Au cours de son séjour à Athènes, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a donné une interview au correspondant de l’agence d’information grecque « Romfea ».

-Éminence, vous séjournez actuellement en Grèce. De quoi avez-vous parlé avec le primat de l’Église orthodoxe de Grèce.

-Comme toujours, lorsque je viens à Athènes, j’ai rencontré Sa Béatitude l’archevêque Jérôme d’Athènes et de toute la Grèce. Nous avons évoqué les relations entre les Église orthodoxes russe et grecque, ainsi que l’agenda interorthodoxe. Il y avait beaucoup de questions dont il fallait discuter.

Je voulais parler à Sa Béatitude le métropolite Jérôme de la situation en Ukraine et de la situation délicate dans laquelle est aujourd’hui placée l’Église orthodoxe canonique de ce pays. J’en parlerai aussi pendant l’Assemblée interparlementaire de l’Orthodoxie. Il faut que le primat et les hiérarques de l’Église grecque, ainsi qu’un large public, puisse se faire une idée de ce qui se passe réellement en Ukraine, qu’ils sachent que l’Église orthodoxe ukrainienne, qui est l’Église de la majorité en Ukraine, fait aujourd’hui l’objet de discriminations, de persécutions, de pressions incroyables de la part des autorités civiles de ce pays.

On fait pression sur l’Église canonique pour qu’elle accepte le projet de création d’une « église locale unie » en Ukraine, initié par l’état. Ce projet est irréalisable sous la forme pensée par les autorités ukrainiennes, et extrêmement dangereux pour l’Église, dans la mesure où il s’agit d’arracher l’Église canonique ukrainienne au Patriarcat de Moscou, pour la réunir à deux structures schismatiques. D’autre part, on dit que les uniates devraient se joindre au projet. Les uniates y ont tout intérêt car, selon leurs propres propos, cette église unie « devrait être en unité avec la primauté de saint Pierre », ce qui veut dire qu’elle ne serait plus orthodoxe, mais catholique. Nous reviendrions donc à la situation de 1596, lorsque les autorités de l’état polono-lituanien convertissaient de force les orthodoxes à l’uniatisme.

Comme je l’ai déjà dit, il y a trois forces principales qui défendent ce projet « d’église locale unie » en Ukraine : les autorités ukrainiennes, les schismatiques et les uniates. Chacune de ces forces poursuit ses propres intérêts. Pour le pouvoir ukrainien, il s’agit de trouver un thème qui lui permettra de tenir jusqu’aux élections et de les gagner, ce qui paraît hautement improbable, compte tenu du niveau de popularité exclusivement bas des autorités en place. Les schismatiques y voient une possibilité de légitimer tout ce qu’ils ont fait durant les 25 dernières années. Quant aux uniates, ils espèrent affaiblir l’Église orthodoxe et faire basculer les croyants orthodoxes d’Ukraine dans l’union à Rome.

-Éminence, la récente visite d’une délégation de l’Église orthodoxe ukrainienne au Phanar suscite un intérêt particulier. Sait-on quelque chose de cette rencontre ? Peut-on dire que cela a été un pas important ?

-Il y a deux jours, une délégation de l’Église orthodoxe ukrainienne s’est rendue au Phanar. Elle se composait de quatre métropolites : Agathange d’Odessa, Hilarion de Donetsk, Théodore de Kamenets-Podolski et Antoine de Borispol.

Du côté de l’Église de Constantinople, participaient à l’entretien le patriarche Bartholomée, le métropolite Jean de Pergame, le métropolite Emmanuel de France et le métropolite Bartholomée de Smyrne. La rencontre a duré six heures. Pendant ce temps, les parties ont exposé leur vision de la situation. Le métropolite Jean de Pergame s’est notamment reporté à l’époque où la métropole de Kiev a été réunie au Patriarcat de Moscou, il y a 300 ans. Selon la théorie qu’il défendait, cette réunion était temporaire, et le métropolite de Kiev, selon une décision du patriarche de Constantinople d’alors, devait être nommé à Moscou tout en étant soumis au patriarche de Constantinople.

Nous avons beaucoup travaillé dans les archives, ces derniers temps, et avons trouvé toute la documentation relative à ces évènements : 900 pages de texte, en grec et en russe. Ces documents prouvent clairement que la métropole de Kiev a été inclue au Patriarcat de Moscou sur une décision du patriarche de Constantinople. Le statut temporaire de cette décision n’est précisé nulle part, aucun délai n’est énoncé. Aucun document ne dit que la métropole de Kiev est incluse au Patriarcat de Moscou pour dix ans, pour vingt ans, pour cent ans. En plus de trois cents ans, le patriarche de Constantinople n’avait jamais remis en question l’intégration de la métropole de Kiev au Patriarcat de Moscou, ni le patriarche Dimitri, ni ses prédécesseurs, ni l’actuel patriarche Bartholomée, jusqu’à il y a peu.

Il ne faut pas oublier que la métropole de Kiev, au moment où elle est entrée dans le Patriarcat de Moscou, recouvrait un territoire beaucoup moins important que l’actuelle Ukraine. Il ne comprenait ni Odessa, ni Donetsk, ni la Crimée. L’Église orthodoxe ukrainienne d’aujourd’hui c’est un tout autre territoire que celui qui a été unifié au Patriarcat de Moscou à l’époque. C’est cette Église orthodoxe ukrainienne qui est l’Église locale canonique de l’Ukraine.

Il n’est absolument pas nécessaire de créer une nouvelle « église locale d’Ukraine » puisqu’il existe déjà en Ukraine une Église locale. Cette Église locale a plus de 12 000 paroisses, plus de 200 monastères, elle unit des millions de fidèles sur tout le territoire de l’Ukraine. Et elle n’a pas demandé l’autocéphalie.

L’épiscopat, le clergé et les fidèles de cette Église se prononcent contre l’autocéphalie, comme l’a montré très nettement la consultation des évêques qui a eu lieu hier à Kiev. Le 25 juin, c’était la fête onomastique du métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine, et près de 70 hiérarques se sont déplacés pour y participer. Ayant entendu le compte-rendu des quatre métropolites sur leur séjour au Phanar, ils ont adopté une déclaration.

J’espère que le monde grec prendra connaissance de cette déclaration par le truchement de votre honorable agence. Je n’ai pas vu ce texte, parce qu’il n’est pas encore publié, mais des hiérarques ukrainiens m’ont dit qu’il insiste sur la nécessité de conserver le statut actuel de l’Église orthodoxe ukrainienne. Cela se reflète la position des fidèles, du clergé et de l’épiscopat de l’Église orthodoxe ukrainienne sur la question.

-Ce que vous dites, Monseigneur, est très convaincant. Pour conclure, j’aimerais vous poser encore une question. Le schismatique Philarète a déclaré quelque part qu’il pensait réclamer les Laures, dès que le projet dont vous avez parlé plus haut serait réalisé. Comment pourriez-vous commenter cette déclaration ?

-Philarète Denissenko, depuis 25 ans, trompe les gens de différentes façons. Il essaie aujourd’hui de les convaincre que le Patriarcat de Constantinople accordera l’autocéphalie à leur structure dans les jours qui viennent. Il ajoute qu’il n’acceptera pas moins que la création d’un patriarcat, pas question de métropole ni d’archevêché ! Il dit : « Je suis patriarche et je resterai patriarche ». Il semble que ce qui l’intéresse en réalité, c’est qu’on ne lui retire pas le chapeau de patriarche qu’il s’est mis lui-même sur la tête.

Il assure aussi que dès que cette nouvelle structure sera créée, la laure des Grottes de Kiev et la laure de Potchaïév devront en faire partie. Vous comprenez bien que les fidèles ne leur donneront pas les Laures ? Actuellement, environ 50 églises relevant de l’Église ukrainienne canonique ont été usurpées par les schismatiques, des violences sont perpétrées contre des fidèles orthodoxes. Imaginez ce qui se passera si les schismatiques tentent de s’emparer des Laures. Des milliers de gens se lèveront pour défendre les monastères, le sang coulera. Et qui sera responsable de ce bain de sang ? Je pense donc qu’il ne faut en aucun cas laisser faire.

J’estime qu’un élément essentiel de l’entretien qui a eu lieu au Phanar est que le patriarche Bartholomée a souligné : il considère bien le schisme comme un schisme, et voit en Philarète Denissenko l’initiateur du schisme. Par ailleurs, le patriarche Bartholomée a dit que les gens qui diffusaient des informations comme quoi le Tome d’autocéphalie serait déjà signé étaient les ennemis du Patriarcat de Constantinople. Cette information a été diffusée sur la « Cinquième chaîne » de la télévision ukrainienne par un archimandrite, proche de certains milieux de l’Église de Constantinople. C’est lui qui a affirmé que le Tome était déjà rédigé, que son auteur était un « canoniste de génie, professeur de l’université d’Athènes ». Cette information a, bien sûr, beaucoup étonné en Ukraine, mais le patriarche Bartholomée a dit très clairement qu’il n’y avait pas de tome et que ceux qui disent qu’il existe étaient les ennemis de l’Église de Constantinople.

Toutes les parties en présence doivent prendre conscience de leurs responsabilités dans ce qui se passe et dans ce qui arrivera. Une délégation du Patriarcat de Constantinople fait le tour des Églises locales pour connaître leur avis sur l’octroi de l’autocéphalie à l’Église ukrainienne. Le 9 juillet, cette délégation sera chez nous, à Moscou. Nous écouterons bien entendu attentivement les arguments qu’ils présenteront. Je pense que l’essentiel est qu’un dialogue à part entière débute entre nos deux Églises, celle de Constantinople et l’Église russe. A mon avis, échanger des arguments par personne interposée, comme cela se produit ces derniers mois, notamment par le biais des médias, n’est pas un moyen convenable pour résoudre le problème du schisme ukrainien. Je pense que le meilleur moyen est d’entrer en négociations.

Je pense qu’il est très important que les Églises locales fassent preuve de cette solidarité qui est le garant de l’unité de l’Église orthodoxe. Tout soutien au schisme peut faire éclater cette unité. Par ailleurs, si le schisme est soutenu quelque part, cela incitera les autres schismatiques à relever la tête.

L’Église orthodoxe russe n’a pas moins intérêt que l’Église de Constantinople à ce que les schismatiques reviennent dans le sein de l’Église. Nous estimons que la voie vers le retour des schismatiques est ouverte. Bien plus, pas plus tard qu’en décembre dernier, Philarète Denissenko a adressé à l’épiscopat de l’Église orthodoxe russe, le patriarche Cyrille en tête, un appel au pardon mutuel des péchés du passé, au dialogue. Notre Église a répondu très positivement à la lettre reçue. Mais dès que cela a été connu, quelqu’un a dû remettre Philarète à sa place, car il a désavoué tout ce qu’il avait écrit dans sa lettre dès le lendemain. Cela veut dire qu’il y a des forces, en Ukraine, qui ne veulent pas le retour des schismatiques au sein de l’Église par la voie canonique, mais veulent au contraire légitimer le schisme.

En rencontrant les quatre hiérarques ukrainiens, le patriarche Bartholomée a dit très clairement que le schisme ne serait pas légitimé, et c’est une déclaration importante. J’espère que la solution au problème du schisme ukrainien sera trouvée uniquement par la voie canonique. J’espère que ce n’est pas la conception exposée par le métropolite Jean de Pergame qui servira de base aux décisions du Patriarcat de Constantinople, car c’est une conception qui n’est pas fondée sur une juste connaissance de la situation, mais sur une lecture unilatérale et préconçue des sources d’il y a 300 ans.

-Je remercie Votre Eminence de cette excellente conversation.

-Je vous remercie à mon tour et vous souhaite de réussir dans l’œuvre importante que vous accomplissez depuis des années.