Le 24 novembre 2018, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions de la présentatrice de télévision Ekaterina Gratcheva, dans une édition spéciale de l’émission « l’Eglise et le monde » (Tserkov’ i mir).
E. Gratcheva : Bonjour ! Vous regardez l’émission « l’Eglise et le monde », nous nous entretenons avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Bonjour, Monseigneur.
Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Chers frères et soeurs, bonjour.

E. Gratcheva : Le « concile de réunification » devait avoir lieu le 22 novembre en Ukraine. Il a été inopinément reporté au mois de décembre. Le patriarche Bartholomée de Constantinople a déclaré qu’il n’était pas prêt à accorder le tomos de création d’une Église autocéphale en Ukraine tant « que les autorités ukrainiennes ne pourraient pas garantir que les fidèles de l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou ne feraient pas l’objet de persécutions ». Que veut dire ce retournement et pourquoi, finalement, a-t-on reporté ce « concile » ?

Le métropolite Hilarion : La tentative d’union de l’Église canonique aux groupes schismatiques a échoué, et Constantinople doit maintenant inventer quelque chose de nouveau pour réaliser, malgré tout, son plan d’autocéphalie ukrainienne, bien qu’on ne sache toujours pas vraiment à quelle église ukrainienne sera octroyée l’autocéphalie.
Par ailleurs, l’une des conditions que Constantinople avait posées au président Porochenko était que Philarète (Denissenko) ne participerait pas au processus. Il existe un accord entre Porochenko et Bartholomée, mais Philarète (Denissenko) ne veut pas se rendre. Il a commencé par écrire une lettre au partriarche de Constantinople pour l’informer qu’il retirait sa candidature et ne prétendrait pas au poste de primat de cette église en fondation, mais qu’il souhaitait en même temps conserver le titre de patriarche émérite de Kiev et de toute la Rus-Ukraine, et présider le synode de la nouvelle structure. Cela ne faisait pas partie des plans de Constantinople, et le Patriarcat de Constantinople a fait savoir que Philarète n’aurait pas ce qu’il souhaitait. Denissenko a fait de nouvelles déclarations, comme quoi il ne devrait y avoir aucune promotion ni retrait de candidature, il n’y a qu’à rassembler un concile qui élira qui bon lui semble. Si l’on s’adresse à moi, dit Philarète, je prendrai ma décision.

E. Gratcheva : Le Patriarcat de Moscou ne prévoit d’envoyer personne à ce « concile de réunification » ? Si c’est le cas, comme peut-on parler de concile de réunion, et, plus généralement, sera-il valide ?

Le métropolite Hilarion : De notre point de vue, il sera totalement invalide, c’est un brigandage, pas un concile de réunification. Le Patriarcat de Moscou n’y enverra personne. Sur les 90 hiérarques de l’Église orthodoxe ukrainienne, 87 se sont prononcés contre « le concile de réunification » et pour le maintien du statut actuel de l’Église orthodoxe ukrainienne, qui est une Église auto-administrée dans le sein du Patriarcat de Moscou.
Il est actuellement vraisemblable que deux hiérarques canoniques prendront part à cette assemblée de brigands. Il y a aussi le risque que la date du « concile » ait été reportée pour continuer à faire pression sur les hiérarques de l’Église canonique, dont une écrasante majorité ont déclaré qu’ils n’y participeraient pas. Le président Porochenko a besoin de temps pour forcer la résistance de quelques-uns d’entre eux. Différents chiffres avaient été avancés : on disait que 25 hiérarques (de l’Église orthodoxe ukrainienne canonique) y prendraient part, ou bien 10… Pour l’instant, il n’y a que deux candidats potentiels. Ce n’est pas suffisant pour Porochenko et Bartholomée, qui souhaitent donner au moins un semblant de légitimité au « concile ». C’est pourquoi je pense qu’ils vont s’efforcer de forcer la main aux hiérarques de l’Église canonique. C’est d’ailleurs ce qui se produit dès à présent : ils sont convoqués au SBU (Service de sécurité ukrainienne, n. d. t.), on insiste pour qu’ils rejoignent la nouvelle «église autocéphale », pour qu’ils incitent le plus grand nombre possible d’hiérarques canoniques à prendre part au brigandage.

E. Gratcheva : Les primats des églises ukrainiennes non canoniques, Philarète et Macaire, ont d’abord écrit au patriarche de Constantinople pour déclarer qu’ils étaient prêts à renoncer à leur candidature. Ensuite, ils ont déclaré que ce n’était pas vrai. La campagne électorale bat son plein. Je veux vous demander à vous, en tant que président du Département des relations ecclésiastiques extérieures, en tant que principal diplomate de notre Église : Petro Porochenko ne va-t-il pas dépenser trop de forces et de moyens à cette campagne pour l’élection du chef de l’église ukrainienne non canonique, y perdant des points politiques et sa propre position, manquant l’heure de s’occuper de sa propre campagne électorale ?

Le métropolite Hilarion : Vous posez fort justement la question, parce que Porochenko a, effectivement, fait de la question ecclésiastique le thème principal de sa propre campagne électorale. Il est convaincu que, s’il parvient à « réunifier les églises ukrainiennes », pour reprendre son expression, cette réussite lui permettra de se faire réélire. Mais il est déjà clair qu’il ne parviendra pas à unir l’Église canonique aux groupes schismatiques. Un laïc qui se mêle des affaires de l’Église ne peut pas ne pas commettre d’erreurs. Porochenko en a déjà commis, et en fera encore plus. C’est pourquoi je pense que cette entreprise sera la fin de sa carrière politique. D’autres personnes le remplaceront, qui, je l’espère, tireront les leçons de l’échec du soi-disant concile de réunification de la prétendue église autocéphalie, même si le patriarche de Constantinople remet des paperasses quelconques à je ne sais quel groupe de schismatiques.

E. Gratcheva : Monseigneur, vous venez de rentrer d’un grand voyage. Vous êtes allé en Syrie, à Chypre et en Égypte, vous y avez rencontré les chefs des Églises orthodoxes locales. Plusieurs Églises orthodoxes ont déjà ouvertement soutenu le Patriarcat de Moscou et condamné Constantinople. Je parle des Églises orthodoxes serbe et polonaise. Quelle est la position des primats que vous avez rencontrés au Proche-Orient ?

Le métropolite Hilarion : Tous les primats comprennent ce qui se passe. Tous ne peuvent pas, ou ne veulent pas, déclarer ouvertement leur position, parce que chacun d’eux a des responsabilités envers son Église, chacun a des contacts et des liens avec le patriarche de Constantinople. Le Patriarcat d’Antioche s’est déjà prononcé à plusieurs reprises sur l’impossibilité pour Constantinople de prononcer une autocéphalie unilatéralement, sur le fait que l’autocéphalie doit être proclamée avec l’accord de toutes les Églises orthodoxes locales, mais il ne l’a pas fait maintenant. Le patriarche d’Alexandrie n’a pas fait de déclarations en ce sens, mais il est, naturellement, aussi inquiet de la situation. Pendant notre entretien, je lui ai dit franchement : vous occupez aujourd’hui la première place dans nos dyptiques parce que nous avons rayé le primat de Constantinople. J’ajoute qu’on comprend aussi la complexité du problème dans l’Église de Chypre, mais Sa Béatitude l’archevêque de Chypre Chrysostome n’a pas déclaré publiquement son soutien à l’Église orthodoxe russe.
Il est intéressant de constater qu’aucune Église locale n’a déclaré son soutien aux actes de Constantinople. A mon avis, c’est un fait très important. Certaines Églises attendent la suite des évènements. Je sais que plusieurs primats d’Églises orthodoxes locales ont rencontré le patriarche Bartholomée ou lui ont parlé par téléphone, le priant d’éviter toute mesure imprudente et lui demandant de s’en abstenir. Malheureusement, le patriarche de Constantinople n’écoute personne : il ignore complètement l’opinion des Églises locales, il ne veut pas entendre la voix de ses confrères. Il est tellement passionné par la réalisation de cette commande politique qu’il a, à mon avis, perdu toute perception réaliste de la réalité. Cela devient un sérieux problème non seulement pour les rapports entre Constantinople et le Patriarcat de Moscou, mais pour l’ensemble du monde orthodoxe. Les primats des Églises locales le comprennent très bien.

E. Gratcheva : La tension monte, les enjeux augmentent aussi. Porochenko a promis 20 églises à Bartholomée. A quel montant chiffre aujourd’hui le pot-de-vin ?

Le métropolite Hilarion : On a parlé de 25 millions de dollars, qui auraient été versés au patriarche Bartholomée. Nous ne pouvons ni confirmer, ni démentir cette information, mais on en a parlé dans la presse.
Le Patriarcat de Constantinople, en préparant cette fameuse prétendue autocéphalie, a l’intention d’énumérer ses propres droits dans le tomos et de rétablir toutes les stavropégies que Constantinople a possédées jadis en Ukraine. Elles ont été assez nombreuses, suivant les époques. Ce sont des monastères, des églises, différents bâtiments. La liste concerne plus de 20 immeubles. Cette liste a été composée pour le patriarche de Constantinople par un historien qui a exhumé de différents documents des informations sur diverses procures et stavropégies à différentes époques. Ce que Constantinople veut proposer à l’Ukraine, en fait, ce n’est certainement pas une véritable Église autocéphale. Ce sera une structure à demi autocéphale, dépendant largement de Constantinople.
Dans le tomos que le patriarche Bartholomée s’est déclaré prêt à accorder, il sera précisé, notamment que le chef de la nouvelle église recevra la myrrhe de Constantinople. Le droit de préparer et de distribuer la myrrhe est un facteur très important d’indépendance ecclésiastique, parce que le sacrement de l’onction est conféré à l’aide de la myrrhe bénite par le primat de l’Église locale. Si la myrrhe est reçue d’une autre Église, cela veut dire qu’on n’a pas affaire à une Église locale, mais à une Église semi-locale.
Par ailleurs, le tomos fixera sûrement la théorie que les hiérarques du Patriarcat de Constantinople répandent dans le monde entier : pour eux, le patriarche de Constantinople a le droit d’examiner les appelations (sur les décisions de la hiérarchie des autres Églises). Autrement dit, la soi-disant église autocéphale ukrainienne sera, dès le début, placée en situation d’étroite dépendance par rapport à Constantinople. D’autre part, sur le territoire de l’Ukraine, il existera 20 à 25 métochions soumis directement au patriarche de Constantinople, en plus de la prétendue église autocéphale.

E. Gratcheva : Petro Porochenko voulait se retrouver en Europe. Maintenant, c’est l’Europe qui vient le trouver chez lui, lui prenant une grande partie de sa propriété.

Le métropolite Hilarion : Oui, tout à fait. Il faut dire que même les schismatiques ukrainiens comprennent maintenant que ce que Constantinople veut leur proposer ne correspond pas du tout à ce qu’ils souhaitaient, à ce dont ils rêvaient. Mais, même dans ce contexte, malgré tous les efforts, surtout ceux de l’état, malgré tous les moyens mis en œuvre, malgré toute la propagande qui se déverse des médias ukrainiens, on ne parviendra pas à réunir le prétendu concile de réunification.

E. Gratcheva : Monseigneur, revenons à votre voyage en Syrie. A Damas, vous avez participé à la célébration du 60e anniversaire du métochion de l’Église orthodoxe russe dans la capitale syrienne. Quelle est la situation dans cette procure, y célèbre-t-on régulièment ?

Le métropolite Hilarion : Oui, les offices ont lieu régulièrement au métochion. L’office auquel j’ai participé était présidé par le patriarche Jean d’Antioche. Douze hiérarques y ont pris part, ainsi que de nombreux clercs et une grande quantité de fidèles, l’église était bondée. Il faut dire, cependant, que c’était la première fois depuis la fin de la guerre en Syrie, parce que, selon notre représentant, le père Arsène (Sokolov), le dimanche il n’y a que deux, trois ou cinq personnes qui viennent prier. La majorité des russophones de Syrie est partie et n’est pas encore revenue.
Le métochion est un site historique, qui comprend un bâtiment à quatre étages avec une vaste église à l’intérieur, dans le centre de Damas. Depuis 60 ans, l’Église russe est représentée auprès du siège d’Antioche, cette Représentation existe depuis 60 ans. Pendant plusieurs années, pendant la guerre, il n’y a pas eu d’offices réguliers, et le représentant de l’Église orthodoxe russe auprès du patriarche d’Antioche résidait au Liban. En pleine guerre, le père Arsène (Sokolov), qui préside aujourd’hui la Représentation, s’est adressé à moi et, par moi, au patriarche Cyrille, proposant de retransférer la Représentation de Beyrouth à Damas, parce que le patriarche d’Antioche était à Damas. C’était pendant la guerre, des bombes éclataient, Damas était sous le feu de l’artillerie, mais notre représentant y est revenu et a commencé à restaurer le métochion. Il n’avait pas, et n’a toujours pas d’aide, il est seul là-bas. Néanmoins, la Représentation de l’Église orthodoxe russe à Damas fonctionne, les services divins sont célébrés à l’église, des fidèles russophones y assistent. Par ailleurs, le métochion a abrité plusieurs familles, russes et ukrainiennes, qui ont perdu leurs proches et leurs maisons pendant la guerre. Ils y vivent et aident le métochion autant que possible.

E. Gratcheva : Monseigneur, nous sommes témoins de la catastrophe humanitaire dont est victime la Syrie et dont nous ne pouvons pas encore évaluer l’ampleur. Qu’avez-vous vu de vos yeux et quelle aide concrète notre Église peut-elle apporter ?

Le métropolite Hilarion : La situation en Syrie est très délicate, mais ce que j’ai vu à Damas m’a plutôt réjoui : la ville vit pleinement sa vie, rien ne rappelle la guerre toute récente. Comme cela se rencontre généralement en Orient, il y a beaucoup de monde dans les rues, le commerce y est très actif.
Mais dans d’autres villes de Syrie, on constate beaucoup de destructions : les maisons sont transformées en ruines, les églises et les mosquées ont été détruites. Un immense travail de restauration reste à faire. L’Église orthodoxe russe aidera à restaurer certaines églises, et nous participons déjà à ce processus : le monastère historique de Maaloula, pillé par les terroristes, a été restauré grâce à l’aide de notre Église, avec l’aide de représentants du monde des affaires russe, et les moniales ont pu revenir.
Par ailleurs, avec la bénédiction du patriarche Cyrillle, un programme d’aide aux enfants rendus invalides par les opérations militaires a été mis en place. Nous avons déjà fait venir trois enfants à Moscou : une fillette du Liban, une fille et un garçon de Syrie. Ils ont eu les membres amputés, et ont pu bénéficier ici non seulement de la pose de prothèses, mais aussi d’une réhabilitation psychologique, parce que vous comprenez que ces évènements et ces souffrances ont laissé des traces. Un garçon a perdu la vue en plus de la main, il est pratiquement aveugle. Il faut lui apprendre à se servir d’une canne, à lire le Braille, etc. C’est un immense travail, dont se sont chargés nos médecins.
Lors de ma rencontre avec le patriarche d’Antioche, ainsi qu’avec les chefs d’autres confessions, nous avons justement parlé de l’aide humanitaire au peuple syrien. Il faut dire qu’en Syrie les chrétiens comme les musulmans sont très reconnaissants à la Russie d’avoir chassé les terroristes de leur pays. Ils regardent la Russie avec espérance, comprenant que sans l’aide russe, il sera impossible de restaurer la Syrie après la guerre.

Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions posées par les téléspectateurs sur le site du programme « L’Église et le monde ».
Question : La Trinité existait-elle déjà dans l’Ancien Testament ? On y mentionne le Saint Esprit, mais on n’y parle pas du Fils. Cela veut-il dire que Dieu a changé au moment de la Nativité ?
Le métropolite Hilarion : Dans l’Ancien Testament, il est dit : « Par le Verbe du Seigneur les cieux ont été affermis, et par l’Esprit de Sa bouche, toute leur puissance » (Ps 32,6). Dans la tradition chrétienne, le Verbe, la Parole de Dieu désigne le Fils de Dieu qui a participé à la création du monde, comme le confirment les versets introducteurs de l’Évangile selon saint Jean : « Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle » (Jn 1,3), autrement dit le Fils de Dieu a participé à la création du monde.
La théologie chrétienne dit que Dieu a toujours existé comme Sainte Trinité : le Père, le Fils et le Saint Esprit. Mais il y a eu des temps ou des périodes où le Père n’avait pas le Fils ni le Saint Esprit. Le Fils est né du Père, et le Saint Esprit procède du Père, mais la génération et la procession ne doivent pas être comprises dans le sens d’un acte dans le temps, et il ne faut pas croire que Dieu a changé parce que le Fils est né de Lui et que l’Esprit a procédé de Lui. En fait, il s’agit d’une génération éternelle et d’une procession éternelle. Dieu, par nature, est immuable. C’est l’un de Ses attributs essentiels.