A la veille de la séance extraordinaire du Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe, Vladimir Legoïda, président du Département synodal aux relations de l’Eglise avec la société et les médias, a donné une interview exclusive à RIA-Novosti.

  • Commençons par le plus simple : peut-on dire qu’il existe déjà un schisme dans le monde orthodoxe ?

La situation est, en effet, extrêmement désagréable, mais, je ne poserais pas encore la question en ces termes. Les mesures non canoniques prises par le Patriarcat de Constantinople ont provoqué une vive réaction de la part du Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe. Nous sommes prêts à prendre des mesures de réponse sévères si le Phanar (la résidence du Patriarcat de Constantinople à Istanbul, ed.) ne modifie pas son approche du problème.

  • Mais si le schisme se produit – admettons-le pour une minute, il y a eu bien des schismes dans l’histoire de l’Eglise – ses causes sont aujourd’hui strictement politiques. Il n’existe pas de désaccord religieux, de divergence dans les dogmes. On pourrait donc négliger les canons de l’Eglise au nom d’intérêts terrestres passagers ? Cela ne gêne personne ?

Bien sûr. Nous avons protesté. Nous connaissons la réponse des Eglises locales, nous savons qu’elles soutiennent le métropolite Onuphre (Primat de l’Eglise orthodoxe ukrainienne). Cependant, jusqu’à une date récente, Constantinople soutenait aussi la même position ! Ce revirement est d’autant plus étonnant. Visiblement, cela ne trouble pas du tout nos collègues, puisqu’ils ont décidé de passer à l’acte.

Par ailleurs, quel sera le mandat de ces représentants-exarques ? Que feront-ils ? Avec qui entreront-ils en communication ? Ils ne peuvent pas ignorer le métropolite Onuphre, primat de l’Eglise canonique, mais comment iront-ils le voir s’ils ont pénétré sur son territoire sans demander son autorisation ? Par quoi commenceront-ils la conversation ? Par s’excuser ?

Je ne veux pas m’engager sur le terrain fragile des hypothèses, mais nous entendons ces derniers jours de drôles de commentaires de la part de Constantinople. Ces commentaires ne correspondent parfois pas du tout avec les mesures qui ont déjà été prises. Par exemple, lorsque le représentant du Patriarcat œcuménique parle de la possibilité de tout régler pacifiquement, sans provoquer de schisme en aucun cas, on ne comprend pas pourquoi, alors, enfreindre aussi nettement les canons ! Pourquoi le Patriarcat de Constantinople pense-t-il que l’Eglise russe ne réagira pas ? Elle réagira sans aucun doute !

  • Pensez-vous que nous avons dépassé « le point de prise de décision », comme on dit dans l’aviation ? Ou peut-on encore « repartir pour un tour » ?

Je pense qu’on ne pourra parler de point de non retour que si sont prises des mesures qui entraînent des conséquences sérieuses pour les échanges bilatéraux. Mais il n’y a pas eu de réactions à la déclaration du Saint-Synode du 8 septembre. Cela ne contribue pas à la pacification de la situation. Aujourd’hui aura lieu une réunion extraordinaire de notre Synode. Nous attendrons ses décisions.

  • Mais Mgr Hilarion (chef du Département des relations ecclésiastiques extérieures, ed.) a déjà déclaré que c’était fini, que les moyens diplomatiques avaient été épuisés…

C’est le cas. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas revenir au dialogue. Le point de non retour n’a pas été franchi, même dans nos rapports avec les schismatiques ukrainiens, à condition qu’ils soient prêts à suivre les normes canoniques dans le règlement de la situation.

  • Comment les gens ordinaires doivent-ils se conduire, que faire ? J’ai lu sur Facebook, aujourd’hui un article sur un office célébré à l’église Saint-Alexandre-de-la-Neva, à l’Institut « MGIMO » : au moment de la prière pour la paix en Ukraine, tous les paroissiens se sont mis à genoux. Que doivent-ils penser, eux qui ne sont pas au courant ?

Tous, qu’ils soient ou non au courant des affaires, doivent redoubler de prières. La prière pour la paix dont vous avez parlé, et qu’on lit depuis plusieurs années dans les églises russes, acquiert aujourd’hui un nouveau sens. Pour tout le monde, gens simples ou compliqués, laïcs, collaborateurs des structures de l’Eglise, c’est la prière qui compte avant tout.

Par ailleurs, nous vivons à une époque où n’importe qui peut être présent dans l’espace médiatique. Il faut donc s’abstenir de réflexions qui pourraient provoquer de l’irritation ou des émotions semblables. On nous provoque souvent à ces émotions, mais, comme dit l’Ecriture, « la colère de l’homme n’accomplit pas la justice de Dieu » (Jc 1, 20). C’est inadmissible.

  • Vladimir Romanovitch, comment en est-on arrivé là ? Est-ce un héritage des années 90 ? Ou bien cela a-t-il commencé plus tôt ?

Le sujet de l’autocéphalie, comme vous le savez, a provoqué un schisme. Ou plus exactement, les ambitions politiques et personnelles de certaines personnes, enrobées autour du thème de l’autocéphalie. La position du Phanar est étonnante : après 300 ans, ils se mettent à parler de la lettre du patriarche Denis II, datée de 1686, qui transférait la métropole de Kiev sous la direction du Patriarcat de Moscou, soi-disant temporairement. Le seul argument, de tout ce que j’ai entendu concernant ces évènements, est que le métropolite de Kiev devait faire mention liturgique du patriarche de Constantinople. Mais c’est une expression symbolique, un tribut au respect, au rang d’honneur, si l’on veut ! La commémoration des primats d’autres Eglises n’est pas une preuve de leur autorité. Même si l’on admet qu’il en est ainsi – et il n’en est pas ainsi – le droit canon avance l’argument du délai légal. Il expire au bout de 30 ans. Et pas de 300 ans !

Encore un élément important. Quoi qu’en disent les alarmistes, quelles que soient les informations de certaines chaînes, comme quoi la moitié du clergé de l’EOU rêverait d’autocéphalie, il n’en est rien. Les fidèles ukrainiens aiment leur primat, Sa Béatitude le métropolite Onuphre, ils aiment et respectent leur patriarche, Sa Sainteté le patriarche Cyrille. Ils n’attendent pas l’autocéphalie.

Que ceux qui ont créé toutes ces complications prennent conscience de leurs responsabilités, qu’ils réfléchissent sur quel terrain ils se sont engagés. Quant à ceux qui ont soif de recevoir de Constantinople cette fameuse autocéphalie, qu’ils réfléchissent aussi : que se passera-t-il s’il se crée une métropole de Kiev dans la juridiction de Constantinople ? Ce ne sera qu’une première étape. (Autre chose est de savoir de qui sera composée cette métropole). Ensuite, la métropole recevrait l’autocéphalie. Mais ce « ensuite » peut se faire attendre des années. Ou des siècles. Ou… Pourquoi pas ? Puisque Constantinople est d’humeur si changeante.

  • Cette situation ne risque-t-elle pas de provoquer des conflits civils ?

Le risque existe, évidemment. C’est pourquoi nous parlons des responsabilités que prennent ceux qui tentent de résoudre aujourd’hui la situation. Si l’on en vient à suivre la ligne de la légalisation du schisme, il est hautement probable que cela entraînera une exacerbation des problèmes. Parce que si des schismatiques qui ne sont reconnus de personne ont réussi à usurper plus de 40 églises de l’Eglise canonique en 4 ans, que se passera-t-il s’il se forme une structure revêtue d’un mandat de Constantinople, qui dira prétendre à toutes les églises orthodoxes en Ukraine ? Quoi qu’écrivent les pseudo-analystes sur le désir violent de tous les fidèles d’acquérir l’autocéphalie au plus vite, nous savons que leurs dispositions sont différentes. Les gens ne donneront pas leurs églises. Ils ne trahiront pas leur foi et leur Eglise.