Au DREE, présentation d’un livre sur les rapports entre le Patriarcat de Constantinople et l’Église orthodoxe russe dans les années 1910-1950
Le 27 février 2019, l’historien Mikhaïl Chkarovski a présenté son livre « Les Églises constantinopolitaine et russe au temps des grands bouleversements (1910-1950) ». La présentation a eu lieu au Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou.
S’adressant aux personnes présentes, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du DREE et recteur de l’Institut des Hautes-Études Saints-Cyrille-et-Méthode, a dit :
« Je vous souhaite cordialement la bienvenue à vous tous qui êtes venus pour la présentation du livre de Mikhaïl Chkarovski, « Les Églises constantinopolitaine et russe au temps des grands bouleversements (1910-1950) ».
Je salue particulièrement le métropolite Niphon, représentant de l’Église orthodoxe d’Antioche, le père Théoctiste, représentant de l’Église orthodoxe bulgare, le père Séraphin, représentant de l’Église des Terres tchèques et de Slovaquie, les membres de la communauté scientifique et, bien sûr, l’auteur de cet excellent livre, M. Chkarovski, déjà auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire contemporaine de l’Église orthodoxe russe, qui parlera lui-même de son livre.
Je ferais précéder son exposé de quelques remarques. Le livre de Mikhaïl Chkarovski est consacré à l’une des périodes les plus difficiles des rapports entre l’Église orthodoxe russe et le Patriarcat de Constantinople. La chute de l’Empire russe, l’établissement d’un régime athée dans le pays ont placé notre Église dans des conditions totalement nouvelles, pendant la première moitié du XX siècle. Ce fut un temps de dures épreuves. Quantité d’évêques, de membres du clergé et de simples fidèles furent soumis à de cruelles persécutions. L’Église était déchirée par des divisions internes et par des schismes qui bénéficiaient du soutien de l’autorité soviétique. Un nombre important de paroisses et de diocèses de l’Église russe se sont retrouvés subitement sur le territoire d’autres états.
A cette même époque le Patriarcat de Constantinople traversait également de sérieuses difficultés. Les processus révolutionnaires sur le territoire de l’ancien Empire ottoman et l’avènement d’un nouveau pouvoir, la réduction considérable de la population grecque d’Asie mineure affaiblirent significativement la position de l’Église constantinopolitaine. On pensa même un temps à déplacer le siège patriarcal hors des frontières turques, en Grèce, par exemple. Le Patriarcat de Constantinople aurait pu cesser d’exister.
Ce sont dans ces conditions difficiles que devaient se développer les rapports entre nos Églises. Étudiant l’histoire de ces relations, nous avons le regret de constater que Constantinople ne s’est pas toujours comporté fraternellement envers l’Église russe. Le Patriarcat de Constantinople, dans les années 1920-30 a ouvertement soutenu le schisme de l’Église vivante, lui-même initié par les autorités soviétiques. Il a étendu de façon non canonique son autorité à l’Estonie, à la Lettonie et à la Finlande. Il a proclamé l’autocéphalie de l’Église polonaise qui faisait auparavant partie de l’Église russe. On pourrait citer de nombreux autres exemples d’actes inamicaux et non canoniques du Patriarcat de Constantinople dans cette période, mais notre but, aujourd’hui, n’est pas de les énumérer. Notre Église, durant des années, a préféré taire ces tristes phénomènes du passé, s’efforçant de considérer charitablement les erreurs commises par nos frères, tout en nous souvenant de notre devoir de ne pas trahir la vérité historique et de rester fidèles aux saints canons.
C’est ainsi que s’est conduite l’Église russe dans les années 90, lorsque Constantinople a accepté dans sa communion les schismatiques ukrainiens des États-Unis et du Canada et a fondé une structure parallèle en Estonie. Au nom de la paix dans l’Église, afin d’éviter un grand schisme au sein de la famille orthodoxe mondiale, nous avions alors trouvé possible de conserver la communion canonique et liturgique avec l’Église constantinopolitaine, nous avons fait des concessions extrêmes et nous sommes permis la plus grande économie. Cependant, il était déjà clair, alors, qu’il ne s’agissait pas d’actes isolés dans le cadre d’une conduite inamicale, mais de l’élaboration subreptice d’une nouvelle ecclésiologie, étrangère à la Tradition orthodoxe. Le Concile épiscopal de l’Église orthodoxe russe de 2008 a prévenu de cette menace dans son décret « De l’unité de l’Église ».
Ce thème a acquis une actualité particulière ces derniers temps. Nous savons tous quels évènements tragiques se sont produits récemment dans la vie de l’Église en Ukraine avec l’octroi par Constantinople d’un prétendu tomos d’autocéphalie à deux groupes schismatiques ayant fusionnés. Défendant ses frontières canoniques et son unité, l’Église orthodoxe russe croit de son devoir de témoigner que ce nouveau modèle ecclésiologique, qui accorde des pleins-pouvoirs d’autorité exclusifs au primat de la première Église locale selon les dyptiques, n’est pas en accord avec la doctrine orthodoxe. La réalisation du scénario de l’autocéphalie ukrainienne est l’une des étapes clé dans l’imposition de ce modèle à toute l’Orthodoxie.
Je suis convaincu qu’il n’est possible de bien comprendre ce qui se passe qu’en tenant compte de tous les aspects de la politique que le Patriarcat de Constantinople met en place de façon conséquente ces cent dernières années. Le livre de Mikhaïl Chkarovski ne contient aucune affirmation gratuite. Il s’appuie sur des faits du passé, et c’est sa valeur. En étudiant le passé, on comprend mieux le présent.
J’espère que ce livre sera une contribution remarquée à la réflexion non seulement sur l’histoire des relations entre les Églises orthodoxes russe et constantinopolitaine, mais aussi sur la crise ukranienne actuelle et sur la division tragique dans l’Orthodoxie mondiale. »
Comme l’a remarqué M. Chkarovski, professeur à l’Institut des Hautes-Études et à l’Académie de théologie de Saint-Pétersbourg, la problématique de son ouvrage est d’une brûlante actualité. « La période des années 1910-1950 constitue un tournant dans l’histoire tant de l’Église de Constantinople, que de l’Église russe, tournant qui a, pour beaucoup, déterminé leur développement ultérieur » a-t-il constaté. M. Chkarovski a, ensuite, présenté les principaux thèmes de son ouvrages, les problèmes et les tendances dans les rapports entre Constantinople et l’Église russe au XX siècle.
Selon l’archiprêtre Alexandre Mazyrine, professeur de l’université Saint-Tikhon, docteur en sciences historiques, le livre « « Les Églises constantinopolitaine et russe au temps des grands bouleversements (1910-1950) » a une grande importance de nos jours. « Du fait de la crise actuelle des relations interorthodoxes, il est très important de comprendre les sources de cette crise, ses prémisses historiques », estime l’archiprêtre. « Le livre de M. Chkarovski développe largement cette problématique ».
Comme l’a remarqué A. Kostrioukov, directeur de recherches au Département de recherches scientifiques en histoire contemporaine de l’Église orthodoxe russe de l’université Saint-Tikhon, l’auteur du livre est bien connu : plus d’une génération de jeunes chercheurs a grandi avec les livres de M. Chkarovski. Parlant de l’actualité du thème, il a rappelé les mesures prises ces dernières décennies par le Patriarcat de Constantinople, contrevenant aux canons. On doit répondre à ces défis non seulement dans un esprit polémique, mais aussi dans un esprit scientifique, a déclaré A. Kostrioukov, soulignant : « Cet ouvrage a une dimension non seulement tactique, mais aussi stratégique, il sert la gloire de notre Église orthodoxe russe. »