• Sainteté, vues de Serbie, quelle impression font ces dix années d’histoire orthodoxe russe ? En quoi la personnalité du patriarche Cyrille est-elle intéressante pour les Serbes ?

Nous sommes venus à Moscou, avec quelques-uns de mes frères évêques de l’Église serbe, pour participer aux joyeuses célébrations du 10e anniversaire de l’intronisation de Sa Sainteté le patriarche Cyrille. C’est un évènement non seulement pour les Russes et pour l’Église orthodoxe russe, mais aussi pour l’ensemble du monde orthodoxe. Parce que l’Église russe est l’une des plus puissantes Églises orthodoxes, elle joue un rôle immense dans le monde orthodoxe.

L’Église et le peuple russes, tels qu’ils se présentent aujourd’hui, sont étonnants. Nous avons encore toute fraîche à la mémoire l’image d’une Église russe souffrante et persécutée. Au XX siècle, elle est passée par les plus terribles épreuves de son histoire, et a offert au monde orthodoxe un nombre immense de martyrs. Dieu seul sait combien ils furent réellement, évêques, prêtres et laïcs, à souffrir pour la foi.

Et voici que, se relevant de cette position d’humiliée, l’Église russe a pu renaître sur une très brève période. Elle a reconstruit les églises et les monastères, elle a bâti tant de nouvelles églises et de nouveaux couvents et, plus important, elle a ressucité une Église vivante, elle a fait renaître la foi. Dans cette renaissance du peuple russe, les mérites de Sa Sainteté le patriarche Cyrille sont certes très grands.

Nous sommes heureux d’avoir été invités à cette fête, nous remercions Dieu et Sa Sainteté de nous avoir permis de participer aux solennités et de voir toutes ces beautés. Nous nous réjouissons aussi de ce que des représentants d’autres Églises locales y aient participé. Notre joie aurait été encore plus grande si des représentants de toutes les Églises orthodoxes étaient venus. Malheureusement, tous ne sont pas venus, et cela nous soucie et oblige à s’interroger sur l’avenir du monde orthodoxe. Les plus grands malheurs, pour l’Église, sont les schismes et les divisions, et, aujourd’hui, nous sommes justement au seuil d’un de ces schismes, qui entraînent forcément de graves conséquences.

Mais revenons au patriarche Cyrille. Son élection fut l’œuvre de la providence divine, une bénédiction de Dieu pour le peuple orthodoxe russe et pour le monde orthodoxe en général. Notre époque et la position de nos Églises orthodoxes réclament justement une personne comme le patriarche Cyrille. Il est un modèle du primat de l’Église, il connaît parfaitement le monde actuel et fait exactement ce qu’il faut.

  • Selon vous, comment cohabiteront en Ukraine l’Église canonique et la nouvelle Église ? Comment et quand sera surmonté le drame de la divergence qui s’est dessinée dans le monde orthodoxe ? Constantinople a posé des actes que l’Église russe désapprouve pour des raisons canoniques.

Le problème du schisme en Ukraine est ancien, il y a eu de graves malentendus, et tout cela a conduit à une forte confrontation au sein de la nation ukrainienne. Nous comptions aider le peuple ukrainien, rassembler un Concile panorthodoxe ou une consultation pour en discuter. Nous espérions que les primats ou les émissaires des primats des Églises locales viendraient en Ukraine pour, ayant discuter avec les gens et ayant entendu les représentants de tous les partis, tenter de trouver une issue à la situation actuelle.

Malheureusement, les évènements se sont développés suivant un scénario tout à fait différent. Le Patriarcat constantinopolitain a pris le parti des schismatiques et semble avoir voulu par là les réconcilier avec l’Église canonique. Cependant, les orthodoxes de l’Église canonique sont restés sur leurs positions, s’appuyant sur les saints canons. Le Patriarcat œcuménique n’est donc parvenu à « réconcilier » que deux groupes schismatiques, les légalisant et, par là, ne faisant qu’approfondir et aggraver les divisions existantes.

Récemment, j’ai rencontré le patriarche œcuménique à Salonique, et, pendant la rencontre, il m’a fait part de ses attentes. Selon lui, une partie, si ce n’est l’ensemble, de l’Église ukrainienne se réconciliera avec les schismatiques et rejoindra la nouvelle « Église orthodoxe d’Ukraine ». Bien que tout le monde ait su dès le départ ce qu’étaient ces groupuscules schismatiques en Ukraine, et qu’il serait impossible de s’entendre avec eux.

Finalement, la jonction de l’Église canonique avec les schismatiques n’a pas eu lieu. Seuls deux hiérarques de l’Église orthodoxe ukrainienne ont rejoint la nouvelle « église », tous les autres sont restés fidèles à l’orthodoxie ukrainienne canonique. Sur l’énorme quantité de paroisses de l’Église orthodoxe ukrainienne, seules quelques dizaines sont passées à la nouvelle « église ».

On ne sait pas trop ce qui résultera de l’octroi de ce tomos, mais on n’aura pas la paix escomptée. Il est difficile de prévoir à quel rythme et par quelles voies évolueront les évènements en Ukraine. Mais il est déjà évident que l’état menace l’Église canonique de lui retirer ses terres monastiques et ses monastères mêmes, il prétend lui retirer ses sanctuaires. Malheureureusement, il est actuellement difficile de prévoir ce qu’il en résultera.

  • Quelle est actuellement la situation de l’Église serbe ? Les autorités tiennent-elles compte d’elle, est-elle aimée du peuple ?

Nous vivons une époque extrêmement complexe et difficile. La seule chose qui console est que la jeunesse serbe, dans l’ensemble vient à l’église, professe la foi orthodoxe, vit des traditions et des coutumes orthodoxes du peuple serbe, surtout celles liées à la foi. Presque tous baptisent leurs enfants, en dehors d’un petit nombre d’hérétiques et d’athées.

Le nombre de pratiquants augmente d’année en année, particulièrement pour les grandes fêtes. Nous avons réellement besoin de nouvelles églises. Une grande quantité de gens reçoit régulièrement la Sainte Communion. Beaucoup vénèrent la slava, le saint patron de leur famille. C’est une coutume typiquement serbe.

L’état a aidé l’Église, en résolvant la question du financement des retraites et des soins médicaux des serviteurs du culte. Le catéchisme est enseigné dans les écoles primaires et secondaires. Selon nos données, environ 65% des élèves assistent aux cours. Pour les enfants dont les parents sont contre l’éducation religieuse, il y a un cours d’éducation civique.

Le ministère de l’Instruction pense à modifier la loi de façon à ce que, d’une part, tous les élèves assistent au cours de catéchisme et, d’autre part, qu’on inclue à ce cours des éléments relevant de la morale, de la philosophie et de l’éducation civique.

Nous avons de bons rapports avec les autorités, lorsqu’il y a des problèmes, ils sont rapidement résolus, en tenant compte des intérêts de l’Église orthodoxe serbe. Nous ne faisons pas attention aux cas isolés où le pouvoir a été contre l’Église. C’est normal.