de la famille, le manque de moyens financiers, les mauvaises conditions de logement, la pression des parents et des autres membres de la famille sont les raisons les plus fréquentes de recours à l’avortement. « Nous disons aux femmes que nous prenons sur nous une partie de ses difficultés : elle peut vivre dans un de nos centres, se faire aider » a dit le patriarche, précisant que dans ces conditions beaucoup de femmes renonçaient à l’avortement. « En convaincant la femme de ne pas avorter, nous prenons la responsabilité de la décharger psychologiquement, de l’aider financièrement… Certes, l’Église ne fait pas autant qu’elle pourrait. Mais nous avons commencé, et dans beaucoup d’endroits les autorités de l’état tentent de faire la même chose. »
Parlant de ce qui manque pour que l’Église puisse prêter l’attention nécessaire à tous les nécessiteux, Sa Sainteté a dit : « Le temps fait défaut à tout le monde. Malheureusement, nous n’avons pas non plus toujours assez d’argent. Mais je remercie Dieu de ce que nous avons assez de personnes prêtes à aider. »
La suite de l’entretien a porté sur l’élargissement de la coopération et sur différents problèmes ayant trait aux droits de l’homme.
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