Le 29 mars 2019, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions de la présentatrice de télévision Ekaterina Gratcheva, dans l’émission hebdomadaire « l’Eglise et le monde » (Tserkov’ i mir).

E. Gratcheva : Bonjour ! Vous regardez l’émission « l’Eglise et le monde », nous nous entretenons avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Bonjour, Monseigneur.

Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Chers frères et sœurs, bonjour.

E. Gratcheva : Ces derniers temps, les fonctionnaires russes se font remarquer par des déclarations plus que discutables. Par exemple, un fonctionnaire de Tchouvachie a expliqué le bas salaire des gens qui reçoivent des allocations par « leur paresse ». Un député de la région de Volgodrad, G. Nabïev, s’est exprimé dans le même sens : « ce sont les bons à rien et les alcolos » qui reçoivent des retraites de 8000 roubles, « c’est de leur faute », a-t-il déclaré. Quels commentaires feriez-vous à ces déclarations de fonctionnaires, et ceux qui reçoivent des allocations doivent-ils tenter de se lancer dans le business ?

Le métropolite Hilarion : Je pense que le problème n’est pas seulement dans les déclarations de certains fonctionnaires. Elles ne font que lever le voile sur un problème beaucoup plus sérieux, à savoir le fossé qui existe aujourd’hui, et qui a sans doute toujours existé, entre le monde de la fonction publique et le monde réel, celui où vivent les gens.

Beaucoup de nos fonctionnaires se représentent mal comment peut-on vivre d’une retraite de 8000 roubles ou d’un salaire de 15000, les sommes que perçoivent la majorité des Russes. Je pense que les fonctionnaires devraient être plus près du peuple, et cette proximité devrait s’exprimer dans des salaires correspondant aux salaires moyens de « ceux qui reçoivent des allocations ». Ils commenceraient alors à apprendre comment vivent les gens et, peut-être, cela les ferait-il réfléchir au moyen d’augmenter les salaires.

E. Gratcheva : Monseigneur, le patriarche a récemment soulevé en public le problème du bizutage, ou du harcèlement en milieu scolaire russe. Pourquoi le patriarche s’est-il inquiété de ce sujet ?

Le métropolite Hilarion : Le patriarche s’exprime en public sur les sujets dont on parle. L’Église vit des intérêts, des soucis, des douleurs des gens : si quelque chose les inquiète, que ce soit à l’école ou dans le système d’enseignement supérieur, l’Église s’en inquiète aussi.

Dans les écoles, les élèves forment des groupes, ceux qui ne sont pas dans le groupe sont souvent victimes de brimades, et le harcèlement exercé sur l’enfant peut prendre des formes particulièrement cruelles. Il ne s’arrête pas toujours aux offenses verbales, aux humiliations, cela peut être des brimades physiques. Les élèves, jeunes gens et jeunes filles peuvent se montrer cruels, si l’on ne leur donne pas de sérieux repères moraux dès l’enfance.

Les faits dont a parlé le patriarche montrent que l’école ne remplit pas toujours sa fonction éducative. Traditionnellement, le rôle de l’école n’est pas seulement d’instruire, mais aussi d’éduquer. En ce qui concerne ses fonctions d’instruction, l’état fait beaucoup d’efforts, ne cesse d’organiser des réformes du système scolaire. Malheureusement, l’école ne remplit pas souvent sa fonction d’éducation. Dans bien des cas, non seulement des élèves en tourmentent d’autres derrière le dos des professeurs, mais aussi, comme le montre les statistiques, dans certains cas les enseignants sont eux-mêmes les initiateurs du harcèlement.

E. Gratcheva : Monseigneur, des huissiers de Moscou se sont mis à rechercher les débiteurs en utilisant les caméras de surveillance. Les photographies de plus d’un millier et demi de débiteurs ont déjà été enregistrées dans un centre, et on peut maintenant facilement les identifier. Cette initiative vous plaît-elle ?

Le métropolite Hilarion : Les caméras de surveillance sont là pour repérer les terroristes qui présentent un danger pour la vie de la population. Les utiliser pour retrouver des débiteurs ne me paraît pas bien. L’Église a souvent déclaré qu’il était inadmissible de créer des systèmes de contrôle total sur la vie de l’individu, notamment de surveiller ses déplacements. On peut surveiller les déplacements des criminels. Il y a des gens qui représentent un danger, on leur met un bracelet spécial, qui permet de les suivre. Mais les citoyens ordinaires, qui ne présentent pas de danger, doivent être protégés de semblable surveillance. Il y a d’autres moyens de leur faire payer leurs dettes.

E. Gratcheva : La télévision nationale a lancé un projet qui s’appelle « Réhabilitation de la life ». Les téléspectateurs peuvent suivre en direct le retour à la vie progressif des héros de l’émission. En quoi cette émission de télé-réalité diffère-t-elle, par exemple de « Dom-2 » ? A mon avis, le principe est le même.

Le métropolite Hilarion : Le principe est peut-être le même, mais la question est de savoir quels résultats veut-on obtenir par ce type d’émission de télé-réalité. Je m’exprimerai en partant de ma propre expérience pastorale : des groupes de travail avec les toxicomanes fonctionnent dans les églises où j’ai été prêtre, dans la paroisse dont je suis aujourd’hui le recteur. Or, j’ai pu observer en direct comment les gens changent de vie, s’améliorent. Je les ai vus au moment de leur arrivée, je vois ce qu’ils sont devenus un an, deux ans, trois ans après. J’aimerais que d’autres puissent le voir, notamment d’autres toxicomanes.

C’est pourquoi je pense que si cette émission est faite pour aider les gens à se libérer de la drogue, cela ne peut qu’être profitable. Il faut que ceux qui sont dépendants de la drogue voient des cas réels, voient ce qu’on peut devenir grâce aux traitements qui existent.

Je ne parle pas de traitements chimiques, ni, par exemple, de coudre une ampoule d’un produit quelconque dans le corps : il s’agit d’une révision progressive de son système de valeurs. La personne doit commencer par comprendre qu’elle n’arrivera pas toute seule à s’en sortir, qu’elle a besoin d’aide. Cette aide peut lui venir de Dieu ou d’autres personnes. C’est un premier pas, qui est suivi d’autres étapes conduisant progressivement et systématiquement à la guérison.

Le résultat n’est pas simplement la renonciation à la dépendance aux substances toxicologiques ou à l’alcool, mais une révision totale de sa vie et de son système de valeurs. Je connais des gens qui non seulement se sont débarassés de leur dépendance, mais ont pu reconstruire leur famille, trouver un bon travail, bref, commencer une nouvelle vie.

E. Gratcheva : Monseigneur, cette année, les deux films oscarisés ont des homosexuels pour héros. En ce qui concerne le film « Rhapsodie bohème », c’est assez clair, Freddie Mercury n’a jamais fait mystère de son orientation. Par contre, la biographie du héros de « Livre vert » (un musicien également) est beaucoup plus discutable. Des membres de sa famille, toujours vivants, nient de nombreux faits exposés dans le film, ils disent que le héros avait une famille et qu’ils n’avaient jamais soupçonnés qu’il eût connu des amours homosexuels. Ne trouvez-vous pas que la politique de l’industrie du cinéma d’aujourd’hui est telle que les metteurs en scène sont forcés d’en tenir compte, et de faire des films ou d’intégrer des épisodes qui éduquent chez le spectateur la tolérance envers les minorités sexuelles ?

Le métropolite Hilarion : Je n’ai regardé ni l’un, ni l’autre film. De façon générale, je n’ai ni la possibilité, ni le temps de suivre le développement du cinéma contemporain. Mais j’observe cette tendance à s’adapter aux idées à la mode, très nette dans le cinéma occidental. Avant tout pour que les films aient plus de succès et se vendent mieux. Par conséquent, la propagande des minorités sexuelles, qui se fait actuellement au niveau politique, car dans beaucoup de pays cela se passe au niveau de l’état, touche au domaine de l’art, à la sphère cinématographique. Je vois d’un œil négatif la propagande de ce mode de vie.

L’Église orthodoxe dit très clairement que chacun peut avoir ses problèmes, ses faiblesses, ses difficultés. Nous nous adressons à ces personnes avec la responsabilité pastorale qui s’impose. Nous ne pouvons pas dire qu’il n’y ait pas d’homosexuels dans l’Église orthodoxe, mais si l’un d’eux vient s’en confesser, le prêtre lui redira que ce mode de vie est indamissible. Si la personne décide de lutter contre ces tendances en elle, le prêtre le soutiendra.

Il y a beaucoup de façons d’apporter un soutien pastoral. Mais l’Église n’acceptera jamais d’approuver ce genre de vie, de dire qu’il est sain et normal, d’ admettre les perversions qui ont cours actuellement dans certains pays occidentaux, où l’on impose aux petits, dès leur plus tendre enfance, l’idée qu’il existe un sexe biologique et celui qu’ils se choisiront eux-mêmes quand ils grandiront et qui ne correspond pas forcément au sexe biologique. Cela concerne, notamment, les enfants éduqués par des couples homosexuels ou transgenres.

E. Gratcheva : Il y a eu, en Grande-Bretagne, le cas d’une femme, mère de deux enfants de 8 et 11 ans. L’aîné a changé de sexe (ou l’aînée, car dans cette famille on évite les mots « il », « elle », on ne parle que d’un « on » asexué).

Le métropolite Hilarion : J’estime que ces décisions, prises par les parents, doivent être regardées comme un crime et être poursuivies par la loi. Je regrette profondément qu’il y ait des pays qui l’autorisent. L’enfant doit, au moins, atteindre sa majorité avant de prendre la décision autonome de rester tel que l’a fait le Seigneur, ou de changer de sexe.

En soi, l’opération de changement de sexe est une profanation, un crime contre Dieu. Si quelqu’un qui a changé de sexe vient à l’Église et demande le baptême, il sera baptisé tel que l’avait créé Dieu. Si c’est un homme transformé en femme, il sera quand même baptisé en tant qu’homme. L’Église ne reconnaîtra jamais le changement de sexe comme un fait établi.

E. Gratcheva : Dans notre pays, la loi protège les mineurs de ces informations.

Le métropolite Hilarion : Tant mieux.

E. Gratcheva : Je prendrai un autre exemple. A bord des lignes aériennes argentines, parmi les films proposés aux voyageurs dans la catégorie « films familiaux », « comédies », figure une série américaine racontant l’histoire de trois familles, dont l’une se compose de deux hommes faisant office de « papa » et de « maman » d’une fillette de 5 ans. Alors que les scènes érotiques sont coupées dans presque tous les avions, quelle que soit la compagnie aérienne, ce genre de série est rangé dans la catégorie « films familiaux ». Comment protéger les enfants ? Les parents dorment, et les enfants allument et regardent un film comme celui-là.

Le métropolite Hilarion : Les parents doivent surveiller ce que regardent leurs enfants. J’estime la propagande de ce mode de vie dans les séries, les dessins animés ou au cinéma tout à fait inadmissible, surtout si la production cible les enfants. Nous ne pouvons les protéger de toutes les séductions et de toutes les tentations, mais il est inadmissible d’imposer l’idéologie des minorités sexuelles aux enfants par le biais des médias, des séries ou des dessins animés.

E. Gratcheva : La Haute école d’économie a exclu 450 étudiants qui n’étaient pas vaccinés contre les oreillons. L’Église orthodoxe russe a-t-elle pratiqué la vaccination en masse contre certaines maladies ? Que pensez-vous de la conduite de la direction de cet établissement ?

Le métropolite Hilarion : L’Église orthodoxe russe ne pratique pas la vaccination, mais il y a eu des séminaires et des conférences sur ce sujet, parce qu’il n’est pas indifférent. Comme on sait, il existe une certaine propagande anti-vaccination. Il y a des scientifiques qui tendent à prouver que la vaccination en soi est nuisible. En même temps, des données objectives témoignent que, dans bien des cas, la vaccination a permis d’empêcher des épidémies ou de diminuer considérablement le risque de contamination.

La direction de chaque établissement d’enseignement a le devoir de veiller à ce que rien ne vienne menacer la santé des étudiants. Or, la menace peut venir justement de ce que des étudiants ou des élèves refusent de se faire vacciner et, par là, risquent non seulement leur santé, mais aussi celles des autres.

Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions  posées par les téléspectateurs sur le site de l’émission « L’Église et le monde ».

Question : Quelle est la nature du mal ? Y a-t-il un mal devant lequel Dieu serait impuissant ? Le mal peut-il être au service du bien ?

Le métropolite Hilarion : Selon la doctrine chrétienne, Dieu n’est pas le créateur du mal. Le mal est entré dans la vie des hommes de par leur volonté propre. Examinant notre propre vie, on constate que personne d’entre nous n’est prédéterminé à faire le mal. Chaque foi que nous faisons quelque chose de mal, nous avons le choix : le faire ou non. Néanmoins, dans certains cas, nous choisissons tout de même le mal.

Les théologiens disent que le mal n’existe pas à proprement parler. Le mal, c’est l’absence de bien, de même que les ténèbres sont l’absence de lumière. Pourtant, suivant la doctrine chrétienne, le mal peut servir au bien, autrement dit Dieu peut utiliser le mal pour en tirer un bien, comme cela arrive souvent. Si le Seigneur ne nous aidait pas, nous serions les victimes de la mauvaise volonté de différentes personnes ou de circonstances défavorables. Mais Dieu nous aide. Il nous sauve, c’est pourquoi non seulement nous gardons la tête hors de l’eau, mais aussi, grâce à la prière et au contact avec Dieu, nous nous gardons du mal.

Question : En quoi le repentir de Pierre diffère-t-il du remords de Judas ?

Le métropolite Hilarion : La différence est radicale. Pierre, qui renia le Christ, pleura immédiatement son péché et ne chercha pas à fuir, ni à se fuir, ni à fuir les autres, mais il revint à la communauté. Lorsque le Christ ressuscita, Il pardonna à Pierre son péché. Jésus demanda à Pierre : « M’aimes-tu ? », à trois reprises. Et Pierre répondit trois fois : « Tu sais, Seigneur, que je t’aime ». Alors le Christ le rétablit dans sa dignité apostolique.

Les remords de Judas restèrent infructueux. Il regretta bel et bien ce qu’il avait fait, mais il revint pas à la communauté ecclésiale, il ne revint pas vers les autres apôtres, il ne confessa pas son péché, il ne tomba pas aux pieds du Christ. Au lieu de quoi, il commit un péché encore plus grand, le suicide, se privant ainsi de la possibilité même du repentir.

Les remords ne servent à rien, tandis que le repentir porte fruit. La différence entre le remords et le repentir tient à ce que le second se fait devant Dieu. Pour les pratiquants, le repentir est étroitement lié à la communauté ecclésiale : on vient se confesser au prêtre, on se repent de ses péchés, et cela va mieux ensuite. On ne se repent pas seulement de ce qu’on a fait, mais, au lieu des mauvaises actions d’antan, on en fait de bonnes. C’est en cela que consiste la différence radicale entre le remords de Judas et le repentir de Pierre.