Le 3 novembre 2018, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions de la présentatrice de télévision Ekaterina Gratcheva, dans une édition spéciale de l’émission « l’Eglise et le monde » (Tserkov’ i mir).
E. Gratcheva : Bonjour ! Vous regardez l’émission « l’Eglise et le monde », nous nous entretenons avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Bonjour, Monseigneur.
Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Chers frères et sœurs, bonjour.
E. Gratcheva : Le Sacré-Kinote, cet organe de direction du Mont Athos, dont font partie des représetants de tous les 20 monastères de l’Athos, s’est récemment réuni. Selon une déclaration, qui n’a pas encore été publiée officiellement, l’Athos ne dépend pas administrativement du patriarche de Constantinople, car il n’est pas l’évêque diocésain de la république monastique, mais seulement son père spirituel. Cela veut-il dire qu’Athos s’est déclaré officiellement contre le patriarche de Constantinople, et que la route est à nouveau ouverte aux pèlerins de Russie vers l’Athos ?
Le métropolite Hilarion : Le statut de ce texte n’a toujours pas été éclairci. Comme vous l’avez dit, c’est une déclaration non publiée. Est-ce vraiment une déclaration du Kinote, est-ce seulement une déclaration émanant d’un groupe de moines hagiorites, nous ne le savons pas encore.
Tous les monastères de l’Église orthodoxe sont dans la juridiction d’un évêque diocésain. Nous sommes toujours partis du fait que les monastères athonites étaient dans la juridiction du patriarche de Constantinople, si bien que la décision de l’impossibilité de rester en communion avec Constantinople, prise lors de la dernière séance du Synode de l’Église orthodoxe russe, s’applique aussi aux monastères athonites. Si les monastères athonites, tous ou seulement certains d’entre eux, déclarent qu’ils ne dépendent pas du patriarche de Constantinople, la situation change. Mais dire qu’il est seulement leur père spirituel, et non leur évêque diocésain, cela ne nous semble pas très clair, parce qu’il ne peut pas y avoir de monastère sans évêque diocésain dans l’Église orthodoxe.
E. Gratcheva : Dans la foulée des évènements ecclésiastiques en Ukraine, « l’église orthodoxe turque » a intenté un procès au patriarche Bartholomée de Constantinople. Comment avez-vous reçu cette information de Turquie ?
Le métropolite Hilarion : « L’église orthodoxe turque » rassemble un tout petit groupe de personnes, en tout quelques centaines de fidèles. Ce groupe a été créé en 1922 par l’état turc, comme alternative au Patriarcat de Constantinople, c’est donc un schisme. Ce projet ne s’est pas développé ultérieurement. Les autorités turques ont cessé peu à peu de soutenir ce schisme, mais ils ont, pour autant qu’on sache, trois églises à Istanbul,et quelques autres en dehors de la capitale.
Ce qui est étonnant, c’est que le patriarche de Constantinople ne soit pas parvenu à guérir ce schisme depuis tant de temps. Il s’est précipité pour guérir le schisme en Ukraine en créant un autre schisme, mais, pour des raisons obscures, il ne s’occupe pas du schisme qui existe sur son propre territoire canonique. Du point de vue de l’Église orthodoxe, il s’agit d’une organisation schismatique, c’est pourquoi nous ne pouvons pas prendre cette décision au sérieux.
E. Gratcheva : Le clergé du diocèse d’Odessa, à la suite de beaucoup d’autres, a ouvertement déclaré son soutien au métropolite Onuphre et à l’Église orthodoxe ukrainienne. Qu’en est-il des autres diocèses, de ceux qui craignent d’exprimer publiquement leur soutien ?
Le métropolite Hilarion : Le métropolite Agathange d’Odessa et d’Izmaïl a tenu une réunion diocésaine, au cours de laquelle les clercs voter à bulletin secret pour répondre aux questions suivantes : soutenez-vous le métropolite Onuphre, êtes-vous satisfait du statut du diocèse d’Odessa au sein de l’Église orthodoxe ukrainienne ? Sur les 413 représentants du clergé, 406 ont répondu « oui », trois ont répondu par la négative, quatre se sont abstenus. Le soutien au métropolite Onuphre est donc pratiquement unanime. Je dois dire qu’il est aussi unanime dans la majorité des diocèses de l’Église orthodoxe ukrainienne. Il y a un ou deux évêques qui se sont exprimé en faveur de l’autocéphalie, mais les prêtres du diocèse de l’un lui ont dit que s’il partait, ils ne le suivraient pas.
Les dispositions sont les mêmes dans la majorité des diocèses de l’Église orthodoxe ukrainienne canonique, les mêmes que ce qu’a montré le résultat du vote au diocèse d’Odessa. Les gens sont pour le métropolite Onuphre, ils sont pour l’unité de l’Église ukrainienne avec le Patriarcat de Moscou. Ils ne soutiennent pas les actes de brigandage du patriarche Bartholomée, la légalisation du schisme qu’il met en place, et ils n’ont pas l’intention de se joindre aux schismatiques.
E. Gratcheva : Monseigneur, à la suite de la tragédie de Kertch, mon collègue, le journaliste Vladimir Soloviov, a appelé à réintroduire la peine de mort pour punir des crimes de ce genre. Si tout était clair quant à la peine de mort, la question ne reviendrait pas sans cesse, ni dans les œuvres artistiques, ni dans les livres, ni au cinéma. Voyez les réflexions du prince Mychkine, de L’Idiot. Le cinéma, à ses débuts, avec, par exemple, un grand classique du cinéma mondial comme « Intolérance » de Griffith, est centré sur le thème de la peine de mort. Quel est votre avis personnel sur la question ? Nous en avons parlé plus d’une fois, mais voyez-vous un lien entre la religion et le rapport de l’état à la peine de mort, entre la culture nationale et le rapport à la peine de mort, comment cette question a-t-elle évolué dans le temps ?
Le métropolite Hilarion : Ce sujet est examiné en détail dans les « Fondements de la conception sociale de l’Église orthodoxe russe », un document officiel adopté lors du Concile épiscopal jubilaire de l’an 2000. Il consacre tout un chapitre à la peine de mort, et il y est expliqué que son abolition est souhaitable du point de vue de l’Église, mais que l’état doit prendre des décisions concrètes à ce sujet en partant de la situation intérieure.
A quoi sert la peine de mort ? Elle ne remédie pas aux conséquences du crime du malfaiteur. Elle ne peut aider que dans le cas où celui-ci continue à représenter un danger pour la société. Par ailleurs, la peine de mort a toujours été utilisée comme moyen de dissuasion, mais on constate de plus en plus souvent que les actes terroristes sont commis par des gens qui n’ont pas peur de la mort. Comme moyen de dissuasion, la peine de mort ne fonctionne pas. Alors, à quoi sert-elle ? Quels problèmes peut-on résoudre en réintroduisant la peine de mort ? Je ne pense pas qu’elle permette de résoudre quelque problème que ce soit dans les conditions actuelles. Il serait beaucoup plus utile de se consacrer sur l’éducation des jeunes, plutôt que sur ce genre de mesures.
E. Gratcheva : Certains avancent l’argument que l’état ne doit pas entretenir à ses frais les assassins, les terroristes, les maniaques qui ont été condamnés à perpétuité. A votre avis, si l’on organisait un référendum sur la réintroduction de la peine de mort dans le pays, quel serait le résultat ?
Le métropolite Hilarion : Je suis certain que beaucoup seraient pour, mais, je le répète, je ne pense pas que cela résoudrait les problèmes qui existent.
Vous faites bien de poser la question de l’entretien des assassins, des maniaques, des terroristes. J’estime qu’ils doivent subvenir à leurs propres besoins : tous les prisonniers travaillent, et ceux-là aussi doivent travailler. Ils doivent gagner leur pain, je ne pense pas que l’entretien de ces gens doivent se faire sur le dos du contribuable.
Dans certains pays d’Occident, où la peine de mort a été abolie pour des raisons humanitaires, un homme ayant, par exemple, tué plus de cinquante personnes, vit tranquillement et confortablement en prison, il fait des études universitaires, il apprend des langues, il lit. Cette façon d’entretenir les tueurs en série nous paraît, certes, étrange. Je pense que si l’on laisse le droit de vivre à ces personnes, c’est uniquement pour qu’elles se repentent de leurs actes pour le restant de leur existence.
E. Gratcheva : Monseigneur, une fonctionnaire de la région de Saratov, Natalia Sokolova, a récemment déclaré que le revenu minimum à 3500 roubles en Russie, était suffisant pour se permettre une « alimentation équilibrée ». Lorsqu’un député lui a rétorqué que c’était impossible, et lui a proposé de vivre elle-même avec cette somme, elle a répondu que cela ne lui suffirait pas à cause de son statut de ministre.
Avez-vous l’impression qu’il existe un grand écart dans notre pays, non seulement matériel, mais aussi mental, dans la perception de la réalité entre les « serviteurs du peuple » et le peuple lui-même.
Le métropolite Hilarion : Je pense que cet épisode démontre clairement l’existence d’un profond fossé entre les hauts fonctionnaires et les gens ordinaires. Pour autant que je sache, cette femme a été démise de ses fonctions, et son commentaire a, naturellement, suscité une vague de protestations, notamment chez les dirigeants. Mais ce commentaire montre bien que beaucoup de hauts fonctionnaires sont complètement coupés de la vie, ils ne pensent pas aux gens et n’envisagent pas la situation de façon réaliste.
Il est parfaitement impossible de vivre avec 3500 roubles par mois, c’est évident pour tout le monde. Il s’agit donc d’élever le revenu minimum, il faut créer les conditions pour que le fossé entre riches et pauvres n’amenuise. Quant aux fonctionnaires, il leur faut être plus près des gens réels, et leurs salaires doivent le refléter.
E. Gratcheva : L’association caritative « Notchlejka » (Halte de nuit) a décidé de renoncer à son projet de laverie à cause des protestations des riverains. A quel point la société se montre-t-elle aujourd’hui tolérante ou intolérante envers les gens à la rue ?
Le métropolite Hilarion : L’organisme « Notchlejka » se consacre à aider les gens à la rues, et la laverie qu’ils souhaitaient ouvrir leur était destinée. Elle sera ouverte dans un autre quartier. Dans l’ensemble, je dois dire que ni notre pays, ni les autres ne se montrent tolérants envers les gens à la rue. Par exemple, le premier ministre hongrois a l’intention de se débarasser du problème en offrant 19000 places où loger les SDF.
Le problème est que, pour beaucoup d’entre eux, il s’agit d’un choix conscient. On les installe dans des haltes de nuit, dans des maisons où ils ont un lit, où ils peuvent prendre une douche, faire une toilette, mais ils retournent ensuite à la rue, parce que c’est le mode de vie asocial qu’ils ont choisi. Certes, l’état doit aider les gens à la rue qui acceptent d’être aidés. Dieu fasse que cela se produise, c’est très important que l’état s’en occupe, que des organisations caritatives s’en occupent. Mais il restera toujours une certaine catégorie de personnes qui ne voudra pas être aidée, qui ne voudra pas changer de mode de vie et qui restera à la rue.
E. Gratcheva : Monseigneur, une élève du gymnase n°4 de Perm n’a pas été admise à l’école parce qu’elle s’était teint les cheveux en rose. La maman de la jeune fille a porté plainte, et a gagné le procès. Maintenant, on peut porter ce qu’on veut dans cette école : des boucles d’oreille, du maquillage, avoir n’importe quelle couleur et n’importe quelle longueur de cheveux.
A votre avis, l’école peut-elle exclure un mineur parce qu’il s’est présenté avec des cheveux roses ou avec un percing ? Valeria Gaï Guermanika, par exemple, a un percing au visage, se teint les cheveux de toutes les couleurs, mais elle s’intéresse à la religion, elle a une émission sur la foi…
Le métropolite Hilarion : Je pense qu’il ne faut pas exclure de l’école à cause de cheveux teints en rose, mais on ne peut pas non plus encourager ce phénomène. Cela concerne surtout les percing et les tatouages, avant tout parce qu’ils ne sont pas sans danger : il y a eu des cas d’infections transmises à cause de tatouages ou de percing, certains ont eu une issue fatale.
Dans chaque établissement scolaire, et dans n’importe quelle entreprise, il existe un certain code vestimentaire qu’il faut respecter. En entrant à l’école ou dans une organisation, on accepte implicitement le code vestimentaire en usage.
E. Gratcheva : En d’autres termes, vous estimez que c’est la responsabilité et la prérogative des parents qui est en jeu, et non celle des mineurs ?
Le métropolite Hilarion : Je pense que ce sujet doit faire l’object d’une discussion entre la direction de l’établissement concerné et les parents de l’élève.
Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions posées par les téléspectateurs sur le site de l’émission « l’Église et le monde ».
Question : pourquoi le Christ n’a-t-il pas présenté la deuxième joue au tribunal du grand-prêtre ?
Le métropolite Hilarion : Jésus Christ enseignait : « Si l’on te frappe sur la joue droite, présente aussi la gauche. Lorsqu’au tribunal, le serviteur du grand-prêtre L’a frappé, effectivement, Il n’a pas présenté la deuxième joue, et a même demandé : « Pourquoi me frappes-tu ? » (Jn 18, 23).
Je pense qu’il n’est pas tout à fait juste d’opposer ces deux épisodes, et qu’il ne faut pas non plus interpréter littéralement ce que dit Jésus sur la joue droite. Il s’agit ici de ne pas répondre au mal par la violence. Ce principe, Jésus Christ l’a appliqué tout au long de Sa vie.
Nous savons, en effet, que si le Fils de Dieu avait voulu éviter la mort, Il aurait pu le faire, de même que nous savons que s’Il avait voulu éviter les souffrances, Il aurait pu aussi le faire. Il n’y avait pas besoin du traître Judas, pour que Jésus Christ souffrît et mourût sur la croix, ce fut Son choix conscient, en faveur du bien. Ce fut un choix contre le mal.
Le Christ ne dit pas que nous devions être totalement passifs. Il ne dit pas que nous ne devions pas nous lever pour défendre les offensés et les opprimés. Il ne dit pas que nous devions reculer devant le mal. Lorsque le Christ dit : « Si l’on t’a frappé une joue, présente l’autre », cela veut dire qu’il ne faut pas répondre au mal par le mal, parce qu’on ne peut déraciner le mal par le mal. Seul le bien peut déraciner le mal. D’un point de vue chrétien, ce n’est pas celui qui se venge qui accomplit une prouesse, mais celui qui, au contraire, répond au mal par le bien. C’est ce dont parle Jésus Christ dans son Sermon sur la montagne.