Discours de Sa Sainteté le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie après la Divine liturgie à l’église de Tous-les-Saints de Strasbourg
Le 26 mai 2019, 5e dimanche de Pâques, dimanche de la Samaritaine, Sa Sainteté le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a célébré la consécration majeure de la nouvelle église de Tous-les-saints, à Strasbourg. Dans l’église nouvellement consacrée, le primat de l’Église orthodoxe russe a présidé la célébration de la Divine liturgie, à la fin de laquelle il a prononcé une homélie.
Excellence, Monsieur le maire ! Excellence, Monseigneur l’Archevêque ! Messeigneurs, chers pères, frères et sœurs !
Un évènement historique pour les orthodoxes de Strasbourg a eu lieu aujourd’hui : nous avons consacré la première église orthodoxe, car, auparavant, comme cela a été justement souligné, notre communauté se rassemblait pour prier dans des locaux qui n’étaient pas adaptés à la célébration du service divin. C’est pourquoi, après cette consécration, nous avons surtout rendu grâce à Dieu, puis avons remercié ceux qui ont œuvré à la construction de l’église de Dieu, vous, notamment, Monsieur le Maire, les autorités de Strasbourg, Monseigneur l’archevêque, tous ceux qui, par leur bienveillance et par leur prière, ont soutenu cette sainte œuvre.
En ce cinquième dimanche de Pâques, l’Église nous propose la lecture de l’évangile de Jean sur la rencontre du Sauveur avec la Samaritaine, à côté du puits (Jn 4,5-42). Les Samaritains se différenciaient des Juifs, notamment parce qu’ils considéraient qu’il fallait adorer Dieu au mont Garizim, proche de leurs villages, tandis que les Juifs, comme on sait, adoraient Dieu à Jérusalem. Lorsque la Samaritaine, ayant conversé avec Jésus Christ, comprit qui était cet Homme, qu’Il n’était pas de ce monde, elle Lui posa la question qui l’inquiétait le plus, elle et sa tribu : où doit-on prier Dieu, à Jérusalem ou au mont Garizim ? La réponse du Seigneur fut inatendue : Il faut, dit-Il, prier en esprit et en vérité, ce qui veut dire qu’on peut prier en tout lieu.
Qu’est-ce que la prière en esprit ? De quel esprit s’agit-il ? De nos forces morales ? Nous savons qu’elles ne suffisent pas même aux choses les plus simples. L’homme aspire à s’assurer une vie confortable, à améliorer sa qualité de vie et les relations autour de lui ; il existe une énorme quantité de choses auxquelles nous dépensons nos forces morales. C’est pourquoi le Seigneur, répondant à la femme, ne parlait pas de ses forces morales, mais de la puissance de l’Esprit divin. L’homme ne peut s’adresser à Dieu et atteindre Sa gloire s’il s’appuie sur ses seules ressources.
Cependant, cette affirmation contrevient aux objectifs fondamentaux de la civilisation contemporaine, qui déclare que l’homme peut tout, qu’il est la force principale et qu’il n’en existe pas d’autres. Le Seigneur dit : oui, vous êtes forts, mais cette force ne peut m’atteindre sans Ma volonté, ni sans Ma participation. Dieu n’entend notre prière que lorsqu’elle est dans la puissance de l’Esprit, lorsque Son Esprit divin nous affermit.
Beaucoup de saints ont consacré leur vie à grandir dans l’Esprit, à s’affermir en Lui, et ils sont parvenus à des hauteurs vertigineuses. Souvent, il leur a fallu pour cela quitter le monde, s’en aller au désert où ils sont devenus de grands saints, d’une immense force intérieure.
Que devons-nous faire, nous, gens ordinaires ? Nous vivons au sein de cette civilisation contemporaine, nous sommes confrontés à une énorme quantité de problèmes quotidiens. Beaucoup de ceux qui sont aujourd’hui dans cette église l’auront déjà oublié cet après-midi, et se replongeront dans les problèmes qu’ils doivent résoudre. Alors, comment grandir en force ? Cela durerait-il jusqu’à la prochaine visite au supermarché, où nos objectifs deviennent immédaitement plus terre à terre, où l’homme oublie l’esprit ? C’est pourquoi, dans notre civilisation moderne, technologiquement développée, nous avons besoins de lieux où l’homme puisse sentir la proximité de Dieu. En Russie, nous l’avons très bien compris. Vous savez que sous le régime athée, la plupart des églises ont été détruites, et il semblait qu’il y aurait plus jamais de vie spirituelle en Russie. Aujourd’hui, je tiens à dire que nous ouvrons en moyenne trois églises par jour. Je ne me trompe pas, j’ai bien dit trois églises en 24 heures. Non pas que nous ayons beaucoup d’argent et ne sachions pas quoi en faire : le peuple, qui est passé par des années d’athéisme, a compris par l’intelligence et par le cœur qu’il n’arrive à rien sans Dieu.
Toutes les forces de la super-puissance qu’on appelait Union Soviétique étaient tendues pour construire une vie heureuse sans Dieu. Toutes les forces, la politique, la culture, la science, l’armée, travaillaient à ce but. Cela n’a pas marché ! En tant que peuple, nous en avons déduit qu’il est impossible de bâtir une société heureuse sans Dieu. C’est pourquoi nous construisons trois églises par jour et croyons qu’en Occident, où la situation est peut-être un peu différente, viendra un temps où les hommes prendront à nouveau conscience de la nécessité d’une vie spirituelle plus intense.
Nous avons beaucoup de respect pour l’œuvre du pape François, celle de l’épiscopat catholique, et nous observons attentivement ce qui se passe en Europe occidentale sur le plan spirituel. Nous sommes solidaires de vos travaux, et j’estime que nous devons ensemble redoubler d’efforts pour témoigner du Christ crucifié et ressuscité. J’espère que cette église, qui sera une maison de prière pour les orthodoxes, sera aussi un lieu de rencontre avec la communauté catholique, un espace de dialogue, si nécessaire aux chrétiens qui vivent dans une civilisation sécularisée.
Je tiens à vous remercier encore une fois, Monsieur le Maire, de votre bonté et de vos bonnes paroles, ainsi que vous, Monseigneur l’archevêque, et tous les habitants de Strasbourg pour leur le bon accueil qu’ils ont fait à la construction d’une église orthodoxe russe. Je tiens aussi à exprimer ma profonde reconnaissance à tous les orthodoxes qui ont œuvré à la construction de cette sainte église, en particulier au recteur, le père Philippe.
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