Le 18 octobre 2018, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a donné une interview au périodique italien Il Messaggero, répondant aux questions sur les relations orthodoxes-catholiques, ainsi que sur la situation conséquente aux actes anti-canoniques du Patriarcat de Constantinople.

  • Le Patriarcat de Moscou a-t-il tenté de dialoguer avec le patriarche Bartholomée, ou ses décisions ont-elles été inattendues ? Comment en est-on arrivé là ?

Nous avons tenté d’établir un dialogue. Il y a eu un échange de correspondance et, le 30 août, le patriarche Cyrille est allé à Istanbul spécialement pour s’entretenir avec le patriarche Bartholomée. Mais, malheureusement, le patriarche Bartholomée de Constantinople n’a pas voulu entendre les arguments de l’Église russe. Il n’a pas voulu non plus écouter la voix des autres Églises locales, qui l’avertissaient de ne pas prendre de mesure imprudentes, et il a pris des décisions incompatibles avec le droit canon de l’Église orthodoxe.

  • Quels étaient vos arguments ?

L’Église orthodoxe russe a commencé à exister il y a 1030 ans, à Kiev, lorsque le prince Vladimir baptisa la Rus’ kiévienne. Ensuite, l’Église s’est développée et, à un moment, la capitale ecclésiastique a été déplacée de Kiev à Vladimir, puis à Moscou. Mais il n’y avait qu’une seule Église russe. Au milieu du XVe siècle, elle est devenue autocéphale et le Patriarcat de Constantinople a créé sa métropole à Kiev. Cette métropole a existé jusqu’en 1686, date à laquelle le Patriarcat de Constantinople l’a transmise à la juridiction du Patriarcat de Moscou. Depuis plus de 300 ans, personne, pas même Constantinople, n’avait contesté l’appartenance de la métropole de Kiev au Patriarcat de Moscou. Brusquement, il y a quelques temps, Constantinople a annoncé qu’en fait, pendant ces trois cents ans, l’Ukraine avait fait partie du Patriarcat de Constantinople.

  • C’est une déformation des faits ?

De notre point de vue, c’est une déformation des faits. Imaginez que vous ayez à Rome une maison, où ont vécu vos parents, vos grands-parents, vos aïeux depuis trois siècles. Il y a trois cents ans, cette maison avait été offerte à votre famille par une autre famille. Un beau jour, un descendant de cette famille vous dit : « En fait, nous ne vous avions pas offert cette maison, nous vous l’avions juste prêtée. Allez-vous en d’ici avec vos parents, vos enfants et tous vos biens ». De notre point de vue, c’est du cambriolage.

  • Peut-on parler d’influences extérieures sur les décisions prises par le Patriarcat de Constantinople sur l’octroi de l’autocéphalie à l’Ukraine ?

Pour autant qu’on puisse en juger d’après les actes des hommes politiques américains, qui ne font pas mystère de leur position, l’Amérique n’a pas seulement intérêt à affaiblir la Russie, mais aussi à affaiblir l’Église russe. Nous ne doutons pas que les États-Unis soient derrière le Patriarcat de Constantinople. Et la précipitation avec laquelle le Patriarcat de Constantinople agit témoigne de ce qu’il obéit à des ordres de l’extérieur.

  • A votre avis, le patriarche Bartholomée a-t-il reçu de l’argent pour cela ?

On a vu passer des informations dans les médias, comme quoi on l’aurait payé cher pour cela, on a parlé de 25 millions de dollars. Mais on ne peut pas le vérifier. Je ne sais pas s’il faut le croire. Je sais seulement qu’en 1924, lorsque le Patriarcat de Constantinople a accordé l’autocéphalie à l’Église polonaise, il a été payé en livres sterling. Si je ne me trompe, environ 12 000, c’est une grosse somme pour l’époque. La correspondance entre le patriarche de Constantinople de l’époque et les autorités polonaises a été publiée, et cette somme y figure.

  • Le 19 octobre, vous rencontrerez le pape François. Que lui direz-vous et qu’attendez-vous de lui ?

Je ne peux pas vous le dire.

  • Pourquoi ?

Parce que les pourpalers avec le pape sont généralement confidentiels.

  • Vous avez apporté un message du patriarche Cyrille ?

Je n’ai pas de message écrit. Il y a un grand nombre de sujets qui concernent nos rapports bilatéraux. Chaque fois que je rencontre le pape (et ce sera ma septième rencontre avec le pape François), nous abordons les sujets à l’agenda de nos relations bilatérales. Mais je pense qu’il faudra aussi parler des actes de brigandage de Constantinople. Nous n’attendons, bien entendu, aucune réaction de la part du pape, ni aucune ingérence. Je présume, cependant, qu’il sera utile d’échanger nos vues sur la situation.

  • Vous pensez que le pape ne reconnaîtra pas l’autocéphalie, qu’il ne reconnaîtra pas la nouvelle structure en Ukraine ?

Dans les relations entre l’Église orthodoxe et l’Église catholique, il n’y a pas de notion comme la reconnaissance ou la non-reconnaissance. Nous ne sommes pas en communion.

  • Alors je vous poserais la question suivante : quel rôle peut jouer l’Église catholique en Ukraine ?

Je pense que l’Ukraine a vraiment besoin de la médiation pacifique des Églises : cela concerne toutes les Églises du pays.

  • Même les communautés qui aspirent à l’autocéphalie ?

Cela concerne tous ceux qui se considèrent comme religieux. L’objectif n’est pas de créer une confrontation, mais de réconcilier les gens. La société civile est fortement divisée, en Ukraine, et les schismes entre Églises ne font qu’approfondir cette division au sein de la société.

  • Croyez-vous que le pape pourrait venir à Moscou en 2019, ou à une autre date prochaine ?

Cette question sera résolue dans le cadre de discussions bilatérales entre l’Église catholique romaine et le Patriarcat de Moscou.

  • Mais quand ?

Je ne peux pas vous le dire.

  • Pourquoi tant de mystères ?

Parce que les relations entre l’Église orthodoxe et l’Église catholique se sont développées pendant près de mille ans dans un contexte suffisamment compliqué. Nous surmontons peu à peu ces difficultés, mais elles ne sont pas encore totalement surmontées. Les orthodoxes sont très prévenus contre les catholiques, et nous ne pouvons absolument pas risquer l’unité de nos Église et la paix dans nos Églises. C’est pourquoi nous devons avancer à la vitesse que le peuple chrétien peut accepter. Voici un exemple. Lorsque le patriarche Athénagore a rencontré le pape Paul VI et qu’ils ont levés les anathèmes, presque tous les monastères du Mont Athos ont cessé de commémorer le patriarche de Constantinople. Nous ne pouvons pas créer une situation semblable, il faut avancer progressivement et tranquillement, pour ne pas scandaliser nos fidèles.

  • La question suivante concerne les Églises chrétiennes en Europe. A votre avis, des difficultés peuvent-elles survenir dans un proche avenir à cause d’influences extérieures sur l’Église catholique, sur l’Église orthodoxe ?

Toutes les Églises chrétiennes d’Europe font aujourd’hui face aux mêmes défis. C’est, avant tout, le défi de l’idéologie de la laïcité, qui empiète activement sur les valeurs chrétiennes. On fait la propagande d’un mode de vie qui, dans bien des cas, est incompatible avec la morale chrétienne, et les Églises chrétiennes doivent faire preuve de courage pour lutter contre ces tendances et prêcher la doctrine qu’ont laissée le Christ et Ses apôtres.

  • Pensez-vous que les Églises chrétiennes soient menacées ?

Je dis que les Églises chrétiennes font face à des défis communs, et que l’un de ces défis est l’idéologie de la laïcité. Mais il nous faut trouver un langage adapté, il ne suffit pas de dire : « c’est interdit, c’est défendu, il ne faut pas », mais expliquer pourquoi l’Église enseigne ainsi et pas autrement. Cela exige un immense travail missionnaire, ainsi que beaucoup de courage, d’être prêt à aller à contre-courant.